mercredi 14 décembre 2016

Un goût d'éternité première partie : Rodolphe : 1898.



1898

Paris, 13 janvier 1898.

Dans les rues de la capitale, de jeunes crieurs de journaux parcouraient les grandes artères, faisant la réclame suivante:
- L’Aurore! Demandez L’Aurore! Emile Zola accuse. Lettre ouverte au Président de la République. Du nouveau dans l’Affaire Dreyfus! 
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Un gros homme, âgé d’une quarantaine d’années, au ventre particulièrement proéminent, apostropha l’un des vendeurs ambulants.
- Hep! Petit! Par ici. Un numéro de l’Aurore, s’il te plaît.
- Bien, m’sieur! C’est cinq centimes.
- Tiens, prends. Et garde la monnaie.
- Oh! Merci, m’sieur.
L’individu, pas avare, venait de laisser dix sous à l’enfant.
Puis, ajustant ses lunettes, il se mit à lire le quotidien sur le trottoir, fortement intéressé alors que le crieur de journaux s’éloignait à la recherche d’un autre chaland.
Quelques minutes, plus tard, l’inconnu interrompit là sa tâche et consulta sa montre de gousset. Il murmura entre ses dents:
- 13 janvier 1898. Il n’y a pas qu’en France que les choses bougent. Lepaïola vient d’arriver à Ravensburg. Oui, c’est cela. Un bip sonne dans un de mes témoins. Le signal d’appel. Johann vient au rapport.
Alors, l’étrange individu sortit de la poche intérieure de son paletot un minuscule boîtier doré et, se rendant dans une impasse déserte, encombrée par des poubelles et par des chats errants, passa un pouce sur la surface de son appareil. Immédiatement, un hologramme de van der Zelden apparut.
- Au rapport, Commandeur.
- Chut! Pas de grade ici. Je suis à Paris incognito. 
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- Entendu. La seconde phase de notre plan a été enclenchée.
- Je le sais déjà. La phase Johanna… oui. Désormais, il nous faudra prendre garde plus que jamais. Les adversaires auxquels nous allons nous heurter seront plus déterminés et plus dangereux que ce ridicule Stephen Möll et que ce Michaël. Ecoutez bien mes dernières instructions…
Deux minutes plus tard, l’hologramme fut désactivé. Le gros homme esquissa un sourire de contentement. Ensuite, il s’éloigna d’un pas chaloupé, gêné par son poids. Son obésité le rendait quasiment impotent. Essoufflé, les mains moites malgré la température, il rejoignit l’avenue et hélant un fiacre, y monta. Ce dernier le déposa dans une rue étroite. Descendant avec difficulté, l’inconnu fit au cocher:
- Aucune preuve de ma présence à Paris en 1898 ne doit demeurer, donc aucun témoin non plus. Je suis désolé pour toi, l’ami, mais je suis obligé de t’effacer.  Adieu donc, pauvre humain ordinaire! Tu n’auras jamais existé.
D’un seul de ses regards, il dématérialisa à la fois et l’attelage et le cocher. Oui, le tout venait d’être effacé de la réalité. Le crieur de journaux subit le même sort à quelques kilomètres de là. Puis, l’étrange bonhomme s’évapora, entouré par un halo violet.
Mais de qui pouvait-il donc bien s’agir? Johann l’avait nommé Commandeur… de quoi?

