dimanche 30 novembre 2014

Le Tombeau d'Adam 2e partie : le Retour de l'Artiste chapitre 14.



Chapitre 14

Ce même soir, dans la suite du comte de Kermor à l’hôtel des Ambassadeurs, Alban se préparait pour le dîner et revêtait pour cette occasion un costume sobre et de bon ton lorsqu’un groom, en habit vert, frappant à la porte, fut reçu et lui remit une lettre qu’il portait sur un plateau d’argent. Une fois le domestique parti non sans une pièce de monnaie comme pourboire, Kermor examina la missive et reconnut l’écriture de l’Artiste. Alors Alban prit connaissance du contenu du message.
« … je dois admettre que j’ai commis une erreur en me rendant de prime abord sur les terres du comte Ambrogio de Castel Tedesco. Votre frère n’y résidait pas si jamais ce fut le cas par le passé…
J’ai au moins appris la mort du véritable Castel Tedesco puisque désormais son corps figure en bonne place dans la collection tératologique. Le spectacle ainsi offert soulève le cœur et démontre une nouvelle fois la cruauté sans limites de celui que j’appelais jadis Monseigneur…
Je pense être à Turin le 12 mai vers onze heures du soir. Je souhaiterais vous retrouver au Café français afin de faire le point et de prendre les dispositions nécessaires à la capture du Maudit… ».
A la lecture de ce pli, le comte de Kermor fronça les sourcils. 
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« Je ne m’attendais pas à ce que Tellier m’envoyât une deuxième lettre aussi rapidement. Et ce style ! Il n’est pas dans les manières de l’aventurier. Il s’exprime avec un rien d’élégance ce qui m’étonne de sa part. Ici, il n’a pas à jouer avec une fausse identité. Je n’ai qu’à comparer avec sa missive précédente. Certes, l’écriture est identique mais je me souviens trop des talents de faussaire de Galeazzo en la matière. De plus, si Tellier était si pressé de me parler, il serait apparu par la fenêtre comme à l’accoutumé et ne m’aurait jamais fixé rendez-vous. Non ! Décidément, cette lettre pue le piège. Mon frère serait donc à Turin… m’aurait-il aperçu moi ou Levasseur ? Ah ! J’aurais dû prendre la précaution de m’entourer de quelques membres de ma police secrète plutôt que de quatre domestiques. L’âge me rend imprudent et bien trop sensible au confort. Frédéric de Grandval se trouve dans la suite en face. Je vais l’avertir de ce pas de mes soupçons ».
Alban abandonna la lettre sur la tablette de la cheminée pour se rendre aussitôt chez son ami. C’était sans compter sur la curiosité du journaliste qui, arrivé dans les appartements du comte cinq minutes plus tard, avisant le message, se mit à le lire sans scrupules, tandis que le juge et Kermor discutaient âprement à quelques mètres de là. André consulta sa montre, décidé à rejoindre illico le lieu de rendez-vous. Il était impatient d’avoir des nouvelles fraîches concernant le sort de sa bien-aimée. Ainsi, le jeune homme ne prévenant pas Alban de sa décision, sortit en coup de vent de l’hôtel.

