dimanche 16 octobre 2011

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 2 1ere partie.

Chapitre 2

5 mars 1825, 11 heures du soir.

Dans un bureau éclairé au premier étage du Palais des Tuileries, l’Empereur travaillait encore malgré sa santé chancelante. Il était vraiment loin le temps où le connétable vainqueur inspirait une symphonie, l’Héroïque, à Beethoven! Napoléon âgé ne ressemblait plus du tout au jeune homme aux traits creusés et aux grandioses projets. Le presque vieillard avait tout gagné. Repu, le souverain n’avait désormais qu’un souci, insuffler le même appétit à son héritier, le Roi de Rome.

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Tous les puissants de ce monde venaient manger dans les mains de Napoléon le Grand. Or, le vieil Empereur ne manifestait pas le moindre sentiment de reconnaissance envers Galeazzo di Fabbrini à qui, pourtant, il était redevable de son pouvoir et de son Empire. Depuis peu tombé en disgrâce, le comte italien ne fréquentait plus les palais impériaux et les cours européennes inféodées au despote. En fait, peu de gens connaissaient son rôle occulte auprès du souverain. Durant de longues années, Galeazzo avait su rester dans l’ombre. La vision du monde tel que le concevait Napoléon le faisait rire. L’Ultramontain ambitionnait bien plus…

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Mais revenons au souverain, décrivons son physique actuel en cette année 1825 déviée. Dégarni, grisonnant, les traits bouffis, le regard qui restait perçant encore démontrait cependant que l’intelligence aiguë n’avait pas disparu avec les années et la venue de la maladie.

Depuis la mise à l’écart avec fracas de Joseph Fouché, Napoléon se contentait de Savary

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comme Ministre officiel de la police et de François Vidocq

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comme chef de la Sûreté. Ce soir, ce n’était pas à ce commensal là qu’il avait affaire. Son Secrétaire d’État et aide de camp Sébastiani

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prenait note des dernières directives qui allaient concerner, une fois de plus, l’Europe entière.

Dans un mois à peine, le Roi de Rome devait être intronisé Empereur d’Autriche. Le nouveau tsar Nicolas, Alexandre mourant avait été renversé trois ans plus tôt, avait renoncé à se rapprocher de Napoléon. Par contre, une énième trêve avait été signée avec le roi d’Angleterre, George IV, par l’intermédiaire de son gendre Léopold de Saxe Cobourg.

Assisté de Caulaincourt,

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des barons Gérard et Gros, du duc de Bassano et du majordome Cipriani,

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l’Empereur modifiait donc la carte de l’Europe; en effet, après son fils devenu Empereur à son tour, il envisageait de mettre à la retraite Murat, le roi de Naples, celui-ci manifestant un peu trop à ses yeux des velléités d’indépendance.

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D’une voix claire, Napoléon Premier dictait sa correspondance, une correspondance ultra confidentielle, adressée au chancelier Metternich.

- Cher cousin… vous veillerez à ce que rien ne vienne troubler les fêtes prévues pour le couronnement de mon fils. Je vous connais, tout se passera bien. Vous aurez grandement à cœur de me satisfaire. En attendant, pour vous encourager à exécuter cette tâche ingrate, je vous donne un cadeau sans importance, une de ces petites attentions qui maintiennent et renforcent les liens d’amitié, le duché de Zélande. Cipriani, mon homme de confiance, je lui dois la vie et il ne demande rien en échange, ce qui est rare de nos jours, vous apportera ce courrier en personne avec le majorat cité plus haut dans ma lettre.

Sébastiani, qui prenait la missive sous la dictée, ne leva pas même un sourcil à l’énoncé à l’énoncé du pli. Il y avait trop longtemps qu’il servait l’Empereur.

La lettre suivante concernait le général Hugo, gouverneur militaire de Madrid, promu par la grâce de Napoléon, maréchal d’Empire. Mais Joseph Bonaparte, allez-vous nous objecter? Le frère aîné avait failli en tant que souverain de la péninsule ibérique. Désormais, il se contentait de vivre en exil en Louisiane, bénéficiant de revenus conséquents en tant que riche propriétaire de plantations de canne à sucre et de coton.

