dimanche 19 juin 2011

Mexafrica 4e partie : Mexica mfecane chapitre 33.

Chapitre 33

La bataille, des plus confuses, devenait indescriptible, chacun étripant son voisin immédiat. L’atmosphère semi-aqueuse se teintait de mauve, de cuivre et de pourpre tandis que des déchets opalescents flottaient tout autour des combattants. Des Opabinia saisissaient les têtes de leurs adversaires Velkriss entre leur pince bouche préhensible pour les broyer. Puis, sortant un autre appendice tout aussi meurtrier en forme de tuyau, ils buvaient et absorbaient le suc et les chairs internes de leurs ennemis insectoïdes vaincus. Cette horreur était rendue possible grâce à un acide puissant émis par les arthropodes.

Les guerriers d’élite Haäns, pendant ce temps, d’une discipline et d’un automatisme splendides, parfaitement synchronisés, couvraient leur chef Zoël Amsq des tirs croisés des membres de l’Einstein qui, de leur côté, tentaient eux-mêmes de faire face à la fois au Raptor de Feu et aux Opabiniens! Lentement, mais sûrement, Daniel, Antor et Kiku progressaient et ne tarderaient pas à faire leur jonction avec le capitaine Sitruk. Désarmé, l’équipage du Langevin se battait au corps à corps avec les Castorii et les Haäns de Tsanu XIII tandis que les Velkriss affrontaient les pseudos arthropodes mais également les p. C’était la curée dans toute sa confusion.

Qui, finalement, réussirait à s’emparer de la spore?

Pour compliquer la scène, des soldats Odaraïens surgirent de tous côtés, accourus du fin fond de la mégapole semi-aqueuse. Alors, le carnage, avec ces nouveaux combattants, atteignit son paroxysme! Malgré leurs broignes de plastacier, les Haäns et les Castorii, occupés à donner des coups de pieds aux humains du Langevin, brutalement saisis par derrière, furent avalés par les vers insectes pour être ensuite, presque aussitôt régurgités en une espèce de bouillie immonde et abrasive qui s’en vint éclabousser les survivants blessés, les rongeant ainsi extérieurement et intérieurement, ajoutant encore à la souffrance des moribonds.

On vit un sergent Haän de la neuvième caste, tout fumant, percé de part en part, rugir de douleur et, comme fou, brandir sa hache laser lui servant de fléau d’armes, avant de s’effondrer et de mourir. Son corps acheva de se dissoudre en fumeroles et solfatares d’acide dont les bulles méphitiques éclatèrent en émettant des blop agaçants et monstrueux.

Kiku, ses écailles duvet toutes frémissantes, s’en donnait à cœur joie! Lui était né pour se battre, pour retourner en sa faveur les situations les plus désespérées! Il utilisait et abusait même de son énorme mâchoire crocodilienne, manifestement peu dégoûté de mordre dans les chairs empoisonnées, venimeuses, des Velkriss mais aussi des Haäns. Efficace, ô combien, il frayait un chemin à son commandant, le fabuleux Daniel Lin. Celui-ci avait sa famille en ligne de mire.

Quant à Antor, il ne pouvait ni mordre l’exosquelette Velkriss ni la peau Haän au sang toxique sou peine de mort quasi immédiate! Il lui restait le fuseur. Toutefois, comme le sang Castorii lui convenait à merveille, il ne se privait pas d’une pinte par-ci, par-là! Petits zakouskis appréciables dont les victimes étaient en premier lieu des centurions et des praetors natifs de la planète rivale d’Hellas.

Restaient les p qui s’amusaient comme les gamins vicieux qu’ils étaient. Grâce à leurs pouvoirs, des guerriers Opabiniens, pris d’une danse de Saint Guy, s’entretuaient, possédés par les entités décadimensionnelles. Leurs ganglions, disséminés sur tous leur corps, étaient contrôlés par les p qui envoyaient à leurs victimes les influx électriques et les ordres désirés!

Mais quelle était donc l’attitude de l’IA des Olphéans, qui, spectatrice indifférente, laissait tout le monde se battre, s’égorger ou s’étriper? Subissait-elle donc deux influences contraires, celles de Michaël et de Johann? Les deux supra entités, enfin réunies après des éons de séparation, allaient-elles choisir pour elle? Le danger qu’il n’y ait plus qu’un anti Pantransmultivers aurait pu accomplir un tel miracle, soyez-en persuadé ami lecteur!

En fait, bien qu’ils aient mis du temps à l’admettre, les deux antagonistes, malgré leur haine, leur répulsion, leur souffrance, poursuivaient désormais un seul et même but: annihiler l’orgueilleux, le fat, le téméraire Daniel Deng Wu!

Investie par les jumeaux ennemis, l’IA, ayant conduit en ce lieu improbable tous les protagonistes ou presque de cette histoire, semblait ne donner aucun coup de pouce à l’Einstein. Or, c’était entièrement faux!

Curieusement, dans son combat sans merci contre le Raptor de feu, la navette résistait superbement bien qu’elle ne parvînt pas à prendre le dessus sur l’imposant vaisseau. Malgré leurs différences de taille, les boucliers des deux engins spatiaux se montraient aussi efficients l’un que l’autre et leurs commandants respectifs aussi aguerris, déterminés et brillants!

Le second de Zoël Amsq, le capitaine Gladur Rorh, avait déjà affronté André Fermat dans une histoire parallèle. Mais l’ambassadeur, de son côté, commençait à perdre patience alors que, pourtant, il contrait magnifiquement toutes les manœuvres du vaisseau de guerre qui surclassait largement la navette dont présentement il avait la charge.

À bord de l’Einstein, bien que tous les compensateurs inertiels fussent activés, sans oublier les multiples couches protectrices du bouclier, Ivan, Pacal et Geoffroy encaissaient mal les accélérations soudaines et les décélérations brutales, les retours en arrière inattendus, les changements improbables de direction! Les ordinateurs mettaient pratiquement un dixième de seconde à réagir, ce qui était trop long, et notre trio de néophytes, le teint du plus beau vert qui soit, et les yeux en boules de loto, vomissait tripes et boyaux, criant grâce entre deux quintes.

- Ah! Gémissait Ivan. Cette fois-ci, ce n’est plus tenable! Assez! Stoppez!

- Je veux mourir! Pleurait Pacal.

- Rôtir en enfer doit être mille fois plus doux que ce que je subis en ce moment, renchérissait Geoffroy.

- Je me serais bien passé d’être plongé en plein dans le film « La Guerre des étoiles »! Reprenait le blond adolescent. Sur l’écran, cela paraissait si clean, si facile! Pourquoi ne pas nous avoir prévenus?

- Parce que croyez à ce que vous voyez au cinéma? Ricana Franz. Vous êtes bien naïfs tous trois!

À son tour, Violetta lança quelques pointes bien acérées et bien perfides.

- Pff! Pour moi, ce n’est que la routine habituelle! Voyez-vous, les garçons, lorsque, comme vous, on se pique d’être des aventuriers, il faut d’abord avoir l’estomac en béton! Là, en cet instant, nous avons de la chance! Si oncle André ne pilotait pas notre petit vaisseau, il y a longtemps que nous aurions été réduits en particules!

- Tu plaisantes, sans doute? Émit Ivan entre deux hoquets.

- Pas du tout! Ce n’est pas mon style! André Fermat, pour les béotiens que vous êtes, est le célèbre inventeur de la manœuvre qui porte son nom. Et de bien d’autres tours encore qui ont eu le bonheur de rouler les pilotes aussi chevronnés soient-ils des raptors et des croiseurs ennemis!

De son côté, inexplicablement, Uruhu s’agitait. En fait, chaque fois que l’Einstein réchappait d’un cheveu au Raptor de feu, il y voyait une manifestation divine. Ce fut pourquoi il remercia abondamment les dieux Broorh et Durgu pour leur protection sans faille. Devant sa console, laissant parler son instinct et son sentiment religieux, il entama une ode au dieu aurochs, une mélopée venue du fond des âges, un chant qui fit tressaillir tous les Sapiens de la navette.

- Durgu Amu-Ulk

Vaga Durgu

An-i aha - Mi (bis) …

- Lieutenant, taisez-vous! C’est un ordre! Jeta Fermat sèchement.

André voulait rester concentré. Confus, le K’Tou s’empressa d’obéir. Sa console affichait toujours les données des boucliers. Elle était neutre et ne pouvait se tromper. Le miracle se poursuivait, voire s’amplifiait. Les différentes couches magnétiques de protection connaissaient une surpuissance de trois cents pour cent et le bouclier ne s’effondrait pas! Mieux même! Plus le combat durait, s’éternisait, plus il se renforçait! D’où prenait-il son énergie?

Irina, qui s’occupait de la cohésion interne des superstructures du petit vaisseau, n’en revenait pas.

- C’est tout à fait bizarre! Finit par lancer la jeune femme. On dirait que l’Einstein a hérité de la puissance et des capacités du Langevin! Tous les moteurs sont opérationnels, toutes les structures soumises à des distorsions hors normes résistent, et bien au-delà des paramètres attendus!

Quant à Ufo, paisible, nullement effrayé par tout cela, il ne miaulait pas et se contentait de faire ses griffes sur une des couchettes, personne ne le surveillant! Tatiana, en hypothermie douce, se contentait de poursuivre son rêve.

Hors de l’Einstein, Daniel Lin progressait toujours en direction du capitaine Sitruk et de Lorenza. Il avait compris que Sir Charles désirait kidnapper Mathieu.

Or, les combinaisons protectrices des guerriers d’élite Haäns les dotaient de la faculté de voler y compris au sein de cette atmosphère semi-liquide. Et, les séides de Zoël touchèrent au but avant le commandant Wu. Il s’en fallait de quelques précieuses secondes. Ils bondirent sur Lorenza et Benjamin qu’ils maîtrisèrent avec une facilité déconcertante tandis que Merritt parvenait à se saisir du garçonnet! Les époux Sitruk ne purent résister longtemps alors que Mathieu se débattait en vain, envoyant de vicieux coups de pieds à son ravisseur. Si l’Anglais n’avait pas été muni d’une combinaison, l’enfant aurait eu ses chances…

Parallèlement, Zoël, voyant avec plaisir le succès de son compère, décida d’affronter non pas sa Némésis, mais le roi prêtre opabinien! Voulait-il tester ses forces? Oh que non! Il désirait surtout s’emparer de la sphère spore! Devant la garde rapprochée du souverain, le pseudo Haän parut alors se décupler, se démultiplier! Il se déphasa au-delà des capacités de son armure. Encore un fait inexplicable. Décidément, cette bataille réservait d’innombrables surprises.

Les divers doppelgangers attaquèrent isolément les arthropoïdes comme s’ils étaient dotés d’un cerveau indépendant. Pour mémoire, il est bon de signaler que Daniel Deng ne disposait pas de la transdimensionnalité de son clone!

Malgré leurs carapaces, les Opabiniens furent broyés comme de fragiles coquilles dans les bras surpuissants des Zoël surmultipliés. Comment un tel prodige était-il possible? Un miracle? Un tour de démon? Non! Prosaïquement le chercheur, dévoyé par sa haine, portait tout simplement le tout dernier modèle de l’armure Asturkruk de combat, celle qui bénéficiait des derniers perfectionnements du XXXe siècle!

Ainsi, déphasé en des milliers d’exemplaires, sur plusieurs milliardièmes de secondes, Daniel Deng contra des adversaires bien impuissants. Dans ces infinitésimaux fragments de temps découpés, on avait l’impression trompeuse d’une continuité ubiquiste d’Amsq; un Haän normalement constitué, ou un simple humain n’aurait pu supporter sans dommages à long terme cet état de démultiplication frôlant l’infini, malgré un entraînement intensif. Il ne fallait pas solliciter son organisme au-delà d’une minute. Comment Daniel Deng résistait-il? Un mystère supplémentaire!

Surmultiplié et triomphant, Zoël s’empara avec un rictus de satisfaction de la sphère de totipotence alors que certains de ses doubles massacraient le roi prêtre et sa garde tandis que le plus grand nombre s’en prenait, à revers, à Daniel Lin lui-même!

Prévoyant, anticipant ce duel depuis fort longtemps, Daniel Deng s’était économisé jusqu’à maintenant. Parallèlement, d’autres alter ego du chercheur immobilisaient Kiku U Tu, oui, vous avez bien lu, et Antor!

