dimanche 2 octobre 2011

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 1er première partie.

Première partie: El Desdichado

Chapitre 1

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Août 1628, forêt de Senlis.

Un cavalier, tout vêtu d’un habit couleur terre de Sienne brûlée, chevauchait à un rythme d’enfer, éperonnant régulièrement sa monture. La plume blanche de son feutre s’abîmait par la vélocité et le vent qui soufflait.

Gaston de la Renardière était chargé d’une importante mission. Mandé par sa Majesté Louis le Treizième en personne, il devait remettre en main propre une missive secrète au représentant du duc de Savoie Charles Emmanuel qui roulait carrosse tant bien que mal à vingt lieues devant. Notre mousquetaire avait à cœur de satisfaire son souverain qui l’avait - enfin! - distingué.

Qu’avait de remarquable, ce Gaston de la Renardière? Imaginez un géant à la crinière blond-roux, dépassant largement les six pieds de haut, une moustache à faire frémir le premier spadassin venu ornant sa lèvre supérieure, une royale sur le menton entretenue avec un soin jaloux, un teint rubicond - évidemment, le mousquetaire aimait tâter un peu trop souvent les crus d’Anjou d’où sa mère était originaire - doté d’yeux clairs presque de la teinte de l’eau.

Tout à sa chevauchée, sa casaque claquant au vent, Gaston ignorait avec superbe le temps menaçant, les gouttes de pluie qui fouettaient le sentier le transformant en bourbier, l’orage qui grondait et se rapprochait, les éclairs qui déchiraient le ciel devant lui à intervalles réguliers;

Soudain, sa monture, un demi sang à la robe baie, renâcla. La foudre venait de tomber à trois toises à peine. Bien que partiellement aveuglé et assourdi, le mousquetaire n’en éperonna que davantage le noble animal qui accéléra encore sous la pression sévère de son maître. Ce fut alors que l’impossible, l’imprévisible se produisit.

La foudre retomba au même endroit. Désarçonné, le cavalier chuta avec brutalité sur le sol détrempé tandis que les hennissements effrayés du cheval semblaient s’éloigner. Sonné, abasourdi, Gaston tenta de recouvrer ses esprits. Tout était blanc autour de lui. Avait-il donc perdu connaissance? Se retrouvait-il dans un monde dit meilleur? Il était sûr d’une chose. Il respirait. Se frottant vigoureusement les paupières, il sentait son corps douloureux se rappelant à lui. Bref, notre géant était bel et bien en vie.

Lorsqu’il rouvrit les yeux et parvint à ajuster sa vue, Gaston se demanda ce qu’il faisait là, assis sur le pavé, face aux murailles de la Bastille. Nauséeux, légèrement amnésique et déphasé, le mousquetaire se releva et se mit à errer dans un Paris qui avait bigrement changé. Certaines rues et quartiers lui apparaissaient méconnaissables, d’autres au contraire familiers. Quant à la Seine, puante, elle charriait ses immondices habituelles.

Cependant, les Parisiens étaient différents, ou, du moins, leurs vêtements, leurs coiffures et leur allure. Les femmes affichaient ainsi un petit air effronté qui, ma fois, ne lui déplaisait point. À son passage, elles le fixaient avec insistance, puis se mettaient à rire. Quant aux hommes, ils se montraient plus circonspects à son égard, haute stature oblige. Son épée, longue et menaçante, qui lui battait le mollet, expliquait aussi cette prudence.

Avançant lentement, Gaston constata que les pourpoints, justaucorps et bottes larges avaient disparu. Ces dernières avaient été remplacées par des bottes à revers ou par des chaussures assez fines. Les hommes de ce Paris lui semblaient efféminés avec leur menton glabre et leurs cheveux longs noués en queue derrière la nuque. Le mousquetaire ignorait que cette coiffure se disait portée en catogan. Quant aux rouleaux sur les tempes, ils lui parurent d’un ridicule achevé.

L’errance du baron de la Renardière dura longtemps. Le soleil se couchait, bas sur l’horizon. Allons, las et affamé, il devait trouver un abri, une taverne quelconque, voire une auberge accueillante. Ses pas le conduisirent place Louis XV. Intrigué par la statue équestre, il l’examina avec soin, y lut, sans y croire, l’inscription gravée sur le socle. Ce monarque-ci était décédé en 1774. De quelle diablerie avait-il été la victime?

Choqué, prêt à perdre la raison, il se retrouva dans le Marais. Là, il dut se rendre à l’évidence. L’hôtel de Nesle, tel qu’il le connaissait, n’existait plus!

C’en fut trop pour notre mousquetaire. S’asseyant sur la chaussée, il pleura. Mais notre Gaston était un homme fort que rien n’abattait. Tandis qu’un préposé allumait les quinquets, de la Renardière se morigéna durement.

- Je dois manger et dormir au plus vite. On ne réfléchit pas bien le ventre vide. Morbleu! Où peut-on se restaurer dans le coin? Demandons à ce quidam.

Dans un français archaïque, le mousquetaire aborda l’employé.

