samedi 26 juin 2010

Mexafrica 1ere partie : La collection fantastique de Lord Sanders chapitre 6

Chapitre 6.

Avec affabilité, Lord Sanders avait mis à la disposition de Zoël Amsq un vaste grenier que ce dernier s’était empressé d’aménager en fonction de ses besoins. Ce soir-là, le Haän fut cependant distrait de sa tâche par l’arrivée inopinée de deux membres de la dimension Pi, Hepta et Epsilon. Les deux êtres déca dimensionnels surpuissants manifestèrent leur présence soudaine par deux brefs flashs lumineux. Puis, pour plus de commodité, ils s’incarnèrent momentanément, revêtant l’apparence de deux compatriotes âgés du peuple d’Amsq.
A leur vue, le savant ne marqua aucun étonnement, plutôt une mine contrariée.
- Pourquoi cette visite? Demanda Zoël d’un ton acide, dévoilant ostensiblement sa mauvaise humeur. Je pensais, depuis le temps, que vous aviez décidé que je devais me débrouiller sans votre aide!
- Nous sommes ici pour affaires! Ah! Très cher manipulateur! Nous savons que les Velkriss ainsi que la plupart de vos gardes du corps sont partis vous ravitailler en orona. Or, leur mission s’éternise!
- A qui la faute?
- Du calme, Zoël! Nous sommes ici en amis et nous avons jugé bon de vous apporter quelques cristaux pillés dans un passé parallèle. Une petite trentaine de kilos…
- Une trentaine! Bigre! Quelle soudaine générosité! Ainsi, vous avez pris la mesure de mes besoins… Ce ravitaillement est le bienvenu, je le reconnais et je ne vais pas cracher dans la soupe, messieurs! Grâce à votre don des plus tardifs, j’ai maintenant de quoi alimenter douze bio translateurs en marche continue durant cinq ans.
- Zoël, vous ne dites jamais merci, n’est-ce pas? Jeta Hepta Pi.
- Il me semble que j’ai assez marqué ma reconnaissance!
Malgré l’impudence manifeste du chercheur Haän, Pi Epsilon se fendit d’un conseil.
- Vous vous doutez bien que plusieurs bandes rivales vont tenter d’abattre l’Alliance des 1045 planètes…
- Oui, évidemment! Daniel Lin Wu demeure cependant mon objectif premier.
- Puisque vous l’admettez! Lança sarcastique Pi Epsilon. Tâchez cependant d’arriver en vainqueur! Toutefois, vos concurrents sont déjà sur la piste des éléments quatre et cinq.
- Ah! Voilà donc la raison de votre inattendue générosité! S’exclama Amsq avec colère.
Sous l’émotion, le Haän fronça ses sourcils roux épais et broussailleux.
- Nous gardons tout de même l’avantage, n’est-ce pas? Nous avons déjà assemblé et testé avec succès les trois premiers composants.
- Avantage bien fragile! Siffla perfidement Hepta Pi.
- Oui, reprit son frère avec force, enfonçant le clou. Or, Daniel Lin Wu est sur le point de vous les voler!
- Hon hon! Mais mon ennemi a ses griffes plus que rognées!
- Je ne suis pas de cet avis, loin de là, asséna Hepta Pi. Je crois moi, et la dimension est d’accord avec moi, que Merritt a commis une énorme sottise en enlevant la femme de votre daryl! Et vous avez eu l’audace d’approuver, de suggérer même ce plan!
- J’assume cette erreur puisque j’ai démasqué Irina!
- Décidément! Votre haine vous causera encore bien des torts!
- N’utilisez donc pas le futur! Vous aussi ne pouvez tout prévoir! Vous êtes limités que je sache!
- Plus pour longtemps, mon cher! Mais revenons à notre mouton, en l’occurrence, ce Daniel… Il n’est pas seul, du moins autant que vous le croyez… Il a su s’attacher l’aide de nombreux humains, parmi les plus capables de leur espèce, et pas seulement en ce 1890...
- Il est parvenu à mettre sur pied un véritable réseau à travers les siècles, renchérit Hepta Pi.
- Il y a longtemps que je connais les aptitudes à se faire des amis de ce maudit mutant! Rétorqua le Haän. Dans n’importe quelle chrono ligne, il disposera toujours d’alliés dévoués pour me contrecarrer!
- Je vous rassure, Zoël Amsq, susurra Hepta Pi d’une voix onctueuse. Il reste cependant un Univers dans lequel le daryl androïde est dépourvu d’alliés.
- Et c’est dans cet Univers que se trouve l’élément numéro 6, un temps parallèle dans lequel l’Afrique et l’Amérique se sont unies pour donner naissance à la Mexafrica! Rajouta son frère.
- Par la barbe de Tsanu V! Cessez de me prendre pour un demeuré! Hurla Zoël.
- Tss! Tss! Pourquoi cette tempête? A cause de votre orgueil?
- Vous avez accepté de prendre part à mon… jeu! Alors, prenez-moi comme je suis!
- Nous participons à ce jeu parce que les humanoïdes, les humains nous fascinent, avoua Pi Epsilon. Vous, plus particulièrement… Tant de potentiel, de haine, de douleur, et de rejet! Magnifique! Reprenons. Les bandes rivales qui empiètent sur votre terrain de chasse, utilisées à bon escient, instrumentalisées, peuvent créer de sérieux obstacles à votre adversaire et l’empêcher de reconstituer le bio translateur de Stankin.
- Le principal allié du daryl au XX e siècle se nomme Franz Von Hauerstadt, fit Hepta Pi négligemment.
- Vous commencez à m’agacer sérieusement en me fournissant des informations éventées! Le chrono vision m’a montré tout cela depuis une éternité!
- Mmm. Admettons. Actuellement, pas moins de trois adversaires sont déjà sur la piste du Germano-américain. Parmi elles, deux sont franchement hostiles à Daniel Lin Wu. Vous formerez la quatrième équipe. Suivez à la lettre le conseil que la Dimension vous donne gracieusement.
- Avant de vous rendre en 1936 voler l’élément numéro 4 du bio translateur, enchaîna PiEpsilon, éliminez donc d’abord Von Hauerstadt en 1961, année nodale de rencontre des trois autres groupes de chasseurs!
- Pour plus de précision, il s’agit de l’année 1961 de l’Univers 1722!
- Ah! Un dernier détail, dit Hepta Pi, tout aussi peu concerné, voici une photo qui vous réjouira…
Avec une certaine malice amusée, l’être déca dimensionnel tendit au Haän une photographie provenant d’un studio réputé de Londres. Remontant à quelques jours à peine, elle datait du mois d’octobre 1890.
- Ce Daniel Lin a toutes les impudences! Gronda Amsq furieux.
- Tout comme vous, cher Zoël! Cela ne doit pas vous étonner.
- Il a osé se faire tirer le portrait en jaquette, huit reflets et gants blancs dans un passé qui n’est pas le sien!
- Peut-être le jalousez-vous parce qu’après tout, il est plus photogénique que vous!
- Frère, restons sérieux! Ricana Pi Epsilon. Vous localiserez facilement Von Hauerstadt en février 1961 dans les Alpes bavaroises, à quelques lieues de Munich. Le duc y possède un manoir ainsi qu’un fort modeste chalet. Dans la chrono ligne 1722, le germano-américain y organise une espèce de colloque. Quelques personnalités plus ou moins célèbres s’y rendront. Or, comme vous ne pouvez commander à vos gardes du corps de vous accompagner, recrutez donc une main-d’œuvre autochtone entraînée par les humains eux-mêmes… vous savez, des mercenaires, des déserteurs ou des soldats perdus de la décolonisation… Ce n’est pas ce qui manque dans cette période troublée!
- Mais je suis capable de m’en sortir seul avec les sbires de Merritt!
- Vous voulez faire une tentative d’humour? Cher ami, un peu de lucidité, je vous prie! Daniel Lin a amené avec lui ses meilleurs officiers, à commencer par le dénommé Kiku U Tu… sans oublier Fermat, Uruhu, Hillerman, Antor… Redoutable celui-là! Quant aux autres chasseurs, leurs hommes de main appartiennent soit aux paras commandos de l’armée américaine de la fin du XX e siècle, soit aux corps d’élite de l’Armée Rouge et du KGB en 1961, soit encore aux Waffen SS…
- Comment ces derniers peuvent-ils être de la partie? S’étrangla Amsq.
