samedi 6 juillet 2019

Un goût d'éternité 4e partie : Franz : 1939 (2).


La tête basse, tout le poids du monde pesant sur ses épaules, Stephen regagna son XXe siècle finissant, jurant entre ses dents que c’en était fini avec ses velléités de modifier le cours des choses.
- Serment d’ivrogne, lui jeta Michaël.
Les deux hommes se retrouvaient à LA, le 12 octobre 1993 alors que la Troisième Guerre mondiale était dans toutes les têtes et ce, à juste titre. Dans quelques heures, le conflit serait généralisé.
Mais deux questions cruciales se posaient. Qui attaquerait le premier ? Où ?
Le chercheur lui-même voulant obtenir des réponses, interrogea l’homme du futur. Tout en déambulant d’un pas lent dans les grandes artères de la ville, Stephen et Michaël entamèrent une discussion plutôt animée.

*****

2 Mars 1939.
Pie XII succédait au pape Pie XI.
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Le 15 du même mois, les troupes allemandes faisaient leur entrée à Prague. Toujours aucune réaction des démocraties occidentales, ou presque. Et la machine s’accélérait, l’engrenage conduisant inexorablement à l’issue que l’on connaît. Dès le 21 mars, Hitler réclamait au gouvernement polonais de rendre Dantzig. La Pologne refusa avec hauteur, comptant sur l’appui de la France et le soutien tacite de la Grande-Bretagne.
De retour dans son pays natal, Franz von Hauerstadt était outré non par les exigences du Führer, qu’il trouvait légitimes, mais par l’attitude des Polonais. Il déclara haut et fort à tous, ses parents, ses amis, les domestiques qui orbitaient dans l’entourage du duc et de la duchesse, qu’il était plus que temps de mater cette nation orgueilleuse.
Toutefois, le fanatisme du jeune homme ne l’aveuglait pas totalement. Une guerre contre la Pologne, soit. Celle-ci refusant d’accéder aux demandes de l’Allemagne, ne fallait-il pas la punir ? Mais pas un conflit qui ensanglanterait le continent européen en son entier. Jamais. Le jeune officier espérait que la Grande-Bretagne et la France se contenteraient de rodomontades tout en n’agissant pas.
Cependant, le dictateur allemand, lui, savait pertinemment qu’il lui fallait attaquer la France un jour ou l’autre. Bien avant que celle-ci soit entièrement réarmée. Ensuite, il se retournerait contre l’URSS, comme son livre l’envisageait déjà près de quinze ans auparavant. Le fameux Lebensraum à l’Est. Toutefois, afin d’éviter au IIIe Reich une guerre sur deux fronts, le Führer entama secrètement des négociations avec Staline. Ce dernier était partie prenante car, désormais, il n’avait plus que le plus profond mépris envers les Occidentaux.
La situation internationale atteignait donc un seuil critique mais en Grande-Bretagne, on n’avait pas l’air de s’en rendre compte. Winston Churchill était perçu comme un Cassandre et nul ne l’écoutait.
Chez les von Hauerstadt, les disputes journalières venaient envenimer l’atmosphère. Le père et le fils aîné s’affrontaient dans des joutes verbales d’une extrême violence. Peter préférait se réfugier dans sa chambre lorsqu’il entendait son géniteur hurler et Franz lui répondre durement, sans le moindre respect.