- Mon sieur, veuillez excuser mon outrecuidance, mais je ne suis pas du pays et je cherche à me restaurer et à me désaltérer.

- Oh! Je le vois bien que vous n’êtes pas d’ici, mon brave seigneur! Tenez, à trois rues sur votre gauche, il y a un café tenu par un honnête commerçant. Vous ne pouvez pas vous tromper. Le bonhomme Musseau propose aussi des garnis pour la nuit.

- Merci mon sieur.

Ôtant son feutre cabossé et déchiré, Gaston salua poliment.

Le déraciné se hâta de suivre les indications du préposé, évitant de se poser des questions. Ainsi, il entra dans le café. Le patron s’empressa de lui servir un étrange breuvage brûlant, de teinte noire dans une jolie tasse blanche. Avec méfiance, le mousquetaire en but une gorgée.

- Peste! C’est bouillant et très amer!

- Sucrez donc votre café, monsieur! Le sucrier est là, juste devant vous. Cela n’aura aucune incidence sur le prix.

- Du sucre à la libre disposition du client? Et non pas en vente à l’once chez l’apothicaire?

- Euh, oui… grâce à nos plantations des Indes occidentales. Bien. Je vous laisse à votre dégustation. D’autres clients à servir. Je reviens dans quelques minutes. En attendant, prenez cette gazette; elle a reçu l’imprimatur royal.

Maître Mousseau s’éloigna pour satisfaire la commande d’un bourgeois à lunettes au ventre prospère. Gaston s’empara des feuilles de la gazette et les parcourut rapidement. Il y glana de précieuses informations: d’abord la date, celle du 3 avril 1778; ensuite, le nom du souverain régnant, Louis XVI. Puis, les graves et importantes nouvelles d’Amérique.

- J’ai inexplicablement changé de siècle! Soupira le héros malgré lui de cette mésaventure. Pourquoi? Sous quel caprice de quelle divinité? Regagnerais-je un jour ma bonne année 1628? J’en doute fortement; après tout, ici, cela ne me paraît pas si terrible… tantôt, j’interrogerai habilement le patron de ce café. Alors, j’aviserai, mordiou! Comme s’exclamerait un mien ami gascon… demain est un autre jour…

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Septembre 2517, à proximité de la ceinture de Oort.

- … Monsieur le Français! Rugit Benjamin Sitruk avec un accent des Cornouailles caractéristique. J’ai l’honneur de vous faire part que je vais tirer! Comme votre écran et vos senseurs vous le montrent, je ne suis pas venu seul. Fin de communication.

L’écran du Lagrange n’afficha plus alors qu’un fond gris. Cependant, le capitaine di Fabbrini, le deuxième officier du vaisseau, fronça les sourcils. Elle était visiblement contrariée.

- Commandant, fit-elle. Nous n’allons pas nous rendre! Il n’en est pas question. Ce vaisseau scientifique est à la pointe de la technologie détenue par notre Empire; même si six torpilleurs ennemis ainsi que le vaisseau amiral des Albion, le Cornwallis, nous entourent, il nous faut combattre.

La petite brune s’était exprimée avec force, sur un ton déterminé qui avait eu pour résultat de faire ressortir son accent italien. Elle savait tout comme son supérieur que ne s’offraient au Lagrange que deux options. Toutes les deux se concluraient par la mort, honorable ou pas.

- Nous rendre? Répliqua le commandant Grimaud. Cela ne rentre pas dans mes intentions, capitaine, poursuivit froidement l’officier supérieur. Zlotan et Chtuh, hyper luminique 8, maintenant! Tant pis pour ceux d’en face!

En effet, l’hyper luminique, sans distance suffisante entre les vaisseaux, pouvait s’avérer mortel. Il déclenchait des remous distorsionnels qui mettaient à mal toutes les structures et êtres vivants pris au piège de cette tempête artificielle.

- Exécuté! Jeta le dinosauroïde vert avec hargne.

- Kirù, reprit l’officier en chef, torpilles à photons prêtes à être lancées, tubes 3, 5 et 9. En rafales. Vérification des torpilles à bosons en réserve.

- C’est fait, dit le chef de la sécurité en hochant la tête.

- Ingénieur en chef, ordonna le commandant français en se tournant vers le grand Noir extraterrestre, préparez le vaisseau, ça va secouer!

L’Hellados acquiesça et répliqua, toujours aussi impassible.

- Compensateurs inertiels prêts à toute éventualité depuis une minute, monsieur.

Comme à son habitude, l’extraterrestre avait anticipé l’ordre.

- Pilote, configuration Fermat, delta, gamma, upsilon, 12//00//XA//YY/.

- Oui, commandant! Siffla Zlotan Karasanyi, très concentré.

C’était sur son habileté que reposait le sort du Lagrange. Mais aussi sur le génie tactique de Daniel Grimaud.