***************

Au même instant, dans une autre partie de la bonne ville de Turin, une lourde malle-poste toute boueuse, en provenance de Volpiano, faisait son entrée, tirée par deux chevaux aux nasaux fumants. Poursuivant sa route, la berline s’arrêta tout d’abord devant une auberge afin d’y déposer un voyageur qui avait effectué le trajet auprès du conducteur, puis la voiture conduisit ses derniers passagers jusqu’à l’hôtel des Ambassadeurs devant lequel elle les déposa. 
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Cinq personnes descendirent du véhicule, nous en devinons l’identité: Frédéric Tellier, Louise de Frontignac, Sarton toujours sous l’apparence de Dmitri Sermonov, Saturnin de Beauséjour et le fringant Pieds Légers.
Ladite compagnie loua plusieurs suites situées au deuxième étage de l’hôtel qui fleurait le bon goût bourgeois sans aucune ostentation.
Alors que l’Artiste remplissait le registre d’identités des voyageurs, il remarqua, quelques lignes plus haut, les noms d’Alban de Kermor, de Frédéric de Grandval ainsi que celui de son employé, André Levasseur. Tandis que l’aventurier se demandait s’il allait se présenter immédiatement devant le comte de Kermor au risque de se heurter à la présence gênante de Grandval qui pouvait le reconnaître et commettre un esclandre, ses compagnons se renseignaient sur les commodités offertes par l’hôtel. Brelan était lasse mais n’osait l’avouer. Sarton aurait également souhaité se rafraîchir. Dans son for intérieur, il jugeait les humains de cette époque fort négligeant vis-à-vis de l’hygiène corporelle.
Nos amis avaient croisé le fiacre du journaliste. André se jetait tout droit dans le piège tendu par Galeazzo. De ce fait, ils ignoraient qu’ils allaient se retrouver plongés dans une situation plus difficile encore qu’ils le supposaient.
Frédéric Tellier venait de prendre sa décision. Se retournant vers Louise, il lui dit en a parte:
- Le comte de Kermor a quitté la France, voilà la raison pour laquelle il ne répondait pas à mes lettres. Il est descendu dans cet hôtel. Or Grandval et Levasseur l’accompagnent. Le comte occupe la suite 131. Quel est ton avis?
- Il faut le voir, bien sûr, répliqua aussitôt la jeune femme. Tu sembles soucieux. Pourquoi?
- Comme je te l’ai dit, le juge est avec Alban. Non pas que je craigne ses actions. Le blanc-seing de Napoléon III me couvre. Mais il est si borné qu’il pourrait créer un scandale et m’entraver momentanément.
- Hum… je partage ton point de vue, Frédéric. Toutefois, nous avons aussi le devoir d’informer le comte sur ce que nous avons fait dernièrement.
- Bien. Dans ce cas, montons.
Résolument, l’Artiste et Louise empruntèrent le grand escalier puis prirent le couloir garni d’un tapis mordoré des plus épais qui les conduisit jusqu’à la suite 131. Le Danseur de cordes toqua à la porte mais personne ne répondit. La jeune femme frissonna sous le coup d’une angoisse soudaine.
- Pourquoi le comte ne s’empresse-t-il pas d’ouvrir? Je crains le pire.
- Louise, garde ton sang-froid. Il est peut-être tout simplement en train de dîner. Ce que nous devrions faire nous-mêmes d’ailleurs.
Cependant, dans la suite 130, celle de Grandval, Kermor avait entendu que quelqu’un frappait à la porte de ses appartements. Il avait également reconnu les voix de ses visiteurs. Interrompant sa discussion avec Grandval, il fit:
- Frédéric, je crois bien que j’ai de la visite. Je retourne dans ma suite m’enquérir du nom de ces importuns. Dans dix minutes tout au plus, nous nous rendrons au restaurant.
- Alban, ce n’est guère prudent.
- Je suis toujours armé, mon cher. L’oubliez-vous?, répondit le comte en dévoilant le petit pistolet qu’il dissimulait dans une des poches de son costume.
Rassuré, le juge se rassit dans son fauteuil tandis que Kermor sortait dans le corridor. Devant don Iñigo quelque peu surpris par son attitude, il se mit à jouer la comédie.
- Vous ici, en Italie, à Turin! Si je m’attendais à vous rencontrer si loin de vos bureaux de Paris! Quelle heureuse surprise, vraiment!
Puis baissant la voix, Alban poursuivit:
- Chut! Imitez-moi. Grandval est à côté. Il connaît votre double identité. Contrefaites votre voix.
L’Artiste et Louise comprirent immédiatement et entrèrent dans le jeu du comte. Il fallait à tout prix empêcher Grandval de se douter de quelque chose et de sortir. La conversation reprit sur le ton mondain alors qu’Alban ouvrait sa suite et y faisait entrer ses amis. Une fois à l’intérieur, les explications nécessaires furent développées.
Soudain, Kermor pâlit.
- Que vous arrive-t-il donc comte? Un malaise? S’inquiéta la vicomtesse de Frontignac.
- Non, madame. Tout à l’heure, il y a quinze minutes à peine, j’ai déposé une lettre sur la cheminée. Or, elle ne s’y trouve plus.
- Sans doute le vent l’aura-t-il transportée ailleurs dans la pièce. Sous ce meuble par exemple. Vous n’auriez pas dû laisser cette fenêtre ouverte.
- Non, j’avais pris mes précautions et la missive était glissée sous cette pendulette. Vous n’avez pas franchi le seuil de cette suite auparavant?
- Non, répliqua Frédéric. Nous venons juste d’arriver. Que contenait votre pli?
- Tellier, il était de votre écriture et racontait votre échec sur les terres de Castel Tedesco. Ensuite, vous me fixiez un rendez-vous…
- Jamais je ne vous ai écrit cela. Regardez près de la table au bouquet de roses. De la cendre de cigarette.
- Levasseur. Lui seul fume ce tabac oriental. Ah! Malheur!
L’Artiste comprit que le journaliste venait de tomber dans un nouvel épisode de la machination de Galeazzo di Fabbrini. Sans attendre davantage, il se précipita au rez-de-chaussée pour demander au réceptionniste ainsi qu’au portier de l’hôtel si les deux hommes n’avaient pas aperçu un jeune Français qu’il décrivit en quelques phrases rapides. Le portier confirma la présence du journaliste.
- Oui, signor… Le Français, après être redescendu, a pris un fiacre qui devait le conduire au Café français, place Victor Emmanuel. 
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Ne laissant pas l’homme achever, l’Artiste sortit à toute vitesse dans la rue et se précipita, tête nue, dans la nuit, vers la place indiquée. Une voiture de louage passant à vide, Frédéric la siffla et y monta. Tellier n’avait plus qu’une idée en tête: rattraper au plus vite André.
Tandis que Frédéric se lançait ainsi d’une façon quasi désespérée à la poursuite de son employé, dans la suite du comte de Kermor, Brelan comprenait à son tour dans quel piège effroyable venait de tomber le jeune Levasseur.
- Mais où donc est passé Tellier, s’écria Alban constatant que l’absence de Frédéric durait.
- Il a dû obtenir le renseignement désiré et tente de rattraper notre écervelé, siffla Louise entre ses dents.
Ouvrant la porte de la suite assez violemment, elle se heurta contre Saturnin de Beauséjour, tout faraud. Ce dernier recherchait ses compagnons pour souper, son estomac se rappelant à lui.
- Ma chère, vous tardez bien… mais je ne vois Tellier nulle part.
Or ces paroles imprudentes furent entendues de Grandval qui, justement, las de rester seul, se rendait chez Alban.
- Tellier? Il est ici? Demanda-t-il furieux.
- Oh! Monsieur le juge, comme je suis heureux de vous voir, poursuivit l’ex-fonctionnaire maladroitement. Effectivement, Frédéric était là il y a peu encore. Il nous accompagnait, madame de Frontignac, Dmitri Sermonov Guillaume Mortot et moi-même.
- Ah! Monsieur de Beauséjour, je vous remets… c’est trop fort. Chaque fois que je crois mettre la main sur ce bandit, il s’évapore.
Tout à sa rage, incapable de réfléchir plus avant, Grandval, oubliant toute retenue, descendit l’escalier d’un pas vif et nerveux dans le but manifeste de capturer l’Artiste.
Avisant un fiacre devant l’entrée de l’hôtel, il y sauta et ordonna au cocher de le conduire au plus vite au Café français.
Une minute plus tard, Brelan et Kermor faisaient de même n’ayant pas d’autre choix que d’essayer d’éviter le pire.

***************


Cependant, le journaliste Levasseur, parvenu devant le Café Français, avait bien vu que Victor Martin n’y était point. Mais un serveur s’approcha du jeune homme reconnaissable à ses habits d’étranger et lui apprit que l’homme qu’il cherchait s’était rendu à l’Hôtel de France. André avait conservé le fiacre. Il put donc se faire conduire jusqu’audit hôtel. Une fois devant la réception, l’employé lui indiqua que le marquis De la Sierra l’attendait dans le salon particulier.
D’un pas alerte, sans méfiance, le journaliste fut introduit. Un individu au visage masqué par un loup noir, au corps massif, s’avança alors et commença à s’exprimer avec un accent espagnol bien trop prononcé pour être naturel.
- Señor, seriez-vous le journaliste André Levasseur?
- Oui, certes, mais vous n’êtes pas le marquis! Que signifie cette imposture? Comment m’attendiez-vous?
- En effet, jeune coq, répondit alors l’inconnu changeant totalement de voix et de ton. Je ne suis pas Frédéric Tellier, ce fils dénaturé. Il est temps de laisser tomber le masque, ne croyez-vous pas? Poursuivit Galeazzo sur le mode sarcastique. Me reconnaissez-vous enfin?
- Le… comte di Fabbrini! Le Maudit! 
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- Quel baume au cœur que d’être renommé! En rédigeant cette lettre, j’espérais bien ferrer un petit poisson, vous en l’occurrence! Maintenant, vous allez me servir d’appât pour capturer un gibier plus conséquent.
- Que voulez-vous dire? Vous pensez à tort que je vais me montrer consentant? Vous commettez un grave erreur, monsieur!
- Ne le prenez pas ainsi avec moi, présomptueux blanc-bec! Vous n’êtes pas de taille à me résister. Quant à l’Artiste des bas-fonds, ce danseur de cordes ridicule, sachez que dès demain, il sera mon prisonnier.
Soudain, de façon inattendue, les yeux de Galeazzo parurent flamboyer et fixant André, le fascinèrent, le laissant sans volonté céder à la volonté hypnotique du comte maléfique. Réduit à l’état de marionnette docile en quelques secondes à peine, le journaliste se laissa entraîner jusqu’à une voiture toute préparée, chargée de les mener sur les terres ancestrales des di Fabbrini.

