samedi 14 juillet 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 14 2e partie.


Le Cornwallis, le vaisseau amiral de la flotte Anglo-russe avait participé à une bataille dun nouveau genre, une bataille temporelle qui sétait déroulée à proximité du système Bellim. Laffrontement, âpre et sans merci, avait duré cinq heures selon le continuum local. Ce qui était une éternité dans lespace. Naturellement, lalliance Anglo-sino-russe, supérieure en technologie, avait gagné, mais cette victoire avait été obtenu à larraché. Une victoire à la Pyrrhus! Les Français, suicidaires, avaient, en dernier recours, jeté leurs vaisseaux, blessés mortellement, sur lennemi, détruisant ainsi une vingtaine de navires aux couleurs rouge et verte.
Le Cornwallis, frappé de plein fouet par le vaisseau de lamiral Gavret- mort avec courage - navait réchappé à la destruction que par miracle. Les niveaux 27 à 31 avaient durement trinqué. Or, cétait justement là que se situaient les moteurs quantiques, les translateurs ainsi que les mémoires centrales des ordinateurs. 
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Reclus dans son bureau, le commandant Sitruk comptabilisait avec une rage rentrée les victimes de ce combat. Cent dix-huit morts, soixante-douze blessés graves, deux cent trente légers et quatorze disparus, littéralement atomisés, cétait un lourd, trop lourd bilan pour son cher vaisseau. Mais Benjamin, au plus profond de lui-même, se sentait coupable dune telle hécatombe.
Manifestement, lAlliance navait pas été suffisamment formée à la tactique de la guerre temporelle; Qin avait, certes, cédé les translateurs promis, fourni quelques conseillers techniques, mais son aide sétait arrêtée là!
De leur côté, les Français avaient fait preuve dune témérité inouïe et déclairs de génie, dus, sans doute, aux remarques informelles des rares Helladoï engagés dans la flotte des Napoléonides. Ainsi, Albriss, le chef des opérations du Lagrange,avait été momentanément détaché sur le Wagram. Un de ses cousins avait été affecté, lui, sur le Ciùdad Juarez. et, comme par hasard, les deux vaisseaux de ligne avaient réchappé à lhallali. Les Helladoï raisonnaient parfaitement en quatre dimensions. Véritables exploits, leurs manœuvres avaient anticipé celles de lennemi Anglo-russe. Le désastre subi par les Napoléonides nétait donc pas total et Louis Jérôme Napoléon IX envisageait déjà une riposte sanglante, faisant fi des lois de la guerre.
Mais revenons au Cornwallis,ou plutôt à son ingénieur en chef, Tom Anderson, dont le prénom était David dans la piste temporelle 1721.
Lhomme avait été assez grièvement blessé lors de la fameuse bataille de Bellim. Il avait dû être évacué en urgence sur Terre, dans un hôpital près de Londres, un lieu réservé aux officiers de la flotte exclusivement. Après avoir subi une triple greffe, les deux reins et une jambe, il profitait dun congé de convalescence amplement mérité auprès de son épouse et de ses enfants quil revoyait enfin après deux années de séparation.
Mais pour sa famille, Tom était devenu un étranger. Son humeur, son caractère avaient changé. Il ne savait plus sy prendre avec sa fille Hazel, six ans, et encore moins avec son fils Timmy, neuf ans. Quant à Amy, sa femme, il navait plus rien à lui confier et à lui dire. Dès son arrivée, il avait exigé de faire chambre à part. Amy avait  intelligemment préféré ne pas insister mettant cette froideur nouvelle sur le compte du traumatisme résultant des graves blessures reçues par son époux. Elle se contentait de lentourer de sa douce sollicitude, de devancer ses petits désirs, lui apportant ainsi son café à la cannelle avant quil ne le lui réclame, sa brioche aux fruits confits du tea time, et ainsi de suite.
La nuit, dans la chambre dami, allongé sur le dos, les bras passés sous la nuque, Anderson ne dormait pas. Il gardait les yeux obstinément ouverts dans lobscurité, méditant, submergé par un appel de plus en plus pressant. Fuir! Tout quitter partir au plus tôt Rejoindre le désert du Takla-Makan, le Xinjiang, retrouver « son » commandant, cet homme exceptionnel aux cheveux auburn, aux yeux bleu gris et au sourire si déroutant.
«  Daniel Wu murmurait Tom dans le secret de son cœur. Cest bien là son nom. Mais Comment gagner ce lieu? Certes, en tant que sujet du roi Edward XVI, je puis obtenir un passeport et un visa pour la Chine. Ensuite? Non, il faut que je my rende incognito, sans que les satellites me pistent à cause de ces fichus transpondeurs qui font partie de moi-même depuis mes trois ans! Comme cela me serait facile de les neutraliser! Pour rien en fait car, cinq minutes après, la sécurité se pointerait à moins que ».
Un plan sesquissait dans le cerveau dAnderson. Simuler un accident de téléporteur. Faire croire à une désintégration en cours de transfert et se matérialiser sans dommage ailleurs, sans transpondeur, à des centaines de milliers de kilomètres de son point de réception prévu.
Tom mit un mois à finaliser son plan. Déclaré apte pour un service ménagé, il devait être directement téléporté sur la lune en ce 5 décembre 2517. Or, la téléportation connut quelques problèmes inexplicables. Notre ingénieur renégat fut déclaré décédé en cours de transfert. Les autorités britanniques mirent cette panne sur le compte du brouillage électronique émis par les Français.
Anderson était parvenu à ses fins, cest-à-dire à dissimuler le bon fonctionnement de lappareil et le lieu exact de sa rematérialisation. Ainsi, il nétait pas un déserteur mais un héros mort pour sa famille. Elle pourrait toucher une pension conséquente.
Tom atterrit à quarante kilomètres à peine de la base souterraine de lAgartha. Mais celle-ci lui demeurait toutefois inaccessible car lingénieur ignorait quil lui eût fallu changer et de chronoligne et de date pour y entrer. Anderson aurait mieux fait de voler un translateur et un chrono vision. En fait, il avait agi avec précipitation et mis ses jours en danger car notre Anglais, afin de ne pas éveiller les soupçons, ne sétait pas prémuni contre le froid glacial qui régnait dans cette région hostile, réchauffement climatique ou pas.
Après une longue journée cauchemardesque passée à lutter à la fois contre le vent et contre une température polaire ou presque, à tenter de se situer par rapport à une cité mirage, Thomas Kenneth Anderson était à bout de force. Combien dheures, voire de minutes avant quil ne succombe?
Alors quil allait sombrer dans un sommeil annonciateur dun sort sinistre, une voix bourrue, à laccent écossais rocailleux, le tira de son endormissement et linterpella en bon anglais.
- Hello, mister! Auriez-vous un peu de feu pour un accro de la bonne vieille pipe à tabac? Jai perdu mon foutu briquet dans la mer des Sargasses. Pourtant jy tenais sacrément!
- Je Cest impossible! Vous nêtes pas réel.
- Oh que oui, mon gars!
Lindividu, protégé par plusieurs couches doripeaux sans âge, sapprocha dun pas chaloupé. Même, il se baissa vers le Britannique, allongé sur le sol glacé.
Malgré son engourdissement, Tom parvint à bouger. Se frottant vigoureusement les yeux, il se secoua et balbutia:
- Du tabac? Ah! Cest donc cette odeur que je sens? Non, désolé, je ne fume pas
Anderson croyait être plongé dans une nouvelle version dAlice au Pays des Merveilles. 
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- Mais qui reprit-il en bégayant.
- Mais qui je suis? Symphorien Nestorius Craddock, pour vous servir en fonction de mes modestes moyens, répliqua le capitaine de bassine en zinc tout en saluant bien bas, avec une grâce digne dun hippopotame.
