samedi 19 octobre 2013

Le Nouvel Envol de l'Aigle 4e partie : Pour que vive Mumtaz Mahal chapitre 29 1ere partie.



Chapitre 29

À la nuit douce et étoilée avait succédé une belle matinée d’été déjà chaude. Le soleil brillait sans partage dans un ciel pur, dépourvu de tout nuage. Dans les prés, les vaches savouraient un repos paisible, affalées à l’ombre d’un arbre. En tendant l’oreille, on pouvait percevoir le bourdonnement agaçant des mouches chassées par les queues des ruminants. Les blés dorés, hauts et mûrs, n’allaient pas tarder à être moissonnés. Des lapins couraient et folâtraient dans la garenne alors que les mésanges et les rouges-gorges lançaient leurs trilles joyeux, se livrant avec les rossignols à un concours musical du plus bel effet. 
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À l’orée d’un bois, sous les futaies, à l’abri, une laie se dissimulait afin d’échapper aux cruels chasseurs qui s’en viendraient plus tard à ses trousses. Ses marcassins, protégés dans leur tanière, à quelques lieues de là, ne se doutaient pas que, bientôt, ils seraient orphelins. Alors, adieu les jeux insouciants sur les chemins, dans les fourrés et les champs sous le regard bienveillant de leur mère!
C’était donc un matin des plus ordinaires d’un jour d’été de l’année 1473.
Des charrettes convergeaient vers la ville, à la queue leu leu afin d’approvisionner les milliers de ventres qui réclamaient leur pitance quotidienne. Des paysans retardataires croisaient le convoi, s’en allant travailler aux champs, une fourche ou une faux sur les épaules. Les visages burinés et sans âge n’affichaient qu’un contentement de bon aloi car la récolte tant espérée s’annonçait bonne voire excellente. Ainsi les vilains auraient suffisamment de grain pour satisfaire à la fois le roi, le seigneur et le curé. Assurés de manger à peu près à leur faim jusqu’à la soudure, ils chantonnaient un air populaire. 
Dans la ferme en ruine, Antor commençait à marquer des signes d’impatience. Il savait que l’équipe de Daniel Lin n’était pas si loin, mais pourquoi, par ce maudit Tsanu, la jonction tardait-elle tant? Shah Jahan, quant à lui, sommeillait, les traits tirés, le visage parsemé de poils noirs. Il avait pu étancher sa soif à une source qui coulait à quelques toises de la ferme abandonnée. Avec raison, il ne s’était pas servi de l’eau du puits qui ne lui inspirait pas confiance à cause de deux charognes qui surnageaient à la surface d’un liquide noir aux effluves nauséabonds.
Antor en était venu à se mordre les poings. Il souhait autant qu’il la redoutait cette rencontre. Enfin, plusieurs silhouettes se détachèrent à contre-jour sur l’horizon. Parmi elles, en tête, André Fermat. L’homme ne semblait pas avoir changé d’un iota depuis les chronolignes 1721-1722.
Le vice amiral pénétra le premier à l’intérieur de ce qui restait de la salle commune. Un instinct de conservation exacerbé tira alors le souverain Moghol de son sommeil. Vivement, la main sur la poignée de son sabre, il se leva, dévisageant l’homme qui se dressait devant lui. Il s’agissait d’un individu de grande taille, le cheveu gris, les yeux bleu acier, le visage taillé à la serpe, l’allure décidée.
À son tour, Fermat observa le prince sans ciller. Sous son regard, Shah Jahan remisa son arme dans son fourreau et se rassit sur la paillasse dans le plus grand silence. Chacun ayant identifié l’autre, les paroles auraient été superflues.
Les compagnons de Fermat entrèrent enfin dans la vaste salle adaptant leur vision à la semi-pénombre qui régnait dans ce lieu.
Antor ne savait plus pour quelle attitude opter. Certes, il avait reconnu sans problème le vice amiral, ou plutôt Gana-El, Benjamin Sitruk et Violetta Grimaud, Aure-Elise qu’il n’avait pourtant côtoyée que durant quelques semaines mais les autres amis de Daniel Lin lui étaient parfaitement inconnus. Kermor, Paracelse, Craddock, Guillaume Mortot alias Pieds Légers, Beauséjour, Tellier, Marteau-pilon, Gaston de la Renardière, Delphine Darmont, Bette Davis, Jean Simmons, Pauline Carton et Louise de Frontignac, jamais il n’avait croisé leur route. 
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Par contre, Ufo qui avançait de son pas feutré caractéristique, bondit soudain sur le vampire avec un miaulement de contentement. Il réclamait des caresses. Pour mémoire, jamais notre félin n’avait vu Antor…
Daniel Lin avait franchi le seuil bon dernier, comme à regret, pressentant peut-être ce qui allait suivre, une immense déception. Pourtant, son premier réflexe fut de vouloir se jeter dans les bras de son ami. Il lui avait tant manqué. Or, Antor recula, se dérobant à cette fraternelle étreinte. Le commandant Wu leva un sourcil quelque peu étonné puis, troublé, demanda d’une voix hésitante ce qu’il en était au mutant.
- Antor, que se passe-t-il? Pourquoi me repousses-tu?
- Daniel Lin, tu es toujours aussi cher à mon cœur, sur ce point rassure-toi. Rien n’a changé dans mes sentiments. Mais, désormais, nous ne pouvons plus nous toucher. Je le sais intuitivement et toi aussi, d’ailleurs. J’attendais, espérais nos retrouvailles depuis longtemps. Moi aussi, je meurs d’envie de te serrer dans mes bras, de sentir ton cœur battre à l’unisson du mien. Mais ce bonheur nous est refusé. Si nous cédons, les conséquences seront désastreuses.
- Mon frère, n’as-tu donc pas recouvré un corps entièrement matériel?
- Oui, Daniel Lin, mais ce n’est pas là le problème.
- Ah!… tu en sais plus que tu n’en dis.
- Regarde à l’intérieur de toi… sans crainte… quoi qu’il arrive, sache que tu es et seras toujours mon ami, mon frère, un autre toi-même pour l’Eternité.
- Antor, tu captes tout de moi, reprit l’ex-daryl androïde en latin. Tu lis en moi comme dans un livre ouvert. Tu connais mes émotions, mes pensées, mon vécu de ces dernières semaines…
- Or, la réciproque n’existe plus et mon âme t’est scellée pour l’instant.
- Précisément. Pourquoi, mon frère?
- L’Unicité qui m’a libéré de ma cage a jugé bon que cela valait mieux pour ta sécurité et le succès de ton entreprise. Je n’en dirais pas plus, Daniel Lin.
- Soit. Je n’insiste pas. Tout mystère se résout à son heure. Dans ce cas, faisons d’abord le point. Ensuite nous passerons à l’action, enchaîna Dan El en anglais, évacuant stoïquement son sentiment de frustration.
Comme si de rien n’était toute l’équipe s’assit à même le sol. Après de rapides présentations, tout fut abordé ou presque, les raisons de cette expédition en 1473, la nécessité de renvoyer Shah Jahan en 1637 aux Indes, la récupération potentielle des Baphomet, et, surtout, l’éradication de Fu.
Après une heure de fructueux échanges, il fut décidé que le groupe se scinderait en deux. Avant de se séparer, Violetta se rapprocha d’Antor et fit, d’une voix impossible à rendre:
- Moi aussi je n’ai pas droit à ta démonstration d’affection je suppose?