Deux mots sur le général Dumas, le père de notre premier personnage entrevu dans le prologue. Il n’avait jamais accepté la mort suspecte du dauphin et avait demandé sa mise en disponibilité au jeune Empereur peu après la proclamation du nouveau régime. Bon prince, Napoléon lui avait rendu les honneurs lors de son décès anticipé et avait organisé des obsèques nationales grandioses au héros intransigeant. Puis, généreusement, il avait accordé une pension à la veuve, cent francs par mois, pas un radis de plus, ce qui permettait à la famille de survivre. Pour améliorer l’ordinaire, le rejeton n’avait pas d’autre choix que de solliciter un modeste emploi de gratte-papier au sein d’une annexe d’un quelconque ministère.

Minuit sonna à l’adorable pendulette en or et bronze où les Trois Grâces dansaient sur un menuet de Mozart. En soupirant, Napoléon renvoya Sébastiani. Il était temps. Un grattement se fit entendre à une porte dérobée. La belle Betsy Balcombe

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était à l’heure à son rendez-vous amoureux. Elle avait hâte de voir son chéri.

Assez vivement, le souverain ouvrit à son amie de cœur. Une grande femme blonde un peu maigre fit alors son entrée. Betsy s’inclina d’abord avec grâce devant l’Empereur puis, sans façon, se jeta à son cou. La belle Anglaise portait une robe à taille haute agrémentée d’un voile orange et vermillon imitant un sari. La mode cette année 1825 allait vers l’exotisme et l’indianisme; aux bras et au cou gracile de la jeune femme, tout un assortiment de bijoux baroques, en or et pierres précieuses cliquetait au rythme de ses mouvements. Les chevilles s’ornaient de fines chaînettes.

Notre Betsy était vêtue sans ostentation ; les femmes les plus délurées de Paris et d’ailleurs osaient bien davantage. Nombreuses étaient celles qui se déguisaient en Néfertiti ou en Hatshepsout! Malheureusement, le climat de l’Ouest de l’Europe ne se prêtait guère au port de tissus diaphanes. La haute société féminine payait donc un lourd tribut à la tuberculose, le mal du siècle.

Mademoiselle Betsy ignorait ces problèmes. Anglaise de naissance, elle supportait allègrement les douze degrés Celsius, bras nus et large décolleté.

- Mon Loulou chéri, fit la jeune femme avec son charmant accent so british, j’étais si impatiente ce soir!

Avec tendresse, elle abreuva Loulou de baisers sur son crâne dégarni, son cou, ses joues et sa bouche. Au fait, ladite Betsy dépassait l’Empereur d’une demie main et n’oubliait jamais de chausser des escarpins à talons plats afin de ne pas humilier Napoléon.

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Saturnin de Beauséjour s’ennuyait. Bien qu’il eût franchi la frontière de la soixantaine depuis déjà quelques années, il avait besoin de s’amuser. Sa vie aventureuse lui manquait. Incorrigible bonhomme va!

Ce 12 avril 1868, il y avait bal à Mabille

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et l’ancien chef de bureau s’était juré d’y faire un tour. Son célibat et sa solitude lui pesaient. Peut-être sa prestance lui permettrait-elle de changer son quotidien? Adonc, devant son miroir, Saturnin, tout guilleret, ajustait son habit noir à queue de pie, n’oubliait pas d’y accrocher sa montre de gousset en or, et s’admirait, bombant le torse et rentrant son ventre. Ah! Décidément, il avait belle allure.

À ses côtés, son loulou de Poméranie, Gavroche, aboyait, s’étonnant de ce changement dans les habitudes si casanières de son maître.

- Gavroche, veux-tu te taire? Disait Beauséjour de sa voix de fausset tout en vérifiant le nœud de sa cravate.