Karl avait parfaitement compris qu’Hitler envahissant la Pologne, sans doute dans les prochains mois, un conflit généralisé embraserait l’Europe.
- C’est ce qu’il veut, ce fou ! Cet illuminé ! Un conflit total, Franz. Mais tu t’en moques. Oui, cet idiot veut venger 18… il va tout faire pour mettre la France à genoux. Ah ! Seigneur ! Comment as-tu pu te mettre au service d’un tel homme ?
- Père, vous perdez la tête… oui, vous vous faites trop vieux. Et cela influe sur votre caractère. Vous voyez tout en noir.
- Comment oses-tu me parler de la sorte ?
- J’en ai tout à fait le droit. Vous vous trompez, j’ai le devoir de vous remettre sur le droit chemin. Il n’y aura pas de conflit généralisé. Je vous le dis et le répète.
- Ah oui ? Dis-moi donc pourquoi, génie de la politique ?
- Tout simplement parce que les Français ne souhaitent pas la guerre, voilà tout. Ils sont pacifistes jusqu’à la moelle. De plus, ils ont bien trop à faire avec leurs foutus et ridicules problèmes intérieurs.
- Que ne faut-il pas entendre !
- Quant aux Britanniques, ils ne valent pas mieux. J’ai pu en juger lors de mon séjour à Oxford. Les Anglais craignent pour la pérennité de leur Empire et sont prêts à toutes les compromissions pour le conserver. Ils ont perdu le sens de l’honneur. La preuve ? L’attitude de Chamberlain à Munich.
- Un mou et un veule… mais tu oublies Churchill, Franz.
- Il n’a aucun pouvoir.
- Mais on peut toujours faire appel à lui si la nécessité s’en faisait sentir.
- On dirait que vous souhaitez le pire pour notre patrie… vous frôlez la trahison, père…
- Irais-tu donc jusqu’à me dénoncer aux autorités ?
- Père, vous le mériteriez…
- Ainsi, cette idée est déjà dans ta tête… alors, tu pourrais bénéficier de tous les avantages d’être devenu le chef de famille…
- Vous ne m’avez pas laissé achever ma phrase. Ce n’est pas à moi de dire à la police que vous êtes un mauvais Allemand… mais si un des domestiques le faisait, vous seriez dans de sales draps…
- Je crois davantage à leur fidélité qu’en la tienne, Franz !
- Vous me jugez bien mal… mais revenons à Dantzig.
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- Dantzig…
- Ce port nous appartient de droit. Vous n’allez pas nier cette évidence, non ? La question serait vite réglée si les Polonais nous laissaient la libre pénétration du corridor menant à la ville.
- La libre pénétration… quel euphémisme ! La conquête veux-tu dire… Franz, cours à tes occupations et ne reviens pas m’importuner…
- Vous ne désirez plus ma présence ?
- Oh ! Tu peux toujours dîner avec nous, en famille, si l’envie t’en prend… mais je ne veux plus t’entendre proférer de telles conneries ! Fiche le camp, retire-toi de ma vue… que je puisse terminer ma sieste…
- Oui, père, répondit tristement le jeune homme… Nous ne nous sommes jamais compris…
D’un pas lent, le visage empreint de regret, Franz se retira. Il ne savait plus quoi faire. Trouver refuge auprès de sa mère ? Non… Il ne désirait pas la blesser davantage. Il la savait écartelée entre son affection envers lui, et son amour pour Karl.
Toutefois, le jeune lieutenant ignorait un terrible secret qu’Amélie allait lui révéler dans quelques mois.