- Ignorez-vous que le Führer était toujours à la recherche des artefacts les plus mystérieux?
- Non, mais…
- Vous comprenez donc que ce ne sont pas quelques petits malfrats, quelques truands de ce Londres victorien qui pourront vous assurer cette manche! Asséna Pi Epsilon. Persuadez Merritt de la nécessité de ce recrutement!
- Vous me reprochez de ne pas avoir gardé à ma disposition une poignée, une phalange de soldats du Corps Impérial?
- Mais non, tout au contraire! Vos guerriers Haäns sont de magnifiques combattants, certes…
- Mais leur intelligence, des plus réduites, laisse à désirer! Proféra Hepta Pi. Merritt ira recruter en 1961 des mercenaires chez les troupes rebelles du Katanga, les soldats de l’ex-Indochine française, de l’Algérie…
- Une petite chose encore… Naturellement, il vous sera interdit de recourir, sauf cas d’extrême urgence, aux armes extraterrestres anachroniques, celles des Velkriss, des Castorii et bien sûr, des Haäns…
- Quel genre d’extrême urgence? S’enquit Amsq.
- La récupération de l’ultime élément aura lieu dans une chrono ligne si déviée seuls des arthropoïdes amphibies de surcroît pourront mener cette tâche avec succès dans ce monde totalement hostile à la gent humanoïde!
- Voyez comme nous jouons franc-jeu!
- Décidément, vous me prenez pour… un enfant de chœur, fit Zoël en français.
- Nous vous dissimulons quelques minuscules détails, émit Hepta , mais vous devrez vous contenter de ce que nous vous avons révélé! N’est-ce pas cher Zoël?
Les deux êtres déca dimensionnels s’éclipsèrent sans coup férir, laissant Amsq perplexe, troublé et toujours aussi en colère.
- Ils savent pertinemment que je parviendrai à reconstituer le bio translateur et à m’en servir! Pourquoi m’aident-ils? Qu’est-ce que cela leur rapporte? Ils connaissent tout de moi, mon passé, mes secrets les plus enfouis à commencer par… stop! Je dois mieux cadenasser mes pensées!

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Océan Atlantique, 1311.
La flotte de pirogues monoxyles progressait inlassablement en direction du couchant malgré les courants marins contraires. Les rameurs frappaient les vagues avec un rythme régulier qu’aucun obstacle ne venait couper ou ralentir. Le griot Goudari psalmodiait un chant d’une voix nasillarde contrefaite qui encourageait les hommes à toujours avancer. Ainsi, les guerriers rameurs parvenaient à oublier la fatigue et les embruns qui fouettaient leurs corps depuis des jours et des jours. Pourtant, les sujets mandingues commençaient bel et bien à avoir l’estomac qui hurlait famine. Du poisson cru, des coquillages pour tout repas depuis plusieurs semaines déjà! Sans parler d’une eau saumâtre! Mais la flotte s’obstinait, et avançait, gagnait toujours vers l’Ouest…
Samba respectait son divin roi - guerrier Abou - Bakari, reconnaissable à sa haute coiffe de plumes et à sa peau de léopard tendue sur un torse qui restait musclé malgré les privations. Le seigneur Mandingue portait sur son visage et sur son ventre les scarifications rituelles. Une obsession qui ne le quittait jamais le poussait à aller de l’avant.
A la royale expédition s’était jointe une véritable confédération de peuples noirs. Bakari avait le sentiment qu’en cédant à son idée fixe, il portait sur ses épaules l’avenir de toute une nation, mieux, de toute son espèce! Et, grâce à ses talents de persuasion, pour une fois unis fraternellement, Bambaras, Toucouleurs, Dogons, Peuls et Mandingues œuvraient de conserve dans cette grande œuvre de conquêtes de nouvelles terres, participant au rêve magnifique du grand roi. Pourtant, les pertes étaient importantes.
Ainsi, de nombreux amis de Samba avaient déjà péri noyés, leur pirogue renversée par les vagues d’une mer océane déchaînée. Une théorie de noms revenait à l’esprit du courageux et fidèle guerrier. Touré, Traoré, Koulibali, Mudi et bien d’autres encore avaient donné leur vie pour cet idéal commun, pour cette folie qui ne tarderait pas à se concrétiser cependant.
Néanmoins, parmi les dieux protecteurs, le renard Ogo des Dogons veillait sur cette expédition qui allait changer la face de la planète. Avec bienveillance, il avait envoyé une bande de dauphins escorter la nation noire dans son aventure et, cette fois-ci, il n’y aurait pas de Pamela Johnson pour contrecarrer les divinités africaines.
Cependant, recru de fatigue, Samba commençait à douter. Il est vrai qu’après cinquante jours de navigation, l’atroce faim le tenaillait et la soif le torturait, griffant sa gorge desséchée. Sa peau, rongée par le sel, se desquamait. Ses plaies à vif le brûlaient, ajoutant encore à sa souffrance. Il n’était pas le seul à être dans ce triste état! Ses compagnons de misère lui ressemblaient.
Et toujours aucune terre à l’horizon!
Ce matin-là, certains jeunes guerriers, parmi les plus impatients, marmonnaient et grondaient discrètement de colère. Ils pensaient que ce n’étaient plus les esprits des Ancêtres, mais bien la folie qui guidait le roi! Ils complotaient. Si leur quête n’aboutissait pas le soir même, ils avaient décidé de faire demi-tour!
Or, sans coup de trompette, sans tonnerre, sans éclat, se produisit le miracle tant espéré du renversement des horizons! Juste le temps d’un soupir et la terre devint ciel et le ciel terre! Tous les piroguiers perdirent alors conscience en même temps. Lorsque l’instant de l’éveil survint, Sambareh, wékil de la galère, s’écria avec joie, ses yeux inondés de larmes:
« Terre! Terre tout droit en vue! »
Au-dessus des pirogues, dans le ciel, des mouettes voletaient et criaillaient. Des pirogues? Oh que non! Une flotte tout entière de trières lourdement armées, qui n’avaient plus rien de primitif! Les capitaines et les amiraux bénéficiaient désormais de millénaires d’expériences.
Avec un soulagement évident, l’Horus Moro Naba Bakari-Taharka V ordonna à sa puissante armée de préparer le débarquement. Pour commencer, les bâtons à naphte furent chargés, les lances astiquées ainsi que les larges épées de fer. Dans d’immenses jarres, de l’huile attendait d’être chauffée; Ouareb en alluma les feux de pierres à silex.
Pendant ce temps, le conseiller de l’expédition, l’ineffable vizir M’Burusis, scrutait l’horizon lointain à l’aide d’un étrange appareillage, un long bâton muni de deux verres loupes à chaque extrémité, bref une lunette. Ainsi, il voyait s’agiter distinctement sur les rives d’étranges hommes à la peau cuivrée, vêtus de simples pagnes qui, au contraire des traditions nubiennes ou mandingues, n’étaient ni tissés ni drapés. Certains paraissaient armés. D’autres ressemblaient à des hommes oiseaux recouverts d’un plumage multicolore. Ils criaient d’incompréhensibles paroles qui ne parvenaient pas aux oreilles du vizir.

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Vaisseau Langevin, situation critique. Benjamin appliquait à la lettre les ultimes conseils de son commandant. Il avait pu aussi observer sur son écran sphérique l’amiral ennemi commandant l’expédition guerrière des Velkriss, des Haäns et Castorii. La mante religieuse géante, sa chitine d’un vert à rendre malade, savait utiliser la dissuasion avec une subtilité des plus relatives. Pour intimider les vertébrés du vaisseau de l’Alliance des 1045 planètes, elle montrait en direct à Sitruk comment Naor avait été vaincue. En fait, il existait un décalage de dix-huit minutes entre ce qui se produisait sur la planète des hommes arbres et ce qui était diffusé sur la passerelle du Langevin. La distorsion de l’image en relief était due à la distance immense séparant Naor et le vaisseau scientifique. Celle-ci se mesurait en centaines de parsecs!