Le chien n’avait cure d’être rabroué et poursuivait de plus belle.

- Si tu t’obstines ainsi, le chien, je vais t’enfermer dans l’armoire.

Alors, faisant mine de se saisir d’une canne, le vieil homme regarda son fidèle compagnon d’un air sévère, roulant ses gros yeux marron. La bête comprit sans doute la menace puisqu’elle se réfugia sur un fauteuil aux coussins particulièrement moelleux.

- Ah! Voilà qui est mieux! Soupira le ridicule bonhomme satisfait.

Redressant son double menton, bombant davantage son torse, Saturnin s’admira une dernière fois.

- La belle soirée qui s’annonce! Hélas non, Gavroche, tu ne m’accompagnes pas! Là où je vais, les toutous ne sont pas admis. Oh! Cesse de me regarder ainsi! Je ne connais que trop bien des bons yeux de chien battu. Voilà que maintenant, tu t’ébroues de désapprobation! Cabotin, ce n’est pas moi qui rédige le règlement des bals…

Prenant un dernier biscuit, ayant à cœur de se faire pardonner cette trahison, Saturnin le donna au toutou qui s’empressa de l’engloutir.

- Ah! Cela va mieux, mon Gavroche, n’est-ce pas? Je puis sonner Arthur.

Après deux coups de sonnette, le domestique apparut et reçut, impassible, les instructions de monsieur de Beauséjour, qui, autrefois, avait porté le titre de baron. Puis, tout aussi discret et stylé, le valet se retira, le chien sous son bras.

Avec un sourire enfantin, Saturnin mit un masque pour préserver son incognito certes, mais également pour se rajeunir d’une bonne trentaine d’années pensa-t-il à tort. Notre personnage n’avait nullement conscience qu’il suscitait la moquerie; ledit masque ne dissimulait pas son embonpoint, un embonpoint qui dénonçait le bourgeois sexagénaire trop nourri, à qui la vie avait réservé quelques uns de ses plus beaux fruits.

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Comme tout seigneur qui se respectait, monsieur de Beauséjour arriva avec un peu de retard au fameux bal Mabille. Immédiatement, son allure excentrique, son tenue qui sentait le grand monde, son masque de carnaval le firent remarquer par les habitués. La foule interlope de Mabille mêlait le prolétaire le plus ordinaire aux représentants des petites classes moyennes, l’artisan à la recherche de distraction aux cocotes et à la racaille des bords de Seine.

Saturnin frétillait d’aise. Il croyait avoir retrouvé ses vingt ans. Il se lança avec vivacité et enthousiasme dans un cancan endiablé, tournant autour des danseuses à demie vêtues. Tout en sautillant en mesure, il lorgnait les mollets bien galbés, les cuisses blanches, les bras laiteux et les poitrines fermes.

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Après trente minutes de cette folie, tout suant et coulant, s’épongeant le front avec un mouchoir brodé, le cœur battant la breloque, il s’attabla, une quart de demie- mondaine à son bras. Léontine, une fausse rousse bien en chair, réclama de sa voix de faubourg du champagne et l’obtint. La mijaurée s’était rendue compte que son chevalier servant possédait une bourse bien garnie. Elle avait eu le regard étudié pour . Agissant par signes secrets, elle prévint son souteneur que le pigeon serait cuit à point d’ici une heure environ

En fait, il en fallut un peu moins pour que saturnin perdît tout sens de la réalité. Jamais le bonhomme n’avait tenu l’alcool. Après plusieurs centaines de sourires, de minauderies, de bisous dans le cou, de câlins et d’agaceries, Léontine entraîna le dindon dans une ruelle enténébrée, là où Max, son Jules, patientait tout en fumant cigarette sur cigarette. Casquette enfoncée de guingois sur la tête, moustaches broussailleuses, mouchoir rouge autour du cou en guise de cravate, blouse bleue râpée de travail, pantalon large à carreaux, chaussures éculées, regard sombre, le maquereau dans toute sa splendeur ne pouvait nier ses origines de mauvais garçon.