- Cela dépend de laquelle tu veux et de quelle forme elle doit prendre, répliqua le vampire doucement ironique.
- Ici, je ne suis pas amoureuse de toi, si tu veux le savoir.
- Tu m’en vois soulagé, tu n’as pas idée! Dans ce cas…
En souriant, Antor embrassa affectueusement le front et la joue droite de l’adolescente. Violetta lui rendit ces gestes tendres. Pour elle, Antor l’ancien diplomate, était en quelque sorte un oncle éloigné que l’on croisait de temps en temps.
De son côté, Guillaume marmonna:
- Quoi? Ai-je bien compris? Ailleurs, mon amourette en pinçait pour ce vieux? Je rêve! Il est moche et a plus de trente ans!
- Non, Pieds Légers, vous êtes bien éveillé, lui communiqua mentalement l’intéressé. Dans cette chronoligne, vous n’avez absolument rien à craindre. Primo, je ne suis pas intéressé, secundo, je ne suis pas si laid!
- Ah! Tiens! Comme le commandant Wu, vous lisez dans la tête des gens. C’est embêtant ça pour son intimité.
- Oh! Mais je n’abuse pas de ce talent, Guillaume!
- D’accord. Alors, s’il vous plaît, veuillez cesser dès maintenant.
Avec un sourire narquois, le mutant obtempéra à cette demande poliment formulée. Guillaume et Antor n’étaient pas faits pour s’entendre. Leur collaboration s’annonçait des plus hasardeuses. Mais il n’était pas prévu qu’ils travaillassent ensemble. Pour éviter cette difficulté inopportune Dan El avait anticipé le partage de son équipe.
Le groupe de Tellier parti afin de vaquer à ses affaires, Daniel Lin entama une conversation en hindi puis en farsi avec Shah Jahan. Personne ne vint déranger les deux hommes durant les trois minutes que dura le conciliabule. À la suite des propos tenus par le Ying Lung, le Grand Moghol avait retrouvé sa détermination et son courage. Il allait reprendre la lutte; ce fut pourquoi il se hâta de rejoindre le danseur de cordes.

***************

Dans les faubourgs de la petite ville, Craddock et Gaston de la Renardière effectuaient les achats indispensables au succès de l’expédition. Ils se fournissaient en armes, blanches et à feu, en corselets d’acier, en gorgerins, brigandines, casques, boucliers, éperons, etc. pourquoi donc tant de dépenses alors qu’avec des tenues de protection ramenées du XXVIe siècle des Napoléonides ou encore du XXIIe siècle, ils auraient pu affronter sans mal les troupes les plus aguerries, les brigands les plus dangereux? 
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- Pour faire davantage couleur locale! Aurait répliqué Symphorien si on lui avait posé la question.
- Pour passer tout simplement inaperçus! Aurait rajouté l’ancien mousquetaire.
Les deux hommes négociaient au mieux leurs achats, marchandant habilement et ne s’en laissant pas conter. L’armurier qui, au début, avait cru pouvoir gruger facilement les deux compères, regrettait maintenant ces rudes chalands. Ce n’était pas tant le vieil homme qui se montrait le plus hargneux et le plus redoutable. Le géant blond roux qui l’accompagnait arborait un sourire carnassier et, pour intimider davantage encore le marchand, n’hésitait pas à se curer les ongles avec un coutelas à la lame large et parfaitement aiguisée. Après une demi-heure environ, Gaston et Symphorien avaient trouvé leur content.
- Il ne nous reste plus qu’à acheter les chevaux, proféra Craddock en se frottant vigoureusement les mains de satisfaction.
- Le maquignon a sa grange et son enclos à cinquante pas de l’armurier tout au plus, rétorqua de la Renardière en hissant une partie du fardeau sur son épaule.
- Maquignon dis-tu? Houlà! Il ne faudrait pas qu’il nous roule!
-Aucun risque capitaine, je m’y connais en chevaux.
- Combien disposons-nous encore d’argent?
- Suffisamment pour nos emplettes. Le commandant Wu a prévu large. Quinze écus de bon argent et cent vingt grammes de poudre d’or. Gramme! Quelle étrange appellation pour une mesure de poids!
- En effet. L’once a été définitivement abandonnée à la fin du XIXe siècle dans le monde des Napoléonides.
- Les pièces paraissent bigrement vraies! Itou pour la poudre. Heureusement! Peut me chaut de subir le sort réservé aux faux-monnayeurs!
- Quel est-il? La langue et la main coupées?
- De cela, on s’en remet, Craddock. Non, la peine est plus terrible et cruelle encore. Le supplice de l’or fondu versé dans la gorge!
- Pristi! Effectivement, Gaston. Mais nous n’avons rien à craindre de ce côté. Le synthétiseur duplique et réplique pratiquement n’importe quelle matière ou objet. De plus, les gens d’ici ne sont pas outillés pour lire la signature quantique de la duplication. Peut-être les Helladoï de ce temps? Mais ça m’étonnerait qu’ils osent s’aventurer sur le sol de la Terre alors qu’ils trouvent déjà stupides et sales les humains du XXVIe siècle!
Les deux amis après cet échange discret tenu dans la langue de Chaucer, Gaston avait progressé en anglais grâce au moniteur du Vaillant, entrèrent dans l’enclos réservé au plus achalandé des maquignons de la bourgade.
Une fois de plus, les tractations débutèrent, aussi âpres que les précédentes. De la Renardière se chargea de cette besogne.
- Je veux voir la bouche de ce ronsin… et sa jambe! Pour qui me prends-tu pour oser me réclamer cinq écus de bon et bel argent de tes montures, maroufle? Si tu insistes, ribaud, je pense que je vais t’étriller de ce pas! Maraud mal embouché! Faquin! Tes reins se souviendront de moi, je te le promets. Ensuite, tu n’auras plus le goût de tromper d’honnêtes et nobles acheteurs tels que nous!
- Messires… messires… pardonnez-moi… votre vêture ne pouvait révéler au premier regard votre haut lignage… vous m’en voyez marri d’avoir essayé de vous tromper… ce cheval, je vous l’offre. Mais, de grâce, veuillez ranger votre bâton.
Bernard, tel était le nom du marchand de chevaux, tremblait de tous ses membres devant la mine fâchée du baron de la Renardière. De plus, l’émule de Porthos jouait négligemment avec un énorme bâton dont il avait pris la précaution de se munir ce qui n’était pas fait pour rassurer le maquignon. De temps à autre, le baron jetait un œil courroucé sur le paysan mal rasé, aux vêtements de laine ordinaire sentant fortement l’écurie.
Un peu en retrait, devant ce spectacle digne d’une farce, le Vieux Cachalot du Système Sol, retenait à grand peine un rire gras. Ses joues écarlates, sa langue qui sortait de sa bouche, tout en lui dénonçait son hilarité.
Bernard finit par vendre aux deux tempsnautes six chevaux et autant de mules. En contrepartie, il reçut les quinze écus d’argent et presque vingt grammes de poudre d’or. En une heure, il avait gagné autant qu’en cinq mois. Maintenant, il allait pouvoir ribaudailler tout son saoul pendant une semaine au moins. Les accortes personnes du bordel local ne lui jetteraient plus ces insultes humiliantes du type:
« Bernard, tu pues la charogne ».