*****

Deux décès endeuillaient Ravensburg en ce début d’année. Isaac Rosenberg rendait le dernier soupir le 28 janvier. Il était victime d’une crise cardiaque. Son fils Joseph prit la direction de la banque. Marié depuis peu, il escomptait bien faire fructifier son héritage déjà important.
Le 16 février, le docteur des von Möll était victime d’un attentat. Le cheval de sa voiturette s’emballa soudainement, et le véhicule léger finit sa course contre le mur du cimetière municipal. L’animal avait été drogué par un ancien domestique du médecin qui venait d’être renvoyé pour vol quelques jours auparavant. Un nouveau docteur le remplaça bientôt. Il était originaire de Hambourg.
Cette même année 1898, riche en événements de toute sorte, Waldemar s’unissait à Wilhelmine Bayer. Le mariage ne fut pas aussi grandiose que celui du fils aîné. Cette fois-ci, Stephen et ses étudiants ne furent pas invités à la noce. Aucun incident ne fut à déplorer.
Toutefois, Wilhelm, fort mécontent, fulminait dans son coin, se montrant peu aimable avec tout le monde. Il était persuadé que Waldemar serait père avant lui.
Parallèlement, les von Möll suivaient avec le plus grand intérêt les rebondissements de l’affaire Dreyfus. Naturellement, l’officier affichait ouvertement ses vues antisémites.
Une algarade vit une fois encore un affrontement verbal entre les deux frères. Elle eut lieu dans le salon bleu.
- En France, la plus grande partie de la population est devenue pro sémite, grommelait Wilhelm en mordillant violemment son cigare.
- N’exagère pas tout de même, répliquait Waldemar d’un ton neutre.
- Si, j’ai raison. Tous les Français devraient être passés par les armes. Ceci dit, la trahison de ce Juif nous arrange, convenez-en.
- Tu ne profères que des sottises, asséna Rodolphe avec force.
- Que non pas ! Vous ne l’admettrez jamais que j’ai raison. Il est fort malheureux pour nous d’en être réduits à demander l’aide de types de cette engeance.
- Tu es dépourvu de conscience morale, reprit le baron. C’est désolant.
- Père pèse ses mots, renchérit Waldemar. Je me demande où tu prends toutes ces idées. Dommage que tu sois un homme mûr.
- Pourquoi donc ?
- Parce que je te corrigerais, enchaîna le maître des lieux. Quant à Dreyfus, je le crois innocent.
- Peuh ! Inconcevable ! Moi, je suis un bon Allemand. Ma patrie passe avant tout. Je ne crois pas que ce soit votre cas à tous deux, conclut Wilhelm avec acrimonie.

