samedi 29 septembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie de l'Origine des Napoléonides chapitre 16 1ere partie.



Chapitre 16
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La charte qui régissait la cité de l’Agartha avait été proclamée et publiée. Tous pouvaient désormais s’y référer. Il avait fallu dix-huit mois pour l’élaborer, la rédiger, la raturer, la recommencer, et, enfin, la soumettre à l’approbation de toute la population  dans un référendum véritablement démocratique.
Pour parvenir à un texte non idéal, rien ne l’était, mais compatible avec la démocratie et à l’idée que chacun s’en faisait, un collège composé de cent quatre experts représentant toutes les couches de la société, toutes les ethnies et tous les peuples, s’était attelé à cette immense tâche rédactionnelle s’inspirant de grands textes incontournables.
Ledit collège avait bénéficié de la double présidence de Tony Hillerman, l’historien polyglotte et d’Albriss l’Hellados. La nouvelle constitution, révisable chaque lustre si nécessaire, s’inscrivant sur les fondamentaux, devait normalement résister à l’épreuve du temps.
Le commandant Wu n’avait pas participé à son élaboration, objectant qu’il ne connaissait rien à la mise en œuvre d’une vraie démocratie. Jamais, disait-il, il n’avait vécu sous pareil régime. Toutefois, il avait fourni les références, les textes dont s’étaient inspirés rédacteurs, et accepté le poste d’Observateur.
Les textes référentiels avaient été les suivants:
- La Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique de 1776; 
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- La Constitution de 1787 du même Etat;
- La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, puis celle de 1793 des pistes 1720 à 1725;
- L’Habeas Corpus anglais et le Bill of Rights de 1689;
- La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948;
- La Constitution de la RFA de 1949;
- La Constitution de 2011 de la VI e République française de la chronoligne 1723;
- Les Actes d’Indépendance des colonies martiennes de 2135 et 2241;
- Les Lois Fondamentales d’Alpha du Centaure de 1351 de l’Hégire post-humaine;
- Les Précieux et Véridiques Écrits de Vestrak d’Hellas de 7957 avant J.-C.;
- Le Système athénien du Ve siècle avant J.-C.;
Et ainsi de suite…
Le résultat de cet amalgame donnait ceci. Des élections annuelles, entièrement démocratiques, au suffrage universel direct, et ce, pour tous les niveaux de décisions, tant pour l’exécutif que pour le législatif - du moins tant que ce dernier pouvoir respectait les Principes énoncés par le Préservateur -. Le pouvoir judiciaire était également soumis à un système électif tant pour les jurys que pour les présidents des tribunaux et les assesseurs.
Mais ici, nul réel besoin de juge d’instruction, de procureur et d’avocat de la défense. Beaucoup s’étonnaient de cet oubli rédhibitoire mais le Conseil, élu et renouvelé périodiquement, qui en savait la raison, disait invariablement:
«  C’est là le rôle du Gardien de la Cité, le Juge par excellence ».
«  Mais qui est donc ce Juge »?
«  Le Préservateur tient à conserver son incognito. Il vit parmi nous comme un citoyen ordinaire. Il ne réclame aucun privilège, aucun passe-droit. Cela doit vous suffire ».
La majorité à qui cette réponse était faite s’en accommodait. Mais pas les Vingt-quatre!
Revenons au Conseil. Celui-ci comportait douze membres dont le mandat d’une durée d’une année était soumis à examen après échéance. Naturellement, les douze étaient entièrement dévoués au bien-être de la cité. Ils prêtaient serment publiquement et rendaient scrupuleusement compte de leur administration devant une commission neutre dont faisaient régulièrement partie Albriss, Tenzin Musuweni, Nadine Lancet, Stamon, Kilius, Kiku U Tu, Chtuh, Celsia et Daniel Lin Wu. Tandis que le cumul des mandats était strictement interdit, la réélection elle, était au contraire admise, mais pas consécutivement. Ainsi, il arrivait d’additionner cinq mandats durant un cycle soit sur trente ans environ.
Quant à l’administration générale, c’est-à-dire les commissaires sélectionnés pour leurs compétences et leurs qualités morales exemplaires, elle assurait le quotidien, l’intendance de l’Agartha.
C’était à ce titre justement que le commandant Wu avait reçu la fonction de Superviseur général en chef des superstructures de la cité. Il se retrouvait à coiffer tous les ingénieurs, techniciens, intendants, économes et agronomes; sans oublier le personnel soignant, les directeurs de l’approvisionnement, les responsables du recyclage des déchets, les spécialistes de l’assainissement des eaux, de l’air et du sol, les chefs de projets et ainsi de suite. Tous avaient obligation de lui présenter un rapport hebdomadaire qu’il avalisait le plus souvent. Aucun ne se dérobait, et, au contraire, montrait un enthousiasme des plus sincères lors de ces séances.
À part cela, nulle contrainte ne pesait vraiment sur les épaules des citoyens de l’Agartha.
Ah! Quant aux croyances les plus diverses, elles étaient toutes admises et respectées. Toutefois, aucune ne devait s’imposer et le prosélytisme était interdit car le régime de la cité s’était proclamé laïc.
Cependant, Denis ne faisait pas mystère de son catholicisme, Daniel Lin s’affichait bouddhiste, Sitruk revendiquait sa judéité. Il va de soi qu’aucune des religions pratiquées ne devait porter atteinte à la vie, à la dignité de l’individu ni remettre en cause le libre arbitre.
Sur le plan de la justice, il est bon de voir comment le système fonctionnait. Lorsqu’il y avait session du tribunal, c’était lorsque l’homicide ou le crime était avéré, soit qu’il avait été commis, soit qu’il était en train de se commettre, quel que soit le point de l’espace et du temps dans lequel se retrouvaient les citoyens de l’Agartha.
Déjà, une porcinoïde avait été condamnée pour l’assassinat du sergent Grronkkt. Dima Fergrii, la Marnousienne, l’épouse légitime de la victime, avait été exclue de la cité après le jugement rendu par le Tribunal. Mais c’était Daniel Lin qui s’était chargé de l’exécution de la sentence. Renvoyée chez les siens mais à une époque fort reculée, la criminelle avait succombé  sous les dents des prédateurs de ces temps préhistoriques. Grronkkt avait opportunément ressuscité mais perdu le souvenir de sa précédente union.
L’humain, Éric Lamirant avait eu le malheur de se montrer jaloux vis-à-vis de Celsia qui courtisait en toute innocence un autochtone de la Chine des Ming alors que le couple effectuait un voyage d’agrément sur la Terre numéro 1733. Un soir, il avait poignardé le lettré Fong Xu Huan qui récitait de si délicats poèmes à Celsia. 
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Aussitôt son forfait accompli, inexplicablement, l’assassin s’était retrouvé devant le terrible tribunal. Condamné, il avait eu le loisir de méditer longuement sur son terrible geste lors de son exil hors de l’humanité. Réduit à la condition de reptile, mais gardant toutes ses capacités intellectuelles, il avait séjourné durant dix ans dans l’arboretum sous l’apparence d’une tortue d’eau. La leçon avait-elle été profitable? Sans doute puisque le dénommé Éric ne recommença pas et accepta les tâches les plus viles après l’exécution de sa peine.
Les forfaits plus anodins n’étaient pas rares dans la cité. Mais le vol restait impossible car lorsqu’un résident de l’Agartha convoitait un bien, immédiatement et inexplicablement celui-ci se matérialisait devant les yeux médusés de l’envieux. Mais il fallait rester dans la limite du raisonnable. Si un objet était brisé par mégarde, il réapparaissait intact dans la seconde.
Il arrivait également que des individus se mettent en colère, fassent une scène de ménage, frappent leurs épouses, leurs enfants, bref, se montrent tout à fait odieux, n’hésitant pas à administrer des coups de pieds à leur animal domestique.