Sans façon, lAnglais dévisagea alors le vieil homme si aimable à la barbe grise et rousse, aux yeux moqueurs et au nez fleuri. Lindividu était coiffé dun antique bonnet tout crasseux.
A son tour, tout en quémandant de laide pour se redresser, Tom se présenta.
- Je me nomme Anderson Thomas Kenneth Anderson.
- Je sais fort bien qui vous êtes lieutenant. Vous servez comme ingénieur en chef chez les Angliches. Hop! Debout! Sans rancune, mon gars. Mais il faudrait accélérer un tantinet, là. Le Vaillant est en attente derrière nous depuis trois minutes déjà. Et le délai de sécurité va être dépassé dici vingt secondes.
- Le Vaillant? Votre vaisseau?
- On peut dire les choses comme cela. Bougre de graisse de phoque! Ah! Mon témoin de rappel. Perdu lui aussi dans les Sargasses. Je vais me faire passer un drôle de savon, là! Tant pis. Cest mérité.
- En attente, dites-vous mais je ne discerne aucune lueur et nentends rien.
- Naturellement, lieutenant Anderson. Le Vaillant est déphasé davec le continuum local de 0, 000012%. Bon sang! Mon gars, faites un effort! Je ne suis plus tout jeune vous dépassez le quintal ou quoi? Ça y est! Ces scolopendres de foutraques despions globes de mes deux se pointent! Pff! Jai eu chaud, là, le mur a été passé juste à temps.
- Quoi? Je nai rien remarqué.
- Ben, mon gars, on est à bord du Vaillant! on a passé le mur inter dimensionnel. Jme suis concentré et hop! Cela prouve que je nai pas le ciboulot aussi troué que le dit Gaston. Jai de beaux restes. Alors, ça vous plaît? Pas mal hein, pour un rafiot sans âge!
- Euh Je nai jamais vu cela! Les parois semblent être sculptées dans la lumière même. Et les contrôles, les consoles, du gel, de la mousse, de je ne sais pas quoi êtes-vous réellement humain?
- Oh oui, hélas! Il ny a pas plus humain que moi! Asseyez-vous.
- Où cela? Je ne vois aucun siège et mes pieds senfoncent dans quelque chose dirisé et transparent à la fois. Quelle est donc cette étrange matière?
- Je ne suis pas autorisé à te le dire mon gars. Pensez au siège. Fortement. Il apparaîtra. Voilà, vous avez compris. Cest simple, non? Tiens, vous avez du goût mais aussi de la culture. Style Orient Express, années 1920-1930... Bon, maintenant, il faut vous réchauffer et vous sustenter. Pourquoi pas un potage aux petits pois et une tasse de Earl Grey? Non? Cela ne vous tente pas, on dirait. Alors, une tasse de café à la cannelle
La table, la desserte, la vaisselle, tout se matérialisa ici comme sous le coup dune baguette magique. Tandis que Thomas, totalement dépassé et épuisé se laissait tomber sur un fauteuil et sempressait davaler son café, une desserte avait bien surgi du vide avec un plateau, des assiettes, des couverts, des bols et des cuillers.
- Daprès mes renseignements, vous aimez les pains mollets beurrés, dorés à point, pour votre petit-déjeuner. Deux doivent suffirent pour linstant. La brioche, ce sera pour plus tard, me dit Daniel Lin. Il ma recommandé dy aller mollo, mon gars. Et il nest pas partisan que lon se gave de douceurs!
- Je suis mort! Articula Anderson après avoir mordu dans un pain tout chaud. Et vous êtes lange chargé de laccueil. Bien que vous nen ayez pas du tout lair. Je ne me trompe pas nest-ce pas?
- Vous ne délirez pas, mais je ne suis pas un ange, Tom! Juste un vieux capitaine qui a roulé sa bosse dans toute le Galaxie et au-delà! Je vous expliquerai tout cela à lAgartha.
- Ah! Parce que nous ny sommes pas encore?
- Je vous ai dit que nous étions à bord de mon vaisseau Il nattend plus que mon feu vert pour gagner la Cité.
- Un vaisseau pareil
- Magnifique, non? Il est vrai quil applique une technologie spéciale, bien plus élaborée que celle que vous connaissez. Elle met en pratique la transdimensionnalité en osmose avec la télépathie. Cest là le dernier aboutissement des recherches helladiennes avant la destruction de Deltanis, une destruction qui aura lieu dans quelques milliers dannées.        
- Jétais apparemment attendu
- Plus quun peu, lieutenant. Un ingénieur de votre envergure! Bien que, maintenant, il vous faut actualiser vos connaissances. Mais Albriss se fera une joie de vous encadrer.
- Mon arrivée
- Etait prévue depuis des lustres à la picoseconde près. Mais jai eu un petit problème personnel
- Au-dessus de la mer des Sargasses, sans doute?
- Précisément. Pardonnez-moi pour le retard. Jamais vous nauriez dû avoir si froid. Javais une envie irrépressible de ratafia et je me suis empressé daller mapprovisionner aux Antilles; ensuite, hé bien, jai eu du mal à piloter le Vaillant.
- Vous étiez fin saoul.
- Je lavoue volontiers. Bref, jai merdé! Par ma faute, le vaisseau a subi une tempête magnétique et le sas sest ouvert. Dans laffaire, jai perdu mon briquet, mon rhume et par-dessus le marché mon témoin de rappel.
- Oui, mais pas la vie, remarqua Tom.
- Aucun risque, lieutenant. Un instant, jai boulé jusquà la porte, mais je me suis rattrapé. Puis, jai eu la présence desprit de placer le vaisseau en automatique
- Il était temps!
- Exactement! Et je me suis endormi comme un bébé.
- Cela vous a permis de recouvrer tous vos moyens mister Craddock.
- mon gars, ne soyez pas si sévère avec moi! Je suis là, cest lessentiel. Dans la Cité, lalcool est strictement interdit.
- Mais si vous usez de télépathie
- Justement. Daniel Lin sen aperçoit vite lorsque nous enfreignons les lois en vigueur à lAgartha. Je suis plus que certain quil va me convoquer illico presto et me fixer de ses yeux bleu gris dix minutes au minimum. Cela ne fait pas un pli. Alors, me sentant morveux comme un gamin de huit ans pris en faute, je vais rougir, piquer un fard et bégayer. Après cette entrevue, il ne va pas madresser la parole pendant, disons une semaine voire deux vous savez, cest terriblement frustrant.
- Mister Craddock, vous voulez plaisanter! Sesclaffa Anderson. Vous craignez tant que cela le commandant Daniel Lin Wu? Cest un tyran?
- Le craindre moi? Oh non! Je laime, ladmire et le vénère plus que quiconque. Pour lui, jai été jusquen enfer, jai affronté mes peurs les plus secrètes, mes démons les plus intimes et ma Mort! Comment dire? Comment décrire Daniel Lin? Il bon, compréhensif et si généreux. Cest la Compassion incarnée. Mais si vous avez une broutille à vous reprocher
- Comme celle de vous cuiter
- Son regard vous scrute au plus profond de votre âme quil met à nu. Il vous fait comprendre que vous avez fauté et vous vous sentez nul. La honte vous submerge croyez-moi, jen ai fait lexpérience plus dune fois je vais avoir droit à un foutu sermon, je ny couperai pas
- Un homme de votre âge?
- De mon âge! Ah! Ah! Vous trouvez la situation risible, nest-ce pas? Ricana Craddock.
- Euh Un peu
Regagnant la cabine de pilotage, le capitaine engagea le vaisseau dans le couloir transdimensionnel qui conduisait à lAgartha. Cinq secondes plus tard, le Vieux Loup de lEspace se retourna et fit:
- Lieutenant, nous sommes arrivés.