« Va satisfaire tes envies auprès de ta rosse ».
Invariablement, le maquignon rétorquait:
« Oh! Les mijaurées! Les délicates personnes! Comme si tous vos clients sentaient la rose et le lilas ».
Tranquillement, Gaston et Symphorien s’en revenaient à la clairière où le Vaillant était posé, dissimulé par un bouclier d’invisibilité et protégé par un champ de force répulsif.
- Sacrebleu! Finalement, nous nous en sommes bien tirés! Proféra Craddock. Nous ramenons même du bonus.
- Du bonus? Oh! Je saisis. Avec ce qui nous reste, nous pourrons graisser la patte du maréchal-ferrant.
- Par le grand Magog, je n’en vois pas l’utilité. Notre maître espion ainsi que ce malin de Paracelse peuvent parfaitement se charger d’une tâche aussi triviale.
- Capitaine Craddock, vous n’aimez pas beaucoup le vice amiral. Pourquoi?
- Je l’admets. Chez moi, c’est instinctif! Ce bougre ne m’inspire pas confiance. Parfois, je me demande si ce qu’il nous réserve n’est pas du lard ou du cochon. De toute manière, il sait pertinemment ce que je pense de lui. Or, je m’en contrefiche.
- Nos nouveaux compagnons, que vous en semble?
- A mes yeux, cet Indien, ce Shah Jahan n’est qu’un sot amoureux.
- Pourtant, il ne craint point le combat.
- Certes. L’autre, l’albinos, hé bien, mieux vaudrait ne pas le contrarier, à mon avis. Avez-vous pu compter ses canines? Seize, il en a! Drôle de Nosferatu!
- Nosferatu? 
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- Vampire, si vous préférez, Gaston. Bien qu’il dissimule ses instincts de prédateur, je ne suis pas dupe.
- Par la malemort! Comment Daniel Lin, si sensé, a-t-il pu se lier d’amitié avec un pareil démon?
- Je l’ignore. Or, je n’ai pas le courage d’interroger le commandant Wu sur ce point.
- Qui pourrait nous éclairer? Frédéric Tellier? Mademoiselle Gronet? Violetta Grimaud?
- Peut-être Violetta. Oui, elle ne craint ni ne redoute ce mutant. Tantôt, tous deux se sont embrassés sous nos yeux. Lors de ces marques d’affection partagée, miss Grimaud n’a affiché aucune répulsion.
- Dans ce cas, dès que possible…
- Attendez, Gaston. Faites preuve de prudence. Veillez à ce que l’albinos ne soit pas dans les environs. Je crois qu’il capte toutes nos pensées.
- Ah? Bien, je tiendrais compte de votre conseil. Est-ce bon pour nous que nous ayons fait la jonction avec le sieur Antor et le prince Moghol?
- Baron, il ne nous appartient pas de juger. Contentons-nous de jouer le modeste rôle qu’on nous a attribué dans ce tournoi de supers hommes. Tiens! Un peu comme Magnéto et les X-Men dans ces vieilles bandes dessinées venues d’un autre temps dont Violetta est si friande.
- Oh! Oh! D’après vos propos, il ressort que nous ne sommes que de la valetaille que l’on peut facilement sacrifier.
- C’est à peu près cela. Surtout pour André Fermat. Quant à Daniel Lin, il s’est engagé à nous maintenir en vie coûte que coûte. Il n’a qu’une parole.
- Mais pourra-t-il tenir cette promesse généreuse? En face, il y a Fu qui fera tout pour l’en dédire.
- Bah! Optimiste par nature, ayant mené des bordées jusqu’à Mondani, Sestriss, Melgom et tant d’autres planètes, et ce, durant cinquante ans, ayant aussi réussi à sauver ma peau des centaines de fois, je mise sur cet enfoiré de Surgeon! Ainsi le surnomme Fermat, d’ailleurs.
- Je l’avais remarqué. Pourquoi?
- Gaston, c’est leur secret à tous deux.
Sur ces mots, Symphorien se mit à chantonner, faux il va de soi, la célèbre mélodie Auprès de ma Blonde qu’il fait bon dormir. La suite, il vaut mieux la taire car le loup décati de l’espace en avait arrangé les paroles, leur conférant une vulgarité crue inaudible pour des oreilles chastes.

***************

En cette année 1473, Plessis-Lez-Tours, acheté par Louis XI aux Maillé dix ans auparavant, était devenu la résidence favorite du souverain. Toujours méfiant et craignant pour sa sécurité, le roi avait protégé le manoir en y faisant construire une double enceinte. Le château, fort simple au demeurant, se composait d’un bâtiment central et de deux ailes en retour. Les façades de briques comportaient de grandes fenêtres rectangulaires à encadrement de pierre blanche. Le toit d’ardoise conférait une note mélancolique aux bâtiments. Très pieux, Louis XI avait fait également édifier une chapelle dédiée à Notre-Dame de Cléry ainsi qu’un couvent où les minimes de François de Paule logeaient. 
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Au premier étage, les appartements royaux occupaient une partie du bâtiment central. Aucune ostentation dans les pièces. Des murs de briques, des solives apparentes, des lambris de chêne, des meubles assez courants tels que lit à baldaquin dans un angle de la chambre dévolue au souverain, coffrets, sièges à haut dossier, haute cheminée de briques, massive et peu gracieuse, table, images pieuses, médailles de la Vierge Marie, chapelets et ainsi de suite.
Un escalier tournant aux briques apparentes sur les murs conduisait à l’appartement privé de Louis. Peu souventes fois, la reine séjournait auprès de son époux. Ce dernier alternait les dévotions, la chasse et la guerre contre son trop puissant cousin le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.
La soirée approchait. Le Valois s’en revenait de la chapelle où il avait longuement prié Marie. Sa succession le tracassait. À ses côtés, Olivier, son conseiller, et le sire de Commynes discutaient à voix basse. Les Etats Généraux allaient-ils se rendre au souhait du Valois et reconnaître Anne comme héritière légitime du royaume des Lys?
Adonc, Louis arborait une mine maussade et n’était pas d’humeur à recevoir une quelconque ambassade.
Tandis que le roi pénétrait dans son cabinet de travail, une sonnerie extérieure retentit. Un héraut s’en vint annoncer la venue d’une grande, haute et puissante dame nommée Danielle, comtesse de Mons et baronne de Sarrieux.
- A cette heure? Que signifie? Demanda l’Universelle Aragne. 
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Se penchant à l’oreille d’Olivier, le roi attendit patiemment la réponse.
- Sire, la comtesse de Mons est célèbre pour avoir refusé de se plier à la volonté de votre cousin Charles. Obligée de quitter ses terres confisquées par les gens d’armes du duc, elle se réfugia en la lointaine Ecosse il y a tantôt cinq ans.
- Ah! Fort bien. Aurions-nous là une alliée?
- Possible, mon roi. Cependant, j’ignorais que la comtesse avait décidé de revenir dans nos contrées.
- Accordons-lui audience d’abord et hospitalité ensuite.
- Sire, la baronne de Sarrieux peut trouver ce séjour en ces murs fort austère.
- Qu’importe! Si cette dame vient en ce château, c’est pour devenir ma fidèle sujette.