***************

Mais pourquoi Frédéric Tellier tardait-il tant à porter secours à Levasseur?
La voiture de l’aventurier avait été rejointe par celle de Grandval qui, toujours aussi furieux, avait tiré sur l’Artiste! Mais la balle avait atteint le cocher du fiacre, le blessant assez grièvement. Le juge voulait absolument immobiliser l’ancien bagnard. Il ne pouvait tolérer de le voir en liberté narguer ainsi la loi.
Le désordre déclenché par ce malheureux coup d’éclat fut immense. En quelques instants, les deux véhicules furent entourés tandis que des carabiniers approchaient alertés par le brouhaha.
Pour des non avertis, la scène devenait de plus en plus incompréhensible et chaotique. Sous la menace du juge, Tellier fut contraint de le rejoindre dans sa voiture. Il tenta bien de lui fournir des explications mais Grandval refusa de les écouter.
Pendant ce temps, la foule grondait de colère et ne se maîtrisant plus, se jeta sur l’étranger armé qui avait osé tirer sur un honnête travailleur! Incapable de résister à cet assaut, Frédéric de Grandval se retrouva bientôt allongé sur la chaussée aux pavés irréguliers au risque d’être piétiné par les Italiens enragés.
Le juge français ne dut la vie que grâce à l’autorité d’un sergent des carabiniers qui parvint à faire reculer la populace d’un ton autoritaire. 
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L’Artiste mit à profit ce trouble pour s’esquiver. Il courut en direction du Café français. Bien évidemment, c’était trop tard. En chemin, il croisa une voiture chargée lourdement filer à toute allure. Machinalement, il jeta un coup d’œil sur le véhicule. Aussitôt, il vit le comte di Fabbrini souriant et ricanant. Le Maudit lui lança:
- A bientôt en enfer, mon fils!
Le rire démoniaque du comte retentit longuement et douloureusement aux oreilles de Frédéric.
- Quelle terrible malchance! Pas un seul fiacre en vue!
Or, à la seconde même, presque magiquement, la voiture de Brelan et du comte de Kermor déboula dans la rue, ayant emprunté un autre chemin menant au Café français, et s’arrêta quelques brèves secondes devant le danseur de cordes.
Louise interpella le danseur de cordes.
- Monte vite, Frédéric! Nous pourrons peut-être rattraper Galeazzo.
Tellier ne se fit pas répéter deux fois l’injonction. La voiture s’ébranla en direction du nord. L’Artiste, tout en s’installant, raconta en phrases courtes l’incident dont il avait failli être la victime. Puis, à son tour, Louise l’éclaira sur les prémices de celui-ci.
- Puisque Frédéric de Grandval a besoin de secours, fit Alban d’un ton qui n’admettait aucune réplique, je descends afin de le sortir de ce mauvais pas. Je saurai bien plaider sa cause.
Alors, fidèle à son ami en dépit de tout, le comte de Kermor fit stopper la voiture et rebroussa chemin à pied. Une fois reparti, la berline accéléra l’allure afin de tenter de rattraper son retard.
- Quel est ton plan? Demanda Louise.
- Nous continuons.
- Sans en aviser Sarton ou Pieds Légers?
- Pas le temps. Je pense que nous sommes en train de jouer le dernier acte. Quant à Sarton, ne t’inquiète pas. Il n’est pas démuni de moyens. Il saura nous retrouver d’une façon ou d’une autre. S’il le veut, il sera rendu avant nous sur les terres de di Fabbrini.
Une folle chevauchée s’engageait donc. Le Maudit avait-il déjà perdu?