Mais alors, les coléreux et les brutes étaient convoqués par le Superviseur général et les contrevenants n’avaient pas intérêt à se dérober, à oublier le rendez-vous.
Racontons la scène qui se déroula ce matin-là entre Charles, un humain des plus ordinaires et le commandant Wu.
Le dénommé se présenta à l’heure, un point en sa faveur. Étonné, il s’assit face à Daniel Lin, sur invitation de ce dernier. Un silence pesant s’installa. Le violent ne comprenait pas pourquoi le commandant l’avait ainsi convoqué. Il transpirait sous les yeux inquisiteurs du Superviseur général.
Enfin, Charles se rappela que Daniel Lin, télépathe notoire, était en train de le sonder. Mais il ne faisait pas le lien avec son geste de l’avant-veille.
Or, le Gardien attendait patiemment une justification maladroite du violent. Comme Charles s’obstinait dans son silence, de plus en plus gêné et angoissé, le Superviseur se décida à prendre doucement la parole d’une voix calme et posée.
- Ah! Charles! Avez-vous conscience que vous venez de me décevoir grandement?
- Moi? Je ne comprends pas, Superviseur. J’accomplis mon travail consciencieusement, je vous l’assure. Tous les rapports vous le confirmeront.
- Il ne s’agit pas de la surveillance des jardins hydroponiques, Charles. Je veux parler de la violence dont vous avez fait preuve une fois encore envers votre épouse. Cette fois-ci, vous ne vous êtes pas contenté de lui administrer deux gifles.
- Comment le savez-vous? C’est cette garce qui est allée tout raconter à O’Rourke!
- Non, pas du tout. Il est dans ma nature de savoir tout ce qui se passe dans la cité, Charles.
- Parce que vous lisez dans les pensées.
- Une fois encore, non. Parce que je vois tout ce qui se produit en temps réel.
- Je ne comprends pas… c’est impossible. Il n’y a pas de caméras dans les appartements privés…
- Charles, vous méritez une punition.
- Comment? De quel droit? Commandant, vous ne faites pas partie du Tribunal que je sache. Ce n’est pas un délit que d’administrer une petite correction à sa femme qui a brûlé le repas!
- Ah! Violent, macho et têtu! Comment vous êtes-vous retrouvé ici? Vous ne méritez pas de séjourner en ce lieu, Charles… mais il n’est pas question de faire de la peine à votre mère… alors, je vous propose ceci. Soit vous acceptez de vieillir de vingt ans pour une durée objective de mille cinq cents années…
- Vous dites n’importe quoi, Superviseur…
- Laissez-moi achever… soit vous quittez la cité de votre plein gré pour vivre librement votre cycle entier sur une des Terres extérieures. À l’issue de votre existence, vous mourez, il va de soi, mais pour vous réincarner aussitôt dans un autre corps humain.
- Quoi? Que signifie ce marché? Vous plaisantez sans nul doute…
- Charles, j’ai vraiment les moyens de vous réincarner…
- Mourir… Une telle chose arrive dans les mondes extérieurs. Ma mère me l’a dit… mais je me suis refusé à la croire…
- Mourir, mais pas définitivement. Ayant une nouvelle fois atteint l’âge adulte dans votre nouveau corps, vous recouvrerez la mémoire, les souvenirs de votre précédente existence… j’y veillerai personnellement.
- Franchement, je ne saisis pas. Comment êtes-vous en mesure de me faire pareille proposition? Êtes-vous le diable, Dieu?
- Hum… ni l’un ni l’autre, Charles… ah! Je dois vous mettre en garde. Posséder une double mémoire est assez perturbant. J’en ai fait l’expérience moi-même jadis…
- Je veux bien entrer dans votre jeu absurde… vingt ans de plus physiquement. Ça me semble sévère comme punition.
- Cela dépend, Charles.
- Il n’y a que peu de personnes âgées dans l’Agartha. Craddock, Beauséjour…
- Parce que c’est leur choix. Votre vue ne sera plus aussi bonne, vos réflexes seront amoindris. Vous devrez prendre quelques précautions afin de vous maintenir en forme comme éviter les efforts inutiles, consulter O’Rourke régulièrement, subir quelques petits maux tels des essoufflements, des douleurs articulaires, des étourdissements passagers… si j’étais à votre place, je choisirais de vieillir.
- Ah! Parce que vous l’avez aussi expérimenté! Ricana Charles.
- J’ai tout expérimenté, mon ami.
- Durant mille cinq cents ans! Bigre! Gardien, n’exagérez-vous pas? Vous êtes bien le Gardien de la cité?
- Oui, vous avez enfin compris…
- Si j’opte pour le vieillissement, comment allez-vous donc procéder?
- Mais d’une manière fort simple. Je vais accélérer votre métabolisme. En une minute, pas plus, vous aurez vieilli de vingt ans. Vous savez, Charles, vous avez été rappelé à l’ordre trois fois déjà. Vous n’avez pas écouté. Je suis sincèrement navré de devoir sévir ainsi. Pensez au chagrin que vous causez à votre épouse, Gabrielle. Vous la faites souffrir cruellement. Or, elle vous aime d’un amour total qui ne demande rien en échange. Comme c’est son droit, elle pourrait exiger la séparation. Mais elle ne la souhaite pas. Elle s’est confiée à votre mère, Delphine Darmont.

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 Elle est prête à accepter la peine du vieillissement.
- Gardien, accordez-moi une dernière chance…
- Maître Charles, j’ai déjà fait preuve à votre égard d’une trop grande indulgence, croyez-moi. Tôt ou tard, il faut savoir accepter ses fautes et en payer le prix. Cela ne me procure aucun plaisir de punir les humains, mais c’est mon Devoir! Pour le bien de Gabrielle, la victime, pour toutes les victimes…
- Gardien, n’éprouvez-vous donc jamais de la colère? Vous vous contrôlez toujours? En toutes circonstances?
- Charles Soubeyran, j’ai mes faiblesses, comme tout être pensant. Mais jamais je ne m’en prends à plus faible que moi. Si je suis de mauvaise humeur, hé bien, j’évite de retourner celle-ci contre un autre, d’accuser ceux qui m’entourent. Je sais que je suis seul responsable des avanies que je subis et j’assume pleinement mes erreurs.
- Euh… Gardien, suis-je en train de vous manquer de respect en insistant?
- Cela n’a aucune importance, Charles. Respectez vos semblables, cela me suffira.
- Dans ce cas, je choisis… l’exil.
- C’est votre droit. Je comprends ce choix. Dans une heure, vous partirez pour la France du XIXe siècle. Piste 1722, c’est là ce que vous souhaitez. Vos capacités s’épanouiront pleinement. Mais évitez de chambouler le cours de l’histoire.
- Bien entendu.
- Dans ce cas, puisque nous nous comprenons, allez trouver Manoël puis Albriss. Tous deux vous prépareront à ce bannissement.
- Gardien, que ressent-on lorsqu’on meurt?
- Juste avant le néant, une grande détresse, une immense solitude, une désorientation. Puis… plus rien. L’écran noir. Jusqu’au retour de la Lumière…
- Vous avez connu cela. Je l’entends au ton de votre voix.
- Des millions et des millions de fois, Charles. À chaque seconde, à chaque segment du Pantransmultivers. C’est ma Nature. Je ne puis ignorer cette nécessité. Mais je préfère ne pas m’étendre là-dessus, sur ma fonction… au fait, une fois rendu à l’extérieur, vous oublierez jusqu’à mon existence. Une précaution inévitable. Lorsque vous serez une nouvelle fois réincarné, vous ne saurez plus non plus que je suis pour l’éternité et de toute éternité le Gardien de la cité. Pour tous ici, comme pour vous, sauf pour les responsables et administrateurs en exercice de l’Agartha, je me nomme Daniel Lin Wu Grimaud et j’officie en tant que Superviseur général…
- Gardien, merci pour votre franchise.