Lorsque Saturnin sentit sur sa nuque la lame bien aiguisée, son ivresse s’envola aussitôt.

- Aboule ton or, le bourge, ou, sinon, je t’offre un joli collier brodé à ma façon qui remplacera avec bonheur ton affreuse cravate! Jeta le bandit durement.

D’une main malhabile, ne se faisant pas répéter l’ordre, Beauséjour fouilla dans ses poches et lança aux pieds du malfrat une bourse bien rebondie qui s’en alla rouler sur les pavés boueux et inégaux.

- Je ne résiste pas! S’écria Saturnin de sa voix de fausset. Tenez, monsieur, prenez et laissez-moi la vie sauve!

- Ta montre aussi, le richard!

- La voici! Mais je vous en supplie, ne me tuez pas! Larmoya de plus belle l’ancien fonctionnaire.

- Oh! Oh! Ta proie me prend pour un égorgeur, Titine! Éclata de rire Max.

Telle une lionne, la fille s’était mise à genoux afin de ramasser les pièces d’or et d’argent qui avaient roulé sur la chaussée. Cependant, toujours en ricanant, le malfrat assomma avec art le vieux bonhomme dont le corps soudainement aussi mou qu’une poupée de chiffon, s’effondra sur les pavés gras et sales.

- Tirons-nous! J’entends du monde qui vient, ordonna le maquereau à sa complice.

- J’espère que ce n’est pas la rousse!

Les deux marlous se fondirent dans la nuit.

Le lendemain, monsieur de Beauséjour tout dolent et tourneboulé, ayant fait mandé sa vieille amie Brelan, recevrait celle-ci dans sa chambre, mais en tout bien tout honneur.

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Le commandant Daniel Lin Wu Grimaud répliqua vertement à Son Excellence, ce blanc-bec de Marie André d’Elcourt, comte de Montfermeil.

- Ambassadeur, oui, nous allons combattre, si cela peut vous satisfaire! Mais ne vous plaignez pas d’en subir bientôt les inconvénients. Ce qui va suivre n’aura rien à voir avec une simulation.

Puis, se tournant vers le chef des opérations, l’officier ordonna:

- Resyntonisez tous les niveaux… maintenant. Écran tactique pleine puissance.

- Oui commandant, répondit le lieutenant Albriss sans marquer la moindre émotion;

Chtuh, quant à lui, se hâta de régler l’écran tactique.

- Votre Excellence, reprit Daniel Lin acerbe, nous sommes encerclés par sept vaisseaux ennemis dont le vaisseau amiral Cornwallis. Tous sont supérieurs en puissance de tir, en capacité offensive donc et en taille. Savez-vous qui commande le vaisseau amiral? Vos informations sont-elles à jour?

Marie André hocha la tête et siffla entre ses dents.

- Benjamin Pharamond Sitruk, le prodige de l’école militaire de Séville. Il a préféré se mettre au service des Anglais plutôt qu’à celui de l’Empereur!

On sentait le dépit ainsi que la colère rentrée dans ces propos acides.

En marmonnant, Violetta qui s’activait à sa console, jeta, mine de rien:

- Pff! Ça ne m’étonne pas! Ce galonné oublie de préciser que la mère Sitruk était une opposante au régime. Elle est morte en exil. Évidemment, le fils aimant ne pouvait lécher les bottes de Louis Jérôme Napoléon IX.

La commissaire politique, qui avait entendu sa fille, vint subrepticement la pincer afin de la faire taire. En fait, elle mourait d’envie de la gifler.

Cette diversion fut brève. Les vaisseaux adverses avaient localisé le Lagrange dès que les niveaux d’énergie étaient revenus à la normale. Le combat reprit, encore plus mouvementé que le premier round.