Ayant dit cela, Louis s’avança vers le héraut et clama d’un ton royal:
- Messire, portez à votre maîtresse le message suivant: c’est de mon bon gré que moi, Louis, roi de France, reçois la comtesse de Mons, baronne de Sarrieux.
S’inclinant cérémonieusement, le héraut retourna auprès de la haute dame. Dans son rôle de représentation, Alban de Kermor faisait merveille.
Ce fut ainsi qu’en grand apparat, DD fut présentée à la Cour du Valois. À son service figuraient, outre le comte de Kermor, André Fermat en chambellan, Daniel Lin Wu en conseiller, Saturnin de Beauséjour en sénéchal et Antor en échanson. Quant à la domesticité féminine, elle était aussi dans le ton. Pauline Carton en lingère, Bette Davis en duègne, Jean Simmons en camériste, Aure-Elise en dame de compagnie, Violetta et Louise en suivantes. Seuls manquaient à ce tableau Shah Jahan, Alexandre Dumas et la douce et blonde Marie. Trop exotique, le prince Moghol avait accompagné l’autre groupe pour y effectuer une bien mystérieuse mission à Paris et plus précisément à la Cour des Miracles. Quant au gratte-papier, il avait le teint trop sombre. Il gardait donc le Vaillant avec sa compagne.
Lorsque la fausse comtesse de Mons apparut devant Louis XI, des murmures s’élevèrent dans la salle d’audience. Certes, la jeune femme soulevait la curiosité mais faisait surtout sensation. Il faut dire que la comédienne avait exagéré dans la munificence de sa toilette. En effet, elle portait une robe de brocart des plus voyantes à ramages. Ceux-ci figuraient des perroquets et des licornes entrelacés. Le rouge carmin et le vert pomme choquaient la vue. Quant à la coiffe, aussi extravagante que la tenue, le hennin se hissait à plus de deux mètres du sol.
- Est-ce là la dernière mode en Ecosse? S’interrogea le Valois.
Heureusement, l’entourage de DD avait su se montrer plus discret. 
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Le mauvais goût et l’anachronisme du costume de la comédienne ne l’empêchèrent nullement de présenter ses hommages au doux sire de France et d’accueillir avec un sourire sincère l’invitation à partager le souper du roi le soir même.
Celui-ci mérite une narration détaillée. Avançons donc de quelques heures et voyons comment il se déroula.
L’entourage immédiat du roi s’assit aux places habituelles tandis que la nouvelle venue eut droit à la place d’honneur, c’est-à-dire à la droite du souverain. Furent également conviés le jeune héraut de la comtesse, André, Daniel Lin, Saturnin, Aure-Elise, Violetta et Louise. Les autres personnes ne furent pas jugées d’assez haute naissance pour s’asseoir à la table royale.
La première chose qui surprit Delphine fut l’absence de fourchettes. La jeune femme faillit s’exclamer à haute voix afin de réclamer la réparation de cet oubli. Mais Daniel Lin l’arrêta, lui expliquant mentalement ce qu’il en était.
- Ah! Comment vais-je faire pour manger la viande? Fit la comédienne sur le même mode de communication.
- Comme tout le monde, c’est-à-dire avec les doigts.
En fait, DD avait de la chance. Si les tempsnautes s’étaient rendus au XIIIe siècle, ils auraient également dû s’accommoder du manque d’assiettes et partager à deux un hanap. Hé oui! À cette époque lointaine, les viandes étaient déposées sur de larges tranches de pain qui absorbaient les sauces. Lorsque le plat était terminé, le mangeur tranchait et découpait alors le tranchoir puis l’avalait plus ou moins goulument.
Le premier service arriva. Il était composé de petits gibiers en fricassées, de fricandeaux. Bref, il s’agissait de simples mises en appétit. Évidemment, le tout baignait dans des jus particulièrement relevés.
- Mm. Excellent, vraiment, sire, dit Delphine avec son joli sourire mutin.
- Je comprends madame votre réaction, répondit courtoisement Louis XI. J’ai ouï dire que la cuisine écossaise était immangeable. Le plat national n’est-il pas la panse de brebis farcie?
- Certes, sire. On s’en lasse vite. Cependant, gentil et gracieux sire le roi, n’y a-t-il aucun légume en accompagnement de ces viandes?
- Des… légumes? Vous voulez sans doute dire des racines. Me croit-on donc si pauvre ou si radin pour souper d’aliments dignes des manants de mon royaume?
La jeune comédienne comprit qu’elle avait commis un impair. Elle devait, au plus vite, rattraper celui-ci.
- Sire le roi, ce n’est point là ce que je veux dire… en fait, mon médicastre m’a recommandé ce régime afin de conserver la fraîcheur de mon teint. Cela fonctionne, non? Que vous en semble? Reprit Delphine en papillonnant.
- Sans doute, jeta louis assez froidement.
Le souverain comprenait trop bien que la baronne de Sarrieux essayait de le séduire. Or, Louis XI n’avait jamais accepté ni même toléré Agnès Sorel la favorite de son père Charles VII. À sa mort, il  avait éprouvé un vif soulagement.
- Pardonnez-moi, madame, mais si vous me contiez votre voyage ainsi que les raisons de celui-ci?
Désarçonnée, DD hésita, balbutia et dit:
- Je préfère vous en toucher deux mots en audience particulière aidée de mon conseiller, le sire de Grimaud.
- Cependant, votre traversée s’est-elle bien déroulée? Point de mauvaises rencontres? Des Brigands croisés chez les Anglois? Des obstacles en chemin?
- Oh non, sire, rien de tout cela. Le mauvais temps seulement.
- Mais la traversée de la Manche?
- Sans anicroche, d’une banalité absolue, à part, bien sûr, une mer démontée… mais j’ai l’habitude.
- Comment cela?
- Aux Hébrides où je vivais il y a peu encore, les tempêtes sont le lot quotidien des habitants de ces contrées.
Les échanges se poursuivirent jusqu’au deuxième service. DD ne manquait pas de conversation, de répartie mais ici, les circonstances exceptionnelles, le milieu anachronique dans lequel elle évoluait présentement faisaient qu’elle paraissait ce soir-là être une piètre interlocutrice. Sur le qui-vive, elle devait sans cesse prendre garde à ne pas commettre d’impair temporel ou autre. Jamais elle ne s’était sentie aussi mal à l’aise. Aujourd’hui, la délicieuse comédienne comprenait enfin pourquoi le commandant Wu l’avait tenue en retrait.
Dans ce deuxième service tant attendu par les gourmands, ce furent les poissons d’eau douce qui eurent la part belle. Ainsi, Saturnin se régala avec enthousiasme d’un pâté d’anguilles et d’une tourte aux brochets. L’inénarrable vieillard se comportait comme s’il avait été soumis à la diète tout un long mois. Plus d’une fois, il réclama qu’on lui remplît son hanap.
À ses côtés, le confident de l’Universelle Aragne mettait à profit les nombreuses libations de l’ancien chef de bureau pour en apprendre davantage sur la comtesse de Mons. Peine perdue. Beauséjour qui ne pensait qu’à bâfrer répondait vaguement ou encore en bégayant aux questions indiscrètes. À vrai dire, chaque fois que ce bon Saturnin menaçait de trahir le secret de ses compagnons, il se retrouvait inévitablement gêné dans ses pensées et son élocution. André Fermat, aux aguets, surveillait le vieil homme et lui liait la langue. 