S’inclinant avec le plus grand respect, Charles Soubeyran se retira, ému. Aussitôt, il fut conduit par Chtuh et Tiburce, prévenus, auprès de Manoël.
Pendant ce temps, Dan El soupirait.
«  Depuis que la Cité est fonctionnelle, j’aurais dû apprendre à mieux juger les humains! La vérité est que ma compassion est certes ma plus grande qualité mais également ma plus grande faiblesse ».
Vérifiant une fois encore la résistance structurelle de l’A-Bulle, le commandant Wu partit rejoindre Sitruk afin de mettre au point un nouveau moteur quantique destiné au vaisseau intergalactique le Celsius.
Comme on le voit, Daniel Lin était fort pris par ses fonctions. Ses seuls loisirs et plaisirs restaient la peinture, la poésie, la musique, les soirées empreintes de chaleur à écouter les récits de Craddock, Gaston, Frédéric, Benjamin, les anecdotes croustillantes de Michel, Pierre, Fernand, Erich, les lectures en avant-première d’Alexandre et de Victor, et, surtout la présence à ses côtés de Gwenaëlle et de Bart, Tim et Tommy ainsi que les visites impromptues de Violetta et de Guillaume, d’Aure-Elise et de Raeva sans oublier celles toujours hilarantes de Saturnin.

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Or donc, Daniel Lin appréciait et chérissait particulièrement ces instants magiques, ces douces félicités volées à l’éternité où Aure-Elise et Violetta - oui, celle-ci était parvenue à développer ses dons artistiques - et Louise donnaient des concerts improvisés à l’adresse de leurs amis. Mozart, Beethoven, Bach père et fils, Schumann, Stravinsky, Servalii, Masilewan étaient souvent à l’honneur. 
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Brelan dévoilait régulièrement ses talents en chantant délicieusement des mélodies de Schubert, de Gounod ou de Brahms. Mais le jazz avait aussi le droit de cité grâce à Benjamin, Chtuh, Celsia, Tiburce et Grronkkt. Albriss non plus ne dédaignait pas de participer à ces réjouissances musicales en tâtant de la flûte ou de la harpe. En réalité, il excellait aussi au hautbois ou au basson. Quant à Uruhu, il régalait les Niek’Tous de berceuses et d’odes hors d’âge, toutes issues d’un monde disparu.
Sans le montrer, Dan El encourageait chacun à pratiquer une activité artistique, à développer un talent caché. Ainsi, Raeva sculptait des coquillages et assemblait des mandalas éphémères de toute beauté, Chtuh fabriquait des instruments à percussion d’une qualité exceptionnelle.
Les comédiens et acteurs séjournant volontairement dans la cité donnaient régulièrement des représentations théâtrales. Le Bourgeois gentilhomme, Polyeucte, le Mariage de Figaro, Cromwell, un Fil à la patte, Il ne faut jurer de rien, les Mouettes, la Mort de Danton, le Prince de Homburg, Mère courage, les Bonnes étaient les pièces les plus prisées et applaudies.
Des films mis en scène, des reconstitutions splendides et époustouflantes de réalisme émerveillaient petits et grands.
Tous les thèmes étaient abordés sans aucun tabou. Seuls les mauvais coucheurs trouvaient à redire et à geindre sur l’organisation et les divertissements de l’Agartha.
Lors de ces soirées informelles, Daniel Lin apparaissait vêtu de la robe chinoise traditionnelle en soie, mais de teinte vermillon. Des fleurs de lotus y étaient brodées. Parfois, selon son humeur, le supra humain passait sur cette robe un long manteau couleur jade orné de dragons. Il s’agissait là d’un discret clin d’œil à sa véritable nature qui amusait grandement Symphorien.
Le Ying Lung, en hôte accompli, régalait ses amis d’un plat de riz cuit à l’étouffé dans de grandes feuilles de thé vert séché. Un délice authentique et simple. Il accompagnait ce mets sans affectation de Lapsang Souchong présenté dans un service en porcelaine, des céladons Song hérités de Li Wu.
Le salon de Daniel Lin s’ornait d’un splendide paravent laqué avec des motifs d’une délicieuse préciosité, des grues cendrées saisies en plein vol, des ponts dessinés délicatement, des cerisiers en fleurs, de fragiles et gracieuses jeunes filles se perdant dans ces paysages printaniers.
Pour rester dans la note chinoise à laquelle il était fort attaché, sur une petite table laquée elle aussi, Daniel Lin veillait à ce que trônât un vase Mille Fleurs du XVIIIe siècle, remontant à la dynastie mandchoue.
Toutefois, quant aux murs du salon, ils s’avéraient plus éclectiques, étant décorés de reproductions des Nymphéas de Monet, de Madones de Raphaël, des Vierges du Giotto ou encore de Bellini, ou des portraits sublimes de Van Eyck. 
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Ces imitations parfaites en tous points avaient été peintes par Dan El lui-même qui, ici, n’avait forcé ni son talent ni fait appel à ses dons particuliers de Riu Shu. Un expert qui aurait examiné ces tableaux se serait trompé en toute bonne foi.
Les râleurs et contempteurs, heureusement ils n’étaient pas très nombreux, reprochaient à Daniel Lin de posséder des objets de luxe. Peut-être se complaisaient-ils dans la médiocrité? Le Superviseur leur rétorquait alors placidement que tous ses biens provenaient d’un héritage, assertion partiellement exacte, et que, si, à leur tour, ils voulaient personnaliser et embellir leur intérieur, il ne s’y opposerait pas. Il suffisait simplement que les demandeurs pensent fortement aux objets et décors qu’ils souhaitaient voir se matérialiser et, aussitôt, ce serait chose faite! Domptés, les mécontents se taisaient et, peu après, leurs appartements privés s’ornaient de services en cristal d’une beauté toute épurée, de porcelaines de Sèvres, de statuettes Tang , de totems Hopi ou Sioux, de mandalas, de masques Fang, Biery Fang, Dogon, Malinké…
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 cela coûtait peu en énergie au Préservateur, il tenait tant à faire plaisir!
Dan El avait ainsi offert à Craddock une tabatière représentant des miniatures chinoises dans le style érotique du plus bel effet, connaissant les péchés mignons du Vieux Loup de l’Espace. Il avait également fait un cadeau presque identique à Michel Simon. Narquois, avec une certaine causticité, ce dernier avait alors jeté:
- Tiens donc! Vous voulez donc m’apprendre les positions du Kama sutra?
- Oh non, cher ami! Vous n’avez pas besoin de ce cadeau pour cela.
- Vous non plus, j’en suis persuadé.
Puis, le comédien avait éclaté de rire, ce rire si caractéristique, désarmant la répartie de Daniel Lin.
Au fait, le jour où ce cadeau avait été offert, Gwen accouchait, cette fois sans douleurs, de Tim et Tommy. La même semaine, d’autres nourrissons voyaient le jour et venaient ainsi augmenter le nombre des résidents de l’Agartha.
Mais il est temps de retrouver Aure-Elise après sa prestation musicale.
- Euh… n’ai-je pas trop massacré cette rhapsodie? Demandait la jeune femme au commandant Wu. Tu ne me mens pas par charité en m’affirmant le contraire?
- Mon amie, ma première amie, je préfère de loin ta maladresse à une exécution trop parfaite dépourvue d’âme!
- Ah! Naturellement tu as remarqué mes erreurs… la soixante-dix-huitième mesure notamment.
- Bien sûr. Mais tu progresses, sois-en assurée. Ton interprétation des pièces de Brahms et de Liszt est marquée par les sentiments, l’émotion sincère d’une véritable artiste.
- Merci… euh… un doute me vient, Daniel Lin. Tu n’es pas intervenu, n’est-ce pas?
- Intervenu? Que veux-tu dire?
- Tu n’as pas amélioré mon jeu?
- Non! Que vas-tu penser là! Cette interprétation venait bien de toi, Aure-Elise, crois-moi.