***************

Quarante-huit heures avaient passé. Galeazzo n’avait pas été rattrapé par l’aventurier. Il avait rejoint sans encombre ses terres tandis que son adversaire jouait de malchance. Tellier fut obligé de demander à Kermor de venir à la rescousse. Aussitôt le télégramme reçu, le comte était parti accompagné de Sarton et de Pieds Légers laissant Beauséjour surveiller Grandval. L’Hellados avait refusé d’utiliser son vaisseau pour mettre la main plus rapidement sur le Maudit prétextant fallacieusement que celui-ci ne pouvait agir immédiatement selon les images révélées par le chronovision.
Or, pendant l’absence de Galeazzo, Opalaand avait réussi à se libérer. Il avait usé pour cela de sa ceinture magnétique et avait ainsi créé une surpression dans la cage de verre lui servant de cachot. Mais l’objet avait fonctionné bien au-dessus des espérances du Haän puisque, dans l’affaire, la prison du Néandertalien avait également explosé. Le K’Tou, libre et enragé, la peur le conduisant, s’était mis à tout casser dans la cave. Puis, ses yeux exorbités et comme fous se posant enfin sur l’étranger, il se jeta sur lui armé d’une hache de pierre avec la volonté évidente de le tuer en lui fracassant le crâne. 
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Mais le Haän, doté d’une force remarquable grâce à une ossature puissante lui permettant de supporter sans mal des gravités de deux à trois fois plus élevées que celle de la Terre, n’était pas une proie facile pour le K’Tou, bien au contraire. De plus, il pratiquait depuis sa plus tendre enfance de redoutables sports de combat dans lesquels il excellait. Tout ceci expliqua pourquoi il vint à bout de l’homme préhistorique rescapé du Paléolithique moyen en moins de quinze secondes.
Dans un premier temps, il avait tordu violemment le bras du Néandertalien et l’avait désarmé. Mais l’homme préhistorique était revenu à la charge plus furieux que jamais, assenant de terribles coups de tête sur la poitrine d’Opalaand. Tout cela en vain naturellement. Le guerrier avait à peine vacillé sous les chocs répétés. Cependant, si l’amiral ne se décidait pas à passer à la vitesse supérieure, le combat aurait pu durer ad vitam aeternam.
Opalaand, pressé d’en finir, opta pour la ruse. Feignant d’avoir été rudement ébranlé, il chut sur le sol. Le K’Tou en profita et les deux adversaires se retrouvèrent roulant à terre, s’affrontant en un corps à corps des plus brutaux dans lequel les grognements de l’un faisait écho à ceux de l’autre.
Ce fut au plus fort de la lutte que le Haän réactiva sa ceinture anti G rétablissant dans un périmètre fort restreint une pression identique à celle de sa planète natale. Surpris, le Néandertalien lâcha alors Opalaand qui, parvenu à son but, n’en continua pas moins à appuyer sur le bouton de surpression jusqu’à obtenir une gravité de six G terrestres.
Certes, le Haän fut légèrement assommé mais pour le K’Tou la situation était bien plus dramatique. Maintenu au sol par la trop forte gravité, presque comprimé, l’homme préhistorique ahana, près d’étouffer. Ses oreilles se mirent à saigner. Victime de la surpression, le malheureux Néandertalien eut une attaque. Vomissant du sang, la poitrine écrasée, il mourut non sans cracher ses expectorations sur l’amiral.
Nullement dégoûté par ces éclaboussures, Opalaand s’empressa de quitter la salle. Pour cela, il n’eut qu’à forcer la porte de fer en faisant appel à sa musculature puissante.
Pendant ce combat, les sujets d’expérience du Maudit s’étaient agités dans leur cage, produisant un assourdissant brouhaha. Cris et rugissements des fauves excités par le sang se mêlaient désormais aux plaintes terrifiées des humains déshérités par la nature. Le fou tournait en rond dans sa prison de verre, se jetant irrégulièrement contre les parois dans le vain espoir de les briser. De son côté, l’orang-outan faisait de même.
Mais le Haän n’avait cure de ce qu’il avait déclenché avançant dans un sombre boyau, cherchant à s’orienter. Son but était toujours le même: mettre la main sur le coffret contenant les écrits interdits de Danikine.
Devant lui, s’offrit enfin un escalier en colimaçon menant au sommet d’une tour. Le guerrier s’y engagea avec moult précautions, tous ses sens en éveil au cas où il serait surpris.
Mais ce fut la vieille nourrice qu’il heurta au détour d’un coude. Effrayée, la vieille qui allait porter du linge propre dans une chambre, poussa des cris d’orfraie. Dans sa peur, elle laissa tomber sa charge. On s’en doute, la réaction d’Opalaand fut brutale. Sans pitié pour les cheveux blancs de la domestique, il l’assomma d’un seul coup de poing sur le crâne!
Mais le bruit avait alerté Giulio chargé de garder Clémence de Grandval. En effet, la chambre de la jeune fille était située à l’avant-dernier étage de la tour.
Giulio s’écria, fusil en main:
- Que se passe-t-il Carlotta? Pourquoi cries-tu? Une souris?
Ne recevant aucune réponse, il courut arme chargée dans l’escalier tournant pour se retrouver à son tour face au faux Chinois. Surpris, son index glissa sur le chien et la balle, tirée au jugé, rata sa cible, ne faisant qu’effleurer le bras gauche d’Opalaand qui, furieux, envoya d’un simple revers de main le garde contre le mur. Le coup fut si violent qu’on entendit les os craquer sinistrement. Les vertèbres cervicales ainsi que la boîte crânienne du fidèle serviteur s’étaient brisées dans l’affaire. Le corps mou et privé de vie de Giulio s’effondra sur les marches. La paroi qu’il avait heurtée était marbrée de son sang. 
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Impassible le guerrier enjamba le cadavre et poursuivit sa montée.
Prostrée dans sa chambre, Clémence avait entendu le remue-ménage puis le coup de feu qui s’était ensuivi. Alors, pleine d’un espoir nouveau, persuadée que Victor Martin ou André Levasseur était venu la délivrer, elle s’avança jusque dans les escaliers et tomba nez à nez avec le Haän. Ne reconnaissant pas l’Artiste, dans l’expectative, elle s’immobilisa. Puis elle frissonna devant le regard insistant et l’aspect étrange de l’inconnu.
Opalaand s’était lui aussi figé malgré lui devant la jeune fille. Il admirait l’humaine, sublime de beauté dans sa naïve perfection. Son sang bouillonna dans ses artères, ses deux cœurs accélérèrent leurs battements tandis qu’un désir puissant chauffait soudainement ses reins. Bientôt, mû par son instinct de mâle, il empoigna Clémence comme si celle-ci n’était qu’une femelle de sa race en chaleur et consentante! Avec violence, il embrassa sa proie, lui coupant le souffle et lui mordant les lèvres comme il se devait lors d’une demande passionnée en mariage. Il ne s’agissait pas là d’un baiser chaste et innocent mais bien des prémices d’un rituel sexuel très complexe. 
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Effarouchée, la jeune fille tenta d’échapper à l’étreinte du guerrier, usant pour cela du seul moyen dont elle disposait: ses ongles! Telle une chatte réticente et peu satisfaite par la parade amoureuse d’un matou galeux trop entreprenant, elle traça de longs et profonds sillons sanglants dans les joues de l’agresseur. Des gouttes de sang mauve perlèrent sur ses doigts, la brûlant tel un sérum acide.
- Que… cela fait mal! S’écria-t-elle surprise.
- Ah! Ma belle! Je t’aime plus que jamais! Gronda Opalaand pour qui l’attaque de la jeune fille était une réponse positive.
Sa réponse l’empêcha de distinguer les pas feutrés de quelqu’un se glissant derrière lui.
C’était trop d’émotion pour Clémence de Grandval qui, comme toute héroïne de l’époque qui se respectait, s’évanouit une fois encore. Obnubilé par ce qu’il prenait pour une offrande, le Haän voulut saisir le corps inanimé mais une main puissante se posa sur son épaule et l’arrêta dans son élan.
Sursautant, le guerrier se retourna vivement et reconnut aussitôt le comte Galeazzo dont la figure cramoisie et courroucée dénonçait la colère. Di Fabbrini le tenait en joue avec un pistolet dont le chien était relevé, prêt à faire feu. 
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- Chinois des Enfers, que fais-tu là avec ma promise?

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dimanche 16 novembre 2014

Le Tombeau d'Adam 2e partie : Le Retour de l'Artiste chapitre 13.