De son côté, Daniel Lin s’attendait à être pris à partie par son jumeau depuis quelques minutes déjà. Tout en parant les coups de phaseur de Sir Charles et des soldats d’élite de Tsanu XV, il fit face résolument à son frère! Il tua bien un des Haäns, mais son tir suivant ne fit qu’effleurer la jambe gauche de Merritt. Tandis que le cadavre de l’extraterrestre, sa combinaison pourtant toujours activée, mais victime désormais d’une cruelle dépressurisation, était projeté dans les airs à une vitesse époustouflante, pour se dégonfler presque aussitôt, Sir Charles, serrant fortement Mathieu contre lui, se retournait et faisait demi-tour en direction du Raptor de Feu, croyant bien trop rapidement être sorti d’affaire! En réalité, la blessure apparemment anodine infligée par le daryl androïde était mortelle! Daniel Lin avait parfaitement calculé son coup. Le tir de fuseur avait déchiré la partie supérieure de la couche protectrice anti dépressurisation de sa combinaison.

Ne comprenant pas le phénomène dont désormais il était la victime, Sir Charles lâcha brusquement son otage, Mathieu Wu. Un poids soudain lui écrasait la poitrine et il se sentait de plus en plus oppressé. Il suffoquait, étouffait. Plongé dans un enfer personnel, il se transforma en bonhomme bibendum avant de se rétracter et de s’écraser brutalement, métamorphosé en une compression digne du sculpteur César, du plus bel effet, au sein d’éclaboussures et de bulles irisées toutes aussi ignobles et mirifiques à la fois!

Exit donc le baronet Charles Merritt, le successeur de Galeazzo di Fabbrini, réduit en une espèce de bouillie infâme que pourtant les guerriers Opabiniens s’empressèrent de déguster en bons charognards jamais rassasiés!

Daniel Deng avait-il donc déteint sur Daniel Lin? Notre daryl androïde avait-il perdu tout sens éthique? Non mais malheur à celui qui attaquait son épouse, son fils ou ses filles!

Zoël Amsq n’était pas pardonnable non plus. Il connaissait le danger couru par son partenaire. Il l’avait sciemment mené à la mort! Désormais, certain de sa victoire, Kiku inconscient et Antor groggy, tandis qu’il tirait sur son frère, celui-ci évitant le rayon létal d’extrême justesse, il lui lança sur un ton impossible à rendre:

- Affronte-moi! Oui, affronte-moi, Daniel Lin! Ose encore une fois l’impossible!

- Pourquoi ce combat individuel? Pour délivrer mon fils? Récupérer la sphère?

- Pour empêcher le Pantransmultivers de sombrer dans le non-sens! Pour le protéger de ma folie!

À peine Daniel Deng eut-il achevé que son jumeau fut instantanément entouré d’êtres fulgurants, de créatures toutes identiques, vêtues de l’armure Asturkruk améliorée du XXXe siècle, usant de la tactique Formica la plus sophistiquée.

- Je m’y refuse! Articula distinctement le commandant Wu.

Juste à cet instant, à cette pico seconde, il n’y eut plus que les ténèbres qui enveloppèrent non seulement le daryl androïde téméraire mais également les autres protagonistes de cette bataille hors normes. La Terre opabinienne avait disparu sans transition.

À l’intérieur du vide, du rien (?), de l’inconnu, de l’inappréhendable, Daniel Lin se demandait à propos s’il devait se réjouir ou s’alarmer. Allons! Il avait compris ce qui était arrivé. Il n’y avait pas à s’y tromper: le cube de Moebius avait bel et bien été activé! Le piège le plus raffiné, le plus complexe, le seul à même de maintenir enfermé, de brider, de limiter pour l’éternité l’Homunculus danikinensis ou son héritier!

- Comment puis-je encore avoir le sentiment d’exister? S’interrogea Daniel Lin. Je respire alors que je suis tout à la fois matériel et immatériel, que j’oscille entre plusieurs réalités… une infinie lassitude, une infinie colère, une satisfaction amère mais aussi un regret poignant voilà ce qui peut présentement me définir! Présentement! C’est à rire et à pleurer! Le sacrifice sera-t-il à la hauteur? Sacrifice? Mais pour qui? Moi? Je préfère ricaner! Je me suis volontairement transformé en appât! La Cause est suffisante! Amplement suffisante! La dernière scène va maintenant se jouer et je suis prêt!

Une intense lumière, un flash bien plus brillant que des milliards et des milliards de soleils allumés ensemble, un nouveau Big Bang et l’équipage du Langevin au grand complet se retrouva à bord du vaisseau-mère, sans comprendre comment ce miracle avait pu être accompli! La navette Einstein, de même, avait regagné sa soute habituelle!

Irina, Benjamin et Lorenza se tenaient devant les consoles des officiers de la passerelle. L’écran activé ne révélait rien, rien hormis un espace entièrement vide! Où était donc passé le Raptor de Feu ennemi? Où et quand était-on? Les coordonnées spatiales n’étaient plus fiables, défiant toute logique! De plus, à bord du Langevin, il y avait trois adolescents de la fin du XX e siècle, plus précisément originaires de l’année 1978, le duc Franz Von Hauerstadt, cueilli en 1961, l’Hellados Stankin libéré miraculeusement et incompréhensiblement des geôles du Caire, et, surtout, confinés entre les treizième et vingt-et-unième niveaux, totalement piégés, tous les adversaires coalisés qui combattaient l’Alliance des 1045 planètes: Tsanu XIII Gaachak, Shi Ka Aa Ta, Sertorius ainsi que les survivants de la Dimension p. Dans ce tableau, il ne manquait à l’appel que le commandant Daniel Lin Wu Grimaud lui-même et le sinistre Zoël Amsq!

***************

Dans une forêt primaire de la Terre du Jurassique, se dressait un campement Haän des plus ordinaires. Au-dessus d’une clairière, au-delà de la canopée, flottait un artefact plus ou moins translucide, plus ou moins changeant, non constitué d’une matière solide, mais de photons ou plus exactement de proto photons, d’ondes ou de ce qui y ressemblait. Et Daniel Lin y était emprisonné.

Notre daryl androïde tentait, non d’ouvrir ledit cube, c’était absolument impossible, mais de contrôler ses émotions, voire de les supprimer car elles pouvaient le conduire à sa perte! Surtout, ne pas céder à la fureur qui le rongeait intérieurement, ne pas vouloir s’échapper à tout prix et commettre la plus grande des inconséquences! Sinon, tout ce qui le constituait serait irrémédiablement dissous dans un Néant qui atteindrait, affecterait tout le Pantransmultivers!

Appliquant les préceptes de l’enseignement bouddhiste, Daniel lin parvint à faire le vide en lui, oubliant jusqu’à son ego, se fondant avec l’Unité, l’Unicité plutôt, recouvrant une impassibilité remarquable, totalement inhumaine. Acceptant donc son sort, son impuissance momentanée et apparente, perdant, occultant volontairement l’idée même de penser, il fut, entièrement, intrinsèquement, absolument, tout en n’étant plus! Prouesse, prodige, miracle, volonté domptant la réalité, transcendant la Nature…

Soudain, dans ce Néant palpable et impalpable pourtant, la lumière jaillit, le cube s’ouvrit, ou parut le faire, et découvrit ainsi une paysage disparu du lointain passé de la planète bleue. Un pas distinct retentit que Daniel Lin identifia aussitôt. Devant lui, dorénavant, se dressait son double parfait, son jumeau malfaisant: Daniel Deng Wu. L’original, qui avait retiré son déguisement et son maquillage, un sourire triomphal, empli de morgue sur ses lèvres sans âge, plastronnait.

Devant son frère qui se penchait vers lui avec une fausse sollicitude, le commandant Wu ne leva pas même un sourcil, ce qui eut pour résultat de blesser l’ego démesuré de son aîné.

- Comment? S’exclama Daniel Deng fâché. Pas un soupir ni un frémissement! J’attendais plus mon frère, beaucoup plus! Depuis le temps que je te traque!

- Pourquoi marquerai-je une quelconque surprise? Pourquoi feindre? Il n’y avait qu’un cerveau, une intelligence égale à la mienne qui pouvait me capturer! Logiquement, cela ne pouvait être que toi! J’admets toutefois que Sun Wu père m’avait révélé ton identité véritable peu avant mon expédition dans la pyramide de Texcoco!

- Ah! Bien évidemment! Cette pourriture a payé son double jeu de sa vie! Cependant, merci pour ton compliment, mon clone! Tu sais que j’en suis friand! Après Tsanu XV, tu reconnais donc mes capacités et mon génie! Or, ce ne fut pas le cas, loin de là, de notre père…

- Tu te trompes, mon frère! Tchang souhaitait que tu poursuives son chemin. Tu en avais les capacités, le talent… mais pas la volonté, la concentration…

- Suivre les traces de ce vieux débris? Il voyait trop petit, mon cher cadet! Quelle récompense aurais-je obtenue? Me contenter de faire partie d’une assemblée délibérative? Et non pas de participer aux vraies décisions! Tu veux sans doute plaisanter Daniel Lin!

- Daniel Deng, Tchang avait bien plus de poids que tu l’admets! Combien de fois t’a-t-il épargné de tristes et humiliantes punitions?

- Tu sais donc ces détails? Je pensais plutôt que notre père commun avait occulté jusqu’à mon existence!

- En effet, ce fut ce qu’il fit! Mais je sentais un malaise, la présence d’un lourd secret. J’enquêtai et appris que tu m’avais précédé.

- Dans ce cas, tu sais également comment je suis né! Mère voulait un fils « parfait »! Un fils qu’elle refusa de porter dans son ventre comme toute mère digne de ce nom!

- C’était normal et… inévitable à l’époque! Ne sois pas si sévère envers elle!

- Tu l’excuses, toi! Toi qui enduras l’enfer par sa faute, durant ton enfance!

- Mais c’était toi le coupable, Daniel Deng! Pas elle! Elle t’aimait et tu trahis cet amour!

- Voilà une autre chanson!

- Oui, tu trahis ses espoirs! Réaffirma avec force le plus jeune.

- De l’amour? C’est risible! Elle éprouvait pour moi de l’amour? Jamais, elle ne me prit dans ses bras! Jamais, elle ne me berça, ne me consola… jamais, elle ne joua avec moi, ne s’intéressa à ce que je faisais! À mes progrès! Elle se contentait de m’abreuver de cadeaux, tous plus dispendieux les uns que les autres! Elle passait tout son temps dans le laboratoire de botanique! Je m’en souviens fort bien! Et toi aussi! Elle n’affichait aucun sentiment d’inquiétude lorsque j’étais malade, lorsque je souffrais d’une insupportable solitude!

- Li Wu, lui…

- Li Wu! Stoppe veux-tu? Je vais m’étouffer de rire!

- Li Wu, notre grand-père paternel a tenté de t’élever, de te donner sa sagesse, de t’inculquer sa vision de la vie… qu’as-tu fait de son enseignement? De tes dons?

- Mais ceci! Ce que tu vois, ce qu’il t’arrive! Ce que je suis devenu aujourd’hui!

- Une sacrée et indubitable réussite, mon frère!

- De l’ironie méprisante à mon égard, mon clone? Prends garde! Là, en cet instant, c’est toi qui te trouves dans le cube, et moi qui suis dehors prêt à t’anéantir!

- Si tu as atteint le zénith de tous tes désirs, alors, sois satisfait et Bouddha le sera également, Daniel Deng!

- Décidément, pâle copie de moi-même, tu es indécrottable!

- Pâle copie que tu convoitais avec ardeur cependant!

- Moui! Daniel Lin, si la victoire m’appartient aujourd’hui, c’est parce qu’aucune philosophie, aucune religion, aucun interdit ne brident ma volonté! Je me suis délivré de ces chaînes morales ridicules! Je ne crois qu’en moi! Je ne rends un culte qu’à ma personne! Je ne vénère que ma propre intelligence, mon inventivité!

- La roche Tarpéienne est proche du Capitole, Daniel Deng!

- Ricane! Il ne te reste que cette faculté! En fait, au fond de toi-même, tu rages de te voir, te sentir si impuissant et battu!

- Je suis au-delà de la vile colère, au-delà de la vengeance, mon frère!

- Comme c’est touchant et merveilleux, mon frère! On croirait entendre un conte de fées! Me prends-tu donc pour la plus stupide des créatures, Daniel Lin?

- Avant de régler mon sort définitivement, Daniel Deng, j’ai une requête à formuler, une modeste curiosité à satisfaire… j’ai déduit beaucoup de ton passé obscur, mais quelques points se dérobent encore. Pourquoi as-tu fait croire à ta mort? Comment as-tu pu duper et les pirates et les services du maintien de l’ordre?

- Je n’ai pas choisi ce qui m’advint dans mon jeune temps! Abattu par celui que je pensais mon ami, j’ai été laissé pour mort! Oh! Je te vois venir! Tu vas me répondre que, dans le Milieu, dans la Pègre, on n’a pas d’amis! Depuis, je l’ai compris! Et j’ai veillé à n’avoir autour de moi que des subordonnés, des esclaves soyons honnête!

- Tiens! Pour une fois!