Des nuées de sauterelles géantes avaient envahi le ciel de l’infortunée planète et, maintenant, s’abattaient sur les autochtones, les dépeçant avec une splendide et cruelle indifférence. Forts démunis face à ces prédateurs gigantesques, les Naoriens n’avaient pas le temps de se muer en larves afin de réchapper tant faire se peut au massacre de masse! Impitoyablement, ils étaient dévorés par les Velkriss car la cellulose qui constituait la matière principale de ce peuple pacifique représentait un aliment de choix pour les sauterelles tueuses.
En quelques minutes à peine, il ne resta donc des Naoriens qu’un réseau interne de nervures plus ou moins complet. Certains insectoïdes, plus sybarites que l’ensemble de leurs congénères, pompaient avec délice la sève du peuple arbre. Ce vampirisme effectué avec art et délectation par les soldats cigales avait pour résultat d’assécher en quelques secondes l’intérieur des humanoïdes arbres. Et bien sûr, les victimes n’avaient aucune chance de riposter! Le temps d’un soupir, elles se pétrifiaient ou tombaient en poussière.
De leur côté, les guerriers femelles, munis d’aiguillons, piquaient leurs proies dans le but de les paralyser le plus rapidement possible, puis creusaient ensuite une cavité dans les corps immobilisés dans lesquels ils pondaient leurs œufs avec leur tarière. Après l’éclosion qui survenait presque aussitôt, les larves n’avaient plus qu’à dévorer leur nid de l’intérieur. Mort des plus horrible pour ces Naoriens! Il valait mieux pour eux finir leur existence désarticulés et décapités par les mandibules de ces monstrueuses mantes religieuses!
Pourtant, ce spectacle des plus abominables ne fit pas même sourciller Benjamin Sitruk. Ses trente ans de service dans la flotte lui avaient appris à dissimuler ses réactions en présence de l’ennemi. Il avait reçu des ordres et les exécuteraient coûte que coûte, un point c’est tout! Avec ruse, il obtint un nouveau délai de la reine pérégrine des Velkriss;
- Vous avez dix minutes standard pour abaisser vos boucliers et vider vos batteries, faisait la souveraine dans son langage particulier constitué de crissements, de cliquètements et de grattements. Sinon, vous subirez le sort de Naor!
L’humain hocha la tête en signe de soumission feinte. Bien évidemment, il allait mettre à profit ce laps de temps obligeamment concédé pour mettre en œuvre la tactique suggérée par le commandant Wu. Il n’avait plus rien à perdre, sauf la vie! Il allait se battre jusqu’au bout, leurrer ses adversaires implacables et transformer le Langevin en un piège mortel pour les intrus.
La première phase du bluff commença donc. Sitruk n’attendit pas la fin de l’ultimatum, et, sournoisement, de son index levé, anticipant l’attaque des Velkriss, ordonna à Chtuh le saut quantique à froid, manœuvre, on se le rappelle, des plus hasardeuses, pourtant exécutée avec brio qui parvint à positionner le Langevin juste sous l’immense vaisseau essaim. Désarçonné, l’ennemi mit du temps à réagir. Alors, Benjamin hurla:
« Feu! ».
Chtuh et Warchifi tout aussi déterminés, lui répondirent avec un bel ensemble :
- Oui, monsieur!
Les consoles tactiques savaient où frapper. Elles avaient en mémoire les configurations spécifiques des vaisseaux Velkriss. Les rayons plasmatiques atteignirent une des nurseries de l’essaim. Des ouvriers insectoïdes furent littéralement fondus par l’arme meurtrière. D’autres encore brûlèrent ou éclatèrent à cause de la trop forte chaleur; il sortait alors de la chitine ainsi martyrisée la pulpe interne, blanchâtre et gluante qui, aussitôt, se carbonisait.
Dans les alvéoles, c’était l’enfer ; des milliers de larves grésillaient pour se consumer sous la chaleur intense atteignant facilement les 1800°C!
Hélas! Benjamin n’avait réussi qu’à détruire une des nurseries contenant des larves au stade trois de leur développement! Pour comprendre ce demi échec, il faut savoir que le vaisseau ennemi comprenait de nombreuses couveuses réparties en catégories distinctes, et ce, sur les autres niveaux de l’essaim. Ces larves passaient par des stades numérotés de 1 à 4 et concernaient tout d’abord les œufs non éclos, puis les nymphes avec trois niveaux différents de développement.
Après cette première semonce, l’alerte mauve résonna enfin sur le vaisseau essaim. Immédiatement, les boucliers renforcés se positionnèrent. Parallèlement, à l’extérieur, une escadrille de raptors Haäns et de prédateurs Velkriss et Castorii se reconfigura afin d’empêcher le Langevin de sortir de la protection du vaisseau mère ennemi!
Chérifi réagit promptement.
- Monsieur! Prévint-il. Les Velkriss risquent d’opter pour une tactique quasi désespérée. Abandonnant leur termitière touchée et bientôt invivable, ils vont se réfugier ici!
- Une invasion reproductrice! J’en ai tout à fait conscience, lieutenant! Répondit Sitruk avec force. Je cours le risque! De toute manière, ils n’en sont pas encore là! Pour que les guerrières pondeuses se téléportent, il faudrait une faille dans les différentes couches magnétiques de notre bouclier. Or, ce n’est pas le cas! Maintenant, lancez les leurres prévus. Ils nous permettront de nous décoller de l’essaim termitière.
- A vos ordres, monsieur! Fit Chérifi plus calme que jamais.
Une légère secousse interrompit cependant le nain irakien.
Warchifi s’exclama:
- Tirs concentrés de raptors et de Praedators sur 360°. Bouclier avant tombé à 53%! Celui de l’arrière tient avec encore 61%!
- Renforcez les couches avant par les champs Zêta 14 et Thêta 24! Ordonna Sitruk de plus en plus échevelé. Et compensez à l’arrière par les Epsilon 18 et les Omega 11!
Se tournant vers Chérifi, le commandant par intérim poursuivit d’un calme toujours olympien en dépit de sa tenue débraillée:
- Torpilles à bosons, tubes 9 et 12! Lieutenant, tirs groupés selon la séquence Gamma, Thêta, Lambda, Mû, comme à l’exercice! Quant à vous, Chtuh, manœuvre de dégagement numéro 5!
La torpille sortant du tube 9 eut pour résultat de détruire un tiers de la flotte ennemie. Le restant parvint à s’occulter tant bien que mal. A l’extérieur, les étoiles disparurent soudainement, comme effacées par un coup de chiffon vengeur! Quant à la torpille crachée par le tube 12, elle fut capturée par un micro trou noir! Cette anomalie était-elle le fruit de l’explosion quantique? Absolument pas! Les  l’avaient générée! Enfin, ils s’étaient décidés à intervenir dans le combat.
A ce coup de maître, Benjamin, une fois encore, ne montra aucune émotion. Au contraire, s’emparant du poste de pilotage de Chtuh, il parvint habilement à faire surfer le vaisseau sur les forces d’attraction du mini trou noir! Comme on le voit, le Langevin bénéficiait de contrechamps gravitationnels d’une puissance et d’une efficacité inouïe, mais ses superstructures grinçaient d’une manière insupportable! Les compensateurs inertiels, fort malmenés, avaient du mal à suivre.
Cependant, l’audacieuse manœuvre réussit! Warchifi essuya son front inondé d’une sueur glacée. Chtuh marmonna:
- Monsieur, qui nous a aidés à nous dégager? Nous avons frôlé la bouche de l’enfer!
- Moi! S’exclama alors joyeusement Penta Pi, faisant soudainement son apparition dans le centre de commandement. Comme vous le voyez, je garde encore quelques tours dans ma manche!
Nonchalamment, l’être déca dimensionnel souriant, béatement, s’étendit aux pieds du capitaine.
- Merci pour cet acte généreux, n’eut pas d’autre choix de répondre Benjamin.