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Quant aux autres convives de l’équipe, ils faisaient davantage preuve de prudence, plus aptes en cela que Beauséjour.
Violetta, pourtant la plus jeune des tempsnautes savait à quoi s’attendre ou à peu près dans ce souper royal grâce à sa mémoire multiple que Dan El lui avait rendue. Ainsi, elle se rappelait dans ses moindres détails le fameux et pantagruélique banquet offert par Charmeleu un certain jour de février 1248.
Aure-Elise avait eu le temps de potasser un ouvrage sur la vie quotidienne au XV e siècle et Louise avait également lu avec intérêt quelques pages de ce livre d’histoire. Quant à Kermor, il tentait de se faire le plus discret possible, conscient du grand honneur qui lui était fait de partager le souper de Sa Majesté le roi Louis XI. On comprend que dans cet état d’esprit, peu lui importait ce qu’il était en train de manger.
Gana-El avait daigné avaler quelques bouchées de cette nourriture trop riche, trop avancée et trop épicée. Il veillait à ce que son fils ne marquât point sa répulsion face aux perdrix, perdreaux, faisans et autres gibiers à plumes.
Parfois, Louis adressait la parole à son conseiller personnel, Philippe de Commynes, toujours sur le mode ironique.
- Mon ami, toujours aussi peu d’appétit à ce que je vois! Décidément, votre douce et tendre mie, va finir par se fâcher si elle vous trouve fort amaigrie après avoir soupé chez moi! La dame d’Argenton va encore médire sur la médiocre qualité de mon hospitalité!
- Sire, Isabelle est une trop polie personne pour oser penser du mal de vous. Elle connaît votre générosité à mon égard.
- Ah! Au moins quelqu’un qui affiche sa reconnaissance et n’en a point honte. Entendez-vous cela madame la comtesse?
- Oui sire. En fait, je recherche votre protection.
- Hé bien, nous étudierons votre requête demain après la première messe.
Aux deuxième service, succédèrent les entremets et les ménestrels. Deux hommes, encore dans la force de l’âge, vinrent pousser la chansonnette, dévidant leur mélodie alambiquée tout en s’accompagnant au rebec. Le roi paraissait ouïr favorablement ce style de musique. Daniel Lin ne ratait pas une note, son esprit artistique et sa curiosité ethnologique réveillés.
Louise profita de l’intermède pour parler bas à l’oreille d’Aure-Elise.
- Ce souper s’éternise. Je commence à bloquer.
- Cela va encore durer car, après les entremets, viennent les plats de résistance, le gros gibier, chevreuils, biches, sangliers et ainsi de suite.
- Ciel! Nous allons tous mourir d’indigestion!
- Faites comme moi. Avalez une bouchée ou deux puis attendez.
- Saturnin n’a pas votre sagesse. Je crains pour lui. Il a déjà vidé au moins deux pichets de vin. Et ce cuissot de cerf a l’air de lui plaire.
- Oh! À cette allure-là, il ne va pas tarder à sombrer dans un sommeil éthylique.
- Demain, monsieur de Beauséjour se réveillera avec une gueule de bois carabinée. Je ne m’apitoierai pas sur lui. Ce goinfre l’aura cherché. À son âge, se conduire ainsi!
- Mais il n’en va pas de sa faute, contra Violetta. Oncle André… euh… le vice amiral Fermat le pousse à s’empiffrer et à s’enivrer afin qu’il ne dévoile pas le pot aux roses.
- D’habitude, c’est l’inverse qui se produit lorsqu’il a trop bu.
- Quelqu’un d’autre, ici, ce Commynes, se montre aussi sobre qu’un chameau. Encore plus que mon père ou que le vice amiral.
- Etrange… articula pensivement Aure-Elise.
- Pas tant que cela, intervint alors Daniel Lin mentalement. J’ai percé à jour le sire d’Argenton comme d’ailleurs il vient de le faire à propos de Danielle comtesse de Mons. Je vous expliquerai ce qu’il en est demain matin avant la messe. Ne vous dérobez point à cette obligation, je vous le recommande vivement.
Au troisième service, DD cala à son tour. Elle brûlait d’envie de se lever, se trémoussait sur son siège et ne savait comment faire comprendre à ce souverain peu aimable et disgracieux qu’elle en avait plus qu’assez de se goinfrer. La comédienne devait absolument rejoindre le cabinet d’aisance ou ce qui en tenait lieu afin de soulager son estomac barbouillé et sa vessie encombrée. Son teint verdissait à vue d’œil et son haleine chargée dénonçait qu’elle souffrait d’indigestion. De toutes ses forces, elle réclamait, par la pensée bien évidemment, un miracle qui la sortirait de ce guêpier. Toutes les quinze secondes à peu près, elle tournait son regard en direction d’André Fermat d’abord, de Daniel Lin ensuite, les suppliant muettement d’agir au plus tôt.
- Mille punaises! Par la Vierge et tous les saints! Bonté divine, réagissez! Je vais rendre mon repas! Vous saisissez? Je dois me rendre aux toilettes. Cela devient plus qu’urgent. Si je vomis, alors, adieu tous vos complots, toutes vos machinations emberlificotées. Je vais perdre la face devant ce roi; j’y suis à deux doigts. Je ne peux plus supporter et ce repas trop long et trop lourd et cet homme puant, véritable monstre de laideur, de crasse et de ruse!
- Delphine, bon sang! Maîtrisez-vous! Ordonna Fermat sèchement tout en relâchant son étreinte mentale sur Beauséjour.
- J’ai un puissant haut-le-cœur là! Je vais dégobiller!
N’y tenant plus, au bord de l’esclandre, la jeune comédienne esquissa un mouvement. Son teint brouillé et ses yeux éteints révélaient la profondeur se son malaise. Delphine ne mentait pas à cet instant. À la même seconde où la jeune femme se levait, Saturnin, quasiment assoupi, s’affala brusquement sur son assiette, éclaboussant ainsi ses plus proches voisins de sauce et du vin de son hanap qu’il avait renversé par la même occasion. Olivier le daim figurait parmi les principales victimes. La reine Charlotte de Savoie ne fut pas non plus épargnée.
Cet incident avait été délibérément provoqué par Gana-El afin de tirer d’embarras la délicieuse Delphine.
- Sire, veuillez pardonner au sénéchal de Beauséjour son intempérance! Articula avec aplomb Daniel Lin, tout souriant au lieu de se montrer confus. Il n’a jamais su modérer sa soif. Ce repas des plus abondants lui aura encore davantage tourné la tête.
- Monsieur Grimaud, je n’ai point pour habitude de placer mes hôtes dans une situation gênante, répliqua Louis avec courtoisie. Conduisez donc ce serviteur dévoué dans sa chambre. Nous nous reverrons demain après la messe en ma chapelle comme il en a été convenu. Quant à vous, madame la comtesse, si le cœur vous en dit, assurez-vous que votre vieux sénéchal est traité avec égards.
Promptement, ne se le faisant pas répéter, la fausse baronne de Sarrieux quitta son fauteuil, balbutia un remerciement sincère qui s’acheva sur une rapide révérence puis sortit à petits pas derrière Daniel Lin. Celui-ci soutenait le corps endormi de Saturnin.