- Tant mieux! Je me sens soulagée. Au fait, la semaine prochaine, Benjamin Sitruk donne un pot-pourri de jazz New Orléans. Il m’a invitée. Tu en seras? Tu pourras te libérer?
- Je ne manquerai cela pour rien au monde.
- Oui, évidemment. Tu apprécies toutes les musiques. Alors, à après-demain pour le rapport hebdomadaire.
- Ce sera pour moi l’occasion de te prêter quelques partitions. Du Satie, les Gymnopédies par exemple. Je te conseille la deuxième, ma préférée, comme tu le sais déjà. Mais aussi du Debussy.
- Du Satie? La deuxième Gymnopédie, ai-je bien entendu, Daniel Lin?
- Oh! Mais je n’ai pas l’exclusivité de ce morceau, Aure-Elise!
- Ai-je bien compris? Dans ce cas, j’ai réellement fait des progrès…
De joie, spontanément, la jeune femme sauta au cou de son ami d’enfance et, sans façon, l’embrassa sur les deux joues. Après le départ de la fidèle Aure-Elise, Daniel Lin sourit, une lueur sincère d’amusement dans ses yeux bleu gris dans lesquels dansaient de minuscules étoiles et des filaments orangés.
«  Il suffit de si peu de choses pour créer du bonheur. Le génie humain y suffit amplement ».

***************

Juin 1825, Paris.
Dans le galetas qui leur servait de chambre, les subordonnés du capitaine Maïakovska lui rendaient compte des résultats de leur enquête concernant le vaste complot ourdi par Galeazzo et « le Hollandais volant ». Depuis son arrivée à cette époque, Irina avait bien changé. Désormais, dans ses iris couraient de fuligineuses fumées, des éclairs sombres et éphémères particulièrement inquiétants, des fulgurances noires. Entièrement investie et instrumentalisée par le Dragon Noir, la jeune femme ne disposait plus de son libre arbitre. Il ne restait de sa personnalité complexe que les aspects les plus négatifs et les plus repoussants. Chérifi et Warchifi n’avaient d’autre choix que de lui obéir. Quant à Stunk, sous la coupe, il ne se posait aucune question.
- Voilà, capitaine. Le baron Danikine a bel et bien un laboratoire identique à celui de Chatou, situé au nord de Londres, articulait Warchifi, mal à l’aise sous le regard inquisiteur de la Russe.
- Identique, mais jusqu’à quel point? Allons lieutenant, je sens votre peur. Oubliez-la et poursuivez votre rapport.
- Les hangars maquillés en entrepôts de charbon contiennent des centaines de cuves dans lesquelles dorment, plongés en hypothermie douce, des sosies du roi, de George IV et de sa famille, mais également de ses ministres, des Lords, des représentants de la Chambre des Communes et des maires des villes les plus importantes du royaume. Capitaine Maïakovska, les enregistrements de ce disque sont la preuve de ce que j’avance.
D’une main fébrile, Selim tendit à Irina l’enregistrement qu’il avait réussi à effectuer à la suite de son infraction.
- Avez-vous rencontré des problèmes particuliers? Questionna la jeune femme en dissimulant le disque dans une micro pochette. Du genre système d’alarme qui se déclenche, de caméra qui se met en route?
- Pas de cet ordre là. Cependant, il y avait trois gardiens. Inhumains, indescriptibles, balbutia Warchifi. J’en tremble encore.
- Ah! Avez-vous été identifié?
- Ces trois êtres ne pourront rien rapporter. Je suis parvenu à… les tuer.
- Par saint Wladimir, Selim, parlez donc! Aujourd’hui, il faut vous arracher les mots.
- Il s’agissait de robots insectoïdes constitués d’un assemblage d’autres minuscules êtres cybernétiques. Mais leurs structures étaient mouvantes et, lorsqu’on les touchait, ces créatures devenaient comme un gel liquide, se fluidifiaient, glissaient sur vous en tentant de s’introduire dans votre corps par les pores et tous les orifices! J’ai eu l’impression de vivre dans ma chair un holoroman d’horreur.
- Hum! Vous me décrivez une technologie qui n’appartient pas à notre siècle, voilà tout. Lieutenant, comment vous en êtes-vous sorti?
- En plongeant dans une cuve sous tension… fit l’officier en chevrotant à l’évocation de ce pénible souvenir. Or, les robots m’ont suivi et ils se sont fondus dans le liquide amniotique. Ils se sont dissous. Après, cela a été plus terrible encore. Le clone avec lequel je baignais, qui était plongé dans le sommeil, s’est mis à bouger, son bras a tenté de m’étrangler. Il n’était pas achevé. Il s’agissait d’un écorché avec des yeux sans paupières, une bouche dépourvue de lèvres, un cœur à nu qui palpitait pourtant dans la cage thoracique. Je n’ai pas eu le choix et j’ai dû me servir de mon micro fuseur, tirer à bout portant pour sauver ma vie. Le clone et la cuve ont été atomisés. 
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- Ensuite? Fit sévèrement l’officier russe, insensible à l’émotion éprouvée par son subordonné.
- Ensuite, capitaine, eh bien, sans réfléchir davantage, je me suis enfui en courant comme un dératé. J’ai pris le premier train en partance pour Douvres et puis le steamer pour Calais.
- Danikine va apprendre cette intrusion! Siffla Irina contrariée. Di Fabbrini également.
- J’en ai conscience capitaine, se justifia Warchifi. J’ai failli. De retour en 2517, vous pourrez demander la réunion du conseil de guerre. J’en accepte par avance la sentence.
- Warchifi, cessez de faire l’idiot! Vous allez retourner en Angleterre au plus vite et tout détruire par l’utilisation d’une bombe antimatière. Ce ne sera donc pas la peine de pénétrer une fois encore dans les bâtiments. Une distance de vingt mètres suffira amplement.
- Euh… capitaine, le poids et la taille de la bombe?
- La taille, celle d’une tête d’épingle. Le poids? 0,2cg.
- Dans ce cas, non seulement les hangars seront détruits mais aussi la totalité du village. Objecta avec raison l’officier noir.
- Tant pis! Je n’ai pas le temps de finasser. Vous prendrez soin de mettre en route un compte à rebours suffisant afin de ne pas vous exposer négligemment, Warchifi, compris?
- Oui, capitaine.
- Vous pouvez encore me servir, n’est-ce pas?
- Euh… une dernière question… puis-je?
- Comment ai-je obtenu l’antimatière? Dolgouroï n’avait qu’une confiance limitée en Danikine, mentit Maïakovska. Il m’a confié trois capsules de ce genre.
En fait, Fu en personne lui avait donné les précieuses micro bombes.
- La seconde m’est sans doute destinée, marmonna Chérifi avec mélancolie.
- Précisément, Ahmed. Vous vous rendrez à Hambourg en premier lieu. Puis vous ferez le voyage jusqu’à New York et Boston. Danikine m’a avoué sur l’oreiller qu’il y avait là-bas un autre laboratoire, pas encore opérationnel certes, mais déjà bien pourvu.
- Bien, capitaine, acquiesça l’Arabe.
- Oh! Tous les deux, ne me regardez pas de cette façon! En tant qu’officier des services secrets russes, ce n’est pas la première fois que je paie de ma personne. Aucun mâle ne résiste à mon charme slave… sauf, ce maudit Français, l’ancien chef de la section 51, André Fermat.
- Et la troisième capsule, bégaya Ahmed, rougissant.
- C’est mon affaire. Je l’utiliserai plus tard, bien plus tard, ou plus tôt. Cela dépend du point de vue temporel.
Irina éclata de rire et se servit un verre de Xérès. La jeune femme avait pris la décision d’agir d’ici soixante-douze heures.

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samedi 15 septembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 15 3e partie.