Pendant près de quinze minutes, et c’est long quinze minutes d’affrontement dans l’espace, on n’entendit plus sur la passerelle, hormis les ordres précis, concis secs et posés du commandant, que le crépitement des consoles rendues hors service après les tirs des canons phaseurs ennemis, que les soupirs des moins aguerris et que les toussotements plus ou moins discrets et énervés de Son Excellence.

Tout le Lagrange tanguait, frémissait, ballotté par les vagues engendrées par les torpilles britanniques évitées d’un cheveu le plus souvent. Pourtant, certains coups ennemis portaient et blessaient le vaisseau français. Chtuh, Kirù, Zlotan, Albriss et Daniel Lin se démenaient, réduisant tant faire se peut les dégâts du Lagrange.

De tous les niveaux du vaisseau, les rapports parvenaient au commandant Grimaud qui conservait un sang-froid admirable. L’infirmerie connaissait l’arrivée massive de brûlés et de blessés. On aurait pu croire que le jeune O’Rourke était dépassé tant le chaos régnait. Les moins gravement atteints s’entassaient sur le sol tandis que les cas critiques bénéficiaient des lits et des couchettes médicalisées. Denis opérait sans relâche, assisté par deux infirmières compétentes et silencieuses.

Dans l’armement, on comptait déjà huit tubes de torpilles vides. Chaque tir du Lagrange avait atteint sa cible en plein cœur. Le Victory, salement touché une première fois, agonisait. Tous ses feux étaient éteints et il dérivait dans l’espace, montrant de cruelles et létales blessures. Il n’y avait plus un seul survivant à bord. À son tour, le Nelson avait reçu de plein fouet un coup mortel. Il luttait pour effectuer les réparations les plus urgentes, essayant de prendre de vitesse les superstructures qui n’allaient pas tarder à céder. Vingt guêpes du Cornwallis avaient explosé en vol, alors qu’elles tournaient autour du vaisseau français.

Pourtant, malgré tous ces exploits, le Lagrange, blessé lui aussi, ressemblait lentement mais sûrement à un fer à repasser projeté dans le vide relatif du cosmos. Il fallait à tout prix préserver la salle des machines ainsi qu’une certaine flottabilité au vaisseau scientifique.

Daniel Grimaud plus Daniel Lin Wu aux commandes, c’était incontestablement une chance pour le Lagrange, mais cela suffirait-il? L’ennemi, plus puissant, implacable, s’acharnait et ce, d’autant plus qu’il était humilié par la résistance désespérée et magnifique de l’adversaire.

Après toutes les tactiques inventées par le vice amiral Fermat, d’autres, beaucoup plus hétérodoxes suivirent, s’enchaînèrent, toutes expérimentées ailleurs par Antor et Daniel Lin. Désormais, les superstructures du Lagrange gémissaient, au bord de la rupture. Le vaisseau n’en pouvait mais.

C’était à peine si on parvenait à respirer sur la passerelle. L’infirmerie venait de comptabiliser quarante et un morts et le double e blessés, ce qui était énorme pour un vaisseau de cette taille.

Toujours aussi concentré, Daniel Lin demanda une communication passive avec le Cornwallis. Albriss impassible, exécuta l’ordre. Le commandant avait les codes des communications ennemies. Il voulait connaître précisément où le vaisseau amiral britannique en était.

Lorsqu’une partie de la sphère écran s’alluma, Daniel lin réprima un sursaut; la passerelle du Cornwallis révélait non seulement Benjamin Sitruk en train de houspiller brutalement Kiku U Tu, mais aussi un officier russe, terriblement familier, une grande femme aux longs cheveux roux, Irina Maïakovska. Celle -ci opérait devant une console scientifique.

Notre daryl androïde soupira profondément. Il ignorait la présence du double de son épouse sur le vaisseau ennemi. Les renseignements mis à la disposition du commandant Grimaud par l’Amirauté restaient parcellaires.

À bord du Cornwallis, personne n’avait remarqué l’intrusion électronique du Français.