*****
  
    Le 1er février de cette même année 1898, une nouvelle directrice prenait en mains la grande école moyenne pour jeunes filles de bonne famille.
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 Elle se nommait madame veuve Zimmermann. Sous ce pseudonyme se dissimulait Lepaïola qui, ainsi, effectuait la première partie de sa mission aux buts encore inconnus. Le robot biologique installa dans son bureau privé tout un appareillage sophistiqué camouflé comme il se devait. Il y avait là des ordinateurs avec leurs unités centrales, des téléviseurs extra plats servant sans doute à retransmettre des images filmées par des micro caméras temporelles (technologie issue de la civilisation post-atomique numéro 1), des circuits électroniques divers, des systèmes d’autodéfense insoupçonnables, mais également une télématique originaire de 1993, sans oublier les sources d’énergie nécessaires pour faire fonctionner le tout. Tous ces appareils étaient enfermés à l’intérieur de meubles habilement truqués ou derrière les rayons escamotables de l’encombrante bibliothèque trônant dans le bureau de la nouvelle directrice. Lepaïola était en fait devenue la correspondante permanente dans le passé de Johann van der Zelden.
Mais les mois s’écoulèrent plus ou moins paisibles dans la pittoresque petite ville de Ravensburg sans qu’apparemment la femme synthétique fût préoccupée par quelque événement majeur.
Toutefois, par une belle matinée d’août, Wilhelmine annonça avec la plus touchante émotion qu’elle attendait un heureux événement. Waldemar en fut grandement heureux. Si tout se passait comme prévu, le futur enfant viendrait au monde au mois d’avril 1899.
On le comprend, lorsque Wilhelm apprit à son tour la nouvelle, sa fureur fut à son comble. Il redoubla de cruauté envers Magda, ce qui ne surprit guère le reste de la famille.
Rodolphe dut s’entremettre de plus belle dans les scènes de ménage continuelles. Mais il ne parvenait pas toujours à réparer les pots cassés. A la décharge de Wilhelm, son épouse passait la majeure partie de son temps à tricoter pour le futur bébé de Wilhelmine, à papoter de choses et d’autres avec sa belle-sœur, ou encore à s’empiffrer de gâteaux riches en calories.
Un soir d’octobre, le fils aîné des von Möll surprit Magda et Wilhelmine en train de savourer une collation dans le boudoir. Sur une table reposait un plateau d’argent sur lequel étaient servis thé, sucre, crème, lait, biscuits et gâteaux à la crème. 
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A la vue de ces agapes, le sang de Wilhelm ne fit qu’un tour. Plus rouge que jamais, il s’élança sur la desserte et renversa le tout, théière, tasses, sucrier, assiettes et petites cuillers. Les robes brodées des deux  jeunes femmes pâtirent de ce coup de colère, abondamment éclaboussées.
- Magda ! C’en est assez ! Eructa l’officier. Je vous interdis d’adresser encore une fois la parole à madame. De vous donner le beau rôle de confidente. En aucun cas, vous ne devez être son amie. Je ne veux plus vous voir en sa compagnie. M’entendez-vous ?
- Wilhelm ? Quelle mouche vous a piqué ? Êtes-vous donc devenu fou subitement ? Ma robe est perdue maintenant. Vous devriez vous excuser pour votre attitude incompréhensible, fit Magda fort pâle sous l’affront.
- Au contraire ! Mon attitude est très claire.
- Que non pas ! Pourquoi m’interdire de converser avec Wilhelmine ?
- Monsieur Wilhelm, rajouta l’épouse du frère cadet, vous faites preuve de rustrerie.
- Vous, taisez-vous ! Je ne vous cause pas ! Rugit Wilhelm. Que racontiez-vous encore à cette maigrichonne ?
- Monsieur, s’offusqua Wilhelmine, je ne vous permets pas de m’insulter !
- Je vous ai ordonné de la fermer.
- Je m’en vais de ce pas me plaindre à mon époux et à votre père,
- C’est cela. Allez donc tout rapporter à mon gâteux de père. Il aura ainsi une distraction.
- Monsieur mon mari, fit Magda, vous vous donnez en spectacle et on entend vos rugissements dans toute la maison. Les domestiques doivent…
- Magda, je vous ai posé une question tantôt.
- Je n’            ai pas à vous répondre.
- C’est un ordre. De quoi parliez-vous avant que je vienne ?
- Je ne dirai rien concernant notre conversation à toutes deux. Je ne suis pas un de vos soldats. Je n’ai pas à vous obéir de la sorte.
- Monsieur le goujat, articula Wilhelmine sur un ton déterminé, je vais vous renseigner. Magda me demandait tout simplement s’il n’était pas préférable pour Waldemar que l’enfant que je porte fût un garçon.
- Ah ! Tiens donc, ricana Wilhelm. Eh bien, très chère, je souhaite pour ma part que cet enfant soit une fille ! Ainsi, elle n’héritera pas de la propriété. Sauf, bien sûr, si je venais à mourir prématurément sans descendance et Waldemar sans hoir mâle. Mais je ne désespère pas d’avoir un fils.
- Dans ce cas, répliqua Wilhelmine avec un sourire dur, vous vous y prenez fort mal.
- Là, c’est trop fort. Vous dépassez les bornes.
- Vous vous trompez, mon « frère ». C’est vous qui avez dépassé les bornes de la bienséance et depuis longtemps !
- Wilhelm, je vous en prie, arrêtez, supplia Magda. Cette scène s’éternise trop.
Au lieu de calmer Wilhelm, la supplique de la jeune femme ne fit que le rendre plus furieux davantage si possible. Perdant tout contrôle, il gifla violemment son épouse sous les yeux horrifiés de Wilhelmine. Magda, la joue cramoisie, les larmes coulant en abondance, se mit à sangloter bruyamment.
- Wilhelm, vous êtes odieux ! Un tyran, un monstre ! Je m’en vais… je quitte cette demeure pour demander le divorce. Je me moque… de ce que les gens diront.
- Vous savez tout comme moi que pour une catholique pratiquante, le divorce est impossible. De toute manière, je le refuserai.
- Cela a assez duré, s’écria la voix de Rodolphe.
Attiré par les cris provenant du boudoir, le baron venait de pénétrer dans la pièce cossue et confortable.
- Wilhelm, je ne vous croyais point mauvais à ce point, jeta Rodolphe. Traiter votre épouse ainsi est un crime. Je pourrais penser que vous êtes possédé par le démon…
- Père, se mêla Wilhelmine, ce démon est celui de la jalousie.
- Je ne le sais que trop bien. Quant à vous, Magda, cessez de pleurer. Je suis de votre côté. Si la présence de votre père peut vous réconforter, sachez qu’il sera des nôtres à la fin de la semaine. Je viens de lui téléphoner…
- Père, merci, bégaya Magda.
Wilhelm comprit la menace. Il ne souhaitait nullement le divorce. Il avait trop à perdre. Sa colère retombée comme un soufflet, il remonta dans ses appartements et se mit à réfléchir.
Dès le lendemain matin, il obtint une entrevue avec sa femme. Il parvint à se réconcilier –plutôt difficilement- avec elle. Désormais, il tâcherait de se contrôler davantage. La crainte que l’héritage familial lui passât sous le nez jouait en faveur de la réconciliation.
Otto von Möll naquit le 9 avril 1899. C’était un robuste garçon, criant à pleins poumons, tétant goulûment. Wilhelmine, dont l’accouchement avait été pénible, resplendissait cependant de bonheur. Elle jetait à tout-va qu’elle désirait rapidement un second bébé.
Nul ne remarqua la lueur singulière qui avait brillé dans les yeux du médecin lorsque celui-ci avait regardé Waldemar prendre son rejeton dans ses bras.
Le nouveau docteur, venu de Hambourg, avait tenu à assister la sage-femme lors de l’accouchement.
Wilhelmine sera de nouveau enceinte en 1904. Cette fois-ci, une petite fille verrait le jour. Elle disparaîtra à trois mois, victime de la diphtérie. Une autre grossesse s’annoncera pour l’année 1907… mais…
Après la naissance de son neveu, Wilhelm souleva ouvertement la question épineuse de l’héritage. Ainsi, il dévoilait qu’une seule chose comptait à ses yeux, son statut social tributaire de la fortune qu’il recevrait de son père.
Parallèlement, le 9 septembre 1899, un nouveau conseil de guerre condamnait Alfred Dreyfus à dix ans de réclusion avec circonstances atténuantes. Le capitaine serait gracié le 19 septembre.