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Alban de Kermor était de retour à Paris après un mois d’absence sous les traits d’un jeune noble bavarois accompagné de son mentor. Comme tout dandy né avec une cuiller en or dans la bouche, tout fils de bonne famille qui se respecte souhaitant découvrir le monde civilisé, il disait effectuer son tour d’Europe. L’adolescent était persuadé que son identité d’emprunt était inattaquable. Pour assurer celle-ci, il avait teint ses cheveux en blond, portait des lunettes et avait gonflé ses joues encore poupines à l’aide de coton. Il avait également pris soin de modifier son timbre de voix afin de parfaire son déguisement. On lui aurait attribué la mention passable pour ses efforts, sans plus. Ah! J’oubliais! Il imitait à ravir l’accent allemand  mais ne s’exprimait pas encore couramment dans cette langue. Cela viendrait avec le temps.
Le mentor, qui n’était autre que Victor Francen,
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 ressemblait, quant à lui, à un vieux patriarche à la barbe blanche parfaitement taillée, au front haut dégarni et à l’œil en partie voilé par une cataracte déjà bien installée. Brillamment, comme on peut le constater, le comédien belge s’était vieilli de vingt ans au moins. Lui parlait sans difficultés la langue de Schiller et Thomas Mann.
Les deux hommes croyaient tromper la surveillance de la police impériale. À tort. En fait, dès qu’ils eurent posé le pied sur le sol français, ils furent pris en chasse par les mouches professionnelles. Leurs signalements communiqués à Paris, les espions avaient reçu toutefois l’ordre de ne pas se dévoiler et de poursuivre leur surveillance discrète.
Cipriani et Talleyrand escomptaient décapiter une fois pour toutes la mouvance royaliste et laissaient pour cela la bride lâche à Kermor. Par lui, toute la filière légitimiste serait remontée et le coup de filet prometteur. Les ministres espéraient également élucider l’énigme du « rayon vert » qui avait permis au jeune homme de disparaître sous les yeux des informateurs du super ministre. Rayon qui s’était une nouvelle fois manifesté lorsque Vidocq s’était évaporé à son tour juste après l’attentat de la rue Saint Honoré.   
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Avec un peu de chance, de logique et beaucoup de patience, les sbires parviendraient sans doute à capturer la mystérieuse bande qui prêtait main-forte au Breton, une bande assurément bien outillée car disposant d’une technologie très supérieure à celle fournie habituellement à Napoléon le Grand par le comte di Fabbrini.
Dès le début, Talleyrand avait conclu que les inconnus de ladite bande étaient responsables de l’échec de l’attentat contre Sa Majesté Impériale. Mais cela ne signifiait nullement qu’ils soutinssent le régime. D’ailleurs, depuis, ils se faisaient oublier. Que voulaient-ils en vérité? S’opposer à Galeazzo di Fabbrini? Peut-être bien. Incontestablement, l’italien avait tenu la laisse de Fieschi et de… Vidocq.
Pourquoi le policier avait-il trahi? Il devait toute sa carrière à l’Empereur! Alors, quel était précisément le projet de l’ambitieux di Fabbrini? Semer la pagaille en Europe? Trop simpliste. Dans un premier temps, jadis, l’Ultramontain avait favorisé l’ascension d’un obscur officier d’artillerie, d’un nobliau corse désargenté sans espoir d’avenir, l’avait méthodiquement conduit au pouvoir en même temps qu’il faisait de la France, la Grande Nation, un Etat bien plus puissant que celui de Louis XIV.
Or, aujourd’hui, le pays se trouvait à la croisée des chemins. Galeazzo, disparu depuis quelques années déjà, n’avait pas seulement ôté sa protection occulte à l’Empereur, il avait aussi fomenté un complot contre lui.
Si Napoléon venait à mourir, le jeune roi de Rome, pardon, François III, falot et avide de plaisirs, ne ferait pas le poids.
Le retournement de di Fabbrini restait incompréhensible, dépassait l’entendement pourtant fort grand du prince de Bénévent. Voulait-il remplacer l’Empereur par un de ses frères? Non!
Après avoir à peine évoqué cette hypothèse, Charles Maurice comprit aussitôt qu’il faisait fausse route. Joseph, l’aîné, vivait en exil aux Etats-Unis. Il ne fallait pas compter non plus sur Louis, trop jaloux, velléitaire et vindicatif, à l’intelligence relativement limitée. Ni sur Jérôme, encore moins à la hauteur. Lucien, dans ce cas. Mais celui-ci se taillait un royaume à sa mesure en Orient et ne pensait plus à la France. Du moins en apparence. Lucien n’avait jamais dissimulé ses sentiments républicains, trop imprégné de Rousseau et du Contrat social. 
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Peut-être était-ce cette carte que voulait abattre le mystérieux Galeazzo? Mais cette nouvelle hypothèse ne satisfaisait pas Talleyrand. Ce projet lui apparaissait manquant d’ambition et d’envergure. Ah! Que c’était agaçant! Le vieil homme sentait qu’il était en train d’oublier un facteur important. Ces hommes qui avaient contré l’Ultramontain avec succès venaient… du futur! Oui, comme di Fabbrini, et d’un futur encore plus lointain que le comte. Il devait l’admettre. Admettre également que Galeazzo n’avait pas pris une seule ride en quarante années.
La solution était de pister l’Italien. Mais comment s’y prendre? Cinq espions déjà, parmi les meilleurs de sa police secrète, avaient été retrouvés morts, s’étant approchés trop près de leur cible. L’un avait été tué au Jardin du Luxembourg, un deuxième rue aux Fers, un autre dans les Arènes de Lutèce, et, les deux derniers, rue des Blancs-Manteaux.
Dans ce cas, les mouches devraient désormais s’accrocher aux basques de la domesticité de Danikine. Moins dangereux.
Il est temps maintenant de revenir au téméraire Alban de Kermor. Le jeune homme ignorait - naturellement - que ses vêtements étaient munis d’un prototype de pisteur; ledit appareil avait été introduit habilement dans la couture du paletot que portait habituellement Alban par Galeazzo en personne. De plus, le comte avait pris soin de glisser un autre objet de ce genre dans une arme qui faisait partie de la panoplie du Breton. Di Fabbrini était une prudente personne qui prévoyait toujours une issue de secours. Mais comment l’Ultramontain était-il parvenu à entrer en contact avec Kermor? Nous le saurons bientôt.
Notre adolescent avait parfaitement conscience d’avoir contrevenu aux conseils du vice amiral Fermat et du commandant Wu. C’était pour cette raison d’ailleurs qu’il évitait désormais le cœur du vieux Paris. Ainsi, il avait élu domicile du côté de Grenelle. Mais il essayait de renouer, l’inconscient, avec quelques exilés de l’intérieur, favorables à la monarchie, des sympathisants qui logeaient boulevard Saint Germain ou encore à proximité du château de l’Élysée.
Comme tous les jeunes gens de son âge, Kermor aimait se distraire. Cependant, ses distractions prenaient un tour sérieux. À défaut de se rendre au Musée du Louvre, nouvellement ouvert, il assistait à des concerts de musique de chambre, des séances de lanternes magiques, avec toujours les mouches de la Sûreté à ses basques. Ces petits divertissements anodins auraient prêté à sourire dans d’autres circonstances. Mais ici, ils mettaient sa vie en danger.

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Dans sa chambre d’hôtel, Alban achevait de nouer son élégante cravate tandis que sur la table de style Louis XVI, un plateau attendait. Dessus, reposait un service à café tandis que des croissants étaient servis avec un pot de confiture de fraises et du sucre en poudre. Bref, il y avait de quoi satisfaire momentanément le solide appétit d’un tout jeune homme. Sept heures venaient de sonner à la pendulette rococo. Le comte admirait sa prestance devant le miroir d’une armoire. Il portait à ravir un gilet prune, un pantalon du même ton ainsi qu’une chemise de batiste à la blancheur immaculée. Quant à la cravate, elle était mousseuse à souhait et s’ornait d’une perle discrètement placée à l’endroit précis qu’exigeait la mode de la saison.