- Si vite?
- Bof! Simple routine. Bon, ma foi, vous êtes finalement assez présentable. Daniel Lin modèrera ses reproches. Denis ORourke soignera vous engelures et le Superviseur le reste. Il ne pourra sen empêcher de le faire. Je le connais trop bien. Mais il saura rester discret.
- Est-ce la téléportation qui a fait disparaître le vaisseau?
- Pas tout à fait Anderson. Nous sommes présentement dans le hall daccueil devant le comité de réception. Bonjour, Gaston
- Tu as quinze heures de retard, Craddock, proféra avec sévérité Gaston de la Renardière. Hâte-toi de rejoindre le commandant Wu dans larboretum. Il veut te voir.
- Je sais. Que vous disais-je, lieutenant? Gaston, nen rajoute pas, tu me feras plaisir. Ah Denis! Un patient pour toi. Tu le prends en charge. Jai un rendez-vous urgent auquel je ne peux me dérober.
Craddock abandonna donc là Anderson et, prestement, emprunta un antique ascenseur. Médusé, Tom vit un Irlandais au visage criblé de taches de rousseur, âgé tout au plus de trente ans, venir dans sa direction et le saluer.
- Denis ORourke, se présenta le jeune homme. Un malade ici, enfin cest si rare pardon de me réjouir de vos malheurs monsieur
- Thomas Anderson, docteur. Craddock avait lair plutôt bizarre non?
- Penaud et ému. Cest normal vu quil a une entrevue avec le Superviseur général de lAgartha en dehors des plages horaires habituelles.
- Monsieur  Anderson, vous êtes en règle, reprit de la Renardière. Jai votre ARN, votre ADN mitochondrial, votre ADN simple, vos empreintes dentaires, digitales, faciales, votre reconnaissance à liris et votre identification vocale. Les autres données ont été également enregistrées.
- Mais, sétonna Tom, vous navez effectué aucun prélèvement et ne mavez pas non plus ni approché ni manipulé! Tout cela tient du prodige.
- Rien que de la routine. Vous navez simplement pas vu nos micro nanites en action. Elles sont fort rapides et fort efficaces.
- Et pour cause, rétorqua lIrlandais; le micron paraît gigantesque par rapport à nos ouvriers standard. Mais il est temps pour moi de vous conduire à linfirmerie. Vous allez y faire la connaissance de deux de mes infirmières parmi les plus dévouées, Veronika et Renate. Des jumelles si semblables quil marrive de les confondre et de me tromper une fois sur quatre en moyenne. Après une petite cicatrisation cellulaire, Daniel Lin soccupera de vos blessures. Il me la fait entendre pas plus tard que ce matin. Il savait que Symphorien serait en retard
- Mes blessures? Pourquoi? On ma greffé il y a trois mois à peine, certes, mais je ne présente aucun symptôme de rejet.
- Tss! Tss! Médecine barbare et primitive que je pratiquais naguère. Le Superviseur a décidé de régénérer vos deux reins et votre jambe en deux coups de cuiller à pot.
- Bon sang, je vis un rêve! Je dois me pincer
- Ah jétais en train doublier le principal lieutenant Anderson, je vous recommande la discrétion quant à votre prise en charge médicale par Daniel Lin Il naime pas trop répandre la nouvelle quil possède des dons de thaumaturge.
- Euh daccord mais, docteur, dites-moi où et quand sommes-nous? 
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- Où? Dieu du ciel! Le capitaine ne vous la pas dit? À Shangri-La lAgartha si vous préférez. Quand? Ouille! Cest plus difficile. Demandez plutôt à Daniel Lin. Il vous expliquera mieux que moi ce quil en est. En tout cas, le temps normal na pas cours ici.
Sur ces étranges paroles, Denis entraîna Anderson à bord dune voiturette électrique antédiluvienne qui, pourtant, fonctionnait à la perfection. Le véhicule hors dâge emprunta un corridor qui senfonçait sous la terre. La pente y était vertigineuse. Lengin restait suspendu sur un coussin dair à une vingtaine de centimètres du sol.
- Docteur, hasarda Thomas quelque peu remis de sa stupeur première. Le commandant Daniel Lin Wu, celui qui fait office de Superviseur général de la Cité, il la dirige?
- Oh non! Pas du tout! Il naime pas se mettre en avant. Il prétexte quil na pas lexpérience du régime démocratique et laisse donc le pouvoir à un Conseil de douze membres élus périodiquement. Il se contente dêtre un ingénieur en chef chargé des opérations et de la maintenance de la cité souterraine. Parfois, il règle également des problèmes plus philosophiques il nest pas avare non plus de recommandations, de conseils et soutient moralement les plus fragiles des citoyens de lAgartha.
- Ah? Mais Craddock était fort marri de devoir le rencontrer
- Parce que cet indécrottable baroudeur sest encore enivré, voilà tout. Il fait tout pour être expulsé de la cité, mais Daniel Lin sobstine à refuser son départ mais je préfère ne pas métendre là-dessus Cela ne me regarde pas et vous encore moins pour en revenir à nos instances dirigeantes, Albriss et Lancet
- Lancet Nadine Lancet, lhistorienne du Cornwallis?
- Cest cela. Mais je reprends Albriss et Lancet font partie de notre gouvernement actuel. Des sortes dintendants bref, ils vous feront un topo sur notre mode de fonctionnement.
- Vous mavez dit quelle était la fonction du commandant Wu mais, dans votre bouche, il y a plus que du respect le concernant on pourrait croire quil est capable de ressusciter les morts
ORourke éclata alors dun rire sincèrement amusé.
- Il ne faut pas exagérer tout de même quoique la rumeur court que en fait, jadis, il laurait fait, mais il nest pas bon dévoquer  cette histoire moi-même, jai été le témoin dun tel prodige Jai préféré faire comme si rien nétait arrivé. Et Lobsang Jacinto nétait pas encore mort après tout son cœur battait irrégulièrement et il respirait, difficilement, oui, mais Daniel Lin na fait que le « réparer »
- Il vient bien dune autre chronoligne dans laquelle jofficiais à bord dun vaisseau français ayant pour nom le Langevin?
- Hum En quelque sorte disons que, dans la Cité, il fait office de Gardien, dange gardien
- Soit. Mais pourquoi me faites-vous ces confidences?
- Parce que vous mêtes sympathique
- Oui, mais encore?
- Parce que vous êtes venu de votre plein gré aussi. Tout comme Gaston, Albriss, Alexandre, Symphorien, Uruhu, un authentique Néandertalien, Manoël ne marquez donc pas autant votre surprise! Chtuh, Nadine, Celsia, Tony Hillerman et bien dautres. Ah! Jétais en train doublier le commandant Benjamin Sitruk
- Non! Ne me dites pas que lui aussi a déserté! Sétrangla lingénieur en chef du Cornwallis.
- Je naime pas cette expression.
- Bon , entendu Y a-t-il longtemps quil a gagné la cité?
- Il est parti trois mois après votre départ. Mais grâce à lutilisation dun translateur temporel, il nous a rejoint depuis deux années environ. Uruhu laccompagnait.
- Et vous? Quand êtes-vous arrivé à lAgartha?
- Moi? Deux ans, deux siècles peu importe.
- Docteur, quessayez-vous de me faire comprendre?
- Euh LAgartha existe en dehors de la Création, en dehors du Pantransmultivers et la fonction précise de Daniel Lin, sa charge choisie et endossée librement, est de maintenir la cohérence de la Cité, protégée par une bulle quil a tissée lui-même. Une bulle isolée à lextérieur dun Pantransmultivers encore à conceptualiser daprès ce que jai pu comprendre
- ORourke, vous êtes fou. Et jai atterri dans un asile daliénés.