Mais la bataille se poursuivait. Tandis que le vaisseau amiral amorçait une boucle ventrale afin de mettre à l’abri les guêpes restantes, il présenta ainsi au Lagrange une ouverture un court instant. Albriss, le chef des opérations, Marie André d’Elcourt ainsi que le commandant Wu virent immédiatement l’opportunité qui s’offrait, une opportunité qui pouvait mettre un terme définitif à ce combat inégal. Il suffisait d’un ordre, d’un seul.

- Torpille à bosons, azimut 2-9, angle 2-3..., jeta Daniel Lin amer et ému.

Mais il hésita à commander la suite, à crier le « feu » fatidique. Ce fut l’ambassadeur qui hurla à sa place:

- Feu! Bon sang! Feu!

Sous l’impulsion de Kirù, la torpille partit à la rencontre de sa cible, le ventre du Cornwallis. Dans cette zone névralgique, les boucliers multicouches s’avéraient inutiles, aussi efficaces que de la soie, dans la configuration actuelle de combat.

Mais l’ordre était survenu un poil trop tard. Le Cornwallis ne fut ni foudroyé ni anéanti. La torpille à bosons, l’arme ultime, imparable, ne fit qu’érafler l’aile inférieure droite du vaisseau britannique et s’en alla se perdre dans la nébuleuse.

Toutefois, le simple effleurement occasionna de sérieux dommages au vaisseau amiral ainsi qu’aux raptors qui le protégeaient. Les soixante guêpes de soutien encore en service, affolées, tournoyaient dans les tempêtes de particules. Beaucoup, désorientées, s’écrasèrent sur le Henry V, le Hamilton, l’Essex, le Tudor, et sur le Cornwallis.

Celui-ci, justement, cruellement blessé, son moteur quantique fluctuant, hors service, douze de ses niveaux éventrés, ses canons phaseurs enrayés, fut obligé de rompre le combat et de s’enfuir! Le reste de son escorte le suivit.

Le Lagrange sortait victorieux de ce duel, mais à quel prix! Une autre tempête explosait sur la passerelle du vaisseau français. Le commandant Grimaud avait failli en plein combat. L’ambassadeur d’Elcourt, debout devant le fauteuil du premier officier, regardait, glacial et venimeux Daniel Lin. D’un ton impossible à rendre, il proféra:

- Commandant Grimaud, au nom de l’article 1 du règlement militaire de la flotte impériale, je vous relève de votre commandement du Lagrange pour défaillance devant l’ennemi en pleine bataille. Veuillez passer immédiatement dans mon bureau pour vous expliquer. Quant à vous, capitaine di Fabbrini, vous avez la passerelle.

Se levant avec raideur, pourtant submergé par un flux d’émotions qu’il ne contrôlait pas, Daniel Lin abandonna son fauteuil à son épouse. En cette seconde, il regrettait de n’être pas en mode ordinateur. Dans un silence pesant, encadré par deux gardes de la sécurité, Eloum et Ftampft, il gagna le bureau de d’Elcourt, situé au même niveau que le centre de commandement. En sortant, il croisa le regard chargé d’incompréhension de Violetta et celui plus amical d’Aure-Elise.

« j’ai monumentalement gaffé! Se morigénait le daryl androïde. Le piège était sous mes yeux et je ne l’ai pas vu… van der Zelden est décidément un maître tortionnaire. Que vais-je pouvoir dire à cet imbécile pour me justifier? Est-ce bien la peine d’ailleurs? J’ai commis un acte inqualifiable, une véritable trahison qui pouvait condamner à mort le Lagrange et tout son équipage. Si Marie André n’avait pas réagi! Et tout cela, pourquoi? Pour épargner une Irina qui n’a rien à voir avec la mienne. Risible! Absurde! Comment me sortir de ce pétrin? En m’enfuyant? Holà! Violetta et Maria en pâtiraient ».