Chapitre 13

Bien loin des terres seigneuriales des di Fabbrini, en orbite autour de la planète Terre, le vaisseau Haän tournait en automatique, presque seul dans l’immensité de l’espace. À son bord, dans la salle des ordinateurs, l’amiral Opalaand s’affairait, fiévreux et de plus en plus nerveux. Avec anxiété, il interrogeait les archives emmagasinées dans les mémoires de son vaisseau. Que recherchait-il donc comme renseignement si vital?
Au bout d’un laps de temps indéterminé, un hologramme représentant des feuillets couverts de symboles de physique et de formules de mathématiques se matérialisa sur une table de contrôle circulaire au centre d’un halo verdâtre. Il s’agissait d’une partie des écrits du mystérieux Danikine. 
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- Parfait! S’écria Opalaand soulagé. J’ai enfin retrouvé la trace de ces maudits papiers. L’ordinateur et ses senseurs les ont localisés précisément. Voyons maintenant de plus près où ils sont entreposés.
Poussant quelques curseurs, le pseudo Chinois agrandit le champ visuel de la fausse matérialisation, faisant ainsi apparaître un coffret richement ouvragé mêlant or et ivoire dans un goût artistique indéniable. Le zoom inversé continuant, bientôt, ce fut une chambre secrète à l’intérieur d’un château que le Haän put observer et ensuite identifier, dans un style mi Renaissance mi gothique. La pièce était située dans une tour d’angle de la demeure seigneuriale des comtes di Fabbrini.
Mais le champ visuel s’élargissait toujours, dévoilant désormais la massive construction surplombant une vallée aux collines boisées de conifères. Au bas de la combe se présentèrent des cultures en terrasses aménagées qui égayaient le paysage, lui ôtant quelque peu son aspect sauvage.
Après avoir réussi à situer géographiquement l’emplacement des écrits du pseudo prince, le faux Tchou, désireux de connaître leur origine, lança ses investigations par IA interposée et ce dans le domaine historique. Ainsi, il parvint à remonter à la source officielle de ce prodigieux savoir. Danikine avait séjourné près de dix années au Tibet. Au cours de ses pérégrinations, il avait pu recueillir toute la science interdite des lamas. En fait, il avait été en contact avec les affiliés des descendants spirituels d’un certain Lobsang Rama, moine qui avait vécu au XV e siècle de l’ère chrétienne. Sans aucun scrupule, il avait volé les fabuleux écrits rédigés de la main même du mystérieux lama. 
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Émoustillé par ce qu’il lisait, Opalaand afficha ensuite les noms des anciens et prochains propriétaires plus ou moins légitimes des rouleaux secrets sur l’écran de sa console. Danikine n’avait recopié qu’une partie du savoir tabou dû à Lobsang Rama, sans doute parce qu’il était dans l’incapacité d’en comprendre la totalité. La liste fit apparaître les noms suivants:
- Fra Antonimus, 
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- Antonio della Chiesa,
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- Singleton, un Britannique, 
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- Giacomo Perretti vers le milieu d’un XX e siècle parallèle, 
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- Frédéric Tellier lui-même, à la fin de l’année en cours, c’est-à-dire 1867, 
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- notre Haän en personne dans un temps encore à venir,
- mais aussi Sarton, son adversaire implacable, jamais découragé,
- et un dénommé Daniel Lin Wu Grimaud dans le premier quart d’un XXVIe siècle autre…
Ensuite, plus rien, le flou total, le néant remplaçant la console d’ordinateur, un maelström fait de vide comme si le coffret et les écrits interdits se perdaient dans les méandres d’un Multivers affolé, qui, par trop manipulé, se vengeait!
Quelque peu effrayé, il fallait le faire pour un guerrier de la valeur de l’amiral, Opalaand actionna d’autres curseurs au hasard afin de remettre sa machine en marche. Ce fut ainsi qu’il matérialisa une scène des plus étranges se déroulant en Allemagne dans un 1927 modifié par les interventions de l’Hellados. Sarton, l’assistant d’Albert Einstein, présentait au professeur quelques feuillets rédigés par Danikine! Ainsi l’ennemi juré de l’Empire Haän triomphait!
Quelques mois plus tard, le chercheur humain formulait la théorie des champs unifiés.
C’en était trop pour la raison d’Opalaand.
Parallèlement et conséquemment, le monde alternatif dans lequel vivait le baron Opaalan’Tsi ne pouvait voir le jour. C’en était bien fini de l’hégémonie de l’Empire Haän. Tsanu XVIII, l’usurpateur, n’accèderait jamais au trône impérial car il ne naîtrait pas. L’assassinat d’un frère hypothétique devenait inutile.
Or un phénomène étrange et encore plus renversant survint tandis qu’Opalaand se sentait envahi par une grande faiblesse. Un court instant, le Haän sembla se dédoubler tandis que son double fantôme Opalaan’Tsi se séparait de lui et le quittait. Maintenant, une troisième personnalité, dénommée Opalaan’Di, interrogeait l’IA, un guerrier issu d’un troisième temps alternatif potentiel, reproduisant à l’identique les gestes du pseudo Tchou.
Manifestement, il s’agissait d’un alter ego vivant dans un Univers dans lequel ni les Haäns ni les Helladoï n’intervenaient dans l’histoire de la planète Terre.
Notre Haän, de plus en plus éthéré et écartelé entre tous ces possibles, entre ces mondes antagonistes, ne comprenait pas ce qui était en train de lui advenir. Toutefois, dans un ultime réflexe, avant de s’effacer de la réalité, de se dissoudre dans une immatérialité définitive, de devenir une virtualité non souhaitée, parvint à couper le contact avec l’ordinateur.
Aussitôt, ce furent ses doubles fantômes qui furent gommés de l’Univers comme des manifestations éphémères d’un mauvais rêve.
Encore mal à l’aise et tremblant, Opalaand eut le courage de reprendre l’examen des incroyables données mais cette fois-ci sur une autre console reliée à l’IA.
Cependant celle-ci s’obstina à n’afficher qu’un seul nom, celui de Sarton et refusa de dépasser la date de 1927.
Naturellement, le Haän voulut accroître la puissance de son ordinateur. En surchauffe, l’appareil grilla deux relais puis tomba en panne.
Alors, Opalaand laissa éclater sa rage. Donnant de furieux coups de poings à la console cybernétique, il ne réussit qu’à s’entailler la main profondément après avoir mis hors service cette partie de l’ordinateur.
La douleur le ramena quelque peu à la raison. Alors l’amiral décida imprudemment de se téléporter immédiatement dans la tour d’angle du château précédemment montrée, afin d’y voler les écrits de Danikine.
Notre Haän oubliait un minuscule détail: la mémoire légèrement endommagée de son IA…