- Tes sarcasmes ne me font ni chaud ni froid. Revenons à ce qui m’arriva. J’agonisais lorsque des charognards Haäns ont atterri sur le caillou perdu où je gisais dans un semi-coma. Quelle aubaine pour eux! Un esclave humain, offert sans résistances, sur un plateau! Après m’avoir plus ou moins soigné, ils m’ont vendu fort cher… sais-tu à qui? Au favori de l’Empereur Haän! Or, c’était un scientifique qui, à ses heures perdues, s’adonnait aux manipulations génétiques. Pour lui, je n’étais qu’un jouet expérimental. Pas plus, pas moins! Je n’avais pas d’autre volonté que celle de lui plaire, de survivre coûte que coûte, de subir les coups, les humiliations, de ravaler ma rage, de supporter les traitements modificateurs, les caprices de cet être odieux et dépravé! J’étais sa chose, un point c’est tout!

- Fameux portrait fort ressemblant que tu me dresses là! Mais dans l’Empire Haän ce genre d’individus est plutôt monnaie courante…

- Je puis lire dans tes pensées, mon frère, l’oublies-tu? Tu te moques de moi, comme toujours!

- Mais je n’ai rien à te cacher, Daniel Deng! Tu es au-delà de mon mépris! Tu ne mérites pas la compassion que, pourtant j’éprouve pour toi, malgré ce que tu fis contre les miens.

- Assez! Tu es à ma merci! Je puis te faire taire sur l’heure!

- Que m’importe! Mais poursuis ton récit si édifiant! Ton aventure personnelle mériterait un roman. Donc, tu as été déclaré officiellement mort en l’année 2470 de l’ancien calendrier chrétien.

- Plus exactement, selon les archives, le 19 septembre.

- Merci pour cette précision. Comment as-tu survécu jusqu’en 2957 ou 53? Tu n’es pourtant point, comme moi, un daryl androïde? Et qu’en est-il de ton alter ego d’une autre chrono ligne, Zoël Aminsq le serviteur fidèle de Tsanu XVIII?

- Toujours moi! Là, je t’épate, Daniel Lin! Je me balade à mon gré au sein des univers parallèles. Je jongle avec les concepts. Te rappelles-tu? Aucun traité du Mowelle ne m’entrave! Ces charognards Haäns étaient originaires de l’année 2891. Et, c’était bien après moi qu’ils en avaient!

- Ils te cherchaient donc!

- Réfléchis pourquoi!

- Le baron Opalaanka…

- Bravo! Après le bagne de Penkloss, il devait avoir un destin interstellaire. Il choisit de rendre la dignité aux Haäns. Dignité, justement dont tu les avais privés après ton accord contre nature passé avec Penta p! En m’alliant à ses congénères, je n’ai fait que rétablir l’équilibre, Daniel Lin!

- Au profit de ton peuple d’adoption, tout aussi immature et enragé que toi!

- C’est là ton opinion!

- Tout est lié à travers les chronos lignes! Toutes nos actions, nos réactions, nos sentiments et ressentiments, nos choix, nos haines… je paie mon karma…

- Par l’Enfer, par le Néant! Laisse ta philosophie bouddhiste de pacotille de côté!

- Moui, tu as raison. Continue donc ton histoire si intéressante, mon frère aîné.

- Après de trop nombreuses séances de chirurgies mutilatrices, de manipulation et de recombinaison de mon ADN, mes facultés étaient telles que l’Empereur Tsanu XV ne pouvait plus se passer de moi!

- Oui, évidemment! Habituellement, les Haäns ne brillent pas par leur intelligence…

- Tout à fait! Je devins, ce qui était inévitable, calculé, projeté, le Joseph du Pharaon Tsanu, le Daniel du Roi des Rois de Babylone!

- Un colosse aux pieds d’argile, Daniel Deng!

- Je t’ai déjà mis en garde contre ton humour sardonique! Qu’escomptes-tu de ma part? Que sous la colère et la haine, j’en oublie mon but? Tu commets une erreur, très cher jumeau! Tsanu s’empressa de suivre mes avis… il approuva toutes mes machinations, tous mes plans même les plus tordus! Grâce à ma fourberie, l’Empire sortit enfin la tête de l’eau. Et, le favori impérial finit par mourir, non accidentellement, mais…

- De ta main!

- Bien sûr! Je ne suis pas un bisounours, moi! Désormais, je pouvais me substituer à l’Empereur mais je préférais rester en coulisses, jouer le rôle effacé et pratique de l’Éminence grise! Après tout, je concoctais un plan d’une telle complexité, qu’il était plus confortable pour moi de ne point être connu! Mais Tsanu était conscient de ma puissance, de ce qu’il me devait. Il me craignait. Or, il avait trop besoin de moi. Tu connais les nobles Haäns, le poids de leur éducation… Tacitement, je lui laissais l’apparence du commandement. Il présidait les conseils, je lui servais de scribe. Tous ceux qui me savaient humains étaient morts, pas forcément de ma main…

- Vraiment?

- Oui, vraiment! Désormais, je passais pour un comes de la cinquième caste. Une biographie officielle fut diffusée; je me mariais à une créature affable, effacée et soumise. Trois rejetons naquirent dont je devins le père putatif… mais Tsanu XV en était le véritable géniteur. J’avais accepté cette part du marché.

- Pourquoi?

- Parce que je ne pouvais plus procréer naturellement mon frère! Et même par insémination de mes paillettes! Parce que j’avais été mutilé, rendu impuissant et stérile! Le favori avait fait de moi son eunuque attitré!

- Euh… j’ignorais cela, Daniel Deng!

- Ne me dis pas que tu es désolé! Je n’en crois pas un mot!

- Pourtant, je suis sincèrement navré… ne pas pouvoir donner la vie…abominable!

- Mmm… fit Daniel Deng en se raclant la gorge. Bref, après quatre décennies, je pus enfin entamer la bataille contre toi, mon clone, le parangon de tout ce qu’il faut faire pour être un type bien, ou du moins pour être perçu comme tel! Mais aussi une lutte contre tous tes alliés et tes amis, Sarton, Stankin, Tellier, Von Hauerstadt, par Opalaand interposé ou pas selon les nécessités ou opportunités.

- Je résume: donc, tu as manipulé tout le monde ainsi que de nombreux temps parallèles, y compris celui des Asturkruks!

- Au temps pour le libre arbitre! Cependant, ce fut là une tâche assez délicate. Il ne fallait pas trop faire vibrer les cordes de la lyre. Je devais mesurer mes coups. Avec Galeazzo il s’agissait de voir si l’Homunculus était crédible et viable. Ainsi, Sarton ne sut jamais qu’il intervenait selon des paramètres que j’avais préétablis. Avec Keleur et Kraksis, je réussis à faire rouvrir le cube de Möbius, à libérer l’avatar danikinensis, puis à permettre l’élaboration du programme génétique pan multiversel des Asturkruks avec la création de Winka…

- Qui me donna du fil à retordre…

- Des sueurs froides!

- Même scénario à peu près avec les Velkriss! Poursuivit Daniel Lin qui préféra ne pas relever cette pointe de son jumeau malfaisant. Je te dois toutes mes mésaventures…

- Prends-t’ en à toi-même! Tu n’aurais jamais dû naître! Après tout, tu n’étais qu’un substitut!

- Pourtant, je suis ta cible principale, et ce, dès les origines… à tes yeux, je représente le Trésor absolu!

- Certes… l’exil de Penta p, sache que c’est encore moi! Antor aussi peut être considéré comme un de mes fils indirects grâce au programme génétique Haän que j’ai impulsé dans la première histoire…

- Je me demande si je dois te féliciter ou te remercier… car, enfin, grâce à toi, j’ai hérité d’un ami… oui, un ami fidèle, sincère, qui partage tous mes espoirs, mes succès, mais aussi mes échecs! Je suis lui, il est moi! Peux-tu comprendre cela, n’avoir rien à craindre d’un autre soi-même? D’avoir trouvé un frère parmi les étoiles, une âme sœur? Mais pourquoi exiger l’impossible de ta part, Daniel Deng? Ton cœur n’est-il pas façonné par la haine, la rancœur vis-à-vis du genre humain, oui, mais également à l’encontre de toute forme de vie intelligente!

- C’est là ta grille de lecture, mon frère cadet! Il ne s’agit pas de haine mais d’indifférence! Je me suis forgé un bouclier lorsque je frôlais la mort si jeune…

- T’es-tu regardé tantôt dans un miroir? Ton visage est bel et bien déformé par cet odieux sentiment!

- Tu te trompes lourdement!

- Alors, si ce n’est de la haine… qu’est-ce donc? De la … peur? Mais pourquoi?

- Ah! Tais-toi! Seule en cette seconde m’importe la puissance! Elle est mon moteur, ma raison de vivre! J’ai tout fait pour l’acquérir et je ferai tout pour la préserver, la chérir!

- Puisque tu le reconnais, Daniel Deng!

- Oh! Ta commisération, tu peux la ravaler et t’étouffer avec!

- Comme tu le souhaites. Je ne veux pas exacerber ta colère… Un autre détail me turlupine. Ton camouflage que tu fis durer près de soixante années… remarquable!

- Un simple et ingénieux trucage informatique holographique grâce à mes améliorations personnelles mais aussi à la complicité de l’Empereur. Admire donc mon ouvrage de près.

Sans coup férir, Daniel Deng reprit son apparence habituelle de chercheur Haän. Certes, il était plus petit que la moyenne de l’espèce, mais, par rapport à un humain ordinaire, il restait d’une taille imposante.

- Bigre! J’en reste pantois! Aucun détecteur ne t’a jamais donc trahi?

- Absolument pas! De tels appareils étaient interdits dans la Cité impériale de Tsanu XV.

- Et pour cause!

- En fait, Daniel Lin, je ne suis plus constitué de simple chair, tout comme toi et Mathieu!

- Oh! Des nanites, des organes artificiels, et même, sans doute, un cerveau positronique, voire hyper positronique?

- Avec tout ce que j’ai subi, je suis quasiment un daryl androïde, oui, presque…

- Quasiment…

- Mais les manipulations ont eu lieu trop tard, pas durant le stade in vitro…

- Il te manque quelque chose…

- Un minuscule élément et je pourrais ensuite me substituer à toi!

- Ma totipotence!

- Exactement! Voilà pourquoi j’ai traqué Stankin à travers les différentes chronos lignes. Pour réassembler le bio translateur! Quel sot! L’Hellados a conçu, mû par une inspiration « divine » le moyen d’intégrer en soi la potentialité de toutes les formes de vie probables, passées et à venir du Pantransmultivers! Sans réfléchir aux conséquences… en réalité, il était sous l’influence d’une entité extra dimensionnelle, l’IA des Olphéans.

- Que tu manipulais également.

- Tout de même pas, Daniel Lin! Cependant, appréhendant son existence, je calculais les probabilités afin de me servir de ses actions et réactions. Je n’avais besoin que des deux dernières pièces du bio translateur. Me procurer les autres n’a été pour moi qu’un jeu, un amusement pour combattre mon incommensurable ennui.

- Sophisme, Daniel Deng!

- Je te conçois le terme, Daniel Lin! Comme tu le sais, la sphère est une des spores de l’IA Suprême des Olphéans, le Grand Ensemenceur des Galaxies. Ainsi, le disque récupéré chez les Mexafricains contient la mémoire de tout le Vivant. Or, la sphère couplée au disque permet la réactivation de la totipotence des molécules d’ADN et…

- Et, comme je suis le Révélateur, je suis naturellement le seul à être doté de cette faculté de totipotence latente… et ce, dans tout le Pantransmultivers!

- Oui! Tu es la Vie en son entier!

- Ah! Non! Toi aussi tu t’y mets! Je me refuse à assumer un tel fardeau! C’est là le rôle dévolu à Michaël Xidrù, l’agent temporel terminal!

- Agent temporel dont tu devins, hélas, l’allié! Ah! Sache que si un autre humain ou un humanoïde quelconque avait possédé ta capacité totipotente, je m’en serais contenté et je l’aurais sacrifié le cœur joyeux comme je vais le faire bientôt avec toi! Et non parce que tu es mon frère, un frère plus doué que moi!

- Comment peux-tu encore proférer un tel mensonge, Daniel Deng? De plus, tu crois à ta fable!

- Je me permets de rire avec toi car dans quelques minutes à peine tu chanteras un autre air! Vois-tu, une seule de tes molécules d’ADN me sera utile. Je l’introduirai délicatement dans le catalyseur de totipotence. Elle sera alors cassée, triée, recombinée à l’infini dans le réseau nano tubulaire de mon si précieux appareil. Ensuite, les mémoires du disque activées transmettront toutes les données de chaque créature du Pantransmultivers! Sublime, non? Puis, ces données, catalysées à leur tour par la sphère spore seront intégrées et réactivées au sein de ton ADN. En effet, cette spore permet de réveiller les introns ou gènes dormants inemployés qui proviennent des autres formes de vie mémorisées mais non actives. Mais tu sais cela aussi bien que moi, Daniel Lin!