- Je suis réellement malade. Où sont les WC? Marmonna Delphine avec difficultés.
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- Ma chère, désolé de vous décevoir mais ici, en ce lieu et en ce temps, il n’y en a point!
- Dieu du ciel! Encore une de vos maudites plaisanteries douteuses.
- Je vous assure que non Delphine.
- La bile me remonte dans la gorge et la vessie va me lâcher.
- Dans ce cas, puisque vous ne pouvez plus attendre, vomissez derrière cette tenture. Quant à votre vessie, elle tiendra bien jusqu’à vos appartements puisque je m’y emploie.
- Quoi? Oh! Vous… vous mériteriez que je vous boxe la figure! Malappris! Goujat!
- Pourquoi donc? Il me semble pourtant que je me montre fort civil. Vous auriez sans doute préféré vous soulager entièrement derrière la tapisserie ou… je puis me tourner, vous savez…
- N’’en rajoutez pas, je vous prie!
Cramoisie de honte, Delphine se rendit partiellement cependant à la suggestion de l’ex-daryl androïde. Dissimulée donc derrière une tenture évoquant une chasse au chevreuil, la comédienne, oubliant tout savoir-vivre, rendit son trop copieux repas durant deux longues minutes. Puis, sans façon, elle essuya ses lèvres sur le tissu poussiéreux.
- Allez-vous mieux? S’enquit Dan El quelque peu amusé mais tâchant de ne pas trop le montrer.
- Quand cesserez-vous de vous moquer de moi? J’ai failli perdre ma dignité!
Daniel Lin voulut dire « que failli » puis, se ravisant, lança:
- Vous essuyer le visage sur cette tapisserie imprégnée d’urine est moins grave à vos yeux que perdre votre contrôle.
- Plaisantez-vous une nouvelle fois Daniel Lin?
- Nullement. Ne sentez-vous donc pas ces effluves acides caractéristiques?
- Euh… je crois bien que je vais m’évanouir…
- Un peu de tenue, Delphine. Des valets s’en viennent chargés du quatrième service.
Piquée au vif, la comédienne se reprit, pressa le pas et gagna les appartements mis courtoisement à sa disposition par Louis XI. Derrière, le commandant Wu suivait, sans hâte, examinant les corridors avec attention, quelque peu intrigué. Certaines irrégularités dans l’agencement des briques suscitaient sa méfiance.
«  Tiens! Tiens! Pensa le jeune Ying Lung. Des caméras et des micros de facture helladienne. Quoi de plus normal après tout! Ce sire de Commynes, ou plutôt de son véritable nom Spénéloss ne va pas tarder à nous rendre visite ce soir. Hé bien, je saurai ce qu’il veut sans me fatiguer et ce que son gouvernement cherche ici. Cette chronoligne sens dessus dessous n’a pas fini de m’étonner ».
- Daniel Lin, reprit Delphine, malgré tous vos talents, vous êtes soumis aux mêmes contingences que moi, que l’humanité ordinaire, n’est-ce pas?    
- Allez droit au but, ma chère…
- Comment faites-vous lorsque vous avez besoin de…
- J’anticipe, je prends mes précautions, tout simplement! Avant de participer à ce « festin » - je mets des guillemets là, voyez - j’ai éliminé mes déchets.
- Où?
- A bord du Vaillant.
- Vous auriez pu m’avertir du manque navrant de confort de ce château.
- Il me semblait que c’était évident. L’histoire n’était pas votre matière préférée à l’école, Delphine. Ne me mentez pas.
- Euh… c’est-à-dire que l’on abordait pas des sujets aussi triviaux que les cabinets d’aisance…
Sur cet aveu, DD fut prise en charge par sa consœur Pauline Carton. Elle put ainsi rafraîchir son visage, ôter son lourd et encombrant costume si clinquant et surtout, vider enfin sa vessie. Pendant ce temps, Dan El s’occupait de Beauséjour. Il coucha le bonhomme dans un grand lit aux draps propres, dépourvu de punaises, puces et autres parasites et s’assura qu’il dormirait paisiblement jusqu’au lendemain matin.

***************

En fait, ce fut au petit matin que le sire de Commynes se présenta à la porte des appartements de la comtesse de Mons. Mais la jeune femme dormait très profondément et n’entendit donc pas le conseiller de Louis XI gratter discrètement à la porte. Cependant, Pauline Carton, qui souffrait d’insomnie - disons à la suite d’un méga décalage horaire - avertie, ouvrit l’huis tout en maugréant. La comédienne, des papillotes dans les cheveux, vêtue d’une chemise de nuit en pilou, tout à fait anachronique, pieds nus sur le parquet, fit d’une voix maussade:
- C’est pourquoi? En voilà une heure pour déranger les honnêtes gens!
- Puis-je parler à la dame de Sarrieux? Ou à défaut au sieur Grimaud?
- Ben tiens! Messire se croit tout permis parce qu’il a l’oreille du roi.
- Je vous assure qu’il faut que je voie expressément votre maîtresse.
- On dit ça. Bah! Que risque « Danielle » après tout? Vous portez un anneau de mariage à votre doigt. Dans ce cas, entrez donc monsieur…
- De Commynes, sire d’Argenton.
- Faites.
Pauline s’effaça devant le seigneur de haute taille. En trottinant, elle s’avança jusqu’à la petite pièce adjacente qui servait en quelque sorte d’antichambre. Daniel Lin se tenait déjà debout sur le seuil, parfaitement éveillé et un léger sourire narquois sur les lèvres.
- Merci, Pauline. Maintenant, tâchez de dormir tout votre saoul. 
 http://medias.unifrance.org/medias/16/226/57872/format_page/pauline-carton.jpg
- Pff! C’est bien gentil à vous de vous soucier de moi, Daniel Lin. Mais je n’ai pas de valium à ma disposition dans ce gourbi!
La Carton n’attendit pas la réponse du commandant Wu. Avec un haussement d’épaules ostensible, elle se retira, décidée à achever un tricot très utile pour les matins frisquets de l’Agartha.
Spénéloss, qui avait l’ouïe particulièrement fine, n’avait rien perdu des propos brièvement échangés. Par contre, le sens de certains termes lui avait échappé.
- Asseyez-vous, monsieur de Commynes, dit Dan El fort à l’aise. J’attendais votre visite depuis hier soir. Vous avez un peu tardé. Votre épouse sans nul doute qu’il a fallu prévenir. La semi-pénombre ne vous dérange pas, je présume…
- Non, messire Grimaud. Je possède la particularité d’être nyctalope.
- Tout comme moi mais pas pour les mêmes raisons.
- Donc, vous espériez ou redoutiez ma venue…
- Bien évidemment! « Danielle » a ignoré mes conseils. Elle s’est affublée du titre de comtesse de Mons alors que je l’avais mise en garde. Pour elle, ce nom sonnait agréablement à l’oreille. Or, je savais que vous seriez présent en ce château de Plessis-Lez-Tours en cette année.
- Hem. Ayant servi le riche et puissant Charles de Charolais, présentement duc de Bourgogne, je ne pouvais que connaître avec exactitude toute la noblesse figurant à la Cour de mon ancien seigneur. Adonc, vous avouez être un imposteur ainsi que votre maîtresse…
- Oui monsieur, asséna avec aplomb Daniel Lin.