- Thomas, jai toute ma raison, je vous lassure. En tant que Gardien, Daniel Lin peut préserver notre Agartha de lusure et des aléas du Temps.
- Est-ce que tous dans la Cité en savent autant que vous? Interrogea Anderson plus que jamais dans lexpectative.
- Certainement pas!
- Quelle est la véritable nature de Daniel Lin Wu? Est-il humain dabord? Du moins à lorigine?
- Son Avatar lest, partiellement il affecte lapparence dun daryl androïde dune quarantaine dannées. Mais jignore son âge réel. Sa compagne Gwenaëlle pourrait vous en dévoiler davantage, mais je doute quelle le fasse.
- Son apparence, celle dun humain ordinaire au premier abord? Avec des cheveux roux foncé, des yeux bleu gris clairs, un teint pâle, un nez un soupçon trop long, dune taille raisonnable, un mètre quatre-vingt?
- Quatre-vingt-deux exactement Vous le décrivez assez justement
- Il correspond au portrait de mes rêves.
- Bref, il a tout de lEurasien quelconque puisquil vit, respire, mange, boit, procrée Toutefois, il ne dort jamais. Il nen a pas besoin
- Comment cela?
- Je vous ai dit quil préférait paraître un daryl androïde. Muni dun cerveau artificiel, il peut se passer de sommeil.
- Oui, entendu. Mais sa nature réelle, la connaissez-vous?
- Aucune idée mentit ORourke pour la première fois de cet échange.
- Jai saisi. Le secret ne vous appartient pas Ce prodige a-t-il pu créer lhumanité?
- Certes pas! En être son Préservateur suffit largement, croyez-moi!
Sur ce, Denis se tut. Le petit véhicule électrique arrivait à linfirmerie et le médecin avait désormais dautres soucis en tête. De son côté, Tom Anderson éprouvait de linquiétude. Mais à la vue des lieux, des appareils médicaux bien plus perfectionnés que ceux quil avait vus, il comprit quil était entre de bonnes mains et quil ne conserverait aucune séquelle de son séjour dans le désert froid du Takla-Makan.

***************

Or, tandis quORourke parlait ainsi à Anderson, lui en révélant juste un peu trop, lentrevue entre Craddock et Daniel Lin sachevait dans larboretum. Le commandant Wu y avait conduit les jumeaux Tim et Tommy afin que les jeunes enfants sy ébattent au milieu dune nature reconstituée et domestiquée. Là, ils respiraient un air plus naturel. Les garçonnets, qui commençaient à marcher, découvraient ce monde avec joie et touchaient tout ce quils voyaient.
- Je crois, Symphorien que vous avez compris
- Daniel Lin, jai éprouvé la peur de ma vie
- Finalement, vous y tenez à cette existence, capitaine!
- Euh je me suis retrouvé suspendu dans le vide, au-dessus des flots furieux me tenant comme je pouvais à la porte du sas. Je navais plus un poil sec
- La leçon a été profitable jen suis satisfait. Ne recommencez pas à vous mettre ainsi en danger
- Commandant, je ne peux rien vous promettre, vous le savez.
- Vous me contrariez grandement, mon ami ne recommencez pas à vous saouler disons avant cinq ou six unités
- 1800 ans terrestres? Là, vous êtes dur, Daniel Lin! Cest un coup de Jarnac
- Mais je ne suis pas si implacable, Symphorien.
- Vous saviez Forcément vous saviez que jallais faillir peut-être même avez-vous provoqué cet incident
- Tout de même pas, capitaine! Soffusqua Dan El, se reprenant cependant immédiatement. Je suis trop attaché à votre présence pour vous porter le moindre tort.
 - Je vous crois. Pourquoi mavoir confié cette foutue mission Daniel Lin?
- Parce que vous alliez la mener à bien. Parce que je savais que vous aviez besoin de sauter les plombs parce quaussi et surtout, Symphorien, tout comme moi, vous devez apprendre de vos échecs, de vos peurs, dominer celles-ci, triompher de vos démons intérieurs, progresser et mûrir, tout simplement.
- Alors, vous ne men voulez pas trop, Superviseur?
- Oh! Pas ce titre ici! Je ne suis pas en fonction que je sache mais pourquoi tant dacharnement à tenter de vous détruire, mon ami? Vous me peinez dune manière dont vous navez pas idée
- Il y a longtemps que jai envie den finir, commandant Wu jai bien assez vécu
- Il y a longtemps, vous mavez tendu la main le premier je vous aime comme mon meilleur ami, comme ce vieil homme que jamais je ne deviendrai.. Comme ce baroudeur risque-tout que jai toujours rêvé dêtre
- Pourtant, daprès ce que jen sais, vous avez fait preuve dune plus grande témérité que moi! Lança Craddock avec à-propos.
- Peut-être cest un point de vue Symphorien, je vous considère comme mon égal et nai point honte à reconnaître que je ne puis me passer de vous Vous pouvez tout me demander la jeunesse éternelle, la réparation dune cruelle injustice, mais vous vous en abstenez toujours, malgré mes réitérations, mon insistance vous me rappelez lhumanité dans sa quintessence. Acculé, vous vous montrez sublime. Vos défauts sont transfigurés en vertus vous savez mes faiblesses mieux que personne. Or, vous ne men tenez pas rigueur, bien au contraire vous macceptez tel un homme et non tel le dieu que je me refuse à être je me sais si imparfait, si inabouti atteindrais-je un jour cette perfection inaccessible? Je lignore car elle méchappe encore malgré tous mes efforts. Capitaine, vous maimez comme le fils que vous navez pas vu grandir et que jaurais pu vous rendre si facilement
- Dan El, merci de me dire cela ces paroles viennent du fond de votre cœur de ce qui vous en tient lieu
- Daniel Lin, sil vous plaît, Symphorien Jy tiens à mon nom humain et cest à moi à vous dire merci, à me montrer reconnaissant au-delà de toute parole, de tout geste superfétatoire. Tenez, relevez donc Tim tandis que je me charge de Tommy. Ces deux lascars se sont salis et Gwen va me gronder
- Euh je pense quil faut leur changer leurs couches
- En effet. Hop! Suivez-moi. Nous allons nous transformer en nounous.
Tout joyeux, Daniel Lin prit Tommy dans ses bras et entraîna le Cachalot du Système Sol jusquà ses appartements.
Au fond de lui-même, Symphorien voulait faire plaisir à Dan El, le Ying Lung dont il savait les tourments et les difficultés auxquels il était confronté. Alors, il se jura de faire un effort pour devenir sobre. Dès ce soir, il irait trouver Manoël et lui parlerait.

***************

Il était tôt ce matin-là dans la cité de lAgartha. Pourtant, déjà certains de ses résidents travaillaient au bien-être de toute la communauté. Ainsi Albriss, Tenzin Musuweni, Kilius le Castorii, Nadine Lancet et Denis ORourke remettaient leurs rapports hebdomadaires au Superviseur général. Aux côtés de ce dernier, se tenait André Fermat, debout, les bras croisés derrière le dos. Exceptionnellement, le mentor de Daniel Lin était présent, écoutant attentivement, évitant toutefois dintervenir dans les échanges. 
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- Les nouvelles archives seront fonctionnelles dans 58 sous unités, concluait Lancet dun ton neutre et professionnel. Pour linstant, les délais sont respectés grâce à la coopération du Conseil et à lassistance dAlbriss.
Poliment, Nadine sinclina devant lHellados et le grand Noir.
- Daprès les prévisions, elles suffiront à nos besoins durant cinquante mille giga unités en Temps Objectif, reprit la jeune femme toujours sur le même ton.