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Paris, 8 mai 1993.

Célébration du quarante-huitième anniversaire de la capitulation nazie. Le Président de la République française, Serge Bouteire, dans un discours fort remarqué et repris par les télévisions du monde entier, dévoilait publiquement son inquiétude concernant la situation internationale.
« Après le 8 mai 1945, le Monde s’était juré qu’il n’y aurait plus jamais de guerre. Mais la promesse n’a pas été tenue. Malheur à nous, parjures ! L’Homme n’est manifestement pas encore devenu adulte.
Quand comprendra-t-il que la Paix est le bien le plus précieux ? Qu’il lui faut préserver la Vie, cette chose merveilleuse, ce miracle, ce don divin ?
Hélas ! je vois avec terreur l’horizon se charger de sombres nuages, la tempête menace davantage à chaque seconde qui passe. Parfois, j’en viens à penser qu’il y a parmi l’humanité de tristes individus qui souhaitent régler définitivement l’accumulation des malentendus qui sépare l’Occident des Pays de l’Est et ce, par des moyens indignes d’êtres civilisés ! Dois-je l’avouer ? J’ai alors une espèce de nausée qui me saisit et me noue l’estomac. Les contractions deviennent si douloureuses que je me mets à pleurer comme un enfant.
Non ! Il faut que nous nous ressaisissions ! Il n’est pas trop tard pour des hommes de bonne volonté. Nous devons refuser le suicide de l’humanité tout entière par la faute de quelques esprits mal tournés qui s’adonnent à un jeu pervers… ».
Lors de la retransmission intégrale de ce discours qui devait figurer dans les annales, Stephen Möll eut cette réflexion :
« Nous sommes foutus ! ».

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Paris, 1990.