***************

À la vue de son ravisseur, Clémence de Grandval avait reculé jusqu’au mur, haletant de peur. 
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- Chère enfant, commença le comte avec des inflexions suaves dans sa voix, suis-je donc si repoussant?
- Monsieur, j’ignore qui vous êtes et je ne comprends pas pourquoi vous m’avez enlevée. Je ne puis que supposer que vous êtes un homme de déshonneur!
- Ah! Quelle façon emberlificotée de s’exprimer mademoiselle de Grandval! Mais vu l’identité de votre père, cela ne m’étonne point. Croyez-vous m’humilier en me rappelant qu’il y a longtemps déjà que je n’obéis plus à ces principes obsolètes d’une soi-disant vertu qui est censée conduire les actions des humains ordinaires? Je vois cependant à votre visage que vous m’avez enfin identifié.
- Le comte di Fabbrini… Seigneur! Pourquoi suis-je ici? Où est-ce d’ailleurs? Qu’attendez-vous de moi?
- En voilà des questions! On se croirait sur le champ de bataille faisant face à la mitraille.
- Monsieur, je ne puis vous être utile en rien. Ayez pitié de ma jeunesse et de mon innocence. Relâchez-moi et faites ainsi preuve de générosité.
- Voyons, douce et tendre Clémence, reprit Galeazzo toujours aussi civil, rien ne vous retient prisonnière. Vous vous trompez. Jamais il ne sera dit qu’un di Fabbrini ait failli à sa réputation d’hôte incomparable. Mademoiselle, vous êtes mon invitée. Accompagnez-moi pour que je puisse vous faire découvrir les merveilles de ce château. Allons, donnez-moi votre main…
- Monsieur, cessez ce jeu stupide. Dans vos projets, je ne suis rien de plus qu’un otage, une monnaie d’échange.
- Clémence, charmante enfant, vous vous éloignez encore… ainsi, vous vous obstinez à me refuser la grâce de votre contact et de votre présence tandis que votre visage exprime un sentiment bien laid sur une aussi jolie figure. Pourquoi tant de haine à mon égard? Je suis seulement celui qui vous aime de loin… voilà tout mon secret, ma douce…
- Oh non! C’est impossible! Je vis un véritable cauchemar. Je ne puis avoir fait naître en vous, dans votre cœur, une…
- Une passion aussi soudaine? Eh bien, si! Ah! Mademoiselle Clémence, si bonne et si belle, si gracieuse et si raffinée! Oui, vous avez accompli ce miracle, réveillé mon cœur de bronze. Un soir, soir funeste et béni à la fois, je l’ai enfin senti battre… battre pour vous. J’avoue vous avoir enlevée. N’y voyez cependant aucune malveillance de ma part. Ce n’était qu’un acte d’amour, un geste un peu fou, j’en conviens, mais si sincère! Je me fais humble devant vous, reconnaissant ma faiblesse. Je m’incline devant votre noblesse et votre pureté, je me mets à genoux… oui, je le clame haut et fort: moi, le terrible, le ténébreux, le maudit comte Galeazzo di Fabbrini, j’éprouve pour vous le plus doux et le plus cher des sentiments. Oui, je vous aime, de toute mon âme, de toutes mes forces, oui je veux vous tenir dans mes bras, vous murmurer des mots tendres, adorable Clémence, blanche comme un lys, le teint aussi velouté que celui d’une pêche, les cheveux aussi dorés qu’un matin de juin… 
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Tout en parlant, en exprimant sa passion insensée d’une voix de plus en plus sombre et sensuelle, Galeazzo se rapprochait de sa proie qui, immobile et fascinée par le regard incandescent des yeux bleu nuit du comte, l’écoutait, un léger sourire esquissé sur ses lèvres.
Bientôt, sans doute, Clémence ne pourrait résister davantage à la volonté de son ravisseur. En effet, son corps s’alourdissait tandis que sa conscience mollissait.
Le perfide suborneur avait-il gagné?
Mais un bruit soudain, un fracas assourdissant  accompagné d’une lueur éclatante vint briser le charme. La lumière aveuglante qui apparut brutalement dans la pièce voûtée provenait d’un rayon téléporteur incongru émis par le vaisseau Haän. Ainsi Opalaand se matérialisait jusqu’au sein d’un drame en train de se nouer.
L’extraterrestre, au lieu de se reconstituer dans la tour d’angle, se rassemblait devant le Maudit en personne, cela non sans provoquer quelques dommages archéologiques irréparables. Les magnifiques gisants et transis furent brisés par le rayon venu d’un temps futur. 
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Désorienté par la matérialisation, l’amiral mit quelques précieuses secondes à se rendre compte qu’il ne se trouvait pas dans la pièce où il désirait être. Tâtant alors fébrilement sa ceinture, il voulut se saisir de son arme. Las! Sa colère lui avait fait laisser celle-ci dans la cabine de son vaisseau scout!
Cette étourderie permit donc au comte di Fabbrini de prendre l’avantage sur l’inopportun.
Le Maudit, ayant déjà été le témoin d’un semblable phénomène de reconstitution à Paris, ne se démonta pas. Lui avait toujours son pistolet sur lui. En moins d’une seconde, il le pointa en direction d’Opalaand alors que Clémence, devant un tel spectacle fantasmagorique, avait perdu connaissance. La jeune fille gisait inerte sur les dalles glacées et personne ne songeait à lui porter secours.
Quant à la vieille servante, elle avait reculé au fond de l’immense salle en se signant et en marmonnant des prières à la Vierge et à Jésus.
Furieux contre lui-même, le faux Chinois s’exclama:
- Oh! Non! Faire une erreur d’un millième sur les coordonnées… quelle dérision! Décidément, je ne me montre pas à la hauteur des enjeux aujourd’hui.
- Levez les mains en l’air, jeta Galeazzo d’un ton ferme, le visage impassible. Hum… Il me semble vous reconnaître malgré votre costume étrange - une armure sans doute - et vos poils roux envahissants. N’êtes-vous pas le Chinois ayant fait alliance avec Tellier? Par votre apparence actuelle et votre soudaine apparition, j’en déduis que vous n’êtes point ni asiatique ni Terrien! Holà! Du calme! Restez immobile. Manifestement, vous n’avez sur vous aucune arme offensive. Dois-je vous rappeler à quoi sert ceci? Sachez que j’en maîtrise l’usage à la perfection.
Pour appuyer ses dires, Galeazzo fit feu. La balle alla briser un transi supplémentaire, celui d’Ercole di Fabbrini. Dompté et point si sot que cela, Opalaand obéit et s’empressa de donner quelques explications.
- Oui, j’admets qu’effectivement, je fus naguère l’allié de Frédéric Tellier. Mais il ne s’agissait que d’un rapprochement de circonstance pas fait pour durer. Vous, vous aviez bien un Hellados à vos côtés!
- Je vois que vous connaissez bien Sarton.
- Ainsi, il vous a avoué son identité. Ce fils de « vronk » a retourné sa veste. C’est un être sans honneur comme d’ailleurs tous ceux de son espèce!
- Qui êtes-vous donc, monsieur le guerrier?
- Oui, je suis un guerrier, comte di Fabbrini, et j’en suis fier. J’appartiens à l’antique et valeureuse race des Haäns. J’en suis un de ces plus illustres représentants. Je me nomme Opalaand et l’Empereur Tsanu a eu la générosité de me faire amiral. 
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- Bien, et…
- Je connais le but que vous poursuivez, la vengeance vous guide mais…
- Mais… vous combattez Sarton. Pourquoi?
- Cela ne vous regarde pas! Je vois que vous êtes seul désormais contre une horde de mâtins hargneux, vous avez donc besoin d’un assistant.
- Me croyez-vous si naïf pour accepter votre offre? Vous me proposez une alliance que parce que vous vous trouvez du mauvais côté du canon de mon pistolet, monsieur Opalaand!
- Vous avez grand tort de me répondre ainsi! Vous n’êtes qu’un sot d’humain… et…
- Et quoi?
Pour toute réponse, le Haän émit un grognement tout en esquissant un geste inconsidéré. Aussitôt, le comte tira dans un réflexe merveilleux, blessant ainsi l’extraterrestre à la main droite. De la blessure, un sang mauve suinta dégageant une forte odeur musquée.
- Chien! Hurla Opalaand.
- C’est par votre faute que tout cela est arrivé, siffla le Maudit entre ses dents. Maintenant, assez ri, reculez jusqu’à la porte et ouvrez-la. Attention! Je puis faire feu une autre fois. Mon arme n’est pas déchargée. Vous avez vu que je sais viser…
Vaincu, le Haän choisit d’obtempérer, du moins momentanément.
Alors, abandonnant mademoiselle de Grandval toujours inconsciente, Galeazzo conduisit son nouveau prisonnier jusqu’au sous-sol du château, là où ses ancêtres y avaient aménagé des geôles d’un genre particulier. Il s’agissait de cachots construits en verre et en métal de forme cylindrique, dans lesquels étaient retenus captifs des cobayes humains utilisés à des fins diaboliques. Ses aïeux avaient cherché à agrandir leur collection tératologique.
Après avoir subi une fouille minutieuse et humiliante, le Haän se retrouva enfermé à l’intérieur d’une de ces cellules.
Tout en remontant les marches usées d’un escalier de pierre, le Maudit réfléchissait à haute voix quant à la valeur de la grande œuvre qu’il voulait achever le plus rapidement possible.
- Mon projet attire la convoitise de beaucoup trop de monde. Y compris d’êtres venus d’ailleurs… tout semble se liguer contre moi. Je ne dois pas échouer. Cela est inenvisageable! Je vaincrai quels que soient les obstacles! Dussé-je pour cela détruire l’Univers tout entier!