- Donc, de ce côté-ci, tout va bien? Fit le commandant Wu.
- Je ladmets.
- Et vous, Kilius? Quelle est votre demande?
- Les réserves de nourritures vont nécessiter incessamment un renouvellement. Certains de nos citoyens réclament en effet une plus grande diversification de nos aliments secondaires. Des mangues, des fruits de la passion, des avocats, des goyaves, bref, des fruits exotiques que lon trouvait couramment sur la planète Terre au XX e siècle.
- Ah. Cela pose-t-il un problème particulier, Kilius? Senquit le Superviseur.
- Jen ai discuté avec Tenzin. Les dépenses énergétiques supplémentaires pour ces nouvelles cultures seront tout à fait minimes. 0, 00061%. Quant à lhygrométrie et la qualité des sols, tout est OK.
- Entendu. Quant à vous, docteur, où en sont les nouvelles pathologies?
- En voie de résorption, heureusement. Le moral remonte vite. Manoël ma prêté un concours précieux. Ah! Et nous comptabilisons dix-huit nouvelles grossesses. Cest plus quespéré.
- Tant mieux! La situation saméliore à mon grand soulagement, soupira Daniel Lin. Vous transmettrez à Manoël mes félicitations pour son implication dans ces guérisons. Le mois prochain, cinquante-six de nos concitoyens bénéficieront dun séjour dans le Monde Réel. À lépoque de leur choix, évidemment. Je vous communiquerai demain leurs noms après accord de lUnicité. Les sélectionnés auront amplement le temps de se préparer. Ils passeront pour des touristes, des voyageurs, des explorateurs comme à laccoutumée.
- Époque de leur choix? Sinquiéta Albriss en fronçant ses sourcils noirs. Daniel Lin, permettez-moi de désapprouver officiellement cette décision!
- Cest votre droit, Albriss. Toutefois, les garanties de sécurités seront strictement contrôlées, je vous laffirme. Néanmoins, sil faut un superviseur
- Hum Un superviseur humanoïde.. Eh bien, je me charge dassumer cette charge, déclara simplement Tenzin Musuweni. Gardien, ny voyez rien contre vous
- Tenzin, pas ce titre, je vous prie Et je ne suis pas fâché.
- Compris, Daniel Lin. Je voulais sous-entendre que vous saviez ce que vous faisiez; les sélectionnés ne seront pas pris au hasard. Mais il faut rassurer les autres citoyens qui ne vous connaissent pas
- Bien évidemment. Je prenais votre proposition pour ce quelle était. Le risque zéro nexiste pas. Mais je tente de le limiter au maximum Albriss, voyez-vous, il me faut composer avec les besoins humains, les aspirations de la majorité de nos concitoyens. Et ce nest pas facile. Parfois, ceux-ci doivent lâcher du lest, se détendre, se changer les idées. Prendre des vacances, quoi. Quelques uns peuvent le leur reprocher, mais pas moi. Oui, surtout pas moi! Les humains restent fragiles sur le plan psychologique. La preuve, les pathologies apparues ce dernier cycle. Vivre au Paradis, pour lEternité, cest lassant. Sans doute aurais-je dû anticiper, les prendre en compte dès le départ, mais comme la situation va en saméliorant alors, un voyage dans le Monde Réel, cela ne peut faire que du bien! Ainsi, nos concitoyens se coltineront avec les contingences matérielles de ces temps imparfaits, les obligations quotidiennes de leurs frères humains de lextérieur. Croyez-moi, cest de cela dont-ils ont avant tout besoin! À leur retour, leurs témoignages, leurs récits feront taire bien les mécontentements des jamais satisfaits, ceux qui trouvent toujours à se plaindre que la mariée est trop belle. Ils feront ainsi davantage que des cours de reprise en mains. 
Dans son coin, Fermat sourit discrètement.
- Dan El, fit-il sur le mode mental, implicitement, vous reconnaissez avoir commis une erreur de jeunesse. Bravo! Enfin, vous vous rangez à mon avis. Votre Expérience a débuté alors que vous étiez encore quelque peu immature, mais bon finalement, elle se déroule correctement; mon enfant, vous avez relevé un sacré défi
- Gana-El, répliqua le jeune Ying Lung sur le même mode non verbal, quel persiflage! Vous vous montrez peu charitable ce matin. Mais vos sarcasmes glissent sur moi. Jai dépassé le stade de lorgueil blessé, vous savez
- Oh! Pas tant que cela, Surgeon! Je constate que votre humeur actuelle ne mautorise pas la plaisanterie.
- Non, effectivement. Et vous savez parfaitement pourquoi. Craddock a demandé à me parler. Il accompagne la Délégation.
- Nous y sommes donc depuis le temps
- Cétait inévitable, hélas. Mais tout doit se dérouler selon les schémas envisagés.
- Vous montrerez vous assez fort?
- Ai-je le choix? La faiblesse nest pas permise ici! Lenjeu
- Est celui de la poursuite de lexistence du Dessein initial.
- Bien résumé.
Pendant ce rapide échange muet, Tenzin sétait rapproché du bureau du Superviseur général et, le visage grave, annonçait:
- Mani Aniang a insisté pour faire partie de la délégation que vous devez recevoir dans dix minutes.
- Mani Aniang, bien sûr! Souffla André distinctement. Celui-là, on peut dire quil a la rancune chevillée au corps!
- Effectivement, il ne ma jamais pardonné davoir fait voler en éclats ses certitudes et ses croyances. Il est entré dans la Cité la graine de la discorde déjà bien implantée dans son esprit. Mais je pouvais labandonner décemment aux mains des Haäns de Hinduck.
- Oui, soupira le grand Noir. La Compassion exigeait cela de vous. Le recevrez-vous avec les mécontents, Daniel Lin?
- Maître Musuweni, la dérobade nentre pas dans mes défauts!
- Euh pardonnez-moi mon irrespect
- Il ny a pas eu offense, Tenzin. Tous les dossiers en cours ont été étudiés, non?
- Oui, Daniel Lin, y compris les points de friction, acquiesça Albriss.
- Alors, mes amis, à la semaine prochaine, à la même heure.
Alors, le petit groupe salua avec révérence le Superviseur général ainsi que le vice amiral Fermat puis se retira en silence. Tous les membres étaient convaincus que le Gardien agissait pour le mieux. La Cité serait préservé, cela seul importait. Aucun des fonctionnaires, y compris Albriss, nétait à même denvisager les graves conséquences de lentrevue suivante. Mais Gana-El et Dan El savaient, eux, ce qui allait suivre. La coupe de fiel se rapprochait inexorablement des lèvres du Supra Humain.
Une fois les deux Ying Lungs incarnés seuls, Fermat, sans façon, sassit sur le bord du bureau, face au commandant Wu et observa attentivement lAvatar de son fils.
- Les responsabilités et le devoir vous accablent, Dan El. Je pense que vous avez besoin de repos.
- Il nest pas temps, mon père. Jassume mon choix depuis les Origines, jen ai conscience, mais, ne vous fiez pas aux apparences, je ne le regrette absolument pas.
- Ah! Jaurais dû my opposer avec plus de fermeté! Mais jadmirais et admire encore votre courage et votre audace.
- Mon père, vous navez pas abandonné le Chœur Multiple pour écouter mes virtuelles récriminations, ni pour me voir mépancher sur votre épaule les jérémiades ne sont pas dans ma nature
- Vous avez changé, mon fils.
- En mieux, jespère?
- Hum Vous avez grandi, mûri assurément.
- Peut-être Alors, quavez-vous à mapprendre de si important?
- LUnicité vous accorde lautorisation de vous rendre sur lune des Terres extérieures, à lépoque du scramble.