- Tes paroles me font frémir!

- Tant mieux! Ce premier essai provoquera la réorientation de l’ADN en direction de tous les génotypes possibles. Une pluralité réelle, une infinité de formes de vie non plus potentielles mais bien concrètes! Telle est la biodiversité du Pantransmultivers! N’est-ce pas merveilleux et renversant? La raison vacille devant tant d’immensité!

- Il y a longtemps que ta raison a vacillé, mon frère! Tu veux donc devenir Dieu, te substituer à lui en incorporant mon ADN au tien! L’Homunculus Suprême, c’est donc là ton ambition! Avec la conscience totale de tes faits et gestes, avec, en prime l’Intelligence, l’Omniscience! Au contraire de l’Homunculus danikinensis… mais, si je ne me trompe, cette opération, des plus risquées, prendra au moins une semaine pour incorporer et activer dans chacune de tes cellules mon génotype!

- Ah! Mais, Daniel Lin, je dispose d’un accélérateur. Peu m’importe la souffrance puisque, ensuite, une fois la métamorphose achevée, je serai devenu le Nouveau Créateur! Mon Rêve enfin accompli! Modeler des mondes, des univers à foison, selon mon caprice, selon ma conception de la perfection! Sans Entropie inutile!

Daniel Lin se permit de rire doucement, ne retenant pas son ironie.

- Daniel Deng, le ver est dans le fruit! Plus âgé, plus expérimenté que moi, normalement, c’est toi qui te montres immature! Ton orgueil va te perdre! Le précipice se rapproche dangereusement et tu ne le vois pas! Là bas, tout en bas, ta tombe t’attend! L’Entropie te vaincra! Sais-tu pourquoi? Parce qu’elle a accepté l’Alliance impensable mais nécessaire! Elle a fusionné avec la Vie!

- Tu dis n’importe quoi, poussé par la peur, Daniel Lin!

- C’est toi qui trembles en cet instant, mon frère!

- Pff! Peu me chaut après tout! Je la défie, cette Entropie, ce croquemitaine! Et je vaincrai! Au fait, je ne suis pas chien! Merci et pour ta mise en garde, et pour ce cil, mon frère, que tu perdis il y a deux minutes!

Alors que le cube de Moebius se refermait sur sa proie, restant en suspension dans les airs, l’infatué Daniel Deng, l’inconséquent, ramassait avec délectation le si précieux cil de son jumeau.

***************

Pluripotence, multipotence, totipotence cellulaire. Multipotence, Pluripotence totipotence génomique… une voix impersonnelle et artificielle d’IA égrenait des données monotones dans la tête de métal poli d’un robot asimovien. Or, ce robot si archaïque se tenait au sommet d’une horloge astronomique. La vingt-quatrième heure sonnait, et, dans leurs loges, défilaient, en une ronde bien agencée, les célèbres et galvaudés automates symbolisant les quatre âges de la vie, tandis qu’un coq d’onyx et de cuivre chantait avec des accents métalliques. Au troisième cocorico, lorsque l’horloge antédiluvienne marqua l’heure de l’aurore, le gallinacé rappela le reniement de Pierre. Mais ici, il chanta douze fois.

Intrigué, le Daniel asimovien, cela nous rappelait quelque chose, un cauchemar de la piste temporelle 1721, voulut se saisir du coq d’airain, mais, il glissa malencontreusement, étant fort malhabile dans ses mouvements, et tomba brutalement sur les rails des mannequins articulés sculptés dans le buis, automates des âges de l’Homme; Minuit représentait dans presque toutes les cultures terrestres l’heure fatale de la mort de la journée et de la vie humaine. Apparurent d’abord l’Enfant, le Jeune Homme imberbe, puis l’Adulte mûr et moustachu, en haubert de mailles annelées, le grand guerrier portant fier et raide son heaume de Pavie empanaché sur son bras au gantelet de fer, un gantelet semblable à celui qui souffleta, à Anagni, en 1303, le pape vieillard fol et orgueilleux, Boniface le Huitième! La cotte d’armes était sinople et vermeille, l’écu à deux fasces de gueules, sable, or et azur, (avec, comme nous le soulignons, une contradiction dans les couleurs et les armoiries). Le cimier du heaume de Pavie voyait son imposante présence renforcée par le fait qu’un ours noir se dressait au-dessus du casque, brandissant une masse d’armes des plus menaçantes! Même symbole sur la cotte d’armes - écu central cousu avec l’ours noir terrifiant mais de profil, l’ours Martin à la masse -, de quoi faire reculer et réfléchir un éventuel et improbable adversaire!

Après le chevalier, comme il se doit, s’en vint le vieillard, en guenilles de bure, tout voûté et cassé, appuyé lourdement sur une béquille de bois, la barbe hirsute et non entretenue, les longs cheveux blancs tout emmêlés, les genoux et les coudes saillants dans des membres grêles à la maigreur repoussante, envahis de pustules et de taches blanches. Ce vieil homme, un sexagénaire à tout le moins, au masque tragiquement résigné, était escorté par la Mort qui le suivait de près, allégorie tant véhiculée dans l’imaginaire occidental, tenant serrée une faux, drapée dans un suaire souillé de terre, mais aussi empli de vers, un transi effrayant au ventre crevé et au visage d’écorché squelettique.

Daniel Lin, se forçant à évacuer toute émotion, reconnut une image folklorique de carte postale bretonne: l’Ankou de Ploumiliau que l’on pouvait rencontrer si on omettait de se signer devant un calvaire!

Inexplicablement, la créature brandit sa faux devant celui qu’il prenait pour un mécréant. L’être artificiel avait donc senti et perçu la présence du « robot ». Or le Daniel asimovien se métamorphosa soudainement en épave rouillée, déglinguée, un automate obsolète que la lame de la Mort n’eut aucune difficulté à décapiter d’un seul coup de son tranchant; le « blé », comme attendu, avait été fauché, et promptement!

Un nouveau gouffre noir, une perte de conscience d’une durée inconnue. Daniel Lin finit pourtant par émerger de l’obscurité, recouvrant ses esprits sur une curieuse surface plane, entièrement lisse, faites de cases peintes qui se succédaient et s’enroulaient en une spirale géante! Chaque case soigneusement numérotée présentait un dessin différent.

- Un gigantesque jeu de l’oie! Identifia le daryl androïde en s’exclamant, cette fois vêtu tel un ridicule pantin de bois fort célèbre, transformé en marionnette articulée, en jumping jack aux habits d’opérette bariolés, d’un mauvais goût criard, en tenue de cirque, de caf’conc’ ou d’Ambigu comique!

Notre Daniel, impuissant, en était réduit à subir les chimères de son esprit qui battait la campagne, un esprit soumis à l’épreuve imposée par le frère maudit et dévoyé, mais également et surtout par l’Unicité primordiale! Maintenant, là, en cet instant, il lui fallait accepter la perte de sa faculté transdimensionnelle, renoncer à ses pouvoirs, redevenir un simple humain bien ordinaire ou presque, hormis son cerveau positronique, suprêmement intelligent, mais, hélas, mis en sommeil en cette seconde ou pico seconde! Prisonnier de l’improbable, l’impensable cube de Moebius, il se devait de ne pas succomber au découragement, à la détresse et à la colère.

- C’est si difficile! Pensait pourtant une partie de Daniel Lin. Si épuisant! Je me vide! Mais je me dois d’y arriver! N’ai-je pas passé un accord? Il me faut tenir parole…

- Tu fais bien! Lui répondit alors une étrange voix, double, dépourvue de toute intonation. Tu ne peux vouloir la destruction du Tout, étant ce que tu es!

- Le Pantransmultivers repoussé à jamais dans l’effrayante non existence!

- Oui, exactement! C’est cela dont tu te rendras coupable si tu échoues! Appréhende l’enjeu!

- Je ne fais que cela! Mais vous qui parlez, vous ne sentez pas tous vos organes brûler, se déchirer, des tenailles s’enfoncer dans votre faible corps humain, vous n’éprouvez pas la rage de voir votre logique en berne, vous ne vivez pas le fait que votre conscience sombre dans le néant, elle qui, autrefois, ne vous faisait jamais défaut! L’angoisse ne vous dévore pas, ne vous noie pas! Répliqua Daniel Lin avec véhémence.

- Qu’en sais-tu, Enfant? Chantèrent à l’Unisson les Entités contraires. Ce que tu vis, ce que tu subis présentement, nous le partageons, nous le supportons! Accepte! Tu n’as pas d’autre choix! Veux! Et, par ton Sacrifice, le Pantransmultivers sera… Une fois encore… Il repartira… une fois de plus!

Entièrement prisonnier de son cauchemar, sa logique liée, oubliée, enfuie, anéantie, mais jusqu’à quand, Daniel Lin perçut un caquètement des plus agaçants qui allait se rapprochant de l’endroit où il se tenait ou croyait se tenir. Les yeux écarquillés, notre Petrouchka vit passer une oie des plus banales, sauf qu’elle portait un nœud papillon autour du cou! Joyeux, le palmipède gambadait librement de case en case. Enfin, l’animal stoppa. Sans raison apparente. Les dés géants lancés d’un godet surdimensionné et invisible roulèrent sur le jeu. Pour les éviter, Daniel se gara sur le côté, évitant de justesse la lourde chute des cubes dangereux.

Un double six s’afficha innocemment. L’oie avança une nouvelle fois en se dandinant. De six cases, bien évidemment, jusqu’à atteindre un carré de ténèbres où était peint un crâne grimaçant encadré par des tibias entrecroisés, représentation stylisée et d’un blanc factice. C’était la redoutable case 58, celle de la Mort. Aussitôt ses pattes dessus, la malheureuse oie fut foudroyée! Une espèce de volaille rôtie, au fumet des plus appétissants, surgit pour être presque immédiatement engloutie par l’avide et affamée tête de mort, se délectant par avance d’un aussi bon mets!

Ne s’étonnant même pas, Daniel Lin assista à la formation d’un nouveau palmipède sur la case départ. Le volatile prit vie, tout d’abord sous la forme d’une virgule, un fragile et minuscule embryon d’oiseau à l’œil hypertrophié, embryon dont il percevait le battement régulier et monotone du cœur, un battement si précieux… ensuite, la créature se développa, grandit, devint un poussin adorable au duvet si léger et si doux, puis, enfin, un adulte! Ici, le temps n’avait aucune importance, n’existait pas véritablement.

Sans angoisse notable, le daryl androïde constata que lui-même avait changé d’aspect. Désormais, il était devenu un pion concurrent de l’oie, des plumes collées à ses membres, un masque de carton grossier prolongé par un bec de couleur orange sur son visage inexpressif. Un nouveau lancer de dés par un joueur qui restait désespérément invisible. Le pion Daniel Lin ne put résister à l’ordre implicite. Il avança, sa progression indépendante de sa volonté - avait-il d’ailleurs la moindre chance de s’opposer, de résister au maître du jeu? - jusqu’à la case 31, celle où l’on chutait dans le puits, attendant qu’un adversaire vous rejoignît et vous délivrât de ce tombeau anticipatif, prenant votre misérable place. Comme attendu, le puits parut sans fond, sans fin, ses pierres tapissées de lichen, de moisissure et de toiles d’araignées.

Quelle sensation douloureuse que cette chute, cet engloutissement vers un ailleurs tout aussi improbable que le lieu qu’on quittait, cette attraction, attirance du vide, cette paralysie de sa volonté, de son libre arbitre, ce vertige que l’on ne pouvait ignorer et qui engendrait des bouffées de nausée! Dans chacune de ses cellules qui se déchargeaient et de leur transdimensionnalité et de leur totipotence, Daniel lin revivait en fait l’expérience que Benjamin lui avait racontée dans une autre chrono ligne - celle plus précisément où les Asturkruks disputaient l’hégémonie de la Galaxie à l’Alliance des 1045 planètes - sur la Lune, dans une grotte hantée par de redoutables psycho images, grotte dévolue à la protection du translateur temporel, un translateur presque inaccessible sauf pour l’élu de Sarton!