À cet instant, devant sa console auxiliaire, l’enseigne Violetta Grimaud se permit de souffler. Elle voyait s’éloigner les ailes de la mort. À quatorze ans et demi à peine, elle ne se sentait pas prête à passer de l’autre côté. Excitée et enthousiaste, elle s’écria:

- Mazette! Là, oui, là, nous avons une minuscule chance de nous en sortir! Une sur dix-huit trillons, à peu près… le vice-amiral Fermat et ses tactiques imparables car hétérodoxes. Ses manœuvres désespérées, inattendues, folles mais géniales… ah! Le temps où il commandait le Napoléon II! Ça c’était super! Et si, à notre tour, on réussit, ce sera super extra!

- Enseigne taisez-vous et occupez-vous des relais internes auxiliaires.

Mortifiée, rappelée sévèrement à l’ordre par sa mère, l’adolescente baissa la tête.

Le combat s’enclencha dans le système Sol, au milieu de la ceinture de Oort, âpre, sans merci. Le Lagrange, vaisseau scientifique avec un équipage de deux cent-cinquante personnes face à sept vaisseaux anglais, configurés pour les affrontements contre les pirates Mondaniens et les Haäns.

Au XXIe siècle, le HMS Cornwallis aurait ressemblé à un gigantesque porte-avions avec ses deux mille cinq cents membres d’équipage et ses cent vint guêpes semblables à des chasseurs à réaction. Il fallait rajouter à cette force de frappe les six raptors torpilleurs.

Cependant, Daniel Lin Wu Grimaud continuait d’égrener ses ordres d’une voix sans inflexion.

- Hyper luminique 12, maintenant. Configuration Fermat Thêta, Zêta, Phi//26//32//CH//MX.

Violetta eut un frisson. Elle avait reconnu les coordonnées.

- Brr. Le saut quantique. Nous allons engendrer un puits noir gravitationnel. Qu’est-ce que ça va tanguer! Ce matin, j’aurais dû me passer de petit déjeuner…

Faisant comme s’il n’avait pas entendu les remarques de la jeune enseigne, Daniel poursuivit:

- Albriss, renforcement des boucliers: quarante-huit couches.

- Oui, commandant. Mais je dois vous signaler que nos réserve énergétiques sont descendues à 72%.

- Dans ce cas, basculez les niveaux 13 à 18 en statut de survie. Ce sera toujours cela d’économisé.

- Bien, commandant.

Dans l’espace profond, les torpilles du Cornwallis, du Hamilton, du Nelson, du Henry V, de l’Essex, du Tudor et du Victory se perdaient tandis qu’au contraire celles du vaisseau français, plus léger et plus maniable, et sans doute aussi plus « véloce », atteignaient toujours leurs cibles. Toutefois, il restait encore à tirer les torpilles à bosons. Alors, les vagues d’ondes engendrées par ces armes terribles secoueraient impitoyablement le Lagrange. Cela arriva bien trop tôt, au goût de Violetta. Son vaisseau dut lutter contre les spirales du puits noir gravitationnel et les tempêtes provoquées par les torpilles à bosons.

Désormais, on se serait cru à l’intérieur d’un shaker et il n’y avait pas un seul membre de la passerelle qui ne peinât à conserver son équilibre malgré les sustentateurs inertiels à pleine puissance; les oreilles humaines ou pas bourdonnaient, voire saignaient, tandis que les flux gastriques n’étaient pas rares.

A bord du vaisseau amiral ennemi, le commandant Sitruk, un géant roux à l’œil bleu et à la barbe soignée, rongeait son poing devant l’incroyable maestria du Lagrange. Pourtant inférieurs en nombre et surclassés, les Français ne lui en infligeaient pas moins de lourds et cruels dégâts. Et puis, soudain, hop! Plus rien… ces foutus Napoléonides s’étaient évaporés.

- Devil! Où est-il passé? Il y a eu cette langue noire devant nous et c’est tout…

Derrière Benjamin, calmement, le numéro 2 du Cornwallis, le capitaine Irina Maïakovska Sitruk se leva et, prenant le poste de l’officier scientifique, un Castorii, régla quelques curseurs selon une configuration peu usitée.

- Commandant, fit-elle ensuite en russe, je l’ai! Le Lagrange a d’abord créé volontairement un puits noir gravitationnel. Pour détourner notre attention, il nous torpillait et nous n’avons rien vu venir.

- Sacré nom d’un chien! Belle manœuvre de diversion… elle nous coûte quinze guêpes. De plus, le Victory est salement amoché.

- Désormais, le vaisseau français s’est réfugié au sein de la nébuleuse NC21...

- Capitaine, c’est totalement impossible! S’écria Sitruk hors de lui. Oubliez-vous que celle-ci est distante de vingt-six années lumière?

- Commandant, je vous rappelle que le puits noir gravitationnel entraîne un tunnel distorsionnel qui raccourcit considérablement les distances. Nos instruments ont pu enregistrer toutes les données nécessaires. Nous sommes en état de le rejoindre.

Debout derrière sa console, le chef de la sécurité gronda et se permit de frapper le sol de dur acier avec sa queue à balancier.

- La technologie a du bon! D’autant plus que ces crottes de Vroush l’ont volée aux Otnikaï! Rugit Kiku U Tu, le Troodon.