Une rue du quartier des Batignolles dans le XVIIe arrondissement. Antoine Fargeau, étudiant à Paris VII préparait ses valises. Elément des plus brillants, grâce à l’aide du Doyen de son Université, il venait d’obtenir une bourse qui lui permettrait de faire son doctorat en Californie, à l’Institut technologique dans lequel le professeur Möll enseignait. 
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Nous étions à la fin de l’été. La saison universitaire allait bientôt débuter et Antoine, qui devait prendre l’avion le lendemain dès l’aube, entassait sans aucun ordre pulls, jeans, chemises, sous-vêtements et chaussettes dans ses bagages. Sa mère lui jetait quelques remarques qui se voulaient sévères mais qui trahissait sa grande affection pour son fils unique. Entre deux âges, vêtue sans aucune recherche, madame Fargeau s’inquiétait.
- Antoine, je sais bien que là-bas il fait toujours beau ou presque. Mais cela ne doit pas te dissuader de ne pas emporter ton blouson, même s’il est un peu usé.
- Mais oui, maman, j’y ai pensé. Ne te fais aucun souci.
- Ah ! Je t’ai préparé un thermos de café et aussi quelques sandwiches.
-  C’était inutile. Je mangerai dans l’avion. Un repas nous est gracieusement offert par la compagnie.
- Oui, mais prends-les malgré tout.
Madame Fargeau pouvait être qualifiée de « mère poule ». Antoine ne se laissait pas dominer, possédant un caractère fort affirmé. Le fils ne céda pas à sa mère chérie. Après des embrassades tendres, Antoine partit rejoindre l’aéroport d’abord en métro puis en RER.

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30 Avril 1945.

Berlin, bunker d’Adolf Hitler. 
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Il était environ 15 heures 30. Eva venait d’absorber une capsule de poison. Le Führer, quant à lui, avait saisi son pistolet, un calibre 7.65, et avec son arme, se tirait une balle dans la tête. Le coup partit et retentit dans la pièce. Adolf mourut sur le coup.
Lorsque les fidèles du dictateur surgirent, ils virent alors le corps de leur maître affalé contre une table basse. A sa gauche, se trouvait Eva Braun, le corps affaissé sur l’accoudoir du divan.
Adolf Hitler n’avait pas eu le courage d’affronter la capitulation, la défaite et le procès qui s’en serait suivi.

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Le 7 mai 1945 était signée la reddition nazie dans la ville de Reims. Pourquoi Reims ? C’était dans cette ville que se trouvait le siège du Grand Quartier Général d’Eisenhower.
Cette reddition était signée par le général Jodl pour l’Allemagne, les généraux Smith, Susloparoff et Sevez pour les Alliés.
Le lendemain, le 8 mai donc, la capitulation définitive serait signée à Berlin par le maréchal Keitel avec d’autres officiers du Haut Commandement de la Wehrmacht –Herr, Luftwaffe, Kriegsmarine – en présence du maréchal Tedder et du maréchal Joukov sans oublier les généraux Spatz et de Lattre de Tassigny.
Le maréchal Keitel entra dans la salle d’honneur de l’école des sous-officiers de Karlhost, là où exerça Wilhelm von Möll de 1910 à 1914, la tête haute et l’attitude arrogante. Il ne fallait surtout pas perdre la face. Lorsque les signatures eurent été échangées, Keitel, avant de se retirer, salua une nouvelle fois de son bâton de commandement, tandis que les vainqueurs restaient assis.
Enfin, les vaincus sortirent de la salle. Beaucoup, parmi les officiers nazis retenaient à peine leurs larmes.
Pour mémoire, il est bon de rappeler que le maréchal Keitel fut condamné à la pendaison par le Tribunal international de Nuremberg.

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France, 8 mai 1945, dans le village de Sainte-Marie-les-Monts.