Content de son apparence, Kermor sourit puis s’assit afin de déjeuner. Un repas plus substantiel serait pris à onze heures. Après avoir bu une tasse de café au lait abondamment sucré, Alban s’apprêtait à couper en deux un croissant et à le tartiner de confiture lorsqu’ un cliquetis le fit sursauter. Quelqu’un était en train de s’introduire dans sa chambre!
Aussitôt, le jeune homme bondit de sa chaise prêt à se défendre. Il chercha des yeux un long stylet qu’il avait déposé la veille sur la tablette de nuit.
- Vous m’agresseriez? Demanda le vice amiral Fermat sur un ton qui se voulait ironique.
- Que… Comment m’avez-vous retrouvé?
- Ne soyez pas idiot! Un jeu d’enfant avec la technologie à ma disposition. De plus, il n’y avait pas que moi à suivre votre trace. J’ai dû me débarrasser de quatre mouches qui étaient postées dans les environs. Bien! Assez d’enfantillage. Pourquoi être revenu à Paris? Surtout en ce moment?
- Monsieur, fermez la porte. Je n’aimerais pas que notre conversation soit entendue.
- Tiens, vous êtes donc, comte, tout de même capable de prudence, répliqua André toujours sarcastique. Mais vous ne m’avez pas répondu à l’instant. Pourquoi ce retour? Vous aviez des instructions claires ce me semble.
Tout en disant cela, Fermat repoussait la porte et s’assurait que personne n’écoutait à proximité.
- Berry m’a donné de nouveaux ordres. Ainsi, je dois mettre le fils du vicomte de Noailles et le duc de Richelieu à l’abri en leur faisant passer la Manche. 
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- Ah! Tête dure de Breton! Décidément, vous êtes un fou téméraire. Quant au Prétendant, il a la cervelle vide d’un oiseau. Pourquoi dois-je me bombarder votre gardien? Comme si cela ne suffisait pas à ma charge présente!
- Amiral, la dauphine, pardon, la reine a particulièrement insisté pour que j’accomplisse cette mission. Personne ne résiste à son charme…
- Vous m’en direz tant.
- Mais comment avez-vous su mon adresse? Victor Francen sans doute?
- Effectivement, Victor est venu me parler. Il m’a également dit qu’à Londres vous aviez rencontré un homme d’une grande affectation, un certain Castel-Tedesco.
- C’est tout à fait vrai, avoua Kermor.
- Je poursuis. Castel-Tedesco est un homme âgé certes, mais il porte beau encore. Il est bien mis de sa personne vêtu élégamment comme on le serait en 1780...
- Un ami de Marie-Caroline si vous l’ignorez, monsieur Fermat!
- Enfant, votre naïveté me ferait pleurer si je le pouvais! Soupira le vice amiral. Castel-Tedesco n’est que l’un des nombreux pseudonymes dont aime à s’affubler Galeazzo di Fabbrini pour ses affaires secrètes.
- Que me dites-vous là monsieur? C’est tout à fait impossible! Je l’aurais reconnu immédiatement, identifié au premier coup d’œil! Il ressemble tant à Giacomo qui me ravit mon héritage.
- Et l’art du grimage Kermor dans lequel vous êtes encore un novice et le comte un maître?
- Je serais donc tombé dans un piège? Pourquoi? Mais s’il avait voulu me tuer, di Fabbrini aurait agi depuis longtemps.
- Le comte ne cède jamais à une impulsion, mon enfant! Il réfléchit toujours  avant de passer à l’action. Vous servez d’appât.
- Pour attirer qui? Vous? Craddock? Votre équipe?
- Le commandant Wu je dirais… mais Daniel Lin se tient sur ses gardes, lui… je sais qu’en cet instant celui qui s’est pompeusement et orgueilleusement appelé le Maudit connaît déjà votre retour dans la capitale. Et il n’a nullement besoin d’espions humains pour cette information. Dites-moi, Kermor, vous avez là une jolie arme, un stylet ciselé à la façon de Benvenuto Cellini lui-même. Mais, si je ne me trompe, l’acier en est plus ancien. Un bel objet qui dépasse probablement les moyens actuels de votre bourse…
- Un souvenir familial. Ayant appartenu à Enguerrand de Kermor, un mien aïeul. Prenez-le et admirez-le de plus près.
- Pas mal, oui. Mais je trouve la poignée un peu lourde pour de l’acier.
- Ah! Que faites-vous donc monsieur?
- Rien! Je me contente de dévisser le manche.
- Mais jamais à ma connaissance…
- Depuis que Galeazzo l’a eu en mains, oui, l’objet se dévisse! Voyez, j’avais raison. Regardez ce que contient votre dague.
- Je n’identifie pas ce que c’est…
- Et pour cause! Un pisteur électronique, ce me semble. Une antiquaillerie de la Guerre froide de la piste 1720... Ce mouchard doit être relié à un récepteur qui ne se trouve pas si loin… c’est cela. Une portée maximale de cinq cents mètres à tout casser.
- Monsieur Fermat, je n’entends rien à votre discours.
- Chut! Il y a également un microphone couplé à votre pisteur. Ah! Notre espion n’est pas aussi éloigné que je le pensais car il n’y a pas d’amplificateur.
- Mais… Vous essayez de …
- Briser ce mouchard, en effet.
Avec force, André tenta de sortir le petit appareil du manche. Mais il était trop bien incorporé à la poignée. Ses muscles humains ne suffisaient pas à la tâche. Il devait donc user de son énergie de Ying Lung! Tant pis pour son incognito. Or, un éclair noir, brusquement venu de nulle part, s’en vint frapper de plein fouet l’Observateur. Foudroyé, figé telle une statue, le vice amiral tomba sur le tapis, droit comme un I.    
Stupéfait, dans un réflexe de conservation, Alban se recula tout d’abord. Mais le jeune homme se morigéna sévèrement car il devait porter secours au militaire.
Alors qu’il se baissait afin de constater qu’André était toujours en vie, un autre phénomène tout aussi imprévisible mais d’une autre nature se produisit. L’enveloppe corporelle du vice amiral sembla se fondre dans l’atmosphère, disparaissant tout simplement de cette réalité-ci. À sa place, il ne resta plus durant une minuscule poignée de secondes  qu’une fragile lueur jaune orangé qui vacillait. Bientôt, elle s’éteignit. Du moins, ce fut ce que crut Alban.
Sonné et prostré, se demandant dans quel cauchemar il était plongé, le comte de Kermor, toujours en position accroupi, se mit à sangloter tout doucement. Il resta dans cette inconfortable position cinq minutes. Un soupir à peine perceptible le fit se redresser.
Daniel Lin, qui avait emprunté un raccourci transdimensionnel, se tenait debout devant lui. Le commandant était d’une lividité excessive. Visiblement, il manquait encore d’entraînement dans ce périlleux exercice.
- Décrivez-moi vite ce que vous avez pensé voir, Alban! Ordonna le commandant Wu dans un souffle. Le temps presse.
- Mais… je n’en sais … rien! Se récrimina Alban. Je vous l’assure. Je vis une fantasmagorie digne des récits de ma grand-mère. Si l’Ankou lui-même venait me chercher présentement, je n’en serais pas surpris! Je l’accueillerais avec un certain soulagement. 
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- Décidément, ces Bretons superstitieux! Murmura Daniel Lin quelque peu agacé. Tant pis. Je vais faire avec. Donnez-moi votre main. J’ai besoin d’un contact physique pour voir ce qui s’est passé. Vous ne sentirez rien de plus qu’un chatouillement.
Subjugué par la détermination du plus qu’humain, machinalement, Alban tendit sa main gauche. Elle fut saisie avec une certaine impatience par Daniel Lin.
- Hum… j’identifie la lumière noire caractéristique de Van der Zelden. Pourtant, un détail me turlupine, marmonna le commandant à haute voix, exprimant ainsi ses pensées tant il était préoccupé.