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À bord du Cornwallis, une minute avait passé. Le commandant britannique avait ordonné à ses ingénieurs ainsi qu’à ceux des torpilleurs accompagnateurs de reconfigurer les moteurs afin de recréer les mêmes conditions cinétiques que le vaisseau ennemi lorsqu’il avait effectué son saut. Or, ces réglages s’avéraient fort délicats. L’erreur la plus minime, de l’ordre d’un micron, et les Anglais auraient été réduits en cendres, ou condamnés à voguer pour l’éternité à la limite de l’horizon d’événement d’un trou noir.

- Capitaine Maïakovska, reprit Sitruk, avez-vous identifié qui commande le vaisseau français?

- Les affectations ont changé récemment. Hum… selon les sources de l’Okrahna, il s’agit d’un certain Daniel Lucien Napoléon Grimaud… l’ancien premier officier du Laplace. Ah! Et il a fait ses classes à bord du Napoléon II, sous les ordres de l’actuel vice amiral André Fermat.

- Bigre! Maintenant, je comprends tout. Ce foutu frenchy va me donner du fil à retordre. Il doit connaître sur le bout des doigts tous les tours du vice amiral.

- Certes, mais Fermat est désormais à la tête de la section 51.

- Oh! Oh! Capitaine, que trament ces mangeurs de grenouilles?

- Nos propres services n’en ont pas une idée très claire.

- Alors, il est temps que notre coopération avec la Chine se renforce.

- Tout à fait, commandant.

Puis, ayant perçu un sifflement caractéristique annonçant que tout était prêt, Sitruk brancha les communicateurs internes et externes et donna l’ordre d’effectuer le tant redouté saut quantique.

- Translation, trois, deux, un, zéro!

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Pendant ce temps, à bord du vaisseau scientifique français, le numéro 2 du Lagrange, Lorenza di Fabbrini paraissait troublée.

- Commandant! Jeta-t-elle avec irritation. Vous n’avez fait que gagner du temps!

- Je l’admets, capitaine. Le commandant du Cornwallis n’est pas un sot. Il aura vite compris notre manœuvre et nous aura rejoints d’ici peu. Alors, votre affrontement direct, vous l’aurez mais dans un environnement plus favorable. Après tout, ni notre médecin en chef Denis O’Rourke, ni Veronica ni Renate n’ont signé pour mourir à bord de ce vaisseau!

Zlotan lâcha:

- Ces civils, que des pleutres et des couards!

- Lieutenant, je n’ai pas sollicité votre avis.

L’ingénieur en chef et parallèlement chef des opérations, qui conservait en toute occasion un sang-froid à toute épreuve, informa son supérieur:

- Commandant, nous entrons dans la nébuleuse NC21. Repère 00-00- 00-01.

- Enregistré. Pilote, maintenez le cap. Navigateur, vérifiez vos instruments. Nous allons encore réduire nos signaux énergétiques. Toutes nos communications internes fermées sauf celles de l’infirmerie.

- Bien, commandant, souffla l’enseigne Grimaud chargée de l’exécution de cette tâche.

Albriss reprit à mi-voix et en langue helladienne. Il savait que son supérieur la comprenait à défaut de la pratiquer.

- Sinkar, j’ai le moyen de rendre les senseurs extérieurs plus efficaces de cinquante-deux pour cent, sans dépenser d’énergie supplémentaire… il suffit de transférer une partie des relais des senseurs internes vers la coque externe du vaisseau.

Daniel Lin faillit répondre dans la même langue que l’extraterrestre mais se reprit juste à temps.

- Combien de minutes pour exécuter cette tâche?

- Douze minutes, monsieur. Si je suis secondé, quatre minutes.

- Kirù, prêtez main-forte à Albriss.

- Tout de suite, commandant.

Tandis que les deux officiers s’affairaient, en partie accroupis sous les consoles de communications et des senseurs, un étrange jeu de chats poursuivant la souris débuta. Le Cornwallis et ses torpilleurs avaient en effet été détectés à cent cinquante mille kilomètres à peine. La nébuleuse brouillait les échos et dissimulait le vaisseau français mais l’ennemi était logé à la même enseigne. Cependant, la technologie des Napoléonides était supérieure à celle des Anglo-Russes, du moins dans le domaine de la détection.

Sur la passerelle du Lagrange, tout le monde se taisait, baigné par une lumière jaunâtre conférant aux visages des aspects sinistres les faisant ressembler à des masques mortuaires. Violetta elle-même réussissait à ne pas lancer ses remarques habituelles ce qui, dans son cas, relevait de l’exploit.

Le temps s’étirait, s’étirait…

Daniel Lin Wu était inquiet. Pour l’heure, il avait mené sa barque avec succès. La pénombre qui régnait dans le centre de commandement du Lagrange l’aurait plutôt amusé ailleurs, en temps normal. Celle-ci, en effet, lui rappelait les reproductions des combats maritimes à bord d’un sous-marin yankee de la Seconde Guerre mondiale. Les Américains essayaient d’échapper aux torpilleurs allemands.