- Ah! Je vois
- Vous pourrez vous faire accompagner de qui bon vous semblera. Vous êtes libre den décider à votre convenance.
- Délicat. Mon choix va naturellement se porter sur Sitruk, Craddock, Tellier, di Fabbrini, Lorenza donc, de la Renardière, Beauséjour, et une brochette de comédiens. Mais, quelle coïncidence! Ricana Dan El. Cette autorisation mest donnée juste au moment où les plus remontés des citoyens de lAgartha sapprêtent à faire défection. Tu parles dune synchronicité! LUnicité, qui na jamais véritablement accepté mon point de vue, cherche à rompre le Contrat. Je ne suis pas dupe, mon père.
- Euh, je ne vois pas les choses ainsi, formula André prudemment. À propos des renégats, ne leur permettez pas encore de quitter la cité. Maintenez-les plutôt en stase pour dix mille giga unités en Temps Objectif. Cela sera plus simple pour vous. Ainsi vous pourrez affronter lEnvoyée du Sombre avec plus dassurance. Or, cette dernière sera dautant plus redoutable quelle vous inspirera la pitié!  
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- Mon père, me pousseriez-vous à tricher?
- Lautre camp ne sen prive pas, Dan El mais ce nétait quune suggestion. Vous devez vous ménager, je vous le rappelle. Les pi vont compliquer la donne.
- Mais cétait prévu ainsi. Ils prendront à cœur de brider les humains, dexacerber leurs faiblesses et leurs défauts, de leur donner de mauvais conseils qui les conduiront à leur perte le plus souvent
- Certes mais vous avez comptabilisé en pertes et profits leur action néfaste.
- Cela ne marrange pas, je vous le jure.
- Je préfère ne pas polémiquer. Je suis venu ici, à Shangri-La pour prendre votre relève, le temps nécessaire à votre escapade. Ainsi, vos petites vies ne souffriront pas de votre absence.
- Gana-El, merci. Javais compris. Cependant, si je puis me permettre une recommandation méfiez-vous de votre allégeance, mon père.
- Dan El, je vous suis entièrement acquis, depuis le début, je vous laffirme haut et fort. Le Dragon inversé na quà bien se tenir.
- Fort bien. Dans ce cas, inutile de retarder davantage lentretien qui va suivre. Faisons entrer Craddock et consorts. Si vous désirez vous retirer, André
- Non, je préfère assister à ce qui va suivre. Il est bon que les insatisfaits et particulièrement Mani Aniang tremblent devant deux Juges.
- Oh! À propos de la concession accordée par lUnicité, je vais me rendre dans le Réseau Mondes afin de pouvoir juger de la part de confiance que je puis lui octroyer.
- Dan El, mesurez-vous bien votre outrecuidance?
- Pourquoi changerais-je? Gana-El, vous napprouvez pas toujours mes choix. Cependant, vous me soutenez avec une constance admirable.
- Parce que vous êtes brillant.
Un court silence suivit. Puis un chuintement feutré indiqua quune porte souvrait dans un glissement discret. Louverture laissa apparaître la délégation tant attendue à la tête de laquelle se trouvait Mani Aniang, le vieux métis Indien et Népalais. Craddock savança en dernier, timidement, tapotant dun air gêné sa poche informe gonflée par une blague à tabac plus que rebondie. Sans afficher le moindre signe de respect, le porte-parole des Insatisfaits de lAgartha commença à parler sans quil y fût invité.
- Je suis envoyé par mes mandants pour vous demander lautorisation de quitter définitivement Shangri-La, la si mal nommée!
- Hum, fit Daniel Lin naffichant pas sa contrariété, la si mal nommée. Cest là un point de vue non partagé par ses quinze mille résidents, ce me semble. Vous désirez donc partir définitivement, sans possibilité de retour, nous sommes bien daccord?
- Oui, mais dépêchez-vous Daniel Lin Wu!
- Pourquoi être venus solliciter mon autorisation? Vous pouviez fort bien formuler la même demande auprès du Conseil des Douze.
- Superviseur, nous prenez-vous pour des sots? Nous savons parfaitement que cest vous qui dirigez tout en sous-main, qui décidez de la pluie et du beau temps. Le Conseil nest quune façade!
- Admettons. Mani ne regretterez-vous rien? En êtes-vous convaincu?
- Oh absolument certain!
- Vous savez bien sûr que le Monde extérieur nest pas présentement créé. Or, il nest pas question dun coup de pouce de ma part pour vous projeter sur une Terre extérieure où vous pourriez somme toute poursuivre une existence paisible et confortable
- De votre part, nous nattendions aucune sollicitude, osa jeter Malipiero.
- Commandant Wu, reprit sèchement Mani Aniang, nessayez pas de nous décourager, notre décision est prise depuis un long moment déjà. Ne tergiversez pas, cest tout à fait inutile.
- Nous voulons fuir pour de bon ce lieu mensonger, cette utopie caricaturale dune pseudo Cité dor, renchérit Zoltan Pradesh.
- Soit. Alors, il est également inutile de vous expliquer quune fois exilés de Shangri-La, vous vous retrouverez en train de tomber dans le Grand Rien par conséquent, pour ne pas succomber, vous devrez vous dépouiller du leurre actuel de votre enveloppe charnelle. Et, ensuite, revêtir un aspect plus conforme à la Supra Réalité du Pantrasnmultivers, me fais-je bien comprendre?
- En vous exprimant ainsi, siffla Malipiero, vous révélez votre véritable nature!
- Euh, nous ne serons plus des êtres humains, hésita Timour Rima.
- Cest cela. Vous êtes conscient, bien évidemment, puisque, selon vous, je suis responsable de tout ce qui est néfaste dans lUnivers, que je pourrais aller plus loin encore et vous ôter jusquau sentiment dexister? Or, contrairement à vous, je ne suis ni rancunier, ni haineux, ni jaloux.
- Daniel Lin, commença le Népalais.
- Laissez-moi poursuivre, Mani Aniang. Vous me devez au moins cette politesse, à défaut de votre respect dont je nai rien à faire. Il ny a que la vérité qui blesse. Dans le Chaos Néant, mais pas total, qui vous attend, vous serez livrés à vous-mêmes, entièrement libres. Oui, libres de suivre les conseils plus ou moins avisés et intéressés dEntités peu amènes, dont la nature première nest ni la Compassion ni la Bonté! Celles-ci vous influenceront assurément à porter tort à ceux, que vous le vouliez ou non, restent, envers et contre tous, vos frères humains par-delà les éons et les devenirs. Voyez dès le début de lExpérience, jattendais cette défection. Mais, malgré tout, je vous ai laissé votre libre arbitre, espérant que vous ne succomberiez pas à vos défauts alors quil maurait été si facile de vous ôter la possibilité de choisir de partir vous nen auriez pas eu conscience, tout simplement. Mais vous nauriez été que des pantins programmés, ce que jabhorre. Ce semblant de vie, vous vous en seriez contentés, mais pas moi croyez-moi ou pas, cela mest égal.
- Daniel Lin, nous vous avons toujours refusé le titre de Préservateur dont vous parent les Instruits de la Cité, les douze Conseillers
- Quant à vos petites vies que vous chérissez tant, enchaîna Malipiero avec une haine marquée, vos créatures aux petits pieds, en aucun cas, elles ne sont nos frères et sœurs.
- Mani Aniang et Paolo Malipiero, jamais je ne vous ai nui. Jamais je ne vous ai insultés, rabaissés et ici, personne ne la fait non plus. Faites de même pour Tenzin Lobsang, Raeva et vos compagnons de la première heure. Est-ce trop vous demander?