***************

Dans sa prison de verre, le faux Chinois eut tout le loisir de faire la connaissance de ses compagnons de captivité. Le plus proche sur sa droite était un individu décharné de haute taille dont la barbe et les cheveux hirsutes accentuaient l’aspect sauvage. L’être avait perdu depuis longtemps déjà les notions de la parole et du temps et, vêtu en tout et pour tout de quelques haillons, il restait prostré, accroupi, les yeux vides, ne voyant rien, ayant sombré dans l’hébétude la plus totale après les diverses opérations cervicales dont il avait été la victime. Toutefois, sa catatonie n’était pas continuelle et, parfois, elle cédait la place à des crises violentes de rage non contrôlée. L’identité du malheureux en aurait surpris plus d’un. En effet, il s’agissait de l’ex-maire de Volpiano sur lequel le Maudit avait exercé sa vengeance. 
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Justement, en ce moment-même, le fou, en proie à une colère soudaine, hurlait tout en se jetant avec force contre les parois transparentes mais solides de sa prison.
Des grognements sourds, déclenchés par les cris de fureur de l’ancien édile, envahirent la salle voussée, formant ainsi un chœur terrible. Ces grondements étaient émis par les autres prisonniers non humains du comte maléfique: lion, ours des Abruzzes, loup blanc des plateaux de Sibérie, tigre du Bengale, orang-outan des forêts de Bornéo, bref un bestiaire de choix prêt à subir les coups de scalpel de Galeazzo l’expérimentateur démoniaque.
Mais si encore di Fabbrini s’était contenté de ces expériences classiques dont les écrivains des prochaines décennies allaient s’emparer afin de rédiger des best-sellers, cela aurait été encore « supportable » pour le genre humain puisque les individus ainsi créés ne pouvaient se reproduire et n’avaient plus que quelques semaines d’espérance de vie, mais non! Son génie malfaisant avait dépassé les bornes du  dicible.
Hélas, trois fois hélas, le Maudit méritait son surnom plus que jamais dans cette histoire. Il avait osé s’attaquer à des épaves d’humanité innocentes, à des êtres dont l’intelligence limitée en faisait des proies de choix pour leurs contemporains « normaux ».
Jugez-en plutôt.
Il y avait:
- un microcéphale prognathe issu d’une dégénérescence atavique,
- un guerrier, spécimen représentatif d’une race oubliée qui s’était réfugiée dans les montagnes de l’Altaï et dont les caractéristiques néandertaliennes étaient manifestes. La créature était revêtue de peaux de bêtes mal cousues. Pour Galeazzo, il s’agissait d’un K’Tou. 
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(Hé oui, c’était bien le malheureux frère aîné du chef pilote du vaisseau intersidéral Le Langevin commandé par Daniel Wu dans un XXVIe siècle autre… Comment avait-il pu finir là en ce XIXe siècle? Un mystère de plus, une incongruité supplémentaire…).
- des siamoises slaves rattachées par le bassin,
- un homme chien à la face caninoïde, né des amours bestiales d’un berger, 
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- et enfin, le summum de l’horreur et du morbide, un homme atteint d’un lupus généralisé, devenu un squelette vivant à cause de son affection atroce aussi bien que rarissime, bref une sorte de transi respirant et palpitant encore, mais pas pour longtemps. 
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Ce dernier cobaye était enfermé dans la cellule de gauche la plus proche du Haän et il avait été racheté par le comte di Fabbrini dans une foire à Turin où il était exhibé par son maître sous le nom folklorique de Tâ-Sekeneré, en tant que véritable momie égyptienne ayant triomphé de la mort! 
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Après avoir examiné ses compagnons d’infortune, Opalaand s’agenouilla à la recherche d’une éventuelle ouverture du cube dans lequel il était détenu.
- Ah! Que n’ai-je sur moi mon laser désintégrateur! Soupirait intérieurement le fier guerrier déchu. Au fait, si le comte m’a fouillé et s’est emparé de ma dague sacrificielle, il n’a pas pensé à ma ceinture magnétique qui me prémunit contre les différentes gravités des planètes non Haäns. Je vais enclencher la pression maximale. Mes deux cœurs et mes quatre poumons supporteront l’épreuve mais certainement pas cette maudite cage! Les parois vont éclater et alors…je serai libre.