Mais ici, il n’y avait eu nulle Seconde Guerre mondiale. Il devait faire plus attention et se renseigner davantage sur l’histoire aberrante de cette chrono ligne folle et sur sa famille. Un instinct lui disait qu’il avait failli se trahir. Son alter ego avec qui il avait fusionné ne possédait pas son don plus que prodigieux des langues.

Jusqu’à maintenant, personne à bord ne soupçonnait que le commandant Grimaud était en quelque sorte un imposteur. Il devait donc composer avec les talents limités de son double, voir ce qui subsistait de Wu en lui et empêcher ce Daniel qu’il sentait penser au plus profond de lui de refaire inopinément surface. Heureusement que la personnalité du daryl androïde était bien plus forte que celle de ce patriote de Daniel Lucien Napoléon!

Dans cette piste temporelle, Antor avait totalement disparu. Mais il y avait plus grave encore. Le commandant Wu avait beau lancer des appels mentaux à tout-va dans les autres chrono lignes grâce à ses facultés transdimensionnelles qu’il avait légèrement débridées, ceux-ci restaient sans écho. Ah! Il devait cette solitude à ce satané et maudit Johann van der Zelden dont il avait encore en mémoire sa toute récente rencontre. Avant de s’estomper, l’Entropie incarnée l’avait mis en garde sur le piège qu’elle lui préparait. Daniel Lin se retrouverait confronté à la solitude, au désespoir, au déshonneur et à l’ignominie…

Donc pas d’Antor, son frère parmi les étoiles, pas d’Irina, mais Lorenza son épouse… aïe! Dans ce 2517-ci, les métamorphes ou demi-métamorphes étaient télépathes. Or, justement, le deuxième officier du Lagrange le scrutait avec insistance, tentant de percer ses boucliers mentaux. La petite Italienne insistait, s’étonnant de la résistance du commandant. Enfin, elle capitula tout en songeant:

« Par les mânes de Napoléon le Grand! Il a pris des leçons avec Albriss! Sans m’en informer, bien évidemment. Je vais devoir en référer au plus vite au Ministère de la Propagande et du bien-être de la population. »

Comme on le voit, Lorenza di Fabbrini Grimaud cumulait avec son poste de second du vaisseau, la fonction peu sympathique, de commissaire politique.

S’asseyant près de l’Hellados, la jeune femme vérifia les coordonnées scientifiques concernant la nébuleuse. Au lieu de faire sa médecine, la dame était diplômée d’astrophysique. Recrutée à vingt ans par l’amiral Coudroit, elle était devenue une personne redoutée. Si nécessaire, elle avait le pouvoir de passer par-dessus le commandant en titre du vaisseau.

Voyant que son épouse était occupée, Daniel Lin se mit à consulter en hyper vitesse et discrètement les archives du Lagrange.

17 septembre 2517. Souverain régnant: Louis Jérôme Napoléon IX, marié à Inès de la Cabrera Blanca. L’Empire français s’étendait sur la moitié de la planète Terre, allant du nord du Canada jusqu’au Brésil tout en cernant les minuscules Etats-Unis d’Amérique réduits à vingt États. Les choses se compliquaient un peu plus en Europe et en Afrique, les Napoléonides étant en concurrence avec les Britanniques et les Russes. En Extrême-Orient, la Chine était un partenaire très courtisé. Tantôt, le pays favorisait l’Anglais, tantôt le Français. Or, depuis l’accession au trône du « Grand Dragon du Ciel », l équilibre multiséculaire paraissait rompu. Depuis six années, Fu le Suprême penchait en faveur d’Edward XVI de Saxe Cobourg. La Chine imposait sa loi au Japon, mais également à la Corée, à l’Indonésie, à la Birmanie, aux Philippines, à la Thaïlande, à l’Indonésie, à la Malaisie et à l’Indochine, ayant dû se replier lorsqu’elle avait tenter de conquérir le sud jusqu’à la Papouasie.

Revenant en Afrique, Daniel Lin constata que peu de pays connaissaient l’indépendance. Au mieux, certains, comme le Soudan, l’Égypte, ou encore la Namibie et le Congo étaient des protectorats.

Après avoir rendu la planète Terre exsangue, l’avoir pillée jusqu’à plus soif, les Trois Grands, c’est-à-dire les Anglo-Russes dont l’alliance remontait à Georges III et Alexandre Ier, les Français et les Chinois s’étaient lancés dans la conquête spatiale. Ainsi, tout le système solaire avait été exploité dans un premier temps, puis, au fur et à mesure des progrès techniques, les autres soleils plus ou moins à proximité. La découverte de la propulsion quantique avait eu pour conséquence d’entraîner une grande partie de la Galaxie dans les querelles sanglantes des humains.

En effet, dans leur pérégrination guerrière, les Terriens avaient croisé d’autres peuples. Hellas, qui possédait une avance scientifique plus qu’évidente, avait choisi de ne s’allier à aucun gouvernement humain, jugeant l’espèce totalement barbare et immature. Toutefois, elle avait signé des accords commerciaux et culturels favorables aux deux parties. Néanmoins, quelques rares Helladoï avaient daigné s’engager, mais à titre personnel sur des vaisseaux scientifiques d’origine terrestre. C’était pourquoi Albriss servait à bord du Lagrange.