*****

Wladimir Belkovsky, le Polonais concertiste commençait à se faire un nom dans le milieu artistique. Il donna plusieurs récitals en URSS et notamment à Leningrad en ce printemps 1939, avec le plus grand succès. Mais bien qu’adhérent au Parti communiste et militant convaincu, il n’en fut pas moins arrêté le 25 mai par le NKVD. Tout cela parce qu’il avait eu la maladresse d’émettre quelques innocentes réflexions à propos des derniers procès de Moscou.
Sans que les raisons de son arrestation lui fussent communiquées, il allait effectuer un long séjour dans un des goulags de Sibérie.

*****

27 Mai 1939. Graz, Autriche.
Cinq heures du matin à peine. Déjà le ciel se parait d’écharpes roses. Cependant, dans une petite ruelle, des hommes armés et en uniforme noir avançaient vivement, sachant pertinemment où se rendre.
Soudain, on frappa brutalement à la porte d’une modeste maison aux façades noircies qui auraient bien eu besoin d’un ravalement.
- Police ! Ouvrez ! hurlait l’Hauptsturmführer SS Gustav Zimmermann.
En tremblant, un homme approchant de la cinquantaine obtempéra. Il était pieds nus dans des pantoufles usées et son crâne dégarni luisait de sueur. La porte bancale grinça sous la poussée.
- Es-tu le Juif Mardochée Wiesenthal ? Eructa l’officier SS.
- Euh… oui, monsieur l’officier, répondit le quadragénaire terrorisé.
- Très bien, reprit le capitaine des forces noires.
Alors, repoussant violemment Mardochée contre le chambranle de la porte, il commanda d’un geste sec à la vingtaine d’hommes qui l’accompagnait d’entrer sur le palier.
- Allez ! Hop ! Fouillez-moi toute la maison et amenez-moi toute la vermine qui s’y trouve ! Commanda-t-il.
- Jawohl Herr Hauptsturmführer ! Fit un jeune caporal en claquant les talons.
Aussitôt, les vingt soldats montèrent un escalier branlant et sans ménagement aucun se mirent à réveiller tous les habitants de l’immeuble.
Moins de deux minutes plus tard, une femme d’une trentaine d’années, aux cheveux noirs pendant librement sur les épaules, en simple chemise de nuit de flanelle rose, fut jetée au bas des marches ainsi que deux enfants âgés d’une dizaine d’années tout au plus.
- Je ne comprends pas, murmura Hanna Bertha. Que signifie ?
- Je remplis une mission de salubrité publique, rétorqua Zimmermann. Alors, c’est pourquoi je t’embarque, toi, ton mari et tes gosses.
- Mais… nous n’avons rien fait, commença Mardochée. Nous ne sommes coupables de rien…
- Tais-toi, sale rat !
Gustav gifla violemment le Juif puis fit de même avec son épouse qui lançait des cris pitoyables.
- J’ai dit de vous taire, vous comprenez ?
Pendant ce temps, les deux enfants s’accrochaient à la chemise de nuit de leur mère, les larmes aux yeux.
- Il y a d’autres Juifs ici ?
- Nein, Herr Hauptsturmführer ! Que de simples travailleurs.
- Gut… il est temps de partir.
A coups de crosses, la malheureuse famille Wiesenthal fut poussée dans la rue tandis qu’aux fenêtres, des gens indifférents assistaient à ce drame. Puis les quatre appréhendés durent monter dans un camion bâché sans même avoir pu emporter quelques affaires.
Mardochée et les siens, une fois conduits à la maison d’arrêt la plus proche du quartier, on s’assura du bien-fondé de cette arrestation. Manifestement, il s’agissait bien des Wiesenthal, recherchés depuis plusieurs années par la SS. Après quelques jours, toute la famille fut expédiée d’abord en Allemagne puis à Dachau.
Le testament de Johanna van der Zelden accompli, Gustav Zimmermann revint le cœur léger à Berlin. Là, il fit la connaissance de Hans Werner Brauchischte. Vite, les deux hommes sympathisèrent. L’ami de Franz était désormais l’ordonnance de von Kluge.