- Mes compagnons? Gronda le vieil homme avec mépris. Des espions plutôt, des toutous stipendiés, des lèche-bottes
Craddock ny tint plus. Il sétait dominé jusquà cet instant, mais ce quil entendait dépassait les bornes. Fidèle parmi les fidèles du commandant Wu, il prit la parole, éructant de colère.
- Cela suffit espèce de sinanthrope décérébré!
De rage, le capitaine tapa violemment du poing sur la table, manquant de justesse de la fêler. Le fragile objet en verre et lumière vibra de longues secondes, au bord de la rupture. Puis, doucement, le ondulations cessèrent.
Alors, Daniel Lin reprit, le visage cette fois-ci fermé, désormais plus enclin à la sévérité.
- Mani Aniang, Zoltan Pradesh, Paolo Malipiero et Timour Rima, écoutez les ultimes phrases que je prononce, soyez attentifs et retenez-les lorsque vous serez las de lutter pour exister dans les interstices des liens entre les Mondes, lorsque vous serez à bout, vous perdrez toute mesure au sein du maelstrom. Vous oublierez alors tout sentiment de compassion, tout souvenir de ce que vous fûtes un court instant, vous endosserez lidentité de la Dimension p, vous en serez ses racines vous croirez triompher mais vous ne serez que les jouets de lObscurité, de lInversé, vous penserez agir librement, vous vous amuserez à chambouler lordre du Chaos, mais ainsi vous ne ferez quobéir à une Entité supérieure à vous. Imbus de votre pouvoir apparent sur ces petites vies de chair et de sang, vous les tourmenterez, les amenant à sautodétruire, vous flatterez ce qui existe de plus bas et de plus vil en elles. Or, sachez que cela fait partie dune des nécessités du Grand Dessein dont le motif central vous échappera toujours instrumentalisés par le Dragon Inversé, vous pataugerez dans votre pseudo victoire, faisant taire en vous le minuscule noyau de lucidité qui chantera la complainte de la terreur et du désespoir. Tout est vanité, tout est mensonge et duperie dans le Schéma de la Tapisserie de la Supra Réalité. Souvenez-vous-en bien! Lorsque vous porterez atteinte à lhumanité  une fois de trop, je serai là, je mopposerai à vous dans toute ma puissance et je vous laisserai mariner dans langoisse si redoutée de leffacement définitif au sein dun Néant éternel.   
Dan El navait point usé de sa voix de Ying Lung. Mani Aniang put donc rétorquer avec aplomb.
- Nous ne craignons nullement votre colère, serpent bifide!
Zoltan Pradesh crut bon de rajouter:
- Cest justement parce que nous refusons vos lois iniques et votre prison que nous partons!
- Une loi qui ligote! Nous navons jamais demandé à vivre éternellement, souffla Timour Rima.
- Ah! Si je pouvais rire je vois Tout, tout ce qui est, fut et sera, Timour Rima. Or, dans des milliards déons, vous supplierez, vous gémirez même pour que cette Eternité que, présentement, vous repoussez ne vous soit pas retirée. Tout a été dit. Quittez la Cité. Vous avez une heure.
En se retirant, Malipiero lança:
- Avec joie. Lheure qui vient est la plus belle de ma vie.
Mani Aniang se retourna sans saluer. Il fut imité par ses frères rebelles. Lorsque le quatuor eut disparu de la vue de Symphorien, celui-ci prit une fois encore la parole. On percevait le regret dans sa voix.
- Jai pourtant essayé de les dissuader de commettre cette folie. Alors, ils ont insulté et traité de factotum. Ils ont fermement refusé de mécouter.
- Craddock, inutile de ruminer votre déception, murmura Dan El avec douceur. Vous ne pouviez rien contre lInversé et ses manigances. Sachez que leurs esprits portent la marque indélébile du Dragon Noir.
- Ce Jean-foutre!
- Mon ami, je souffre autant que vous. Cette défection, bien que je my attendisse, maffecte profondément.
- Non, pas une défection, Daniel Lin mais bien une rébellion, mieux, une trahison.
- Capitaine, jaccepte ce terme. Mais vous avez entendu mon discours. Jai accordé la liberté de choisir à la proto humanité. Ai-je eu tort ou raison? Je ne le sais toujours pas.
- Cétait là votre prérogative, mais foutre! Vous vous compliquez lexistence bougrement.
- Maître Craddock, ne jurez pas, je vous prie. Dans quelques jours, je vous annonce que vous participerez à cette expédition africaine prévue de longue date. À une condition toutefois. Vous voyez laquelle?
- Euh Pas de tabac
- Oui franchement, vous devriez cesser de vous faire ainsi du mal, Symphorien, de vous user la santé Vos poumons
- Quoi mes poumons? Je respire parfaitement, non?
- Vos poumons crient grâce. Enfin, ils le devraient en temps normal mais
- Mais vous êtes là pour combattre les effets de la nicotine. Jabuse, encore et toujours.
- Pourtant vous faites des efforts, capitaine. Ainsi, vous ne succombez plus à lenvie dune virée alcoolisée dans les Caraïbes ou encore à Paris, le Paris de Verlaine et Rimbaud.
- Euh Jessaie. À propos, cette expédition, qui en sera?
- Saturnin tout dabord. Puis des comédiens et des invités surprise.
- Aïe!
- Quy a-t-il André?
- Daniel Lin, tâchez donc de rester dans les limites du raisonnable. En cas derreur, je ne pourrais vous couvrir.
- Mon père, rassurez-vous. Je ne commettrai aucune erreur. Et dès ce soir, lUnicité me donnera directement son autorisation pour les accompagnateurs. Symphorien, touchez-en déjà deux mots à Beauséjour et Pierre Fresnay.  Mais également à Michel Simon et Marcel Dalio. Peut-être Jean Gabin également    
- Hum Et Violetta?
- Là, je me tâte, je lavoue. Mais, encadrée, elle pourrait rendre quelques services
- Euh ne fait-elle pas preuve de fantaisie le plus souvent?
- Un euphémisme, jeta Fermat.
 - Finalement, je préfère quelle en fasse partie de cette expédition.
- Bigre, commandant Wu, vous aimez prendre des risques! Siffla Symphorien avec une pointe de sarcasme. Je vais me retirer et annoncer la nouvelle aux intéressés. Au fait, merci pour cette faveur, Superviseur.
- Mais il ne sagit pas dune faveur, Craddock. Vous aurez un rôle important à jouer. Vos talents particuliers seront sollicités, je vous le garantis.
- Ah? Dans ce cas à plus!
Sifflotant faux la barcarolle des Contes dHoffmann, le capitaine de sabot percé quitta le bureau du Superviseur général de lAgartha, le cœur en fête. Mais il noublia pas toutefois de saluer poliment les deux Yings Lungs.
- Comptez-vous réellement damener Violetta avec vous? Sinquiéta Gana-El.
- Malgré son jeune âge relatif, ma fille est très raisonnable. Elle seule pourra surveiller DS De B De B.
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- Je veux vous croire. Donc, vous avez décidé.
- Depuis un petit moment. Il me faut contrer cette madame de Saint-Aubain
- Oui, ses actions peuvent se révéler néfastes à terme et malmener votre Dessein.
- Cest tout à fait cela. Partons discuter avec la Totalité.
Les deux Entités disparurent soudainement de cette pré dimension, sans transition aucune. Cependant, la cohésion de lAgartha ne souffrit pas de leur absence, celle-ci ne durant que le bref moment nécessaire à une rose à peine éclose de sépanouir imperceptiblement.