Dans son for intérieur, Sitruk ne savait s’il devait se réjouir ou s’inquiéter des pouvoirs revenus à la semi entité. Chérifi lança un cri d’alerte.
- Nébuleuse à trois heures!
- Enfin! Siffla Sitruk. Cachons-nous y! Hyper luminique 7. Exécution!
Penta  s’étira paresseusement, se releva puis murmura:
- Bonne tactique, capitaine. Elle me rappelle un vieux feuilleton, un de ces vieux machins bidimensionnels. Mais, bien sûr, vous n’étiez pas né! Cependant, j’ai le regret de vous dire qu’avec mes frères dans le combat, le Langevin ne restera pas longtemps à l’abri, hors de portée de l’essaim! Les prodigieux talents des miens peuvent très facilement détruire les multiples couches de vos boucliers, puis y créer une brèche avant que vous ne vous aperceviez de quoi que ce soit! Les Velkriss auront alors tout le loisir de venir pondre leurs œufs dans vos hangars et vos laboratoires!
- Ganelon! De quel côté êtes-vous donc? S’écria rageusement Benjamin.
- Mais du vôtre, très cher, du vôtre!

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Naturellement, Daniel Wu avait été informé de l’enlèvement de Louise de Frontignac et d’Irina Maïakovska. L’exécution de son plan s’en trouvait retardée. Petit détail supplémentaire qui ajoutait à la contrariété du daryl androïde: les transpondeurs du capitaine étaient en panne ou soumis à un fort brouillage. Cependant, le commandant affichait un calme zen des plus remarquables. Un peu comme s’il s’était attendu à ce coup du sort.
Ufo gigotait dans les bras de son maître. Lui n’était pas dupe de l’attitude affectée de Daniel. De plus, le chat voulait se dégourdir les pattes et miaulait, gémissait afin d’être libéré au plus vite! Enfin, le daryl le lâcha. Tout heureux de cette liberté recouvrée, le félin s’étira voluptueusement, étala ses griffes pour ensuite gambader dans le salon, se frottant contre les jambes masculines de l’assistance. Il finit par atterrir sur une table, évitant soigneusement les objets ornant le meuble. Flairant de ci de là, la noble bête stoppa devant une coupelle contenant des chocolats. Prestement, il fit bondir une friandise dans sa gueule pour la gober illico! Cependant, le chat goinfre ne put s’empiffrer davantage car André Fermat le saisit par la peau du cou et le maintint fermement sur ses genoux.
Pendant les facéties de son animal familier, Daniel Lin avait médité, examinant sous tous les angles la solution préconisée par son ex supérieur et le dinosauroïde Kiku U Tu. Pour Fermat, il allait de soi qu’il fallait riposter immédiatement. Puisque Amsq s’était dévoilé, tant pis pour lui! Uruhu comme à son habitude, avait émis un avis des plus prudents. Judicieusement, il avait fait remarquer que jamais le Haän n’attenterait à la vie de si précieux otages.
Daniel savait pertinemment que son pilote en chef avait raison mais le Néandertalien oubliait la donne Merritt. C’était pourquoi Tellier et Antor conseillaient la ruse. Ils avaient fait valoir qu’il fallait s’attaquer au maillon faible de l’adversaire, en l’occurrence Lord Sanders.
- Otage contre otage! Avait proféré Frédéric durement. Jetons nos scrupules d’êtres civilisés aux orties! Je vous rappelle que Merritt ignore le sens de ce mot!
- Certes! Avait alors répliqué Fermat. Mais une attaque en force serait bien plus efficace!
- Pas d’accord! Avait réfuté Antor. Merritt, dois-je insister là-dessus, bénéficie du soutien des Haäns du XXXe siècle. Et je ne signale même pas l’aide de la dimension ! Je suppose donc qu’il a à sa disposition des moyens techniques plus que formidables!
Daniel Wu avait écouté en silence ces propos, hochant parfois la tête. Il s’imbibait des paroles de ses amis et subordonnés tout en choisissant une stratégie personnelle. En même temps, une partie de son cerveau évoquait un souvenir ancien paraissant se rattacher à son grand-père, Li Wu. On le sait, le philosophe aimait à s’adonner à de multiples expériences repoussant les limites de résistance de son corps et de son esprit.
Île d’Hokkaido, la propriété familiale des Wu depuis des éons, un jour du mois d’août. Le maître de thé d’origine Aïnou venait d’achever de servir son maître selon le rite ancestral. Poliment, le vieux sage chinois remercia le domestique. Pourtant, le lettré ne semblait pas pressé de boire la boisson fumante et parfumée. Il laissa même le bol refroidir tandis qu’assis sur la terre en position du lotus, ses yeux regardaient droit devant.
Li Wu prenait son thé, installé dans un jardin zen au sol constitué de sable aux couleurs grège et magnolia. Le soleil miroitait dans un ciel sans nuages. La chaleur de l’été allait jusqu’à brouiller l’horizon. Le sol nu ne comportait aucun élément de distraction.
Au centre du jardin, une seule pierre noire, mate et lisse, de forme ovoïde, était disposée savamment afin d’aider le sage à concentrer ses pensées. Son esprit aspirant alors au vide, le philosophe ignora la grue cendrée qui venait juste de se poser à ses côtés et qui, patiemment, faisait sa toilette.
Soudain, un bambin haut comme trois pommes, sa tignasse auburn en désordre, courut quelque peu précipitamment jusqu’à son grand-père. Ses yeux curieux ne laissaient échapper aucun détail. C’est ainsi qu’il constata non sans surprise que Li Wu laissait refroidir son thé et ne semblait nullement dérangé par la présence de la grue qui, maintenant, picorait la barbe du vieil homme!
Avec espièglerie, le garçonnet lança un « broouu » sonore en direction de l’oiseau, qui, apeuré, s’envola aussitôt en poussant un cri de déception.
- Pourquoi as-tu agi ainsi? Demanda Li Wu de sa voix sans timbre.
- Grand-père, comme tu étais plongé dans tes pensées, je pensais que la grue te gênait. Comment as-tu pu me remarquer?
- Ah! Daniel, mon enfant, c’est mal à toi de chasser nos frères qui volent!
- Ce n’est pas mon avis! Je ne voulais que jouer! Je n’arrache pas les plumes des oiseaux, moi!
- Il est vrai que tu n’as point le fond cruel. D’autres diraient que c’est de ton âge de capturer des grenouilles, de lancer des pierres sur les pigeons, de chasser les roitelets et autres volatiles, de gober les œufs des sansonnets… Mais pour moi, ces excuses sont bien vaines! L’homme, mon enfant, ne doit aspirer qu’à une chose: l’annihilation de tous ses désirs afin d’atteindre le vide intérieur qui n’est que la perfection!
- Grand-père, je ne comprends pas! Répondit Daniel de sa voix flûtée. Explique!
L’enfant, s’asseyant en tailleur auprès de l’ancêtre attendit que le sage lui répondît.
- Mon enfant, tout être pensant doit chercher à s’unir au principe universel. Les Occidentaux l’appellent Dieu. Mais pour atteindre la perfection, il faut à l’Homme, modeste et inachevée créature, araser en lui tout ce qui le rattache à la terre: le paysage, les êtres vivants, les sentiments qui le lient à sa famille…
- Grand-père, je ne suis pas d’accord! Répéta avec force le prodige. Je ne suis pas d’accord avec ce que tu viens de dire!
- Et pourquoi donc?
- Cela signifie que tu n’aimes personne dans ta recherche de l’Absolu!
- Bien au contraire, Daniel! Le vide momentanément obtenu dans son esprit renforce l’homme et lui permet de combattre avec succès la solitude et le mal.
Revenant au présent, le commandant Wu trancha.
- Antor, j’approuve ta solution. Otage contre otage! Tant pis pour le maillon faible! Il nous sera d’autant plus facile d’enlever Lord Sanders que Merritt ne quitte plus sa demeure.
- Et pour cause! Siffla Fermat.
- Tâche de suivre télépathiquement Lord Percy. La suite me regarde.
Tellier objecta.
- J’aimerais connaître les détails.