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1939. Toujours mais aux Etats-Unis.
Sur le Lac Salé,
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 Otto procédait aux essais de son nouvel avion à réaction.
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 Cependant, le moteur n’était pas encore tout à fait au point.
Le pilote d’essai, David Murphy se crasha durant un des vols, son jet partant en vrille. Les secours ne retrouvèrent que des centaines et des centaines de débris éparpillés sur un rayon de plusieurs kilomètres. Quant à David, ce qui en restait était à peine identifiable.
Otto, sous le coup, renonça momentanément à ses recherches aéronautiques. Il s’en voulait amèrement de ce décès. Il se jugeait seul coupable de la mort de son ami.
De retour à Detroit, installé dans son bureau, il ouvrait son courrier qui l’attendait depuis plusieurs jours. Avec une certaine colère, il découvrit les résultats scolaires de son fils aîné, Dietrich, quinze ans, inscrit dans un bahut privé. Le bulletin laissait à désirer dans maintes matières et, notamment en physique et en biologie.
- Tu pourrais mieux faire, disait sèchement le baron à son fils.
- Père, je n’aime pas les sciences, répondait du tac-au-tac l’adolescent. Je préfère tout ce qui a trait à l’économie. Pour moi, c’est l’avenir…
- C’est de la paresse, plutôt !
- Non… la physique me gonfle.
- En voilà une façon de parler ! Moi, à ton âge…
- Je sais. Je sais. Vous me bassinez depuis des années avec vos résultats scolaires. Oui, vous étiez doué, brillant, eh bien ce n’est pas mon cas.
- Dietrich, tu vas faire un effort… améliorer tes résultats… en math, pour commencer. Si tu me donnes satisfaction… je verrai de t’inscrire ailleurs…
- Dans le domaine qui m’intéresse ? Hasarda le jeune homme.
- Une école commerciale ? Ce n’est pas dans la tradition des von Möll…
- Mais nous sommes en Amérique et au XXe siècle. Il faut vivre avec votre temps, père !
- Aux Etats-Unis, c’est l’argent qui compte… j’en ai tout à fait conscience, Dietrich. Je vais réfléchir à ton avenir…
Tout en déposant le bulletin sur le bureau, Otto fit comprendre à son fils que d’autres affaires appelaient son attention. Sans dire un mot, l’adolescent quitta la pièce, un léger espoir au cœur.

*****

Le 22 août 1993, l’Ennemi passait et repassait sur son magnétoscope les shows d’une ancienne vedette du rock, mystérieusement assassinée en novembre 1989.
L’appareil fonctionnait sans discontinuer depuis plusieurs heures déjà. Tout en visionnant ces images d’archives, le financier se remémorait avec une certaine nostalgie tous les faits concernant le regretté Rocky Travelling, de son vrai nom Tony Vecchiacchina, son poulain qu’il protégeait contre les loups des multinationales du disque et les requins de la mafia.
Enfin, Johann éteignit la vidéo et, prenant un cigare dans un coffret dévolu à cet effet, il marmonna avec un sourire :
- Ah ! Profitons donc des réserves de cigares de mon double ! Eh oui ! Je n’avais pas songé au désavantage en approvisionnement de mon principal vice, sous-approvisionnement engendré par la guerre… en 1995, impossible de refaire le plein de havanes. Dire que moi-même, enfin mon moi antérieur, ignore que je suis en train de violer ma propre demeure ! Mais tu t’en rendras vite compte, mon cher jumeau. Je suis bien placé pour le savoir car cela m’est déjà arrivé. En cet instant, tu plonges à cinq cents mètres de profondeur avec tes hommes robots. Tu perds ton temps, du moins en partie… ah ! le téléphone sonne… celui de la ligne ultra privée, le combiné bleu… voyons qui m’appelle.
Saisissant l’appareil sans fil, Johann s’enquit de son interlocuteur.
- Allo… oui ? Moi-même, tovaritch Gregor… Que désirez-vous, cher ami ? reprit en russe van der Zelden.
A l’autre bout du fil, l’agent du KGB faisait part à Johann de ses ennuis et de ses besoins urgents.
- Monsieur van der Zelden, mes supérieurs ont besoin de vous voir au plus vite…
- Hon ! Hon ! Pourquoi ?
- Ne pourriez-vous pas vous rendre au Canada dans les vingt-quatre heures à l’endroit convenu en cas de pépin ?
- Expliquez-vous, Gregor…
- Un problème de dernière minute concernant votre annihilateur… un des schémas contrôlant l’absorption d’énergie échappe à la compréhension de nos ingénieurs.
- Continuez…
- Les valeurs recommandées dans les tensiomètres ne semblent pas correspondre.
- Je comprends. Ce voyage ne me dérange pas, Gregor. Justement, je devais me rendre à Québec demain dans la matinée. Vous savez à quel hôtel je descends habituellement. Informez Piotr Balankhinov de mon arrivée et dites-lui de m’attendre à l’endroit prévu. A demain donc…
- Oui, monsieur van der Zelden. J’accompagnerai le camarade Piotr…
Johann, tout en raccrochant le combiné, murmura, légèrement amusé :
- Ah ! Décidément ! Ces Soviétiques ! A la moindre petite difficulté technologique, ils réclament une nounou… pour l’heure, j’ai encore du temps devant moi. Là d’où je viens, le conflit s’enlise. Rien à attendre comme surprise de l’ami Michaël… savourons donc ces quelques heures de liberté… Bien… après avoir puisé dans ma réserve de havanes, voyons donc dans quel état est celle de whisky…
D’un pas à la nonchalance étudiée, Johann s’approcha du meuble-bar et en ouvrit la porte.
- Ah oui… Pas mal… pas mal du tout… Du douze ans d’âge… du vingt ans même… directement venu d’Ecosse… ma marque préférée… Quel dommage que je ne puisse rester ici un mois ! Enfin. Servons-nous généreusement…