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Dans le bureau de d’Elcourt, fonctionnel et ostentatoire à la fois, sur les murs des portraits en 3D des Empereurs Napoléon le Grand, Napoléon IV, Louis Jérôme napoléon Premier et Louis Jérôme napoléon IX, l’échange verbal qui suivit fut bref et extrêmement violent. Daniel Lin, debout, et toujours surveillé par le cygne noir et l’éléphantoïde, répondit aux questions de l’Ambassadeur.

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- A la fin, me direz-vous l’exacte raison du refus de votre part d’asséner le coup de grâce au Cornwallis? Rugit Marie André en desserrant le col de son uniforme de parade.

- Sur la passerelle du vaisseau amiral se trouvait un officier russe…

- Tiens donc! Il ne s’agit pas d’une nouveauté, commandant Grimaud. Il y a longtemps que les Britanniques ont fait alliance avec les Ivan!

- Certes, mais cette femme portait l’uniforme et les insignes d’un régiment au service de l’Okrahna.

- Qu’est-ce que cela change?

Daniel Lin baissa ses yeux bleu gris et balbutia:

- Rien, Votre Excellence, vous avez raison. Le numéro 2 du Cornwallis se nomme Irina Maïakovska. Elle est âgée de trente-cinq ans…

- Bigre! Commandant, d’où diable tenez-vous ces informations? Moi-même je suis incapable de connaître ainsi l’identité de tous les officiers ennemis.

Alors, l’ex-daryl choisit de s’enfermer dans un mutisme têtu. Il saisissait que s’il en disait plus, il se perdait définitivement. Comme, désormais, il refusait de répondre aux questions de plus en plus pressantes de d’Elcourt, ce dernier en conclut que Daniel Lucien Napoléon Grimaud, qui s’était rendu en Pologne six années auparavant, avait fait la connaissance de ladite Irina Maïakovska et qu’il en était tombé amoureux. Bref, pour lui, la trahison était avérée…

- Daniel Lucien Napoléon Grimaud, dit Marie André d’une voix dure et solennelle à la fois, je vous relève définitivement de votre poste et j’ordonne la tenue immédiate d’une Cour martiale. Celle-ci aura pour fonction de juger jusqu’où est allée votre trahison. Gardes, conduisez le prisonnier dans une cellule et veillez à l’y attacher soigneusement.

- A vos ordres! Glapit Eloum.

Des menottes de force furent passées à Daniel Lin qui ne résista pas. L’affront, cuisant, était terrible. Bientôt, il fut enfermé dans une espèce de cagibi fort étroit et particulièrement inconfortable. Tout le Lagrange sut à quoi s’en tenir. Mais il était inutile de faire demi-tour et de gagner la Terre. L’ambassadeur et le commissaire politique suffiraient à présider le Conseil de guerre. Peu importait que Lorenza di Fabbrini fût l’épouse de l’officier démis qui devait passer en jugement!

Cependant, comme il fallait respecter à la fois le protocole et la procédure, un message subspatial fut envoyé à l’Amirauté qui se trouvait à Rome. Or, la dépêche parvint d’abord à la mystérieuse section 51qu’André Fermat dirigeait depuis quelques années déjà. Lorsque le vice amiral prit connaissance du message, il soupira et sourit étrangement.

« Enfin! », pensa-t-il. « La situation se décante. Cette fois-ci, espérons que c’est la bonne ».

Et, méthodiquement, le maître espion annula tous ses rendez-vous et ordonna à son aide de camp, un certain Antoine Doisneau, d’appareiller le Firmament au plus tôt.

Le Firmament appartenait au chef de la section 51. Il s’agissait d’un petit vaisseau furtif, une navette à la pointe de la technologie des Napoléonides, pouvant atteindre l’hyper luminique 12. L’engin, muni d’un bouclier d’invisibilité, et fabriqué en titane et dur acier intelligents, était capable de modifier son apparence à volonté et ressembler à un chasseur, à une guêpe ennemie ou encore à un raptor. Les possibilités étaient quasiment infinies. De plus, André Fermat avait à sa disposition un chrono vision des plus perfectionnés, qu’il avait hérité on ne savait de qui.

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