De leur côté, les Kronkos avaient accepté d’être les partenaires des Anglo-Russes tandis que les Otnikaï, les Marnousiens et les Castorii faisaient preuve du plus bel opportunisme qui soit, changeant d’alliance et d’intérêt au gré des circonstances.

Pour résumer, la présence humaine ne dépassait pas les cinq cents unités astronomiques et la Terre n’avait pas encore eu de contacts directs avec l’Empire Haän gouverné d’une poigne de fer par Hinduk IX. Peu d’humanoïdes soupçonnaient l’existence de la Dimension p, ses membres n’ayant apparemment pas interféré dans l’histoire humaine.

Au fur et à mesure qu’il se familiarisait avec cette piste temporelle, ce qui effrayait le daryl androïde, c’était le totalitarisme du système napoléonien, un système qui reposait sur un réseau planétaire de camps de travail pudiquement nommés camps de rééducation. À ce jour, au sein de toute la Galaxie explorée, on répertoriait mille cinq cent neuf bagnes d’origine napoléonide, des plus laxistes - enfin tout est relatif - comme celui situé dans la banlieue de Munich et administré par le duc de Bavière Franz, un lointain descendant de Franz Von Hauerstadt, aux plus sévères, tels ceux localisés sur Io et Europe. Les plus inhumains, réservés aux déserteurs, aux pirates capturés, aux criminels et assassins de tous poils, aux infâmes traîtres qui avaient de justesse sauvé leur tête, orbitaient autour de Bêta Centauri, plus exactement autour de la quatrième planète de ce système. Le plus sinistrement célèbre répondait à l’appellation justifiée de Bolsa de basura dos, sac poubelle deux, en français.

Dans cette chrono ligne, Daniel Grimaud n’était pas bouddhiste mais agnostique. Il n’affichait aucune préférence religieuse, se contentant cependant d’assister à la messe quatre dimanches par an. Certes, il avait quelques ancêtres asiatiques - ce qui expliquait que personne n’avait vu de différence physique entre les deux Daniel y compris lui-même lorsqu’il s’était regardé se refléter sur un écran - mais cette ascendance remontait au milieu du XX e siècle par sa filiation directe avec Sun Wu fils, le créateur des daryls androïdes comme Timour Singh le cruel dans sa piste temporelle d’origine. Naturellement, ici, il n’avait ni de frère aîné prénommé Georges, ni de « jumeau » répondant au double prénom de Daniel Deng. Toutefois, il restait bien le benjamin de trois fils. Le plus âgé des rejetons Grimaud, Victor Gustave Napoléon, occupait le poste de vice-premier Ministre de la partie française de l’Australie. Le second frère, Philippe Louis Napoléon, se contentait de présider un Sénat, caisse de résonance de la volonté impériale. À lui, le cadet, Daniel Lucien Napoléon, avait été dévolu le métier des armes. Une brillante carrière s’annonçait. Dans moins de cinq ans, l’impétrant serait bombardé amiral non grâce à ses talents personnels mais bien grâce à ses appuis dans les rouages internes du pouvoir napoléonien.

Daniel Lin était donc dégoûté et par ce qu’il apprenait sur ce monde-ci et par ce qu’il voyait et sentait de son double, qui, au fond de sa psyché, pestait, rageait, lançait des imprécations. Une simple admonestation fit taire définitivement la voix de Daniel Lucien Napoléon. Bien que ce personnage fût peu sympathique, marqué par un arrivisme forcené, il se montrait bon père et mari fidèle. Il cultivait également des liens platoniques avec la belle Aure-Elise d’Elcourt née Gronet, une jeune femme qu’il avait connue alors que cette dernière n’était encore qu’une enfant, tandis qu’il passait des vacances méritées dans la cité d’Eden Chantilly, un lieu de villégiature réputé pour les fortunés et privilégiés du régime. Son mariage avec la semi-métamorphe Lorenza di Fabbrini avait été imposé par le souverain en personne. Daniel Lucien Napoléon n’avait pu se soustraire à celui-ci. De cette étrange union étaient nées Violetta, quatorze ans et demi, et Maria, un peu plus de cinq ans à peine.

Officiellement, l’adultère n’était pas encouragé dans l’Empire et ayant trop à perdre, Daniel Grimaud avait opté pour la prudence et n’avait jamais trompé son épouse. De toute manière, cette dernière l’aurait su immédiatement, vu ses dons de télépathe, et aurait pu prendre des mesures de rétorsion.

Daniel Lin, après une lecture rapide des données historiques, s’était mis à exécrer profondément le fondateur de la dynastie des Napoléonides, Napoléon le Grand. Le personnage, imbu de lui-même, se persuadant de son ascendance divine, avait su, par ses intrigues, s’imposer face au faible et falot Louis XVI qu’il avait odieusement trompé. Le monarque, ébloui par les talents militaires de l’officier, avait rétabli le titre de connétable au profit de Napoléon Bonaparte. En 1795, celui-ci prenait la tête d’une armée royale à la supériorité technique étonnante. Cette armée avait écrasé avec succès toutes les tentatives révolutionnaires pour partir ensuite à la conquête des Pays-Bas autrichiens, de l’Autriche elle-même, de la rive gauche du Rhin, de la partie occidentale de la Pologne, et pour terminer, de l’Italie de Nord jusqu’à la Toscane!