*****

23 Août 1939.
Les vautours s’apprêtaient à se jeter sur la Pologne.
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 En effet, le pacte germano-soviétique de non-agression venait d’être signé. Il allait être rendu public, du moins sans ses clauses secrètes, dès le lendemain. En France, les communistes n’y comprenaient plus rien. Quant à Jean-Luc Mirmont, il ne savait plus que penser.
A Caen, on discutait ferme de ce maudit pacte. Antoine Fargeau était quasiment le seul à avoir compris la manœuvre du dictateur allemand, et pour cause !
Ce vendredi soir, il aborda la question avec Marc Fontane dans l’arrière-salle d’un restaurant spécialisé dans les plats de la marée.
Les deux jeunes gens, après avoir bien dîné, jouaient machinalement avec un paquet d’allumettes ou encore un étui à cigarettes.
Après avoir évoqué les conséquences dudit pacte, Antoine questionna Marc sur sa secrétaire, Carole Lavigne.
- Comment est-elle au travail ?
- En voilà de l’indiscrétion, s’offusqua le médecin.
- Eh bien, quoi ? Je me renseigne, c’est tout.
- En fait, tu veux savoir si je couche avec elle…
- Je m’en fous…
- Alors, à quoi rime ta question ?
- Lorsque tu me l’as présentée, elle ne m’a pas plu.
- Pourquoi donc ?
- Quelque chose me déplaît en elle.
- Explique-toi, mon vieux.
- Je suis incapable de te dire ce qu’il y a précisément. Peut-être son regard…
- Il est vrai qu’elle a les yeux d’un bleu très clair… c’est assez surprenant au premier abord. Mais on s’y fait…
- As-tu confiance en elle ?
- Quelle étrange demande !
- J’ai mes raisons, Marc… surtout avec ce qui se passe actuellement. La guerre ne fait plus aucun doute désormais… or, Carole est étrangère…
- Elle est native du Québec…
- J’ai peut-être tort de m’inquiéter, après tout…
- Que veux-tu dire ?
- Rien… Rien du tout… un mauvais pressentiment… guère plus…
- Tu sais quelque chose et tu ne veux rien dire…
- Mais non… changeons de sujet… François doit venir avec nous ce dimanche en ballade…
A la fin de ce même mois d’août, Hitler simula une attaque polonaise contre un des postes frontière allemands. Ainsi, la Wehrmacht disposait d’un prétexte pour envahir son voisin.
Le 1er septembre 1939, vers quatre heures du matin, la Seconde Guerre mondiale débutait officiellement. Cette date serait inscrite dans tous les livres d’histoire… 
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Franz von Hauerstadt, lieutenant dans cette même Wehrmacht, fut parmi les premier à pénétrer sur le territoire polonais.
Mais la guerre, dure, cruelle, allait marquer durablement le jeune homme si romantique. C’en était fini de ses rêves chevaleresques, de la poésie des contes nordiques dont il s’était par trop abreuvé durant son enfance…  
Bien qu’il fût un nazi convaincu, bien qu’il portât un uniforme bientôt honni, Franz ne se permettait ni de mépriser la population civile vaincue, abandonnée par des chefs incompétents, ni de maltraiter celle-ci. Chez lui, le gentilhomme ressortait. On ne rejetait pas ainsi une éducation reçue dès le plus jeune âge.  
Un exemple parmi tant d’autres nous permettra de mieux illustrer la nature double du comte von Hauerstadt.