Le matin touchait à sa fin dans ce paisible village de la campagne normande. Une jeune femme rousse à la beauté époustouflante qui était assise sur une chaise en bois blanc dans une cuisine des plus ordinaires, donnait le biberon à son petit garçon qui approchait des trois mois. Tout en nourrissant son enfant, elle écoutait la radio. Le speaker annonçait, des sanglots de joie dans la voix, la reddition des troupes allemandes et la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie.
Ne retenant plus son soulagement, Elisabeth essuya quelques larmes avant de sourire à son fils.
Alors qu’elle vérifiait le niveau de lait dans le biberon, Gaspard Fontane, qui avait failli devenir son beau-père, le maire du village, fit son apparition dans la cuisine égayée par des rideaux de crochet mais également par le soleil. Le presque sexagénaire était chargé d’un plein panier de victuailles.
- Elisabeth, pourquoi pleurez-vous ? Commença Gaspard avec son accent normand caractéristique. Aujourd’hui est un beau jour, un grand jour !
- Certes, mais qui ne rendra pas la vie à mon père disparu. Ma mère ne l’aura pas vu non plus ce si beau  jour. 
- Allons ! Que d’idées noires ! Votre petit François est là, lui, bien vivant…
-  Vous allez me dire comme Franz qu’un monde nouveau va voir le jour, un monde neuf, radieux, dans lequel la guerre sera interdite, où tous les hommes seront frères, sur tous les continents,  quelle que soit la couleur de leur peau. Une utopie irréalisable, voilà ce que j’en pense. Ah ! De nous deux, c’est bien moi la plus vieille !
Quelques pas, un jeune homme de taille élevée, blond, les yeux gris, pénétra à son tour dans la petite pièce. Il avait le visage grave.
- Vous avez entendu la radio, naturellement, dit-il sans aucun accent étranger.
- Oui, bien sûr, acquiesça Fontane.
- Monsieur le maire, cette nouvelle doit vous faire chaud au cœur. Vous vous êtes assez battu pour que ce jour arrive. Quant à moi, je me demande ce que pensent mes grands-parents en ce moment… ils ignorent si je suis en vie ou mort quelque part en Russie… ce 8 mai est également la date de mon anniversaire, vous savez…
- Oui, j’ai eu vos papiers d’identité en mains.
- Vingt-sept ans… sept ans de trop.
- Ne dites pas cela.
- J’aurais mieux fait d’y rester là-bas, dans ces vastes étendues glacées et enneigées, à l’Est, dans ces steppes qui avaient déjà englouti la Grande Armée de Napoléon…
- Franz, gémit Elisabeth. Je comprends ce que tu ressens mais…
- Non, laisse-moi poursuivre… ainsi, j’aurais payé la faute, l’immense faute, impardonnable de mes vingt ans, le crime de ma nation.
- Euh, bégaya Gaspard, ne portez pas sur vos épaules tout le poids des crimes des nazis…
- Hem… après tout, peut-être mon destin est-il de faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais cela ? Je ne vois pas d’autre raison à la poursuite de mon existence… Antoine Fargeau s’est sacrifié pour que je puisse continuer à vivre…  
- Vous devez avant tout porter témoignage, hasarda Fontane. Bien que je n’aie pas tout compris des événements de l’an dernier, c’est ce que je pense.
- Nous avons tous été dépassés par les propos d’Antoine, les secrets qu’il possédait, jeta Elisabeth.
- D’autant plus qu’il n’a pas tout révélé, reprit Franz.
- Heureusement, prononça le maire avec un léger sourire. Franz, si vous ne vous sentez pas le cœur à l’ouvrage, ne venez pas travailler à la ferme cet après-midi. Je fermerai les yeux.
- Monsieur Fontane, je ne demande aucune faveur. Maintenant que cette fichue guerre est finie, j’aurai enfin des nouvelles de ma mère… bonnes ou mauvaises. Je ne crois pas qu’elle ait survécu là-bas… personne ne revient de là-bas… personne…
- Ne perdez pas espoir…
- Je ne suis pas un naïf bêlant, monsieur le maire…
Ces trois personnages entrevus, Elisabeth Granier, Gaspard Fontane et Franz von Hauerstadt ont un rôle plus ou moins important à jouer dans cette intrigue. Le jeune Allemand, ex-lieutenant-colonel de la Wehrmacht deviendra le grand ami d’Otto von Möll, le petit-fils du baron Rodolphe von Möll.
Quant à Gaspard Fontane, un solide paysan de la côte normande, maire du village de Sainte-Marie-les-Monts, il est également le plus grand propriétaire agricole et ce, à vingt lieues à la ronde. En effet, il possède deux cents hectares de prairie, de vergers –des pommiers surtout qui lui rapportent un beau pactole dans la vente des fruits destinés à la production du calvados- trois fermes qu’il loue en plus de la sienne. En outre, dans les bâtiments de sa propre exploitation, Fontane élève des dizaines de vaches pour leur lait, des volailles par centaines mais aussi des porcs.
Toutefois, sa ferme est loin d’être mécanisée. A vrai dire, les aîtres auraient même besoin d’un ravalement urgent. Datant de la fin du XVIIIe siècle, les bâtisses n’ont jamais subi de réparations majeures.
Ces quelques renseignements dénoncent de la part de Gaspard Fontane le souci de faire des économies notables. Mais ce serait faire injure au personnage de ne pas dire qu’il s’était impliqué et même davantage dans la libération de la contrée. Monsieur le maire n’était pas un résistant de la vingt-cinquième heure, pas du tout…

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