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En ce début de soirée du mois de mai 1825, lagitation samplifiait rue Saint-Honoré. Là était situé le vieil opéra. Or, Sa Majesté Impériale Napoléon Premier devait y faire une apparition exceptionnelle accompagnée de son épouse Marie-Louise
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 et de la petite princesse Pauline qui fêterait ses huit ans dans deux jours. Une nouvelle œuvre du compositeur bien en cour Boëldieu allait y être donnée pour la toute première fois, une création donc qui avait pour titre La Dame Blanche. A noter que dans les pistes temporelles 1720 à 1723, cet opéra ne serait créé que le 10 décembre de cette même année 1825. 
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Napoléon le Grand détestait ce genre de musique mais il se devait à son peuple, nest-ce pas? Il devait régulièrement se montrer, faisant ainsi taire les rumeurs sur sa santé chancelante. Deux de ses sœurs sétaient également déplacées, Caroline et Elisa, y compris une flopée de maréchaux en uniformes rutilants? Suchet, Lefebvre, Soult, pour ne citer queux, le prince de Bénévent, Fouché le duc dOtrante qui revenait fortement en cour, et qui, ici, était toujours en vie, bref tous ceux qui comptait aux Tuileries.
Coïncidence surprenante, Suchet et Fouché partageaient le même carrosse. Il fallait faire des économies. Les deux hommes, qui navaient franchement rien en commun, attendaient lEmpereur dans la cour du palais, devisant de tout et de rien fort poliment.
Ce soir, contrairement à son habitude, napoléon serait en retard pour la représentation.
Mais il nen allait pas de sa faute. Jugez-en.
Marie-Louise hésitait à choisir une parure. Sa rivière de diamants récemment acquise ou son collier démeraudes quelle aimait tant? Et ce brocart? Allait-il si bien à son teint de blonde? La mettait-il en valeur ou la vieillissait-il?
- Marie-Louise, linterpella lEmpereur qui perdait patience, dépêchez-vous donc! Lexactitude est la politesse des rois, déclara un jour mon aïeul Louis le Quatorzième. Étant empereur, je ne puis faire moins!
- Sire, vous ne voudriez tout de même pas que japparaisse enlaidie à vos sujets bien aimés?
- Ne faites donc point tant la coquette! Ce nest pas vous qui serez le point de mire de la salle!
- Monsieur, jai beau avoir lhabitude de vos grossièretés, mais cette fois-ci, vous dépassez les bornes! Quelle goujaterie! Pauline, ma chère petite pleure maintenant de vous voir si colère. Mon pauvre chou damour!
La fillette sétait mise à sangloter sur le bras dodu de sa mère, détruisant lagencement savant de sa coiffure, faite de boucles, de mèches, montée en chignon, toute piquetée de pierres précieuses.
- Papa, je naime pas lorsque vous roulez des yeux! Jeta Pauline entre deux hoquets. Vous ressemblez à un démon tout noir!
- Petite peste. Est-ce ainsi que lon parle à son père lEmpereur?
- Sortez monsieur! Éclata alors limpératrice. Sortez avant de briser mes flacons de parfum et mes pots de crème. 
- Nous nous retrouverons en bas, Marie-Louise! Je vous accorde dix minutes, pas plus.
Dun pas furieux et sonore, Napoléon quitta les appartements de son épouse et gagna prestement une antichambre où Roustan lattendait avec une boisson parfumée au sirop dorgeat. Prestement, lEmpereur se rafraîchit. Puis, il demanda dune voix sourde:
- Betsy?
- Sire, elle est partie il y a une heure à peu près, articula le fidèle serviteur impassible. Elle semblait troublée et agitée.
- Sans doute une mauvaise nouvelle en provenance de Londres. Là-bas, on ne pardonne pas à sa famille davoir de lamitié pour ma personne. Et la mort dArtois na rien arrangé. Combien de fois lui ai-je conseillé de faire venir ses parents à Paris? Mais elle a toujours fermement refusé ma suggestion. Enfin! Ah! Jentends du bruit sur le palier. Ma femme sest décidée. Pas trop tôt!
Brusquement, Napoléon sortit à létage et, sans façon, sempara de la main gauche de son épouse, la serrant avec brutalité. Ensuite, il lobligea à descendre lescalier dun pas précipité, Pauline suivant derrière tant bien que mal. La fillette qui courait faillit dailleurs sétaler à cause de la traîne beaucoup trop longue. 
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Cependant, aucun domestique assistant à cette scène somme toute burlesque nosa rire. Tout le monde connaissait les terribles colères de lEmpereur et ses conséquences dramatiques.
Ce fut dans ce cortège étrange que le souverain prit place dans le carrosse, bousculant Marie-Louise et son enfant. La jeune femme, rouge de honte et de confusion, elle, percevait le comique de la situation, balbutia:
- Monsieur, vous avez les manières dun rustre. Mon père mavait averti pourtant
- Oh! Cessez donc là vos simagrées et vos jérémiades! Madame, moi aussi jai à me plaindre de vous. Vous entretenez une correspondance avec une personne qui me déplaît grandement. Et ce, depuis un moment, déjà.
- Voilà que vous lisez mon courrier maintenant! Que davanies je subis de votre part!
- Je le fais pour la sécurité de lEtat qui mimporte. Eh bien, jattends vos explications.
- Rien quun ami denfance, sire
- Oui, on dit cela, mais le ton des lettres
Sa Majesté criait presque, éructait ce qui permettait au cocher découter cette scène de ménage des plus bourgeoises et de sen amuser intérieurement.
Dans lautre carrosse qui suivait, le duc dOtrante avait remarqué, naturellement, la colère de lEmpereur. En quoi cette mauvaise humeur pouvait-elle affecter la politique extérieure de la France? Fouché en connaissait les raisons profondes et sur quoi cet incident pouvait déboucher; après tout, il lisait le premier les lettres de lamant de cœur de Marie-Louise.
- Quel couple mal assorti décidément! Pensait le chef secret de la police impériale en son for intérieur.
Pendant ce temps, la fausse Betsy avait rejoint le Vaillant sans encombre.
- Cest pour ce soir, informa-t-elle Daniel Lin.
- Tu confirmes donc les renseignements apportés par Erich et Viviane?
- Il ny aura pas dautre occasion aussi propice avant trois semaines pour le moins.
- Paracelse, André, Frédéric et Craddock sont déjà sur place.
- Et les autres membres de léquipe?
- Disséminés parmi la foule afin de la canaliser, déviter tout débordement et toute panique dans le but de faciliter larrestation des terroristes par la même occasion.
- Me garantis-tu que Napoléon sen sortira? Quil ny aura pas un trop grand nombre de victimes?
- Nous allons essayer de limiter les dégâts, Aure-Elise, cest tout ce que je puis te promettre. Le chrono vision devient de plus en plus capricieux.
- Mais Fieschi? Ne doit-il pas mourir ce soir?
- Cest là le seul fait avéré. Mais il reste à appréhender les hommes de Galeazzo et de Danikine. Or, nombre dentre eux appartiennent à la bande de Vidocq. Le plan de di Fabbrini et de Van der Zelden est assez tordu, crois-moi. Je ne puis ten dévoiler davantage.
- Je ne demande rien Daniel Lin. Resteras-tu à bord?
- Aure-Elise je ne descendrai quen dernier recours. Le facteur Irina nous échappe depuis dix longues heures maintenant.
- Quelque chose a dû se produire.
- Effectivement. Fermat se ronge les sangs.
- Or, malgré ce point aveugle, tu passes à laction.
- Je nai pas le choix. Les choses sont trop avancées.
Malgré ces paroles, Daniel Lin sourit à son amie avec confiance. Celle-ci saisit alors sa main et la serra fortement et avec chaleur dans les siennes. La jeune femme put sentir le calme intérieur du commandant Wu. Comment faisait-il donc pour conserver une telle sérénité? Elle lenviait et se morigénait dêtre ainsi incapable de limiter.

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