Chaque fois qu’une de ses cellules si particulières mourait, Daniel Lin devenait plus humain, et donc plus vulnérable, du moins en théorie, plus sensible également à toute une profusion de sensations physiques et morales. À tout instant, dans son esprit nullement paisible, il s’attendait à voir les parois du puits se creuser de niches abritant des momies de bonzes ascètes, toutes disciples du moine Tsampang Randong, clone du Commandeur Suprême qui avait réussi l’exploit d’assassiner Michaël Lobsang Rama au XVe siècle. Dans une fulgurance, il se souvint d’un bonze Thaï desséché, les yeux recouverts de lunettes de soleil, détail des plus absurdes n’est-ce pas, relique vénérable, remontant au XX e siècle, pour laquelle un culte était encore rendu dans les années 2475-2480. Très pieux, Daniel Lin avait effectué le pèlerinage avec son grand-père Li Wu. L’enfant qu’il était alors ne comprenait pas pourquoi on vénérait cette dépouille qui avait eu l’heur de faire l’objet d’un film documentaire bidimensionnel au début du XXIe siècle, juste avant que la 3D se généralisât, film qui tentait d’expliquer maladroitement comment le saint homme s’était momifié naturellement! L’innocent enfant, toujours insatiable au niveau des connaissances, avait demandé:

- Grand-père, pourquoi honore-t-on un mort? Ce mort? En quoi ce saint homme peut-il nous être bénéfique, nous apporter quelque chose alors qu’il est décédé depuis plusieurs siècles déjà? Ce n’est point pourtant un bouddha? Le Bouddha?

- Mon enfant, lui répondit Li Wu patiemment, nous devons faire la paix avec les ancêtres.

Le vieil homme avait l’habitude des questions de son prodigieux descendant et s’attendait à d’autres pourquoi.

- Cela, je puis l’accepter, mais…

- J’ai à peine commencé, Daniel lin. Les ancêtres font partie de notre lignée. Ils nous protègent, nous rappellent ce que nous leur devons, ne serait-ce que la vie! Certains ont été des êtres remarquables, des exemples pour tous, comme ce moine. Il mettait en avant des valeurs universelles. Il rejetait la violence, toute forme de violence. Il lutta toute sa vie pour devenir un homme éveillé.

- A-t-il réussi?

- Lui seul détient cette réponse!

- Mais pour nos ancêtres?

- La mémoire des ancêtres est une mémoire collective qui se transmet de génération en génération depuis la première poussière d’étoile jusqu’aux êtres multicellulaires conscients d’eux-mêmes!

- Grand-père, pardonne-moi cette nouvelle interruption, mais, les étoiles sont-elles conscientes? Pensent-elles?

- Certains te diraient qu’elles sont inanimées et donc qu’elles ne pensent pas. Moi, je préfère te répondre que je l’ignore… revenons à la mémoire collective. Elle se perpétue en nous, elle fait de nous des étincelles de l’Unicité Première, nous faisons partie d’un Tout! Souviens-toi, Daniel Lin: tu portes en toi toute ta lignée depuis que notre pays, la Chine existe, mais également tout le Vivant depuis que la matière naquit et fut dotée du mouvement.

- Fardeau très lourd, trop lourd pour mes épaules! Reprit le Daniel du présent. Mais renoncer serait une faute! Acceptation de la faiblesse, de l’humilité de n’être rien qu’un homme ordinaire, de l’écartèlement douloureux, de la brûlure plus vive et plus atroce que le plongeon au cœur même d’un soleil, du vide, du frôlement du Néant, du pas de deux avec l’Entropie! Personne pour partager cet arrachement, cette mutilation, pour comprendre, communier avec moi, pour aimer et fusionner avec cet indicible qui pointe son nez! Grandeur de la Solitude! Désespérance éternelle! Non! Je me refuse à céder à ce spleen destructeur. Je suis fort, je ne veux pas m’apitoyer sur l’inévitable et nécessaire! Je compatis, je vibre et réponds à l’appel muet du Pantransmultivers qui exige ce Sacrifice de ma part! Car moi seul puis accomplir cette tâche…

Alors, il n’y eut aucun bonze dans le puits sans fin. Par contre, les toiles d’araignées et la mousse s’épaississaient, formant comme une gangue. Toutefois, Daniel Lin avait l’impression de poursuivre sa descente. Il glissait le long d’un tuyau constitué de fils d’araignées où, parmi les enchevêtrements des dépouilles de proies diverses et peu appétissantes, étaient emprisonnés des insectoïdes aussi bien que des humanoïdes. Ainsi, le daryl androïde reconnut un squelette d’ours suspendu, comme accroché là intentionnellement par un chamane K’Tou, puis un éléphant nain d’Asie et un grand rorqual. Il fallait y rajouter les restes d’un garde de la sécurité Kronkos. Sans oublier les théories de Haäns, d’Asturkruks, de Velkriss, de Castorii et Naoriens renégats.

Peu importaient ces visions morbides imposées au commandant Wu par un Daniel Deng maître es tortures, soumis déjà aux modifications de son propre génome!

Les mémoires de l’ADN du frère cadet étaient-elles donc en train de se vider comme celles artificielles d’une IA d’Arthur C. Clarke?

À chaque espèce retranchée de l’ADN mémoire totipotent, une nouvelle dépouille prenait place dans les rets de la gigantesque toile tube de l’araignée diabolique. Les terminaisons nerveuses de Daniel Lin cuisaient, l’élançaient en des vagues de souffrance au-delà de la raison, à une vitesse de plus en plus grande et de plus en plus régulière. Plongé au cœur d’une étoile naissante, au centre d’un tsunami parcourant toute la Terre et détruisant, arasant tout sur son passage, à la jonction de l’être et du non être, le Révélateur endurait et endurait encore. Implacablement, le transfert se poursuivait.

Désormais, le tube se faisait labyrinthe, s’agrandissait, se complexifiait, croissant à l’infini, se métamorphosant en un véritable réseau de super cordes qui résistaient et refusaient de vibrer à l’unisson de la souffrance du Révélateur. L’Usurpateur n’en avait cure et poursuivait son ignoble vol. Maintenant, le réseau se mettait à bifurquer, se ramifiait pourtant, jusqu’à se confondre avec la totalité d’un Pantransmultivers se recombinant sans cesse, tissage si complexe prenant l’aspect d’un web de super amas de galaxies de plus en plus semblable aux schémas des neurones humains au sein d’un Hyper Cerveau!

- Dieu fit l’homme à son image! Pensa fugitivement le daryl androïde se remémorant à propos une citation de la Bible.

Mais ici, justement, qui était Dieu? Daniel Deng Wu?

Puis notre Expérimentateur volontaire surgit la tête à l’envers - donc debout! - d’une boîte au bout du tube labyrinthe, là où brillait et tremblait une lueur bien fragile. Le fil d’argent symbolique ne s’était pas rompu. En l’occurrence, Daniel Lin vivait toujours, résistait aux multiples tourments de cette épreuve supra humaine.

Le survivant, le plus qu’humain, se dressa tout raide de sa bière, jaillit de sa tombe! Tout autour de lui, comme lui, des hommes déguisés en squelettes sortaient de leurs sépulcres, de leurs cercueils casés dans des chars à bœufs, guidés par des pénitents aux bures rugueuses et multicolores, rouges, noires, grises, blanches, bleues, aux capuces, aux cagoules pointus et effilés.

Les pénitents inconnus, aux orbites effrayamment vides, entonnèrent des chants lugubres et funèbres de repentance. Où donc s’était réveillé Daniel Lin, l’objet de cette expérience? Tout simplement au sein d’une procession anti carnavalesque organisée par le moine Savonarole à Florence!

Les hommes squelettes portaient des justaucorps grossiers de toile ou de drap, teints en noir. Eux aussi brandissaient des faux imitant ainsi l’Ankou de l’horloge astronomique. Ces justaucorps faits de chausses et de chemises cousues ensemble, suggéraient, grâce à des os peints d’une manière naïve et simpliste, des cadavres en décomposition, des gisants macabres, grotesques et repoussants. La cagoule tête de mort qui n’avait pas été oubliée, c’aurait été un comble, coiffait les acteurs volontaires de cette sinistre mascarade imaginée par un esprit fanatique condamnant l’esprit de lucre, la paillardise, le luxe et la luxure. L’affreuse cagoule, disions-nous, était fermée au niveau de la bouche, et les dents figuraient donc à même l’étoffe, dans un rictus des plus terribles. Restaient les trous pour les yeux et le nez.

Les mélopées de pénitence se succédaient, vibraient, vous liaient, vous envoûtaient. Impossible d’échapper à ce chant! Ceux qui refusaient de mêler leurs voix au chœur redoutable, étaient alors saisis par des démons au justaucorps rouge vif, cornus et barbus tels des mascarons, tout recouverts de poils de boucs, la tête barbouillée de cochenille et de sang de porc à l’odeur douceâtre et écœurante.

Des diables secondaires arboraient des cornes de béliers, de mouflons, de chèvres ou encore de taureaux! Tous ces démons se trémoussaient, tressautaient, hurlaient tout en agitant leurs fourches de bois. Dans cette pagaille, la pudeur était bien évidemment préservée par des cache-sexes représentant une tête de gargouille ou de succube!

Les voix hideuses et sépulcrales criaillaient, glapissaient, chantaient faux, rajoutant à la torture de Daniel Lin.

Pour combattre les pulsions de la chair et donc la damnation, Savonarole

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ne commettait-il pas le péché d’orgueil? Cet esprit malade, tourmenté, iconoclaste, avait, pour sa procession de repentance, récupéré un chant gaillard, un madrigal ou une frottole de carnaval dont, bien évidemment, il avait changé et le tempo et les paroles! C’était comme si, par réaction, un compositeur néoclassique s’était emparé de morceaux d’une musique détestable à ses oreilles, une chanson rap ou une œuvre de Pierre Boulez, afin de les transformer en pastiches de Bach ou de Mozart, les rendant ainsi plus audibles à des néophytes non éduqués!

Daniel Lin luttait de toute sa raison dans ce charivari! Il ne lui restait plus qu’elle! Ici et maintenant, vidé de son énergie, exténué par les petites morts successives et incontournables, par ces saltarelles démoniaques dans lesquelles l’Entropie n’était pas un acteur secondaire, loin de là, il conservait au fond de lui, dans son cœur, les douces et chaudes, réconfortantes images d’Irina, si aimante et si tendre, jamais défaillante, jamais infidèle, de Mathieu, Marie et Tatiana, ses enfants, la chair de sa chair, tout ce qui faisait de lui un humain, sans plus, tout simplement, son ambition ultime…

Les pénitents, les diables et les morts, dont certains poussaient le réalisme jusqu’à avoir peint des vers sur leurs ventres, remarquèrent enfin cet étranger, cet intrus, vêtu cette fois, ô impudence, ô indécence, en bouffon perroquet plus que voyant, attifé de clochettes dorées qui, outrecuidance, tintinnabulaient à contretemps du rythme des chants funèbres.

Un sacrilège pareil ne pouvait être plus longtemps toléré! C’en était trop! Daniel Lin, redevenu biologique depuis longtemps, sentit une fourche aux dents bien acérées se planter dans ses chairs sensibles et mortelles.

Tout saignant, plié par la douleur, il fut conduit, pantelant, devant Savonarole. Sur-le- champ, le moine le condamna à subir le supplice inquisitorial. Mais notre daryl en avait l’habitude, non? Le garrot précèderait le bûcher! Alors, coiffé d’une mitre d’hérétique, à la limite de ses forces, mais se débattant néanmoins, impuissant, Daniel Lin Wu, en longue chemise, une corde épaisse passée autour du cou, les pieds nus recouverts de cendre chaude, fut poussé, bousculé, jusqu’au macabre et sinistre poteau! Il allait subir la strangulation puis la crémation lorsque… tout s’effaça, une fois encore tandis qu’il sombrait, à l’envers, dans le tourbillon goulu du trou noir!

Depuis de très longues minutes, le Révélateur n’était plus un Homunculus à peine un daryl androïde, si affaibli et nu qu’il était. Son organisme plongé en hypothermie, son cœur battait très lentement. Mais son esprit intact cependant pouvait encore lutter avec succès contre le vainqueur apparent, Daniel Deng l’Orgueilleux! Sentant la présence de ce dernier, il rouvrit les yeux sur son jumeau qui le regardait, l’observait, fier d’un triomphe qu’il croyait total, n’éprouvant aucune compassion pour sa victime.

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- Je vois que mon cher frère est revenu à lui! S’exclama tout joyeux le Tourmenteur. Juste à temps pour assister à ma métamorphose en nouvel Homunculus! Hé oui! Pauvre Daniel Lin! Je puis te plaindre de bouche mais pas de cœur bien sûr! La double opération d’extraction et de catalyse de ton ADN a parfaitement réussi! Rappelle-toi! Il m’a suffi pour cela d’un seul de tes cils. J’ai effectué tantôt l’inoculation avec succès et mon corps est progressivement parasité par ce nouveau génome, ton génome! Chacune de mes cellules est présentement en train de muter! Mon corps supporte bien l’épreuve, au contraire du tien, dirait-on! Désormais, tu auras beau faire, c’est moi l’Homunculus abouti! Mais je suis bon prince! Je te permets d’assister à un spectacle à nul autre pareil. Jamais expérimenté dans la Galaxie depuis l’aube de la mémoire! Remplis toi bien les mirettes, Daniel Lin, applaudis-moi! Ce sera là ta dernière action!