- Pourquoi vous êtes-vous présentés devant le souverain du royaume de France? Pour lui soutirer des terres? De l’argent? Votre figure me paraît pourtant honnête et agréable. De plus, vous semblez posséder vos lettres et n’avez rien de commun avec les brigands qui sévissent habituellement dans ces contrées.
- Aucune personne faisant partie de l’escorte de « Danielle » n’est dotée de mauvaises intentions. Je n’ai rien d’un malandrin comme vous le pressentez et l’argent ne m’intéresse pas.
- Alors, que cherchez-vous?
- Et vous, Philippe de Commynes? Ou dois-je plutôt vous nommer Spénéloss d’Hellas?
- Euh…
- Voyez comme il m’a été facile de percer à jour votre identité. En prime, je suis parvenu à vous surprendre, ce qui est extrêmement rare pour ceux de votre race.
- Je…
- Restez donc assis, monsieur. Je vous jure que je n’en veux nullement à votre vie. Comment expliquerais-je ensuite la présence de taches de sang jaunes sur le parquet?
- Ainsi, non seulement vous connaissez mon nom mais aussi la particularité des gens de mon espèce. Vous êtes télépathe.
- Entre autres choses…
- Or, aucun humain, du moins à ma connaissance, ne l’est. La Faculté de Deltanis n’a jamais rencontré de Terriens dotés du don de télépathie naturellement.  
- Oh… c’est donc cela qui vous trouble chez moi? En 1473, je reconnais qu’il n’existe pas d’humain amélioré.
- Vos autres compagnons…
- Fermat et Antor possèdent les mêmes talents que moi-même.
- D’où venez-vous donc? De quel monde précisément?
- Vous vous trompez de question. Il fallait demander: « de quand venez-vous »? Ainsi, vous auriez mis le doigt sur ce qui clochait chez moi et mes amis. Oh! Inutile de faire celui qui ne comprend pas.
- Monsieur Grimaud…
- Daniel Lin, s’il vous plaît… Grimaud n’est pas tout à fait un nom d’emprunt mais là n’est pas le problème. Ah! Je préfère passer à l’Hellados, ce sera plus pratique pour vous.
Sans difficulté, Dan El changea d’idiome. Il s’exprimait dans la langue maternelle de Spénéloss avec une aisance époustouflante. Or, certains phonèmes et intonations étaient presque inaccessibles voire impossibles pour les palais humains normalement constitués.
- Venez-vous de Mondani, Melgom ou Castorus?
- Non, bien que j’aie déjà visité ces planètes jadis et ailleurs. En fait, je suis originaire de la Terre tout comme mes amis, mais de la Terre du futur. Plus exactement d’un de ses futurs…
- Voyager dans le temps…
- Ah! Je vois ce que vous voulez m’objecter. Vos scientifiques ont prouvé que les déplacements temporels, si jamais ils s’avéraient possibles, engendreraient de tels phénomènes paradoxaux que ceux-ci déstructureraient l’Univers. Ces paradoxes, produits en cascades conduiraient inévitablement à un collapsus généralisé du Monde… pourtant… Pourtant mes compagnons et moi-même appartenons à un futur lointain pour vous… « Danielle », Delphine de son véritable prénom, la fausse comtesse et baronne, mais véritable comédienne, est originaire de 1939. Sa « servante », de 1938. Elle exerce la même profession. Saturnin de Beauséjour, le sénéchal, vient de l’année 1868, Alban, le héraut, de 1825. Aure-Elise, de 2517 ainsi qu’André, Violetta, Antor et moi-même… je vous fais grâce des autres membres du groupe… 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9c/Danielle_Darrieux_The_Rage_of_Paris.jpg
- 2517? Plus de mille ans dans l’avenir?
- Plus précisément mille quarante-quatre années. Hé oui!
- Vous parlez ma langue avec une facilité déconcertante…
- Je parle toutes les langues, messire de Commynes. Mais je n’y ai aucun mérite, croyez-moi…
- Vous êtes un humain amélioré, hasarda Spénéloss.
- En quelque sorte… mais revenons à votre présence sur cette planète… Donc, votre Haut Conseil vous a expédié ici, sur Terra, en observateur dans un premier temps, en acteur ensuite.
- C’est cela…
- A propos, si ma mémoire est fiable, Velmarr dirige votre gouvernement depuis dix cycles… il ne va pas tarder à céder la main et à … passer de l’autre côté, bref, à « défunter » comme dirait Pieds Légers avec son esprit gouailleur. Dans une décennie helladienne, vous entamerez des négociations avec les Consuls de Castorus. Un accord, satisfaisant les deux parties, sera signé après vingt-cinq ans de retournements, d’interruptions puis de reprises des pourparlers. Les vieilles haines seront enfin définitivement enterrées.
- Dois-je vous croire?
- Oh! Spénéloss! Quel intérêt aurais-je à vous conter une fable? Si vous avez accepté de mouiller votre chemise, c’est bien parce que vos sondes et satellites ont transmis d’étranges données et des images déconcertantes à vos observateurs dans la cité souterraine de Deltanis. Vous avez même capté des émissions d’ondes anioniques et méta ioniques, n’est-ce pas?
- Je l’avoue… Vous êtes particulièrement bien renseigné… à moins que vous ne soyez en train de lire mes pensées…
- Certes, mais votre esprit, présentement, va dans une autre direction… Vous n’avez pas formulé les termes anionique et méta ionique. En fait, je suis un astrophysicien doublé d’un biophysicien…
- Est-ce là votre profession?
- Initialement… mais laissez-moi poursuivre… ensuite, des minis trous noirs sont apparus et se sont multipliés, gangrenant le Système Sol dans un premier temps, puis, par ricochet, celui d’Epsilon Eridani. Ensuite, ses « serpents noirs spiralés » se sont entremêlés, puis ont fusionné pour gagner une autre réalité. Ils ont atteint les dimensions voisines, les sept dimensions que vos physiciens ont théorisées puis réussies à observer.
- Effectivement. Des tempêtes sans précédent ont secoué les cieux d’Hellas. Mon monde natal a également subi une légère déviation de son axe, de l’ordre de deux minutes…
- Oui, c’est logique… de même, le satellite le plus gros de la Terre s’est-il rapproché de la planète-mère de cinq mille quatre cent trois kilomètres… Sol a aussi connu de gigantesques éruptions. Dois-je poursuivre cette énumération?
- Inutile, Daniel Lin… Velmarr, fort inquiet, a ordonné cette expédition…
- Pourquoi? 
- Parce que Plessis-Lez-Tours s’est révélé être la source de ces bouleversements. C’est illogique, inconcevable, mais…
- Alors, vous avez emprunté l’identité de Philippe de Commynes. Avec un peu de chirurgie, je suppose…
- Quelques retouches du visage, je l’avoue.
- Quand s’est faite la substitution?
- En 1467.
- Ah! Tout de même… Mais qu’est-il advenu du vrai?
- Transféré en hôte de marque sur Hellas. Les Helladoï…
 - … se refusent à verser le sang, sauf lorsque « la cause est suffisante », je sais. Donc, présentement, en ce château, bourré de micros et de caméras, à propos, j’ai désactivé les appareils placés dans les appartements royaux ainsi que ceux de cette suite, vous êtes là pourquoi au juste? Monter la garde, voir venir et? Avec votre technologie, encore peu performante, vous escomptez réellement empêcher un nouveau basculement, un nouvel orage? Risible! Alors que vous niez la réalité du Multivers! Tout à fait ridicule.