Un après-midi de septembre, la compagnie à laquelle appartenait le lieutenant von Hauerstadt s’était arrêtée dans un petit village afin de prendre quelques instants de repos. La troupe se désaltérait à une fontaine et les rires et les plaisanteries fusaient.
Or, un garçonnet qui tentait de rattraper son chien, un bâtard au poil jaune, l’animal avait réussi à s’échapper de sa niche, se retrouva bousculé par trois soldats car le chien avait eu le tort de heurter un caporal. De colère, le sous-officier s’empara de la bête et la monta sur une échelle, évitant les crocs du canidé. 
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Alors, le chien, incapable de redescendre, se mit à gémir, à pousser des petits cris plaintifs au grand amusement des soldats qui riaient au bas de l’escabeau.
Quant à l’enfant, au bord des larmes, il essayait de récupérer son animal de compagnie mais les trois lascars s’interposaient avec une certaine brutalité.
- Oh ! Le mouflet ! On a perdu quelque chose ? Disait le caporal en laissant éclater sa joie malsaine.
- Mon chien… rendez-le moi, monsieur. Il va tomber… Voyez… l’échelle vacille.
- Et alors ? Il n’avait qu’à pas me faire trébucher, ce diablotin ! Allez ! Ouste ! Va rejoindre les jupes de ta maman…
- Monsieur…
- Ah ! là, ça suffit, morveux !
D’un coup de poing, le sous-officier projeta l’enfant sur le sol. Le nez cassé, le garçonnet pleurait. Il essuyait le sang qui coulait en abondance sur la manche de sa chemise.
Le lieutenant von Hauerstadt, alerté par le bruit, rejoignit les hommes de la troupe et les admonesta sévèrement.
- Que se passe-t-il donc ici ? Quel est ce scandale ? C’est vous Kurt Wagner le responsable de tout ce raffut ? Je vais faire un rapport à votre capitaine…
- Mon lieutenant, c’est ce sale gosse… et son chien…
- Je ne veux pas en entendre davantage, caporal. Ne me dites pas que vous avez peur d’un chien et d’un enfant qui n’a pas même sept ans !
Tandis que le caporal reculait, blessé dans son orgueil, Franz relevait le garçonnet et lui épongeait le sang avec son propre mouchoir.
- As-tu mal ?
- Un peu, répondit l’enfant. Mais mon chien… il va tomber… j’ai peur pour lui, poursuivit le jeune garçon en bégayant…
- Gunther, occupez-vous de descendre ce chien, ordonna le lieutenant von Hauerstadt.
- Oui, mon lieutenant, s’empressa d’obéir le simple soldat.
Tandis qu’il récupérait la bête, le caporal fulminait dans son coin mais n’osait rien dire. A ses côtés, son ami Gerhard faisait de même.
- Tiens, le voilà ton chien, lança Franz à l’enfant lorsque le bâtard se retrouva dans les bras de son jeune maître. Maintenant, rentre bien vite chez toi.
- Oui, monsieur l’officier… merci…
- Comment t’appelles-tu ?
- Karol…
- Attends, Karol… prends ce morceau de chocolat… et si tu as des frères et des sœurs, partage-le avec eux…
- Oh ! Il y a longtemps que je n’en ai pas vu…
Après s’être saisi de la tablette, Karol s’en retourna avec un large sourire illuminant son visage poupin…
- Merci, monsieur… oui, grand-merci !
En courant, son chien sur ses talons, le garçonnet regagna sa modeste demeure. Cette demie tablette, c’était là tout le chocolat qui restait à Franz.
Cependant, froidement, le lieutenant jetait à ses hommes :
- Nous ne faisons pas la guerre aux enfants…
- Compris, mon lieutenant, répondit le caporal…
- Souvenez-vous en tous… 
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