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Clémence de Grandval n’était pas restée longtemps inanimée sur les dalles glacées de la crypte. Deux serviteurs l’avaient transportée dans une chambre à l’ameublement confortable et cossu, dans le style Louis XVI, des meubles authentiques, chambre sise au premier étage du château.
Une vieille femme, celle entrevue précédemment, à la septantaine bien sonnée, la propre nourrice de Galeazzo, Carlotta, était chargée de pourvoir à tous les besoins de la jeune fille. La domestique ne parlait que le piémontais et l’italien et aurait donné son sang pour le piccolo.
À la nuit tombée, rouvrant les yeux, Clémence découvrit sur la table de chevet une lettre du comte qui l’informait de son absence momentanée, obligé qu’il était de partir quelques jours pour affaires. À son retour, il épouserait son invitée selon le rituel séculaire des di Fabbrini. En attendant cet instant mémorable, la jeune fiancée était libre de se promener partout dans les jardins et le château hormis une aile condamnée, à la porte d’accès blindée.
Lorsque Clémence, livide, eut achevé sa lecture, elle aperçut Carlotta aux pieds du lit, toute souriante, portant un plateau de nourriture destiné au souper de la future maîtresse.
- Pour vous mademoiselle, fit-elle dans son italien chantant. Une bonne soupe bien chaude avec des légumes du potager, du bœuf gros sel. Comme dessert, de la gelée de coing. Ma pauvre caille, vous avez besoin de recouvrer vos forces. Mon petit n’aime pas les personnes anémiées et dolentes.
Comme si cela lui était habituel, la nourrice déposa son plateau sur la desserte qu’elle poussa ensuite jusqu’au lit sur lequel Clémence reposait.
Cette dernière, utilisant le peu d’italien glané lors d’un séjour à Rome, tenta d’amadouer la pitié de la vieille Carlotta. Mais celle-ci, faisant celle qui ne comprenait pas, s’en retourna jusqu’à l’office en prenant soin préalablement de refermer à clef la porte de la chambre.
Une fois seule, Clémence laissa couler ses larmes, ignorant ce que lui offrait l’appétissant plateau.

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Le comte di Fabbrini s’était rendu à Turin afin d’aller chercher de l’argent à la banca di Torino où il avait ouvert un compte sous une fausse identité.
En ce matin de mai, le soleil resplendissait ajoutant de la gaieté aux ruelles les plus étroites et les plus pauvres.
Devant une fontaine, les ménagères faisaient la queue dans le but de s’approvisionner en eau. Toutes ces femmes bavardaient dans leur patois, heureuses simplement de vivre, ne remarquant point la riche voiture qui stationnait devant la banque à quelques mètres à peine d’elles.
Son portefeuille bien garni, Galeazzo s’apprêtait à regagner son hôtel lorsque par hasard ses yeux se portèrent sur un fiacre qui venait, roulant à toute vitesse. Immédiatement, le Maudit reconnut les passagers qu’il transportait. Il s’agissait du journaliste André Levasseur et l’intendant de son demi-frère le comte Alban de Kermor. 
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- Hum… mon cher frère serait-il à ma recherche? S’interrogea di Fabbrini pas plus inquiet que cela. Cocher, suivez cette voiture, ordonna-t-il ensuite à son serviteur.
L’Italien avait pris sa décision. Une idée germait dans son cerveau diabolique. Il la caressait voluptueusement, la retournait dans tous les sens pour lui en ôter les scories. Puis, satisfait, il envisagea de la mettre bientôt à exécution.
Pendant ce temps, le fiacre du journaliste s’arrêtait devant l’hôtel des Ambassadeurs où Alban était installé pour quelques jours avec le juge Frédéric de Grandval.
Laissant Levasseur et l’intendant gagner leurs chambres respectives sans méfiance, di Fabbrini s’approcha de la réception lentement, sortit un billet de banque de sa poche et interrogea l’employé de service.
Celui-ci ne résista pas à l’appât du gain et fournit à son tentateur tous les renseignements désirés.
Satisfait, le Maudit reprit sa voiture, une voiture non armoriée cela va de soi, et sifflotant juste l’air des esclaves de Nabucco, se fit conduire à l’hôtel de France où il avait loué une suite luxueuse, digne d’un nabab.
Une heure plus tard, allongé sur un lit garni de satin, de velours et de soie, un cigare aux lèvres, le comte récapitulait les dispositions prises à l’encontre du journaliste Levasseur et de son demi-frère si haï, Alban.
- Ah! Mon frère! Te voici une fois encore t’interposant sur mon chemin! Mais je jure que ce sera la dernière. Combien de fois ai-je tenté  de mettre fin à tes jours? Mais le courage m’a manqué ou la chance t’a préservé. Aujourd’hui, cependant, je ne recule plus devant le fratricide car l’enjeu est trop important. Foin du chantage et autres viles pressions! Ce sont là des méthodes de petit malfrat. Je vaux plus que cela. Désormais, ce n’est plus la richesse insolente que je vise puisque je l’ai mais bien le pouvoir absolu, la coercition totale sur une humanité dégénérée, indigne d’apprécier à sa juste valeur mon génie! Toi tu seras ma première proie de choix, mon témoin et mon aède qui glorifiera mes actions lorsque j’aurai remodelé ton cerveau. Quant à ce fouineur de Levasseur, s’il est encore en vie, c’est sans doute là le résultat de la science de Sarton. Cet Hellados s’est joué de moi. Il ne perd rien pour attendre. Levasseur sera la chèvre qui attirera le lion dans les rets du dragon!
Une bouffée de cigare vint achever cette tirade digne du théâtre de boulevard. Elle empuantit davantage encore si possible une atmosphère déjà viciée. Dans quel état devaient être les poumons du comte? Ah! Pourquoi ne succombait-il pas à un cancer? Cela aurait été trop simple…
J’aime les scénarios alambiqués dignes des romans feuilletons de la deuxième moitié du XIXe siècle. En ce temps-là, je me réjouissais de lire quelques pages de Xavier de Montépin, de Paul Féval fils et bien sûr de Ponson du Terrail.
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 L’histoire est bien meilleure lorsque le méchant est à la hauteur. Évidemment, il ne faut pas s’attendre à y trouver une psychologie poussée chez les personnages. Après tout, ils ne sont que des stéréotypes. Mais bon… j’ai veillé à éviter ce défaut dans la grande majorité de mes simulations. Pas au début, je l’admets... Mais enfin, il ne faut pas oublier qu’alors j’étais si jeune… passons à la suite… elle est tout aussi divertissante et gothique à souhait. 
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