- Je regrette mais vous serez informé en temps utiles.
Ayant ainsi mis fin cavalièrement au conciliabule, le commandant Wu se leva et se dirigea vers le chrono vision tout en récupérant Ufo au passage. Son visage impavide ne reflétait absolument pas la tempête qu’il vivait sous son crâne.

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En 1978, une semaine s’était écoulée depuis la rencontre entre Adelphe-Fiacre de Tournefort et le trio d’adolescents casse-cou. Avec délicatesse, le professeur Giroux avait été contacté. Enthousiasmé par ce nouveau défi, il avait donné son accord. Chez les Despalions, c’était le branle-bas de combat. Les chambres étaient transformées en un véritable capharnaüm. Ivan, Pacal et Geoffroy préparaient activement leur prochain départ pour la Bavière en février 1961, emplissant de gros sacs à dos de tas de vêtements chauds et d’objets apparemment hétéroclites tout en se documentant sur la région et en potassant la langue de Goethe.
Pacal, qui n’était pas doué pour les déclinaisons germaniques et redoutait les pièges de la grammaire allemande, objectait:
- A quoi bon tout cet effort intellectuel? Dois-je vous rappeler que le duc maîtrise parfaitement le français et l’anglais?
- Ah oui! Répliqua Ivan sarcastique. Tu supposes assez naïvement que la plate-forme va nous déposer directement dans sa propriété!
- Bof! Fit Geoffroy. Nous n’avons qu’à contacter Von Hauerstadt par téléphone et lui demander poliment l’autorisation de camper dans son parc dans le passé! Ainsi, le tour sera joué.
- Splendide! Vraiment! Pouffa Ivan. Mon vieux, l’âge te rend sénile! Hauerstadt vit aujourd’hui en Nouvelle-Zélande! Tu as son numéro de téléphone sans doute! Ligne sur liste rouge, gardes du corps, et tout le toutim… Cet aristo est intouchable! Alors, pour le contacter, tu repasses!
Mais ne s’avouant pas vaincu, Geoffroy revint à la charge.
- Si le duc est sur liste rouge, sans doute pas ses filles! J’ai lu quelque chose sur les jumelles il n’y a pas longtemps… L’une est une styliste célèbre qui fait la pige à Mary Quant et à Pierre Cardin, et l’autre tient une école de danse fréquentée par la haute friquée du centre de Londres.
- Ah ouais, tu as raison… Approuva Pacal. C’était sur Paris Match du mois dernier. Liliane et Sylviane n’ont que vingt-deux ans. On peut dire qu’elles ont sacrément réussi!
- Pff! Le fric de papa et ses relations les ont aidées! Répliqua Ivan. Récapitulons nos problèmes matériels. Où en est la technique, Geoffroy?
- La plate-forme est en train d’être testée par le professeur Giroux. Tu connais sa prudence légendaire. Tout le reste, les tentes, les sacs de couchage, les magnétophones, les appareils photos, les boîtes de conserve, ça roule! Les difficultés viennent plutôt de la monnaie.
- Pourquoi? S’exclama Pacal innocemment.
- Un Mark reste un Mark que je sache! Émit Ivan.
- Oui, sans aucun doute, mais les marks imprimés aujourd’hui ça va choquer l’autochtone de 1961! On va nous prendre pour des faussaires!
- Alors, comment fait-on? S’enquit l’Amérindien.
- Giroux a un ami numismate, renseigna le brun adolescent. Il va nous fournir les billets, mais il nous faut attendre un peu.
- A quand donc le départ pour la Bavière? S’inquiéta Ivan.
- Sans doute à la fin de la semaine, sauf contrordre du professeur Giroux lui-même.
- Cela nous laisse le temps d’améliorer notre allemand, sourit le plus âgé du trio.
Cependant, dans le Quartier latin, Adelphe- Fiacre profitait de cette belle après-midi de mai. Il flânait distraitement dans les rues arborées. Ses pas le conduisirent jusqu’au Jardin des Plantes. Mais le vieil homme, toujours dans la lune, traversa hors du passage clouté, rue Soufflot. Quelle imprudence! Une limousine noire jaillit alors fort à propos et renversa le sympathique personnage. Sans demander son reste, le conducteur assassin s’enfuit. Comme vous l’avez compris, le coup était prémédité et avait été accompli par un représentant de l’Empire du Milieu, reconnaissable à son teint cuivré et à ses yeux bridés. Un joueur inattendu entrait dans la partie!

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Notre trio apprit avec tristesse la mort d’Adelphe-Fiacre par la presse le lendemain matin. Le vieux savant était mort sur le coup, ses pires craintes concrétisées. Ivan comprit que l’expédition allait être risquée, bien plus que ce qu’il avait envisagé. Un délicieux frisson d’angoisse lui parcourut l’échine. Néanmoins, il demanda à ses compagnons:
- On annule tout ou on y va?
Geoffroy qui frémissait d’impatience, répondit abruptement:
- Ce serait la première fois que je reculerais! Je ne suis pas un couard!
Pacal fit la moue mais renchérit:
- Je ne vais pas rester en retrait. A nous de nous montrer aussi prudents que le serpent!
Les trois adolescents prirent donc le train en direction de Munich, gare de l’Est. Dans le compartiment de première classe dans lequel ils s’installèrent, ils scrutèrent les voyageurs qui les accompagnaient, mais ne remarquèrent rien de suspect. Leurs suiveurs s’étaient montrés beaucoup plus circonspect qu’eux.
En gare de Munich, comme prévu, le trio fut accueilli par le professeur Giroux en personne. Tous quatre empruntèrent ensuite une voiture, une Mercedes naturellement, qui les mena jusqu’à un champ anodin loué à un éleveur. Toutefois, ce champ avait la particularité de se situer à vingt-cinq kilomètres à peine de la propriété de Von Hauerstadt.
Sur le terrain, une quinzaine de techniciens s’activaient déjà et affinaient les derniers réglages de la plate-forme permettant le transfert temporel. Le coin, assez agréable, voyait défiler de nombreux touristes « japonais » munis d’appareils photos et de caméras huit millimètres.
Enfin, après six heures d’attente et de préparatifs minutieux, le trio put monter sur la plate-forme sans la moindre appréhension, les électro-aimants sous tension. Chaque adolescent portait à son poignet un bracelet en titane renforcé et en matériaux polymères, indispensable pour assurer le déplacement dans le passé sans heurts, mais aussi le retour au présent. En effet, les gourmettes avaient la particularité d’absorber et de concentrer les rayons spécifiques produits par les gigantesques électro-aimants.
Sur son plot de la plate-forme, Pacal suait à grosses gouttes.
- Pff! J’étouffe dans cet anorak! Gémit-il.
- Un peu de patience! Crois-moi, dans deux minutes, tu auras changé d’avis! Assura Ivan quelque peu hilare.
La transition vint, presque instantanément. Nos adolescents avaient quitté un champ printanier, où les pâquerettes se disputaient aux coquelicots, pour atterrir sur une terre abondamment enneigée, où des corneilles criaillaient à qui mieux mieux dans un ciel bas et gris. Cependant, on devinait au loin les sapins sombres qui se détachaient sous un horizon cotonneux. Bientôt, de nouveaux flocons allaient tomber et rajouter une couche d’ouate à ce paysage hivernal de carte postale. Le thermomètre affichait -13°C et la température pouvait descendre encore avec la nuit venue!
Pacal fut donc très content de son anorak. Il aurait même ajouté un pull supplémentaire à tous ses vêtements! Le Sud-Américain, sentant ses doigts s’engourdir, souffla dessus pour les réchauffer. Au contraire, Geoffroy, fort guilleret, parcourut à pleines foulées quelques mètres du champ, humant à pleins poumons l’air vivifiant et glacé, heureux de retrouver pour quelques jours les hivers de son enfance! Tout joyeux, il lança à ses amis, non sans humour:
- Quel temps splendide! Ah! Cet air piquant vous requinque un homme! C’est vraiment le temps idéal pour chasser le loup et le sanglier! Peut-être y en a-t-il encore dans ces contrées?