- Messire, excusez-moi… Daniel Lin, vous aussi, vous poursuivez un objectif semblable, avec des moyens plus appropriés, je ne me trompe pas…
- En quelque sorte, Spénéloss. Toutes ces anomalies, vous les pensiez naturelles? Artificielles? Ah! Artificielles. Avec justesse. Mais bigre! Vous y voyiez un coup des Odaraïens. Absurde! Selon le raisonnement des scientifiques de votre Conseil, leur civilisation à l’agonie, soit dit en passant, elle l’est depuis plus de vingt mille ans, voués à une disparition inéluctable, ces êtres, en se suicidant - noblement forcément - déclencheraient tous ces cataclysmes. Mais, nom d’une pipe, pourquoi s’en prendre à la Terre? Je ne vois pas le rapport!
- Euh… Parce que Binopâa s’est aussi attaqué aux Haäns! Les Odaraïens n’ont pu supporter l’idée d’être supplantés par des vertébrés, des humanoïdes…
- Dans ce cas, pourquoi ne pas attaquer Hellas directement?
- Parce que les Humains sont une espèce plus prometteuse…
- Tiens donc. Seriez-vous en train de reconnaître que les Terriens iront plus loin que les Helladoï dans la découverte et l’exploration de l’espace profond?
- Pour l’instant, ils n’en montrent pas les prémices.
- Admettons la logique de ce raisonnement. Mais Plessis-Lez-Tours et Louis XI?
- Je reconnais mon ignorance.
- Hum… Que pensez-vous de la mort du petit dauphin Charles?
- Pourquoi ce brusque changement dans la conversation? Chercheriez-vous à me déstabiliser?
- Mais tout est lié, Spénéloss, ne le voyez-vous pas? Répondez à ma question.
- Ce décès est gênant, fort gênant. Mon Sire roi Louis veut casser la loi salique.
- Loi de circonstance, inventée au siècle dernier…
- Certes… Mais en agissant ainsi, - a-t-il le choix? - il rallume la guerre avec l’Anglais et ranime la Ligue du Bien Public. Monseigneur de Bourgogne, allié au frère du roi de France et au jeune duc d’Orléans, recueillera les fruits de cette erreur.
- Vous n’approuvez donc pas « votre » souverain.
- Quelle autre solution se présente à Monseigneur Louis? Reconnaître Orléans comme son héritier potentiel? Guyenne est fort malade. Les médicastres disent qu’il ne passera pas l’été. Certains Grands, mal intentionnés, chuchotent et parlent à mots couverts d’empoisonnement.
- Bref, l’Universelle Aragne se trouve dans un sale guêpier.
- Louis XI, très pieux, superstitieux même, peut parfois faire preuve de ruse et de cruauté, mais l’époque veut cela et la nature humaine également. De là à empoisonner son frère, il y a de la marge!
- Mais s’il avait fait part de son souhait de voir Berry mort à Olivier le Daim par exemple?
- Il est vrai que messire le « barbier » se montre plus direct et plus brutal.
- Ah! Vous ne pensez pas au poison mais aux spadassins et à un coup de dague.
- C’est dans ses méthodes. Messire Daniel Lin, vous, qu’envisagez-vous?
- Comme c’est amusant! Maintenant, vous me voyez comme un recours… mieux! Un sauveur!
- Encore de l’ironie! Cette façon de vous moquer, de m’abaisser! Vous êtes bien un humain. Tantôt je doutais. Or, j’avais tort.
- Spénéloss, je vous demande pardon. Sincèrement! J’ai ce défaut que je peine à faire taire depuis toujours. J’aime jouer avec les faiblesses de mes interlocuteurs, plus précisément lorsqu’il s’agit d’Helladoï. Parfois, dans mon arrogance, j’oublie que je peux blesser cruellement des êtres qui ne demandent qu’à être mes amis. Je me crois supérieur… mea culpa. Excusez-moi… mais mon jeune âge réel…
- Votre jeune âge? Vous paraissez cependant avoir trente, trente-cinq ans tout au plus…
- Une apparence, comme vous dites, soyez-en assuré. 
- J’ai oublié. Je ne me sens pas humilié. Que proposez-vous?
- Rétablir l’ordre.
- Je ne saisis pas.
- Les distorsions se produisent parce que le dauphin Charles ne devait pas mourir en 1473. À petit détail, grands effets. Au contraire, monsieur de Guyenne aurait dû reposer en terre il y a plus d’un an déjà, le 24 mai 1472. Tous ces bouleversements sont dus non aux manigances des Odaraïens, d’un Empire agonisant, mais bel et bien aux actions désordonnées d’un seul homme, d’un individu des plus ordinaires mais néanmoins déterminé, un humain particulièrement désespéré amoureux fou de sa défunte épouse. Ce prince Moghol d’un siècle à venir a eu la chance ou la malchance, c’est selon, d’entrer en possession d’un véhicule transtemporel. Or, il en a fait mauvais usage.
- Ce que vous dites est invraisemblable!
- Hélas! Mais pourtant vrai. Avez-vous entendu parler du Baphomet?
- Baphomet: une idole que les Templiers auraient adorée.
- En fait, un moyen de voyager dans le Multivers. Un véhicule mis au point ailleurs par un être surpuissant, transcendant le temps et l’espace, un Homo Spiritus, aboutissement, évolution potentielle de l’humanité actuelle, c’est-à-dire des Homo Sapiens.
- Messire Daniel Lin, vous ne dites pas tout…
- Je me contente de vous résumer, c’est exact. Le problème, plus complexe, prend ses racines par-delà Shah Jahan. Si vous vous engagez à mes côtés, ou encore, si vous promettez de ne pas nuire à mon équipe, eh bien, je vous en révèlerai davantage.
- Vous l’admettez donc.
- Bien sûr. Je n’aime pas mentir. Cela fait partie de mes rares qualités.
- Je voudrais tant vous accorder ma confiance! Prouvez-moi que tous vos propos ne sont pas des affabulations. N’ayez point recours à la coercition mentale!
- Coercition mentale? Ah! Hypnose! Mais pour qui me prenez-vous Spénéloss? Corne brouille s’écrierait Craddock. Je ne mange pas de ce pain-là!
- Euh… pourquoi le décor de la pièce a-t-il changé? Que sont devenus la table, la chandelle, les tentures et le banc?
- Spénéloss, soyez le bienvenu à bord du Vaillant, dans la cabine centrale du vaisseau interstellaire de Symphorien Nestorius Craddock.
- Par les cendres de Vestrak! Nous n’avons pas usé de navette. J’ai bien entendu dire que le télétransfert était en cours de mise au point mais…
- Nous parlons de téléportation à mon époque. Tâtez, touchez tout votre saoul, assurez-vous que tout cela existe, pincez-vous, mordez-vous-même si vous le désirez, tailladez-vous la main, mais admettez que je ne vous leurre point et que ce décor a bien une réalité matérielle et que vous n’êtes pas en train de rêver.
Émerveillé, l’Hellados se leva du tabouret qui avait eu l’heur de le recevoir lors du transfert et se mit à visiter les moindres recoins du vaisseau futuriste. Il y rencontra alors deux humains aussi ébahis que lui de le croiser.

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