A la mort soudaine du souverain légitime, dans des conditions plus que troubles - pudiquement les archives évoquaient une indigestion - le connétable avait fait un coup d’État et s’était proclamé Empereur aux dépens du jeune Louis XVII. Emprisonné, l’adolescent était mort quelques semaines plus tard, un décès survenu fort à propos. Les oncles, Provence et Artois, s’étaient contenté d’émigrer illico presto.

Réfugiés à l’étranger, les derniers Bourbons avaient comploté, comploté encore pour finir l’un, fusillé dans les fossés de Vincennes, l’autre, purement et simplement assassiné.

Un chuintement imperceptible. Daniel Lin qui bénéficiait d’une ouïe améliorée, cessa aussitôt de consulter les archives. Deux personnes pénétraient dans le centre de commandement. Il s’agissait du représentant personnel de l’Empereur Louis Jérôme Napoléon IX, Sa Seigneurie l’Ambassadeur Marie André d’Elcourt, comte de Montfermeil et de son épouse. Au premier abord, l’homme n’inspirait aucun respect particulier. Fluet, inodore et incolore, voilà les adjectifs qui le caractérisaient le mieux. Ses cheveux blonds filasses, trop clairs, se voulaient coupés à la Brutus, hélas, sans succès! Une moustache d’un suprême ridicule ornait ses lèvres. Sans son uniforme clinquant tout brodé d’abeilles, où l’or vous aveuglait, personne ne se serait retourné à son passage. Il n’aurait pas même reçu un salut ce m’as-tu-vu placé à ce haut poste du fait de sa naissance!

Au contraire, l’épouse légitime de ce personnage était une merveille de beauté et de grâce. Vêtue avec simplicité d’une robe blanche, Aure-Elise adressa un sourire imperceptible à son ami avant de reprendre un maintien plus froid et plus officiel. La jeune femme, dotée d’un caractère certain, pouvait obtenir, si nécessité l’y obligeait, quelques avantages et passe-droits.

Instinctivement, Daniel Lin sut, qu’en cas de coup dur, il pourrait compter sur le soutien indéfectible de la comtesse. Quant à Violetta Grimaud, malgré son jeune âge, elle était assez inventive pour se sortir des situations les plus acadabrantes bien qu’elle ne fût pas télépathe!

Fronçant ses sourcils, Sa Seigneurie se permit une réflexion bien sentie d’une voix sèche n’admettant aucune réplique:

- Commandant, je n’aime pas cette atmosphère d’esquive digne d’un sous-marin de troisième ordre! Il nous faut combattre au grand jour et terrasser au plus vite nos adversaires.

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Craddock n’y voyait goutte. Toutefois, sa cécité partielle ne l’empêchait pas de progresser à travers les ruelles sales, puantes, encombrées d’immondices et ténébreuses de la banlieue déshéritée de Morodon, la mégalopole champignon de Mondani, la planète où tout était possible, le rendez-vous de tous les malfrats du quadrant. Pour la plupart des êtres pensants, ces lieux ressemblaient à Hells’Kitchen, célèbre quartier new-yorkais du XX e siècle terrestre. Cependant, pour ceux qui savaient y faire, qui avaient la fibre entreprenante, c’était le Paradis! Ici, en effet, on pouvait facilement trafiquer, s’enrichir, devenir un nabab, juste le temps d’y penser, ou alors, perdre plus vite la vie encore qu’un pied tendre au temps du Far West ou bien qu’un des damnés trimant dans les fosses les plus profondes du bagne de Bolsa de basura dos.

Enveloppé dans un large manteau couleur prune qui lui battait les flancs sous les bourrasques violentes de la nuit mondanienne, le capitaine Craddock tentait de regagner vaille que vaille le spatio port ou ce qui en tenait lieu. Il n’y avait pas plus de cinq heures qu’il avait réussi à rouler quatre Otnikaï en obtenant d’eux, pour une poignée de pièces de chrome, cent grammes de cristaux d’orona, indispensables pour naviguer et se déplacer à des vitesses relativistes.

Mais qui avait gagné dans cet échange truqué? Lesdits cristaux, à l’abri dans une sacoche doublée de plomb, révélaient, si on prenait le temps de les examiner au microscope électronique, des défauts rédhibitoires, des fendillassions suspectes et d’infimes traces de moisissure.

Pas tombé de la dernière pluie, Symphorien Nestorius se doutait bien que l’orona n’était ni de première ni de cinquième qualité. Mais il escomptait pouvoir faire voler son vaisseau une journée entière avec un peu de chance et de stimulation, le temps nécessaire pour se ravitailler sur Hellas, la quatrième planète d’Epsilon Eridani. Là, le Cachalot du système Sol, son sobriquet le plus usité, se ferait un plaisir de se ravitailler pour une bouchée de pain auprès des autochtones. En effet, les Helladoï n’étaient pas réputés pour leur sens des affaires, étant d’une probité désarmante face à un négociateur de la trempe de notre baroudeur.