Ivan vint mettre un éteignoir à l’enthousiasme de son camarade en le saisissant par le bras et en lui jetant:
- Holà! Modère un peu ta joie! Je viens d’apercevoir une lueur tout près de nous! Elle ressemblait à celle qui pourrait provenir d’un autre transfert temporel.
- Impossible! A moins que le professeur Giroux n’envoie une autre équipe! Réfuta le brun adolescent.
- Quittons ce champ prestement! Conseilla Pacal.
Tout leur matériel de camping sur le dos, les garçons s’empressèrent de gagner un sentier dissimulé à travers la sapinière. Courant derrière Ivan, Geoffroy objecta:
- Ce n’est pas du tout une bonne tactique! Nous devrions plutôt nous camoufler afin de voir qui arrive ou nous suit!
- Sans doute, rétorqua Ivan, mais tu oublies que nous ne sommes pas armés. Nos modestes couteaux suisses ne peuvent faire le poids face à un révolver ou à un fusil!
- Parle pour toi! Mon poignard forgé à Tolède ne me quitte jamais! Et je sais viser!
- Bravo! Tu élimineras peut-être un adversaire mais si par malheur, il y en a plusieurs, tu seras dans de beaux draps!
Comprenant sa stupide témérité, le rescapé du XIIIe siècle hocha silencieusement la tête et accéléra sa course. Derrière, Pacal suivait comme il le pouvait.

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Lord Sanders que n’effrayait aucune dépense somptuaire, avait pris la décision de faire redécorer sa chapelle. Il voulait la mettre au goût du jour, très loin du style gothique en vue au début du siècle. Persuadé de mettre bientôt la main sur les trésors de l’Atlantide ou de Mû, il avait donc loué les services d’une entreprise américaine, J&R Lamb, pour laquelle travaillait un jeune peintre très prometteur, répondant au nom de Charles R. Knight.
Ce matin-là, lord Percy montrait au peintre ses projets de décoration personnels pour le moins inhabituels: une fresque représentant jésus Christ prêchant dans un décor tropical qui faisait le pendant à une représentation de l’arche de Noé où Dieu, figurant en Apollon musclé et imberbe de deux mètres, refusait la présence à bord de l’anthropopithèque et du dinosaure sous le prétexte que la nef ne pouvait contenir davantage!
- Vision des plus intéressantes… se contenta de marmonner Knight. (Lord Percy payait bien, cela excusait amplement l’originalité.) Où vais-je prendre les modèles, Votre Excellence? Au musée d’Histoire naturelle?
- Que non pas, très cher! Quelle perte de temps! J’ai, ici, à votre disposition des spécimens authentiques, de toute beauté. Laissez-moi vous conduire dans les sous-sols de mon manoir.
Passant devant son commensal, Lord Sanders le mena d’abord jusqu’au fameux escalier en colimaçon. Dans l’une des niches cages, l’Homo pongoïde dormait. A sa vue, l’artiste marqua un grand étonnement. Levant un sourcil, il demanda:
- Pardonnez-moi, lord Percival, êtes-vous bien certain qu’il s’agit là d’un véritable homme singe et non pas d’une malheureuse créature maquillée par des forains peu scrupuleux? Aux States, Phineas Barnum s’est justement spécialisé dans ce genre d’escroquerie. Et, le public, trompé, en redemande!
- Sachez, monsieur Knight, que je ne me commets point avec ce triste sire! Hunga a été capturé après une chasse en Birmanie par l’explorateur van Vollenhoven. Pour plus de précision, je rajoute qu’il s’agit d’un spécimen vivant de Pithecanthropus Alalus de Haeckel!
http://www.comnet.ca/~pballan/Fig3.jpg
Mais si cet exemplaire n’est pas à votre convenance, je puis vous présenter un orang Pendeck rarissime!
- Non, merci, my Lord! Celui-ci me convient parfaitement! Le dinosaure maintenant: s’agit-il d’un varan?
- Ne m’insultez pas! Attention, il est enfermé dans la prochaine cave! Taïaut sommeille, l’estomac bien rempli. Mais restez éloigné pour plus de sécurité! Cet animal des plus vicieux possède un coup de griffe qui peut vous déchirer en deux en moins d’une seconde!
Parvenus à la niche du raptor, les deux hommes se tinrent donc sur leurs gardes; bien leur en prit car la bête, comme à l’accoutumée, bondit en rugissant vers les barreaux de sa cage, prête à ne faire qu’une bouchée des humains. Cependant, de solides chaînes d’acier stoppèrent brutalement son élan. A moitié étranglé, Taïaut gémit. Ému jusqu’aux larmes, le peintre s’exclama:
- Quel merveilleux spectacle, tout à fait incroyable! Je me sens inspiré! Un dinosaure vivant! Un miracle! Où donc vous êtes-vous procuré ce spécimen remarquable?
- Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas! A mon avis, cet animal a dû s’échapper d’un quelconque cargo en provenance des Indes néerlandaises ou de la Chine! Il a été capturé il y a un peu plus de deux ans près des entrepôts de Limehouse.
Fasciné par la bête, Knight n’écoutait plus les explications obligeamment fournies par Lord Sanders. Comme possédé, il s’était mis à croquer sur le vif son modèle! Quelques années plus tard, le raptor de Lord Percy devait fournir au peintre l’idée d’un tableau de la plus vivante réalité. Ainsi, en 1897, il représenterait deux dryptosaurus bondissant - des dinosaures carnassiers - sans pratiquement aucune erreur! Une reconstitution moderne, d’une authenticité jamais atteinte jusqu’aux années 1970!
http://laelaps.files.wordpress.com/2007/04/laelaps_by_charles_knight.png?w=400&h=300
Après deux heures d’inspiration, le peintre partit enfin. Gérald, le valet de Lord Sanders, apporta alors à son maître une lettre sur un plateau d’argent, missive ne comportant ni nom ni adresse. Seul le cachet de la poste permettait de deviner plus ou moins son origine: gare de Waterloo. Les sourcils froncés, Percival décacheta le pli et en lut son contenu, se renfrognant de plus en plus en découvrant son contenu. Le texte, très explicite, était rédigé en latin avec une écriture tarabiscotée, aux longs caractères.
« Seigneur Percival. Durant votre vie, vous avez toujours fait le mauvais choix; tel un chien qui s’attache à sa proie et que le sanglier en colère secoue et blesse, le temps vous est désormais compté. A moins que vous ne délivriez Louise de Frontignac et Irina de Plesenskaïa, repentez-vous! ».
La signature n’était qu’un paraphe illisible dans lequel Lord Sanders devina néanmoins le dessin d’une chauve-souris.
- On ose me défier! S’écria-t-il.
Juste à cet instant, un lourd objet le heurta cruellement. Il semblait être tombé du plafond, matérialisé brutalement. En fait, il s’agissait de la momie desséchée d’une pipistrelle qui portait des traces de morsures au cou! Son front profondément entaillé, Lord Percy conserva cependant son sang-froid. D’un pas mesuré, il se dirigea vers la cheminée sur la tablette de laquelle il avait déposé sa boîte de cigares; prenant un trabucos, il le huma lentement, en goûtant ainsi tout l’arôme. Puis, il marmonna entre ses dents:
« Cet adversaire qui se révèle me prendrait-il pour un poltron? Vais-je alerter sir Charles ou Tsarong Gundrup pour si peu? J’en ai vu d’autres à Whitechapel! ».

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Dans sa prison, Antor avait réussi à faire plus ample connaissance avec son compagnon. Réfrénant sa faim immense qui pouvait le métamorphoser en bête fauve, il était entré en contact télépathique avec l’être disgracié. Le nain, d’origine magyare, s’appelait Tibor. Abandonné dès la naissance, il n’avait pas connu une enfance heureuse. Très vite, il était tombé entre les mains de forains avides de quelques sous facilement gagnés, qui l’exhibèrent dans les cirques. Le plus souvent, il couchait à la dure, le ventre vide. Le précédent employeur de Tibor lui avait fait jouer le rôle d’un Polichinelle difforme roué de coups par un Arlequin cruel. Les bastonnades qu’il recevait à longueur de journée n’étaient pas simulées. Crédule, le public manifestait sa joie bruyante, ignorant ce qu’endurait véritablement le nain.