À l’instant où Gana-El avait été frappé, le jeune Ying Lung avait ressenti une douloureuse brûlure. Tout son être lui avait alors paru s’embraser.
Poursuivant son exploration, Daniel Lin reprit ses réflexions sur le même mode.
- La Supra Réalité. Je n’y ai pas accès en temps normal. Cependant, un couloir transdimensionnel brille plus que les autres. Et il reste à la périphérie du Vrai Monde qui me reste interdit. Il a été emprunté il y a peu par un être extraordinaire. Je me risque. Je verrais bien. Il me faut ramener André Fermat vivant…
À son tour, le commandant Wu disparut de la chambre, mais là, c’était volontaire. Déboussolé, Alban fut contraint de s’asseoir, ses jambes se dérobant. Gagnant le lit, le comte desserra fébrilement sa cravate puis se versa un verre d’eau d’une main tremblante.
- Dans quelle sorte d’histoire est-ce que je me trouve mêlé?
À peine notre Breton eut-il le temps d’articuler cette question destinée pour l’instant à rester sans réponse que deux silhouettes fragiles et fluctuantes se matérialisèrent sur le tapis devant ses yeux ébahis. Il s’agissait bien d’André Fermat et de Daniel Lin. Ce dernier avait donc réussi à localiser et à récupérer l’Observateur. Le plus âgé se frottait vigoureusement la poitrine, là où justement la lumière noire l’avait touché tandis que le plus jeune, plus spectral que jamais, haletait  ne parvenant pas à se redresser.
- Quel est ce nouveau prodige? S’exclama le comte qui n’en pouvait mais.
- Là-bas, je n’ai pas su situer le Vaillant, expliqua Daniel Lin en balbutiant. Je ne connaissais que ce chemin…
- Expliquez-moi! Hurla Alban, au bord de l’hystérie, se laissant submerger par la panique.
- Jeune homme, répondit Fermat sur un ton impossible à rendre, oubliez donc les dernières minutes. Il vaut mieux pour votre sécurité. Daniel Lin m’a ramené dans cet Univers, m’a rendu une intégrité matérielle et physique acceptable. Cela doit vous suffire.
Le jeune comte hocha la tête en signe d’assentiment puis perdit connaissance.  
- André, ne lui faites aucun mal… émit Daniel Lin au bord de l’effondrement.
- Telle n’est pas mon intention! Lorsque ce jeune homme si stupide se réveillera, il croira avoir rêvé sans plus. Sa tête lui lancera comme après une soirée de beuverie.
- Ah! Vous vous contentez de lui modifier ses souvenirs, Homo Spiritus…
- C’est cela.
- Mais le mouchard?
- Expédié dans une dimension décalée de 27% par rapport à la nôtre, Daniel Lin. Apprenez que j’ai également neutralisé les espions de la Sûreté. Le prince de Bénévent va se mordre les lèvres de colère.
- Vous avez vite réagi. J’ignorais qu’un agent temporel pouvait accomplir autant de choses en si peu de secondes.
- Il n’y a là rien de miraculeux, commandant.
- Amiral, regagnons le vaisseau au plus vite…
- J’actionne le témoin de rappel du téléporteur. Inutile de réitérer votre précédent exploit. Un départ plus prosaïque semble s’imposer. Tiendrez-vous le coup jusqu’au  Vaillant?
- Je l’espère… mais j’ai une envie irrépressible de dormir et de rendre mon dernier repas…
- Oh! Je le sais bien. Je suis passé par là un nombre incalculable de fois à mes débuts. La fièvre vous dévore et la soif vous taraude. Courage, Daniel Lin.
Les deux Supra Humains s’estompèrent de la chambre d’hôtel. André avait omis de remercier le Surgeon. Il ne tenait pas ce genre de compte.
Quant à Kermor, désormais seul, affalé sur le tapis, il ronflait comme un bienheureux alors qu’Ailleurs, tout à fait Ailleurs, l’Entité négative fulminait car Dan El recouvrait au galop ses prodigieuses facultés.

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Dans la cité de l’Agartha, il y avait souvent des instants fugaces mais intenses de bonheur ineffable qui montaient, se diffusaient partout, dans les moindres interstices de ce monde préservé, dans cette a bulle de a Monde. Ce bonheur, cette plénitude faisait vibrer Daniel Lin, branché en permanence à tous les humains de la cité, relié à eux à jamais. Enivré par ce sentiment débordant, le Ying Lung vivait à l’unisson de tous ces cœurs simples qui battaient.
Dans ces moments d’exaltation, Dan El fusionnait avec ces petites vies si attachantes, si aimantes et si aimées. Le chant du bonheur le baignait, le caressait, le remplissait, et lui, ému, comblé comme pas possible, renvoyait sur tous les résidents cette béatitude qui exsudait de chaque toron de son être réel et sublimé.
Partout l’extase de la lumière répandue à profusion.  
La chenille qui se métamorphosait en papillon bleu, prodige. La pousse tendre de l’épi de blé qui perçait sans douleur la terre nourricière, merveille. L’azalée en train de s’ouvrir délicatement, miracle.
L’eau glougloutant dans les fontaines, enchantement. L’enfant riant aux éclats, éblouissement d’un cœur empli d’allégresse.
Les baisers de deux amants, les soupirs partagés, les élans non réfrénés de passion sincère, l’exaltation des caresses, les timides émois des premières amours, les rougissements de deux jeunes cœurs qui se découvraient faits l’un pour l’autre, les cris des nouveau-nés qui emplissaient d’air leurs petits poumons, l’exploration du monde familial par les bambins d’un an à peine, les gazouillis mélodieux, les premiers « papa », « maman », les pas encore hésitants des apprentis marcheurs, les géniteurs et les grands-parents en admiration devant les découvertes des enfançons, les mains qui se frôlaient, se palpaient, les petons tâtés, caressés, les pouces et les poings mordillés, sucés, les yeux bleus, noirs ou gris qui s’ouvraient étonnés sur l’inconnu si attirant et fascinant, les farces innocentes, les papys et les mamys jouant avec leurs descendants s’appropriant ainsi pour une heure une seconde jeunesse, un bonheur pur, un Paradis retrouvé, un accomplissement véritable et inédit.
Dan El planant partout dans Shangri-La recevait, s’emplissait de ces joies toutes simples mais précieuses ô combien, indispensables à son équilibre mais aussi à celui de tous, chères comme des millions et des millions de remerciements, des prières exaucées.
Réjoui, le Ying Lung devenait Violetta et Guillaume, Raeva et Aure-Elise, Louise et Gaston, Alexandre et Marie, Benjamin et Nadine, Albriss et Renate, et, bien évidemment, lui-même, Daniel Lin et Gwenaëlle.
Pour ces instants proprement divins, pour ces joyaux dispensés par ses chères petites vies, Dan El le si humain Préservateur, si sensible, si avenant, si généreux, acceptait avec joie le fardeau épuisant de la maintenance de la cohésion de Shangri-La, la sauvegarde de la cité, le jugement des créatures défaillantes.
À l’aube de l’Histoire du Pantransmultivers, le Gardien avait édicté des règles primordiales et incontournables que tous devaient respecter. 
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Toute vie est unique et par là toute vie est sacrée.
Tu respecteras toute vie et ainsi tu te respecteras et seras préservé.
Tu n’ôteras pas la vie de celui qui est semblable à toi.
Tu ne tueras pas non plus celui qui est différent de toi.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même a dit le Fils de l’Homme. Garde en tête toujours ces paroles et je te préserverai.
Nous sommes tous frères, tous poussières d’étoiles. Acceptons nos différences et tirons-en profit pour le bien de tous. Apprenons à nous comprendre, à nous connaître, à tout partager.
Aimons-nous les uns les autres car c’est l’Amour qui est le moteur du Monde et de la Création.