Un imperceptible changement dans l’obscurité qui parut davantage s’épaissir encore fit tressaillir Symphorien Nestorius Craddock. Il s’arrêta net. Plus de cinquante années de tribulations lui avaient permis de développer et d’entretenir un sixième sens. Fouillant dans une de ses vastes poches, il pensa:

« Par la barbe du Scrameu! Ces foutus Otnikaï m’ont pisté et retrouvé! Mala suerte! »

À peine eut-il pensé ces imprécations qu’il fut agressé par deux paires de cornes de béliers enroulées en spirales avec une violence inouïe. Le premier coup lui coupa le souffle. Au second choc, Craddock crut que les articulations de ses genoux avaient été réduites en charpie.

- Wangdeputanawa! Éructa-t-il tandis que ses agresseurs légitimes lui jetaient en langage universel:

- Humain, tes pièces en chrome étaient fausses! Alors, tu vas nous rendre nos cristaux sans plus tarder sinon on t’éclate le foie! Aboule!

Faisant semblant de céder, Symphorien laissa la sacoche racler le sol de terre craquelé, un sol teinté d’ocre. Alors que les Otnikaï se baissaient péniblement pour récupérer leur bien, asphyxiant presque l’humain de leurs effluves alcalins, Craddock ne s’affolait pas, cherchant toujours son arme secrète, un poignard laser illégal, à la fluorescence vermillon. Appâtés, les ovinoïdes ramassaient les cristaux, ne surveillant plus le vieux baroudeur.

Ressuscitant, le capitaine se redressa prestement en hurlant, coutelas brandi:

- Ah! Dégustez donc moi ça espèces de boxomanes à l’extrait de musc ranci!

En trois coups seulement, les ovinoïdes furent tranchés vifs. Ainsi était Craddock. La terre, assoiffée, but avidement cette manne.

- Ouf! Un problème réglé. Il n’empêche. Toute cette histoire m’a rendu le gosier aussi sec que du foin. Je ne me refuserais pas une petite goutte.

Avec une moue dubitative, Symphorien fouilla une nouvelle fois dans ses poches, à la recherche de sa flasque d’eau de vie Castorii, un alcool qui tirait quatre-vingt-quinze degrés! Il ne put retenir un cri de dépit car, dans sa lutte, la gourde était tombée et avait déversé son précieux contenu sur un sol qui n’en demandait pas tant.

Hors de lui, notre personnage invectiva et injuria les morts dont il était responsable.

- Sirop de crapules! Stupides myrmidons! Coléoptères sans ailes! Corsaires d’eau de cale! Hiéronymites! À cause de vous deux je vais faire tintin jusqu’à demain au moins! Acronymes! Bujumburapithèques!

Après un dernier coup de poing et un ultime coup de pied aux cadavres, décidément le Cachalot du système Sol ne respectait rien, le capitaine quitta les lieux muni de la sacoche récupérée des mains d’un Otnikaï. Cependant, au bout de cinq pas, il stoppa une fois encore pour se taper la tête contre un poteau tout en hurlant:

- Tonnerre de Paimpol! Quel crétin je fais! Avec ma sottise, je pourrais tapisser les murs de ma piaule! J’avais oublié de sceller virtuellement ma flasque! Tant pis! Bien fait pour moi! Ne nous attardons pas davantage…

Moins de six minutes plus tard, Craddock grimpait péniblement et lourdement l’échelle extérieure de ce qu’il appelait pompeusement son vaisseau. Il en ouvrit manuellement le sas avec une clé qui n’aurait pas dépareillé dans un musée de l’espace. L’intérieur du Vaillant était à peine assez vaste pour quatre personnes, à condition de ne pas se montrer trop exigeant, y compris au niveau de l’hygiène.

- Ah! Vous voilà enfin! S’exclama une voix pointue. Nous pouvons partir, je présume?

- Je suis à vos ordres, mademoiselle Violetta, fit Symphorien en saluant l’adolescente avec un air narquois.

- A quelle vitesse pouvez-vous pousser votre épave volante, ce soir? À plus de luminique trois, j’espère? J’en ai plus qu’assez de me traîner dans cette poubelle cabossée!

C’en fut trop pour Craddock qui ne tolérait pas le moindre reproche concernant son vaisseau.

- Billions of blue blistering barnacles! Apprenez mademoiselle née avec une cuiller en or dans la bouche que ceci n’est pas une épave mais bien un vaillant vaisseau yacht homologué en 2241, autrement dit hier! De toute manière, il n’est pas question de partir dès ce soir. Avant de décoller, il me faut incorporer les nouveaux cristaux d’orona, aussi défectueux soient-ils dans la chambre intermix. Un petit coup de main de votre part, mademoiselle j’ordonne, serait le bienvenu!

- Et puis quoi encore! Il me semble que je vous paie assez cher pour que vous vous débrouilliez seul!

- Ah! Tiens donc! Mademoiselle n’est donc plus aussi pressée de retrouver son cher papa!