Une nuit, Tibor s’était enfui. Il avait parcouru de nombreux milles avant de tomber dans les griffes de Merritt. L’aristocrate dévoyé avait l’intention de s’en servir comme cobaye. Tôt ou tard, Antor et le nain seraient donc envoyés dans le laboratoire de sir Charles où, alors, leur cerveau serait disséqué. Le mathématicien dégénéré voulait transformer le vampire et Tibor en automates, mais il ignorait, heureusement, que l’Albinos était télépathe.
Alors que les deux compagnons de misère apprenaient à mieux se connaître, un gaz se répandit dans leur cellule, les faisant sombrer dans le sommeil. Environ une heure plus tard, le premier, Antor reprit ses sens pour constater qu’il était attaché à une table d’opération semblable à celles des célèbres films de la Hammer! Les liens solides ne pouvaient être ôtés. Il ne s’agissait pas de simples lanières de cuir, mais bel et bien de chaînes!
Antor s’aperçut également de la présence de Charles Merritt ainsi que celle d’un autre individu au visage des plus sinistres répondant au nom d’Igor Gowanovski. La proie et les tortionnaires se trouvaient dans la salle d’un laboratoire à la pointe de la technologie de l’époque!
Le vampire n’afficha pas ses sentiments. Pourtant, il avait de quoi manifester sa frayeur. En effet, près de lui, sur une table à roulettes, était posée une mécanique grossière qui avait l’aspect d’une pompe. On pouvait déjà parler d’un énorme cœur artificiel. Gowanovski avait donc l’intention de remplacer la nature!
D’une pièce adjacente parvenait un glougloutement peu rassurant. Un énorme chaudron contenant de la cire chauffait. Une fois l’opération chirurgicale effectuée, les deux imitateurs de Frankenstein devaient tremper leur patient dans ce liquide, avec le but évident d’obtenir ainsi un automate perfectionné! Gowanovski et Merritt étaient nés beaucoup trop tôt!
Un peu plus loin dans la salle, sur une paillasse à l’écart, Tibor dormait encore, bienheureux ignorant du sort funeste qui l’attendait. Antor n’était pas de ces bœufs dociles qu’on mène à l’abattoir! Il devait absolument s’échapper et au plus vite!
De son côté, Merritt vérifiait la mécanique artificielle représentant une mâchoire munie de crocs surdimensionnés. Pris par sa manipulation, il ne se préoccupait pas de son cobaye, n’ayant pas remarqué que ce dernier était désormais réveillé.
- Ah! Décidément, je pense que ce sera là notre chef-d’œuvre! Laissa-t-il échappé avec enthousiasme devant Igor. Un vampire machine qui me sera entièrement dévoué, ayant perdu son libre arbitre, ne se plaignant jamais, disponible à toute heure, quels que soient la saison et le temps! La synthèse des théories de Descartes, de La Mettrie et de Mary Shelley enfin réalisée! Plus aboutie, ô combien!, que toutes mes précédentes créations, tous mes automates et mes poupées! Igor, le premier véritable androïde!
C’en était trop pour Antor! Raidissant tous ses muscles, puisant dans ses réserves, d’un effort prodigieux, le vampire parvint à faire sauter les deux chaînes qui le maintenaient sur la table de torture. Le claquement des maillons fit se retourner le médecin russe. Igor s’approcha immédiatement d’Antor, sur le qui-vive. Mal lui en prit! D’une poigne vigoureuse et d’une rapidité presque surnaturelle, - l’adrénaline lui servant de véritable dopant -, le mutant immobilisa le savant dévoyé, puis, portant à sa bouche le tentant cou du Slave, il se nourrit de ce sang qui lui avait tant fait défaut!
Merritt réagit un poil trop tard. Il avança à son tour mais s’immobilisa presque aussitôt sous le regard flamboyant d’Antor. Dans un anglais parfait, l’ex-victime lança:
- Faites un pas et votre ami ne sera plus qu’un pantin désarticulé!
Le mathématicien hésita deux secondes. Ce n’était pas qu’il aimât Igor mais il avait besoin de ses connaissances! Ce bref laps de temps fut néanmoins suffisant au vampire. Avec violence et fracas, il projeta le Russe au loin. Gowanovski n’était qu’évanoui. Il avait eu de la chance!
Enfin, Antor acheva de se débarrasser de ses chaînes, tout aussi promptement. Bondissant prestement de sa table, il se recula jusqu’à une porte. Or, Merritt se reprenait. Il saisit un bistouri et, à l’instant où le mutant disparaissait, il lança son arme improvisée avec dextérité. La lame blessa Antor au poignet, puis tomba avec un bruit métallique sur le sol dallé de blanc.
Cependant, la porte se rabattit juste derrière la proie qui s’échappait! Et, stupeur! Sir Charles, au lieu de poursuivre le vampire, ricana:
- Ah! Ah! Mon prisonnier qui croit flairer la liberté! Quelle erreur! Il va s’introduire dans le labyrinthe expérimental où je teste l’endurance et la peur de mes cobayes! Hé bien! Je n’ai plus qu’à suivre son parcours à l’aide de ma machine « prévisionnelle »!
Abandonnant Igor Gowanovski avec un superbe mépris, pourtant le médecin continuait à perdre son sang par une horrible blessure à la gorge, sir Charles prit place sur un élévateur qui le mena quatre niveaux plus haut. Accélérant ses pas car il ne voulait rien manquer du spectacle, il gagna une cabine particulière aménagée de telle sorte que, de celle-ci, il pouvait contrôler toute la demeure! Une banquette confortable faisait face à une série de miroirs. Ceux-ci étaient complétés par un plan détaillé de chaque niveau du manoir. De plus, une lampe témoin s’allumait chaque fois qu’un intrus pénétrait dans une pièce. Ainsi, l’observateur pouvait à loisir baisser des leviers et des contacteurs ou encore taper un ordre sur un clavier de machine à écrire Remington. Ce poste de commande des plus perfectionnés pour 1890 avait comme un goût de steampunk!
A ce moment précis, un voyant rouge signala fort à propos la présence d’Antor dans le couloir du niveau -4 qui suivait la salle d’opération. Avec un sourire cruel, Merritt actionna alors un levier qui fit basculer un jeu de miroirs. Avec ce système, le chasseur pouvait suivre sa proie avec délectation et la voir se débattre dans les multiples pièges qui l’attendaient. Les miroirs étaient reliés à un tube de Crookes, - ancêtre du tube cathodique-, lui-même raccordé à un système chronophotographique inspiré de Marey et Muybridge. Enclenché, l’appareil photographiait tous les mouvements de la proie à la vitesse de seize images par seconde. Puis, le système de miroirs, mû à l’électricité, actionnait un disque muni de plusieurs fentes; alors, sur chaque écran de miroir du poste de commande, une image fantomatique d’une définition de trente lignes s’affichait pour être remplacée par la suivante un seizième de seconde plus tard, recréant de manière saccadée le mouvement de l’avancement du cobaye!
Près de quarante ans avant John Baird, Merritt avait réussi l’exploit de créer la télévision! Or, il n’avait pas bénéficié de l’aide de Zoël Amsq! C’était pourquoi le mécanisme se présentait dans un volume conséquent! Sir Charles avait plus que du génie même s’il avait oublié la bande son…
Avec une satisfaction mauvaise, le mathématicien dévoyé vit la silhouette d’Antor courir dans le corridor. Il fallait à Sir Charles corser l’évasion!
Se penchant sur le clavier de la Remington, Merritt tapa des instructions précises. Un accordéon perforé en sortit, obéissant aux principes de Boole: un trou pour oui, pas de trou pour non. Sir Charles se saisit des cartes perforées et les introduisit ensuite dans un appareillage imité du système de Babbage, comportant des éléments mécanographiques. Tout cet appareillage fonctionnait à l’électricité. Ainsi, un système de lampes, de tuyaux, d’obturateurs et de billes d’acier, circulant dans les circonvolutions de la machine, transmit les ordres du proto ordinateur. Une bille atterrit sur un des obturateurs qui s’ouvrit alors. Aussitôt, dans le couloir dans lequel Antor courait, des ouvertures apparurent dans les parois tandis que de ces orifices des gaz délétères s’échappèrent! Or cela n’eut aucun effet sur le vampire qui ne ralentit pas! Bien au contraire, il accéléra sa course. Mais son poids actionna d’autres ouvertures. La proie ne prenant pas la peine de réfléchir, se fiant à son instinct, s’engagea dans l’une d’entre elles.