À l’intérieur du cube entrouvert de Moebius, Daniel Lin haussa les épaules, préférant ne pas répondre au ton plein de morgue de son jumeau maléfique. Cependant, l’ouverture était minime, à peine une fente, bien insuffisante pour permettre au daryl androïde de tenter de s’évader. De toute manière, à quoi bon? L’artefact qui maintenait prisonnier le commandant Wu n’était plus en suspension et lui permettait ainsi d’observer, avec une impassibilité effrayante, l’incroyable métamorphose de Daniel Deng.

L’aîné, longiligne désormais, s’étirait et s’étirait encore bien plus qu’un pseudo homme caoutchouc, donnant la renversante impression de pénétrer dans l’horizon des événements d’un trou noir. Devenus translucides, les organes internes de Daniel Deng ressemblaient désormais à des organites de protistes unicellulaires ou encore à des noyaux primitifs de médusoïdes. Mais le nouveau mutant présentait une structure et un noyau instables. Il s’étendait, grandissait travers les seize dimensions conceptualisées, jusqu’à prendre les douze couleurs d’un camaïeu inusité, le spectre visible par les Homo Spiritus. Ces couleurs s’interpénétraient, devenaient sublimes, improbables tandis que des protubérances monstrueuses, des bulbes difformes, apparemment non désirés et incontrôlables, pareils à des pustules insanes, poussaient sur le corps de l’Expérimentateur Noir, qui n’avait plus rien, absolument plus rien d’humain!

Toujours dans son cube, notre daryl voyait danser sur son frère des multiploïdes molécules géantes d’ADN dont l’hélice s’allongeait pour devenir infinie tout en se recombinant sans cesse. Symphonie abominable et sublime à la fois, bien plus terrifiante en fait que tous les films bidimensionnels d’épouvante de la fin du XX e siècle et du début du suivant.

En cet instant précis, arrêt sur image car Daniel Deng revêtait l’aspect d’une araignée de cristal. Bien éphémère puisqu’elle s’estompa presque aussitôt! Le Daniel original devint alors une entité multipolaire rayonnante, à la symétrie radiée de plus de cent mille rayons. La créature émettait une lumière brûlante mais aussi phosphorescente. Avec une espèce de rictus béat, elle se multiplia, se déphasa à loisir dans l’espace-temps, omnisciente et omnipotente, du moins se voulait-elle et se sentait-elle ainsi, singeant Dieu. En elles, cessaient de s’appliquer les lois de la physique newtonienne, einsteinienne, planckienne mais aussi stankinienne! L’être magnifique et infernal à la fois s’amusait donc non seulement à remodeler sans arrêt les constantes de l’Univers, à briser les limites de Planck, à nouer, dénouer, renouer les super cordes, mais il jouait également à étendre ses inappréhendables facultés à l’ensemble du Pantransmultivers qu’il finit par embrasser. En lui, s’emmagasinaient tous les mondes alternatifs, tous les peut-être, les possibles, les probables et ceux qui l’étaient moins. Foin maintenant du bio translateur puisqu’il s’était métamorphosé en bio translateur par excellence, en Homunculus terminal comme il osait le proclamer, mosaïque, multiple, infini, sans bornes ni termes, qui pouvait s’insinuer partout, s’infiltrer dans le moindre interstice de la Réalité, pour tout reforger, tout refaire, tout recomposer sans frein, puisqu’il était, se voulait le Tout et la partie, le contenant et le contenu, l’être et le non-être.

Enfants capricieux, les p étaient largement dépassés, et un seul souffle de l’Entité Daniel Deng aurait pu, selon son bon plaisir, les annihiler à tout jamais de la mémoire pantransuniverselle!

Daniel Lin, toujours spectateur impavide, fut alors absorbé par un « protoplasme ». Il eut l’impression de flotter dans une holosimulation de niveau ultime car, à l’intérieur de cette créature soudain apparue, tout ce que pensait, tout ce que désirait son jumeau était vrai, concret et matérialisé aussitôt! Daniel Deng ne mettait aucune limite à son orgueil duquel dépendait le sort de milliards et de milliards de vies passées, présentes et à venir. Il avait osé accomplir ce que notre daryl androïde s’était toujours refusé à faire; franchir ce pas prouvait soit l’extrême inconscience soit l’extrême folie de ce démiurge. Or, les pensées non modulées du frère maléfique parvenaient encore au cadet.

- Ah! Daniel Lin! Comme tu le vois, j’ai commencé par quelque chose de très simple, assez enfantin, je l’avoue! La synthèse de deux mondes alternatifs proches de ce que tu connais! Je veux parler de la première piste temporelle dans laquelle tu n’es jamais intervenu, et un univers où les Haäns ont écrasé l’Alliance des 1045 planètes!

Comme par magie, mais il y avait évidemment du dément et démoniaque Daniel Deng là-dessous, le protoplasme et le cube s’évanouirent. Le plus jeune ne disparut pas dans le Néant, l’incommensurable Néant cependant. Il se retrouva plutôt enfermé à l’intérieur d’un musée ou d’un zoo. Le lieu, aux dimensions inconnues, revêtait les aspects grotesques et poussiéreux à la fois d’un cabinet de curiosité d’un collectionneur avide et sans scrupule. S’obligeant à ne ressentir aucune émotion qui aurait dénoncé son fragile équilibre mental, le commandant Wu fixa attentivement les spécimens de cette salle. Il y reconnut ainsi tout son équipage mais naturalisé! Des inscriptions holographiques le renseignèrent également sur l’identité du collectionneur: Tsanu XVIII!

Le diorama géant reconstituait avec un luxe de détails l’ensemble du vaisseau Langevin, avec tous ses niveaux, des coursives aux jardins hydroponiques, des hangars au centre de maintenance de l’IA. Les paysans Haäns les plus frustes accouraient de tout l’Empire pour admirer cette attraction formidable, incomparable et sans pareille! Sans rechigner, ils déboursaient jusqu’à cent cinquante PAGHS, soit l’équivalent d’un an de salaire d’un manœuvre ou manouvrier, pour entrer dans ce haut lieu touristique afin d’y admirer, parfaitement empaillés, disséqués et plastinés les anciens ennemis de Haäsucq! Ainsi, l’intouchable Haän de la vingt-quatrième caste, voué au nettoyage des latrines, à l’inhumation ou à l’incinération des riches commerçants aurait donné volontiers ses deux bras pour pénétrer dans ce zoo musée. Mais la somme restait trop conséquente pour lui. Il devait se contenter d’acheter des répliques miniatures et grossières des spécimens.

Daniel Lin, refusant de sourciller, reconnut un Fermat écorché en train de commander la manœuvre de désorbitation. Lui-même ne figurait pas sur la passerelle. Malgré tout son contrôle, il crut qu’il allait vomir lorsqu’il vit sa propre épouse Irina, ses enfants Mathieu, Marie et Tatiana, ainsi que Benjamin, Lorenza, Violetta et Isaac tous découpés en fines tranches, en lanières, tout en figurant dans des scènes naturalisées qui se voulaient représentatives de la vie quotidienne à bord! Fermat, son mentor, lui si fier, si méticuleux, si honorable, réduit en cet état d’écorché tranché! Quelle abomination! Daniel Deng devait payer, sans tarder! Holà! Halte! Conserver, recouvrer son équanimité! Au plus vite! Le piège béait sous ses pieds et il n’y avait pas pris garde!

Kiku U Tu lui-même était présent mais seule sa tête avait été conservée intégralement avec ses chairs. Le reste du corps de l’imposant dinosauroïde était présenté sous forme de squelette comme si le Troodon était comparé à un Tyrannosaurus Rex! Qu’aurait pensé le chef de la sécurité? Comment aurait-il réagi? Le cerveau reptilien du modèle avait été extrait soigneusement de la boîte crânienne. Quelle était la raison de cette mise en scène?

Pour permettre tout simplement la confrontation avec la dépouille multimillénaire d’un Troodon terrestre!

Ce musée atteignait décidément les sommets de l’indicible puisque toutes les ethnies, tous les êtres civilisés de l’Empire Haän y figuraient, souvent à l’état de bustes à demi écorchés ou encore en trophées de chasse d’anthropologie physique d’un passionné naturaliste ayant abandonné toute déontologie.

Uruhu n’avait pas été oublié dans ce musée des horreurs puisqu’il était pendu par le cou au centre de la salle tandis qu’un panneau explicatif indiquait qu’on avait affaire, dans son cas, à un humain dégénéré! Le malheureux K’Tou était entouré par de pitoyables microcéphales aux crânes déformés et par des babouins naturalisés.

À l’écart, bien en vue à l’intérieur d’une vitrine plus éclairée que les autres, la « Joconde » de ce musée horrifique, Daniel Lin lui-même, inévitablement comparé à un robot asimovien, comme dans ses pires cauchemars récurrents, robot et androïde démontés pièce à pièce, tranche par tranche! Là, bien évidemment, la foule y était nombreuse! Elle s’y agglutinait. Malgré les cordons de sécurité, les Haäns des basses classes se pressaient autour de ce chef-d’œuvre et partageaient trente secondes la gloire du mirifique et splendide Tsanu XVIII!

Les remugles puissants des corps des représentants des castes défavorisées qui ne disposaient même pas de l’eau courante dans leurs tanières, emplissaient la salle circulaire avec rotonde du musée. Invectivant la dépouille, éructant, se moquant d’elle, l’insultant, crachant sur les parois transparentes, grondant, grognant tout leur saoul, trépignant, les parias sautaient, ululaient, dansaient, tapaient du poing! Ah! Alors qu’il était bon d’être Haän, d’appartenir à ce peuple de fiers guerriers!

Ceux qui en avaient les moyens aimaient à se faire filmer en compagnie de ces restes prestigieux! Puis, ces paisibles ouvriers, de retour chez eux, se passaient et repassaient en boucle le fameux film tridimensionnel souvenir, devant des enfants excités et piaillant, avides d’explications, de gloire! Cela durait jusqu’à ce que l’hologramme, de piètre qualité, fût si pâli qu’on n’y distinguait plus que quelques silhouettes furtives dans le meilleur des cas, ou des successions de pixels au pis.

Le « zoo » ou jardin d’acclimatation présentait des attractions plus atroces et repoussantes encore que ce qui vient d’être décrit. Des esclaves lobotomisés des ethnies asservies de l’Empire, vêtus d’un simple pagne de cuir mal tanné, mal cousu et sale, le cou enserré d’un collier de cuivre, cela doit vous rappeler quelque chose, non, étaient exhibés pour la grande joie des enfants et femmes Haäns. Dans leurs vastes cages, les sauvages Kronkos recevaient régulièrement des décharges violentes des gardiens, à l’aide de tasers améliorés, nous étions au XXXe siècle, ne pas l’oublier quand même, chaque fois qu’il leur prenait la velléité de s’agiter ou de battre nerveusement de la queue! Où donc était passée la superbe de ces combattants?

Antor figurait tristement parmi ces « animaux »! Hirsute, le visage souillé, jamais lavé, les traits creusés, le regard atone, il baignait dans sa fange. Pour le nourrir, les geôliers Haäns lui jetaient, avec mille précautions, des poches de sang marnousien, mais avarié. Les espèces non vertébrées comme le professeur Schlffpt et Kinktankt le siliçoïde, servaient d’ingrédients pour des produits pharmaceutiques et cosmétiques fort prisés! L’extrait de gélatine de médusoïde et la poudre de siliçoïde passaient pour des aliments à forte propriété aphrodisiaque!

Daniel Lin se retenait pour ne pas succomber à la rage. À quoi cela lui aurait-il servi d’ailleurs? Or, pendant ce temps, Daniel Deng, lui, plastronnait.

- Oui, ceci, vois-tu, faisait-il à l’encontre de son cadet, d’une voix étrange, totalement inhumaine, comme désincarnée, n’était qu’une petite répétition pour me mettre en forme, dérouiller mes doigts! Disons que je montais la gamme d’ut sur le clavicorde. Maintenant, il est temps pour moi de passer au grand jeu, sur les grandes orgues aux quatre claviers!

Les manipulations prirent alors un tour inouï. Ce ne fut plus une première histoire qui se déroula. La Terre mais aussi avec elle la Galaxie en son entier subirent les caprices de l’Inconséquent, recomposées et habitées désormais par des êtres véritablement fabuleux!

Notre daryl androïde, parfaitement conscient, son intelligence pleine, entière, intacte et affûtée, se demandait comment des créatures aussi improbables pouvaient vivre. Hors de lui, sublimé par l’horreur, Daniel Deng créait des chimères gazeuses extérieurement mais liquides à l’intérieur, d’une exquise légèreté qui s’en allaient voguant gracieusement sur les nuages sublimes pourprés. Sur une Terre revue et corrigée par le Démiurge en folie, rampaient des êtres de guimauve, fluorescents multicolores et en feuilles d’accordéon. À chaque couleur, son parfum, une fragrance douce ou affirmée: menthe, jasmin, œillet mignardise, chocolat à la cannelle, poivre du Sichuan, rose ancienne, lavande, tilleul après la pluie et ainsi de suite. L’aîné des Wu faisait preuve d’un goût poétique dans l’atroce des plus inattendus. Où donc allait se nicher son penchant pour les arts?

Tout cela n’était que la première scène. Vint le tour de créatures protéiformes; en fait, dès que le Fou pensait à une forme bizarre, des plus improbables, difficilement conceptualisables, les cellules s’amalgamaient, se modifiaient pour revêtir l’aspect de sa rêverie baroque! Langues lances épineuses au plumage jaspé, étoiles de fer et de duvet, étoiles de feu de velours bleuté, fleurs corolles oranges empoisonnées, englobant, emprisonnant des abeilles pousses de bambou en titane colloïdal… à vous de prendre la relève, d’imaginer toutes les associations, toutes les combinaisons des plus fantastiques aux plus saugrenues.

« Pendant ce temps », à l’intérieur d’étoiles de quarks et de naines noires, se recombinait la chimie du carbone, bientôt dépassée cependant pour l’esprit créatif et primesautier de Daniel Deng le fabuleux Expérimentateur. Il y eut des diamants de sodium, des opales de fluor, des bijoux perles d’hydrogène, de l’anthracite transparent et gluant à la fois! Tous les Univers, désormais, pouvaient être contenus dans ces étoiles de quarks, dans des muons, des bosons, des gluons, des pré-particules jamais encore observées.

Une super corde luminescente, miroitante, renfermait un chapelet de minuscules perles qui, en fait, n’étaient autres que des Galaxies, mieux même, des super amas galactiques. Ces grains ô combien précieux, fragiles et éphémères étaient égrenés par le nouveau Sakyamuni de la taille de cent millions de Galaxies classiques! Chaque fois qu’une de ces perles défilait dans ses doigts translucides et brillants de ténèbres fulgurantes, un multi prisme irisé, merveilleux, explosait en une infinité d’éclats, chacun représentant un temps monde de non-être qui devenait alors réalité par la Volonté de l’Expérimentateur débridé. Celui-ci riait, laissait éclater sa joie, son cœur tout empli d’un bonheur jusqu’à maintenant jamais ressenti. Égoïstement, il exultait.

Des êtres gigantesques se formaient, non mesurables à l’échelle humaine, composés de différents systèmes solaires, des méga entités de la taille d’hyper amas galactiques, voire au-delà! Mais ces créatures pensaient-elles, avaient-elles conscience d’exister? Nul n’eût su le dire, hormis le Démiurge!

Or, toutes ces pseudo planètes, ces pseudo systèmes connaissaient simultanément tous les stades de l’évolution: planétésimaux illogiques, poussières d’étoiles saupoudrées, terre morte déprimée, comprimée, absorbée par une géante rouge hiératique, étoile folle à neutron au parcours imprévisible, naine brune exubérante, trou noir et trou blanc unis, ô abomination, trou de ver frémissant et instable à l’intérieur duquel des hommes larves se scindaient, se réassemblaient dans le plus grand désordre apparent, en réalité sous l’impulsion, le caprice du Fou divin ou diabolique, le Shaitan démentiel, tourmenté, sans amour, seul si seul dans sa Splendeur Noire! Lesdits trous de ver traversaient les feuillets des différentes couches des mondes parallèles avec une faculté déconcertante, avec leurs taupes besogneuses mues par un instinct de survie admirable, pourtant pitoyables créatures vivantes ne pouvant saisir l’absurdité totale de leur existence! L’improbable, l’Inconséquent Démiurge, le Fou Grandiose laissait éclater sa joie, une joie éphémère, qui ne pouvait s’éterniser davantage. Il allait se lasser, comme à l’accoutumée, s’apercevant que tout cela était vain, n’était pas parfait et pérenne.

Dans le lointain, le ciel ou ce qui en tenait lieu était parcouru de zébrures luminescentes des plus inquiétantes, rouges, bleues, rosées, jaune pastel, vert émeraude, orange vif, tandis que se rapprochait le rugissement menaçant d’une « voix » supra humaine.

- Quel est donc l’animalcule usurpateur ridicule et infantile qui s’est arrogé le droit de créer? Moi Seul Suis Le Créateur Noir! Qu’il se dévoile là et se mesure à Moi!

- Enfin! Soupira discrètement Daniel Lin. Dois-je cependant applaudir cette arrivée tant attendue? Mon téméraire jumeau va-t-il comprendre qu’il lui faut désormais s’humilier, accepter de se défaire de sa Puissance s’il veut vivre tout simplement? J’ai eu l’outrecuidance de passer un accord contre nature et avec l’Entropie et avec la Vie! Les deux Entités tiendront-elles parole? L’Une ne va-t-elle pas supplanter l’Autre? Mais avais-je le choix? Me serais-je avili pour… rien? Vendre son propre frère! Comment vont me juger Irina, André, Venge? Trabinor, Antor et tous les autres? Vous avez exigé de moi l’impossible! La Cause était-elle suffisante? J’ai dû faire ce choix justement au nom de la Vie! N’en suis-je pas son Préservateur? Fou sublime et inconséquent, immature, j’ai dû te sacrifier pour la sauvegarde de tout le Pantransmultivers! Pour que l’équilibre soit préservé! Que le Bouddha m’enveloppe du manteau de la Compassion! Que le Christ de ma mère me pardonne!

Au milieu des créatures irréelles et invraisemblables de Daniel Deng apparut un être tout à fait inattendu, improbable, mais parfaitement dans le ton de ce délire d’orgueil: un minotaure amélioré; la tête bovine, au lieu de présenter les cornes caractéristiques s’ornait de ramures rugueuses couleur de terre, toutes enchevêtrées, semblables à celles d’un vieux cerf de vingt-quatre cors.

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- Inutile de me présenter, n’est-ce pas? Ricana sonorement le Créateur Noir.

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À bord du Langevin, c’était une belle pagaille car tous souffraient d’une forme d’amnésie collective. Bienheureuse? Peut-être! On pouvait sans doute y reconnaître la touche d’un Michaël miséricordieux.

Sur la passerelle, tâchant de rester professionnelle, Irina Maïakovska faisait le point, comptabilisant les membres de l’équipage réellement présents sur le vaisseau. Comment expliquer le fait qu’André Fermat, ambassadeur honoraire, sensé se trouver sur Mondani fût à bord? Et Stankin? N’était-il pas porté disparu depuis avril 2192?

Mais il y avait plus inexplicable encore. Des centaines et des centaines d’intrus tout à fait indésirables étaient confinés, prisonniers, entre les niveaux 13 et 21 du vaisseau scientifique! Toute une armée Haän avec la garde personnelle de l’Empereur Tsanu XIII Gaachak et sa Grandeur impériale elle-même, des troupes Castorii, des pléthores de Velkriss encadrées par Shi- Ka- Aa- Ta qui avait cessé de pondre - manque d’espace vital pour le moins - deux Opabiniens ou assimilés, pris au piège, surgis d’une réalité autre, et des p, presque à foison, s’entassaient, les uns sur les autres, prêts à s’entredéchirer, s’entretuer pour quelques centimètres carrés.

Dans le quartier des officiers et des invités figuraient également quatre humains du XX e siècle, d’un XX e siècle différent qui avait connu une seconde Guerre mondiale s’étendant sur six longues années, et qui n’avait pas bénéficié des manipulations de Sarton! Dans cet imbroglio, Daniel Lin Wu brillait par son absence!

Le capitaine Maïakovska en tant que premier officier du Langevin se devait d’en assurer le commandement par intérim. Benjamin Sitruk n’était que le troisième dans la hiérarchie. Mais si l’on devait tenir compte de l’expérience et de la capacité à faire face à une telle situation abracadabrantesque, il valait mieux s’en remettre à André Fermat, qui avait rang d’amiral de réserve au sein de la Flotte et du fait de l’excellence de ses services en tant qu’ancien commandant du Sakharov!

Fort aimablement, André accepta de prendre la responsabilité du Langevin. D’abord, il fallait obtenir des explications. Sollicité, Stankin, l’Hellados, fut conduit devant le Français. Il fit comprendre en peu de mots que le continuum spatio-temporel avait été manipulé avec les présents résultats aberrants. Le scientifique extraterrestre conservait une mémoire partielle et moins altérée des événements antérieurs.

Après l’intervention de Stankin, André résuma ce qu’il savait et avait compris.

- Nous n’avons plus aucune coordonnée spatio-temporelle précise, fiable. Nous sommes dans l’incapacité d’expliquer comment nos ennemis les plus acharnés ont pu être emprisonnés sur les ponts 13 à 21. Nous souffrons tous d’un hiatus mémoriel, d’une durée variable selon les individus, un trou de mémoire qui va de quelques heures pour Kinktankt, le garde siliçoïde, à une période beaucoup plus longue, de quatre à cinq mois d’effacement, pour la plupart d’entre nous! Or, Tatiana Wu affiche quatorze mois au compteur alors qu’aux dernières nouvelles, le capitaine Maïakovska était enceinte de quatre mois! Dans mon cas personnel, j’ai le vague souvenir d’avoir rêvé d’une sorte de pyramide aztèque à l’intérieur de laquelle nous combattions un redoutable officier du KGB du XX e siècle, expert patenté en arts martiaux tandis qu’un rusé Chinois, chef d’une Triade, nous apportait un soutien inattendu.

- Dans ce combat, j’avais ma part, compléta Irina. Là-bas, où que ce fût, manifestement, je n’étais déjà plus enceinte! Ah! Ufo! Te voilà! Toi aussi, tu as grandi! Te voici adulte, une fois encore!

Avec aise, le chat pubère sauta dans les bras de la jeune femme et se laissa caresser voluptueusement; heureux, il ronronnait doucement tandis que ses yeux bleu saphir semblaient dire:

- Je suis bien!

Cependant, son maître lui manquait.

Kiku U Tu amena sur la passerelle les quatre intrus du XX e siècle: Franz Von Hauerstadt, Ivan et Pacal Despalions et Geoffroy d’Évreux. Les deux frères, incommodés par les effluves soufrés du Troodon, plissaient le nez. Le jeune comte, habitué aux puissants miasmes médiévaux, affichait une parfaite indifférence. Stankin s’interposa et de sa voix neutre, sans inflexion, déclara dans un français tout littéraire:

- Ami André, ces humains d’une chrono ligne autre, ces égarés volontaires du temps, sont nos alliés les plus fidèles et les plus dévoués. Comme il est étrange que vous souffriez tous d’une amnésie sélective aussi prononcée! Je suis, certes, affecté par ce hiatus mais, soyez assuré, Sinkar Fermat, que le duc ainsi que les trois adolescents nous ont aidés dans nos mésaventures.

- Nous pouvons donc leur accorder toute notre confiance? S’exclama Fermat quelque peu incrédule.

- Tout à fait! Son Excellence Antor le sait tout aussi bien que moi!

- Effectivement, je viens de sonder nos intrus, répondit le vampire en opinant. Rien en eux ne respire la malveillance, bien au contraire!

- Puisque cela est acquis, je puis vous aider à localiser le commandant Wu, reprit Stankin, et ce d’autant plus facilement que je connais partiellement ce qu’il a dû accomplir!

- Je n’osais vous le demander! Répliqua Antor avec son sourire si particulier. Ici, mon lien télépathique avec Daniel Lin s’avère insuffisant!

- Logique dans la situation actuelle vécue par le commandant! Vous le savez, les Helladoï sont dotés de ce que les humains appellent à tort une faculté médiumnique.

- Comme Uruhu, notre pilote K’Tou? Jeta Lorenza.

- En quelque sorte mais en plus affûté encore. En réalité, mon peuple, parfaitement conscient de la réalité quantique du Pantransmultivers a la capacité psychique de se projeter spirituellement dans toutes les dimensions des mondes pluriels!

- Autrement dit, expliqua Irina, vous utilisez votre cerveau à l’échelle quantique! Mais cela doit exiger de vous un effort mental prodigieux!

- Cela demande près de cinq de vos décennies d’entraînement pour maîtriser ce don. Mais votre mari peut en faire autant sans effort grâce à son cerveau positronique artificiel.

- Et, actuellement, essaie-t-il de nous joindre?

- Nous allons le savoir bientôt, Dame Maïakovska.

Ayant aussitôt répondu, très serein, l’Hellados s’assit à même le sol de plastacier dans la position du lotus, ferma ses yeux noirs, ignora son entourage et le vaisseau, faisant le vide dans son esprit afin de localiser le plus précisément possible, tel un pulsar, l’endroit inappréhendable dans lequel Daniel Wu était retenu impuissant. S’il avait dû chercher un humain ordinaire, Stankin, assurément, aurait peiné de longues heures. Mais avec le commandant…

Deux minutes s’écoulèrent, deux de trop aux yeux de Benjamin Sitruk qui s’impatientait.