- Sa capacité respiratoire tient du prodige! S’émerveilla Merritt. Quel élément de valeur j’aurais là! Il me faut le dompter absolument!
Pendant que son chasseur se faisait ces réflexions, le mutant aboutissait à un puits comportant des échelons. Immédiatement Antor comprit qu’il était au fond d’une cavité circulaire. Une seule issue s’offrait à lui: grimper! Merritt, qui le pistait toujours, transmit de nouveaux ordres à sa machine.
Au fur et à mesure que le vampire progressait, les échelons s’encastraient dans la paroi pour disparaître. Aucun retour possible pour l’Albinos! Or, le pire était encore à venir car deux redoutables couperets constituaient la bouche de ce puits spécial. Alternativement, les lames s’ouvraient et se fermaient. Un être humain tout à fait ordinaire pouvait être coupé en deux en une seconde et demie! Mais notre mutant, ultra rapide, parvint à échapper aux mâchoires d’acier!
- Il a atteint le niveau du muséum des automates! Glapit Merritt, oscillant entre l’enthousiasme et la colère.
Effectivement, le pisté venait d’aboutir dans une salle enténébrée qui ressemblait à un caveau rongé de mousse tel qu’on pouvait en voir dans les films d’épouvante de catégorie Z! Dans cette salle, il distingua six portes différentes. Sur les côtés, se dressait une série de sarcophages plombés. Parfaitement nyctalope, le vampire vit une frise de momies de poissons - carpes, brochets, tanches, - qui parcourait les murs.
Mais le mutant avait été distrait trois secondes de trop! Les couvercles de deux des sarcophages s’abattirent brutalement et bruyamment sur le sol pavé. Du premier, surgit un grizzli de trois mètres de haut, aux bandelettes pendantes presque totalement moisies mais aussi aux redoutables griffes acérées, et, du second, un tigre de Sibérie, le corps enveloppé d’une toile. Une troisième dalle chuta dans un fracas d’enfer. Et, du nouveau sarcophage ouvert, émergea une momie de Barmanou, autrement dit celle d’un Pithécanthrope anthropophage originaire du Baloutchistan.
Les monstres étaient rendus encore plus dangereux par le fait que leurs mâchoires avaient été remplacées par un appareillage d’acier! Pour la première fois de sa vie, Antor prit peur. Il recula, ignorant qu’un nouveau piège s’ouvrait sous ses pas. Il tomba dans un tunnel de terre, sans doute creusé par un rescapé des expériences de Merritt. Quelque peu secoué, il n’eut d’autre ressource que d’emprunter ce chemin.
Pendant ces péripéties, dans le centre de commandement, Sir Charles rageait; il ne disposait plus de miroir pour pister sa proie!
Après de bien longues et bien pénibles minutes marquées par une progression lente et oppressante, Antor émergea dans le cachot où croupissaient Irina Maïakovska, Louise de Frontignac et l’enfant géophage.

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Pour parler vulgairement, Lord Percival crânait! Confit dans son orgueil, le noble personnage se refusait à prévenir Merritt des menaces qui planaient sur lui. Pourtant, son hôte, Zoël Amsq s’était bien aperçu du changement d’humeur de l’aristocrate. Devant une tasse de thé relevée par une bonne poignée de piment et de poivre, il en demanda les raisons, essayant de se montrer affable.
- Oh! Ce n’est rien, cher ami, répondit évasivement le Lord. Une légère contrariété, un contretemps… Un de mes vieux ennemis qui se rappelle à mon bon souvenir. Il n’y a là rien qui mérite de vous attarder…
- Ah! Mais quel genre d’ennemi? S’enquit le Haän dans une tentative avortée d’esquisser un sourire.
- Un rude concurrent en affaire, tout simplement, soupira Lord Percy.
Puis, avalant rapidement sa tasse de thé, il s’excusa auprès de son hôte et s’esquiva. Mais Amsq n’était pas dupe de la fausse désinvolture de Lord Sanders loin de là! Usant de télépathie, il avait nettement capté la peur de l’Anglais. Cependant, il n’avait pu lire au-delà de cette émotion primitive. Toutefois, le faux Tibétain avait pris la décision d’avertir Sir Charles le soir même des ennuis de Lord Percy. Les deux alliés aviseraient alors de l’action à mener. Amsq commettait une lourde erreur, persuadé que Daniel Wu ne riposterait pas si tôt à l’enlèvement d’Irina et de la comtesse.
Or, pendant que Zoël méditait sur les derniers montages du bio translateur Lord Sanders avait fait atteler son tilbury. John, son cocher, l’attendait. Le noble Lord monta allègrement dans la voiture, se saisit des rênes et jeta négligemment à son domestique:
- John, inutile de m’accompagner ce soir! Je dîne à mon club et j’ai l’intention de rentrer tard…
- Bien Milord, fit le cocher en s’inclinant.
D’un pas alerte, le serviteur regagna les écuries, heureux de ces quelques heures de liberté. Tandis que la voiture s’engageait sur la chaussée après avoir passé une immense porte cochère, Mourad, le cheval, - un pur sang arabe de cinq ans -, fit soudain un écart.
- Du calme, mon beau, du calme! Souffla doucement Lord Sanders.
L’aristocrate perçut alors distinctement un bruissement d’ailes se rapprochant suivi d’un claquement sonore. Quelque chose de doux et de répugnant à la fois s’abattit aux pieds de Lord Percy: un animal mort, une roussette des Indes, d’un mètre cinquante d’envergure, un spécimen d’autant plus remarquable qu’il avait épinglé sur la poitrine un message, une ultime mise en garde, rédigée cette fois-ci en anglais.
« Présomptueux sujet britannique, tes minutes sont désormais comptées! Tu as juste le temps pour une dernière prière. Repens-toi! ».
A peine impressionné, l’aristocrate déchira d’un geste qui se voulait calme le bristol porteur de cette mauvaise nouvelle, mais ses mains tremblaient légèrement. Puis, il en jeta les morceaux dans le caniveau. La dépouille de chauve-souris eut le même sort.
Avec un flegme apparent, Lord Sanders emprunta la direction du Bee’s Club. Il y passa cinq heures, perdant mille livres au whist et y soupant d’un délicieux pâté d’anguilles, d’écrevisses à la nage et d’une crème renversée au Cointreau. Il avait eu aussi le temps de lire The Times ainsi qu’un journal français, Le Matin de Paris.
Enfin, vers deux heures après minuit, Percival se décida à regagner ses pénates. Quelque peu vacillant sur ses jambes, il avait un peu trop abusé du champagne et du cognac, un des cochers du Bee’s Club se proposa aimablement de l’aider. Le factotum était payé pour cela.
- Permettez, Milord… laissez-moi vous reconduire chez vous.
- Ah! Suis-… Suis-je si… ivre?
- Tout juste un peu gai Milord.
En titubant, Percy monta dans le tilbury. Grâce à la lueur du fanal, il entraperçut les yeux rougeoyants du domestique. Lord Sanders crut alors à une innocente illusion engendrée par les vapeurs de l’alcool. Béat, ses sens émoussés, tout à sa digestion, il ne s’inquiéta pas de la direction prise par le cocher improvisé: l’hôtel de Daniel Wu!
Notre dépravé et imbibé personnage ne s’était pas rendu compte qu’il avait omis de donner son adresse. Nos lecteurs auront identifié Antor dans ce prévenant cocher. Le vampire venait tout droit du XXVIe siècle, et il ne s’agissait nullement de notre héros, plus jeune de quelques années, aux prises avec les labyrinthes piégés de Sir Charles Merritt.

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