- Calmez-vous donc! Murmura Fermat à l’oreille du capitaine fautif.

Encore quelques secondes de suspens et Stankin rouvrit les yeux.

- Maître, fit André avec respect, tout en se retenant de ne pas tapoter ses doigts sur l’accoudoir de son siège, peut-on sans risques aller chercher Daniel Wu?

- Voici un instant, répondit l’extraterrestre, le Sinkar Daniel Lin était encore prisonnier d’une base Haän de la Terre jurassique, quelque part dans la Laurasie, vers moins cent millions d’années, en suivant le même fil que cette piste temporelle. Cependant, un détail me... turlupine… Oui, c’est bien là le terme. Daniel Lin est dédoublé! Il y a à ses côtés un alter ego qui émet des ondes de pensées semblables… non… symétriques mais inversées! Daniel Deng Wu… telle est son identité!

- Le frère aîné porté disparu en 2470! S’écria le vampire.

- Le premier Daniel, l’original! Renchérit Irina.

- Peut-être, sans doute… mais lui ne se contente pas de voguer spirituellement au sein du Pantransmultivers, il le fait physiquement, surfant sur les super cordes, allant même plus loin, puisqu’il les réajuste, les modifie, les recompose et les renoue!

Maïakovska sursauta.

- Mon Dieu! L’Homunculus! Daniel Deng Wu a intégré l’Homunculus en lui! Il a volé la totipotence de Daniel Lin et se l’est donc appropriée.

- Il faut le stopper! Déclara froidement André.

- Au plus vite car le Pantransmultivers est désormais affecté par des antimondes qui le parasitent, compléta Stankin avec une véhémence soudaine, transpirant à grosses gouttes. Oui, il faut lui faire cesser ce jeu!

L’Hellados ne put en dire plus. Sous l’effort et la tension, il perdit connaissance. Lorenza se précipita, scannant le cerveau et les données vitales du scientifique.

- Ses ondes cérébrales présentent des anomalies graves, fit-elle inquiète tout en conservant son professionnalisme. Transportons-le d’urgence à l’infirmerie principale. Kinktankt, Benjamin, improvisez une civière!

Les deux officiers s’empressèrent d’obéir au médecin en chef. Antor, plus livide que jamais, crut devoir fournir quelques explications supplémentaires.

- J’étais en contact mental avec Stankin. Il y a un troisième être avec les deux frères. Une Entité négative. L’Essence du Néant! la Lumière Inverse irradiante… la Mort! Ah! Contempler la Mort! Plus jamais! N’exigez plus cela de moi!

Incroyablement, le vampire se cacha le visage derrière ses longs doigts fins et blêmes. Subitement, l’alerte pourpre retentit dans tout le vaisseau; les prisonniers, confinés entre les ponts 13 à 21 tentaient de s’échapper.

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Bien que les p parussent avoir perdu leurs pouvoirs multidimensionnels, ils parvenaient à détecter les faiblesses de la structure de la matière. Certes, Haäns et Castorii n’avaient plus d’armes, mais les guerriers Velkriss possédaient des appendices naturels qui pouvaient percer ou broyer le dur acier : ils n’attendaient qu’un ordre. Alors les p désignèrent les points de faiblesse des parois. Shi Ka Aa Ta confirma l’ordre à ses soldats par ses antennes et ses bruissements d’ailes et d’élytres.

- Creusez! Découpez! Tranchez!

Il tardait à la reine de sortir de cet endroit confiné et de reprendre la ponte. Les parois de dur acier, attaquées en plusieurs points à la fois sur neuf ponts différents, ne purent résister qu’une dizaine de minutes. Les p avaient pris la précaution de bloquer les ordinateurs secondaires de sécurité des niveaux. De plus, les ponts étaient isolés par des sas gardés par des Kronkos et des porcinoïdes, des Lycanthropes et des siliçoïdes. Ainsi, Faarkham, le frère de Kinktankt, était en poste au niveau 19 en compagnie de l’homme loup Yuudâ. Si le mammifère intelligent n’éprouvait rien, le siliçoïde, quant à lui, percevait des anomalies dans la structure du sas. En fait, il entendait des micros vibrations et sentait une légère élévation de la température du dur acier. Les molécules de ce métal de synthèse les habituels signaux gustatifs et odoriférants, comme si le matériau était en train de s’altérer. La paroi semblait souffrir pour les sens aiguisés de Faarkham. Comprenant qu’il y avait danger, le siliçoïde lança le signal d’alerte pourpre.

Or, les champs de contention pourtant renforcés ne suffirent pas à arrêter la progression des évadés. Certes, des parois cédaient tandis que d’autres, au contraire, résistaient, mais cela s’avéra insuffisant. Certains des insectoïdes perceurs étaient grillés ou désintégrés au fur et à mesure de leur avancée, mais, pour trois pertes, cinquante passaient!

Les ponts étaient envahis par une atroce odeur de chitine brûlée mêlée à celle du métal fondu. Les p, leurs facultés brusquement ranimées, parvenaient désormais à franchir facilement les champs de contention qu’ils coupaient et court-circuitaient. Dans un bel ensemble, Haäns et Castorii suivaient tandis que les Velkriss nettoyaient le terrain et annihilaient tout obstacle. Leurs mandibules, d’une efficacité redoutable, broyaient impitoyablement les gardes de la sécurité et les armes des victimes étaient ensuite redistribuées.

Mais il fallait aux mutins s’emparer des armureries du Langevin pour se rendre maîtres du vaisseau. Les p, quant à eux, se chargeraient de l’IA. Pour réussir cela, des renforts étaient nécessaires car, même si les évadés étaient nombreux, ils manquaient cruellement d’hommes, ayant subi de très lourdes pertes lors de la bataille contre les Opabiniens. Bref, les mutins n’avaient pas encore gagné.

Sur la passerelle, sa conscience plus que jamais aiguisée, André Fermat savait qu’il lui faudrait d’abord contrer les représentants de la Dimension p pour venir à bout de cette rébellion. Ensuite, l’isolement des ponts déjà tombés entre les mains des mutins s’imposait. Mais comment y parvenir? La solution paraissait simple sur le papier. Les p devaient devenir matériels et ne plus quitter cet état. Alors les ponts envahis seraient noyés.

De son lit médicalisé, situé à l’infirmerie principale, Stankin qui avait recouvré ses facultés, aidé par Schlffpt, suggéra une contre-offensive.

- Passez en distorsion maximale, en hyper supra luminique 17 tout en ayant au préalable supprimé les champs inertiels! Protégez-vous en revêtant les combinaisons de type 15. Je sais que vous en disposez. Ainsi, les p, par cette brusque accélération sans compensateurs inertiels se retrouveront déstabilisés et…

- Oui! Ils risqueront un étirement infini! Compléta l’ambassadeur. Ils seront alors dans l’obligation de se mouvoir à une échelle subatomique, ce qui équivaut pour eux à être véritablement matériels.

- Précisément. Et à cet instant, grâce à vos senseurs qui vous avertiront de ce passage d’un état à un autre de leur part, vous rétablirez aussitôt lesdits champs inertiels. Déséquilibrés et désorientés, nos êtres décadimensionnels ne sauront plus pour quel état opter et dans quelle dimension agir.

- Splendide! Ces fichus p seront coincés à leur état naturel et quitteront le Langevin pour le Multivers afin de panser leurs plaies et d’échapper à leur anéantissement! S’exclama Benjamin Sitruk avec enthousiasme.

- Bien. Je fais selon votre suggestion. Certes, les Haäns et les Castorii seront tués sur le coup, déclara Fermat plus calme que son subordonné. Mais les Velkriss résisteront et seule l’eau nous en débarrassera! Ils n’auront pas le temps de fabriquer des ponts ou des passerelles. Naturellement, le métabolisme de ces insectoïdes nous impose de leur envoyer une eau très froide, à la limite de la congélation! Poursuivit André, de plus en plus glacial.

- Nous allons tuer des êtres vivants et conscients, murmura Stankin. Mais avons-nous d’autre choix? La cause me semble suffisante.

- Tout à fait, maître Stankin! Il vaut mieux eux que nous!

- Excellence, objecta Lorenza d’une voix émue. Ce n’est pas éthique!

- Docteur di Fabbrini, fit Fermat sévèrement, nous devons sauver et l’équipage du Langevin, et Daniel Wu, et, sans doute l’Alliance! Dois-je vous rappeler, capitaine, que vous avez prêté serment de défendre et votre patrie et les vôtres?

- Nous sommes en guerre! Renchérit Sitruk d’un ton résolu.

- Oui, monsieur, déclara la doctoresse. Je me tais et j’obéis.

- Vous faites bien!

Froidement, après avoir rompu la communication avec Stankin, André exécuta la manœuvre décrite. Sauf pour les p, toutefois décontenancés par les brusques changements et l’effondrement des champs inertiels, l’apocalypse régna entre les niveaux 13 et 21. Les Castorii et les Haäns subirent d’effroyables élongations, revêtant malgré eux l’aspect grotesque d’élastiques humanoïdes ou de chewing-gums effilés presque à l’infini. Ils connurent un sort peu enviable, tiraillés, écartelés en sens contraires tout en conservant leur lucidité! Inévitablement, les « élastiques » finirent par casser. Ainsi périt, comme les siens, le valeureux, l’orgueilleux, l’incomparable Tsanu XIII, celui qui avait rétabli la grandeur des Haäns, autrefois connu sous le nom de baron Opalaanka.

Comme prévu, les Velkriss résistèrent au terrible et létal étirement, leur chitine étant dotée d’implants compensateurs, suppléant si nécessaire les champs inertiels défaillants.

De leur côté, acculés, les p reprirent leur apparence dans le subquantique, mais le rétablissement soudain desdits compensateurs les déstabilisa une nouvelle fois. Sans remords, ils abandonnèrent donc le Langevin mais aussi, de ce fait, leurs alliés, refusant de périr. Ils se hâtèrent de rejoindre leur multivers décadimensionnel familier. Mortifiés, ils ruminèrent leur défaite. Échaudés, ils se garderaient de se mêler aux intrigues des humanoïdes durant des éons.

Au milieu des Velkriss surpris par cette contre-attaque du commandement du vaisseau Langevin, des restes de gardes de la sécurité, d’infâmes bouillies de chairs et de broignes, d’organes éclatés et innommables de Haäns et de Castorii s’éparpillaient un peu partout souillant les sols et les parois. Puis, après un laps de temps relativement court, des jets d’eau glacée giclèrent des plafonds, des murs et du plancher en dur acier des coursives. Les insectoïdes, malgré leur caparaçon, leur exosquelette et leur étonnante résistance, restaient - tout de même - des créatures à sang froid. Un liquide à la limite du point de congélation ne pouvait que les paralyser. Ils n’eurent pas la force de nager, engloutis par une eau à un seul petit degré Celsius et se noyèrent!

Les six fers en l’air, certaines pattes battant parfois convulsivement en un réflexe végétatif ganglionnaire, des ailes de sauterelles ondulant en un bourdonnement d’agonie, des mandibules claquant irrégulièrement, des antennes vibrantes, des yeux à facettes se mouvant en tous sens avant de se ternir, telles furent les étapes de la mort des terribles et redoutables Velkriss. La Grande et Puissante reine Shi Ka Aa Ta et ses formidables guerriers jusqu’ici invaincus s’étaient éteints à jamais! Désormais, leurs carapaces viraient au gris le plus terne, le plus morne après un vert et un jaune vifs ou un marron cuivré qui, habituellement les caractérisaient.

Il ne restait plus à l’équipage du Langevin qu’à évacuer l’eau et à détruire les affreuses dépouilles. Parmi celles-ci, deux Odaraïens perdus comme signalés précédemment. Pour la désintégration des monstres et des restes organiques, Fermat ordonna, toujours aussi insensible à l’immense massacre perpétré par ses ordres, les dé-ionisations des ponts 13 à 21, ce qui eut pour résultat de pulvériser tout ce qui était biologique. Cette manœuvre sanitaire se déroula assez brièvement puisqu’elle ne prit que trente minutes.

Nonobstant l’absence de Daniel Wu, le Langevin, malgré les vagues indications fournies par Stankin - pouvait-il récupérer son commandant qui paraissait, à chaque nouvelle minute « relative », coincé encore davantage dans un non temps ? - et le problème du rapatriement de l’Hellados et des quatre humains, tout s’engageait sur la bonne voie. André pouvait certes penser cela, mais il préférait rester prudent. La tâche qu’il lui restait à accomplir était immense. Dans quel état serait le daryl androïde après sa délivrance?

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