 - Préservateur, oui, c’est là avant tout ma fonction, le nom que j’endosse dans le secret de mon cœur, qui me convient très bien, murmurait Daniel Lin à l’oreille de sa compagne tandis que celle-ci l’embrassait tendrement dans le cou, se faisant plus câline que jamais.            
- Tout ce que tu veux et souhaites, mon maître…
- Oh! Tout ce que tu veux toi, nuance…
Et Dan El sourit. Il exaltait de bonheur, frémissant dans des rapports charnels d’une intensité si forte qu’il communiquait son orgasme et sa joie à tous les habitants de l’Agartha, à tous les amants de la cité.
Ah! Benjamin et Nadine, Guillaume et Violetta, Albriss et Renate, Alexandre et Marie, Gaston et Louise, Raeva et Aure-Elise, Uruhu et Nouria, Kilius et Denis, Tiburce et Mina, Andrew et Shinaïa, quels privilégiés vous êtes et serez!
Seule la Voix Commune hésitait encore, oscillait entre le doute, la suspicion, le rejet et l’acceptation.
- Mon enfant, ma sœur,
  Songe à la douceur
  D’aller là-bas vivre ensemble.
  Aimer à loisir… 
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- Non! Hurla le Chœur Multiple.
- Sacrilège! Rugit Olmarii.
- Abomination! Gronda Oniù.
- Contagion! Conclut la Totalité.
- Erreur! Contra Gana-El. C’est Dan El qui a raison, qui est dans le Vrai. Sans l’Amour rien n’existe.
Loin, très loin de cette Supra Réalité, Daniel Lin percevait encore les échos de cette antique dispute; mais il n’en avait cure et riait, irradiant de vie, d’énergie, d’amour et de bonheur. Libre, jeune, généreux, il donnait et recevait, partageait et guérissait, il fécondait et permettait de féconder ce qui était stérile, aride, mutilé, mort et nécrosé.

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Ainsi furent conçus les jumeaux Tim et Tommy, David le premier né de Violetta et de Guillaume, Camille, la fille de Louise et de Gaston, Maé et Gemmima les jumelles d’Aure-Elise et de Raeva, William, l’enfant consolation de Benjamin et de Nadine, Sven, le mi Hellados mi humain, Véronique, la petite métisse d’Alexandre et de Marie et tous les enfançons de l’Agartha ou presque.
Pour Brelan, toutefois, Dan El avait accompli un authentique miracle qui ne lui avait guère coûté au vu du bonheur qu’il apportait à cette femme remarquable et à son compagnon qui ne l’était pas moins. En effet, depuis une quinzaine d’années environ, après avoir subi une cruelle mutilation, Louise s’était retrouvée dans l’incapacité d’enfanter.
Or, ce matin-là, dans la salle d’attente du cabinet de consultations de Denis O’Rourke, il y avait foule. Toutes ces dames papotaient de choses et d’autres, racontaient par le menu les faits marquants de la semaine. Nerveuse, Brelan y était venue, poussée par Aure-Elise. Quelque peu honteuse, gênée, elle baissait la tête. Être mère à son âge! Impensable! Tout à fait exclu. Depuis une éternité, elle n’avait plus ses menstrues. Donc aucune chance n’est-ce pas de mettre un enfant au monde…
Particulièrement détendu, heureux même, Denis sortit, le sourire aux lèvres et demanda à Louise d’entrer dans le cabinet médical. Tremblante comme une adolescente, le rouge au front, Brelan lui emboîta le pas.
- Docteur, commença la repentie, je suis simplement venue pour un conseil, sans plus.
- Tss… Tss… ne soyez pas si tendue, Louise et expliquez-moi votre cas. Cela ne sortira pas d’ici. Je vous le promets…
- Mais…
- Je puis tout entendre, mon amie…
Les premiers mots furent les plus difficiles. Denis était un homme, avait vingt-huit ans tout au plus, bref tout pour décourager les aveux. Mais enfin, Brelan parvint à se décoincer et à tout débiter de son douloureux et tumultueux passé. Sa gêne envolée, elle en oublia l’homosexualité du médecin. Alors, elle ne vit en lui qu’un homme bon, un ami capable de l’aider, de la soigner et de la réconforter. Pour elle, il était plus qu’évident qu’elle n’avait que les symptômes d’une grossesse. Elle n’était pas enceinte.
- Résumons, fit O’Rourke après avoir écouté Brelan attentivement. Votre âge biologique, quarante-quatre ans… ce n’est ni rédhibitoire ni honteux Louise pour avoir un enfant… un peu tardif, sans plus… que Diable! Vous ne vivez plus au XIXe siècle sous Napoléon IV! Une mutilation des ovaires selon vos souvenirs… pourtant, je les vois très bien sur mon écran. Ils sont parfaits… une absence de cycle menstruel depuis vos vingt-neuf ans suite à cette abomination ordonnée par le comte Galeazzo di Fabbrini… pour une fois, j’aimerais venger une telle cruauté! Mais le responsable a déjà payé. Oui, Louise, vous êtes bien enceinte, comme le montre mon appareil. Voyez cet amas. Il s’agit d’un embryon âgé de cinq semaines. Toutes mes patientes ici sont enceintes de cinq semaines… tout comme vous… Sauf Veronica. Mais c’est une autre histoire! Ah! J’oubliais! Ce sera une fille. Vous n’êtes pas déçue au moins? Et Gaston que j’apprécie beaucoup non plus j’espère?
- Docteur, c’est impossible… vous m’abusez… balbutia Louise, refusant de croire ce qu’elle entendait.
- Non, mon amie. Rien n’est impossible ici.
- On n’a pu me guérir, me réparer ainsi… aucune médecine n’en est capable…
- La mienne effectivement. Artificiellement, j’aurais pu vous faire porter un enfant, mais non pas régénérer ce qui n’existe plus.
- Vous voyez!
- Pourtant, vos ovaires ont été restaurés. Je ne parle ni de fécondation in vitro ni de clonage. Vous avez été remise à neuf, Louise, tous vos organes également. Et, si vous le désirez, vous pourrez être enceinte autant de fois que vous l’espèrerez et sans risques. Le choix, désormais, vous appartient.
- Je ne comprends pas…
- N’essayez pas. En attendant, détendez-vous, apportez la bonne nouvelle à Gaston, montrez-vous confiante, mangez léger, prenez ces vitamines, buvez un verre de lait chaud le soir et… pratiquez la natation.
- Euh… Est-ce tout, docteur?
- Pour le moment, oui, Louise.
- Je veux bien…
- Vous vous portez comme un charme.
Denis se leva et raccompagna Brelan dans la salle d’attente. Gwenaëlle accueillait Daniel Lin avec joie, ne lui tenant pas rigueur pour son retard.
- J’ai été retenu par Symphorien, lui expliqua son compagnon. Il a refusé une fois encore ce que je voulais lui offrir. Il est plus têtu que moi. J’ai préféré ne pas insister. Je n’aime pas forcer les volontés.
- Tu as eu raison. J’attends deux garçons, comme tu me l’avais dit, Daniel Lin.
- Bien, ma douce. Tu écouteras et suivras exactement les recommandations de Denis. Compris, Gwen?
- Oui, mon maître. Je suis si heureuse!
Gentiment, le commandant Wu embrassa sa compagne sur le front. Louise s’était avancée, émue, au bord des larmes. Elle prit sur elle d’interrompre le couple.
- C’est vous, souffla la blonde égérie de Gaston. De ses cils magnifiques et recourbés perlaient de précieuses gouttes d’eau irisées. 
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- Oui, Louise? Que voulez-vous me demander?
- Rien! Rien, je vous l’assure… vous avez déjà tant fait pour moi. Car, ce ne peut être que vous l’auteur de ce miracle! Vous me donnez bien plus que la vie, vous me donnez le bonheur d’être mère! Grâce vous soit rendue, Superviseur général!
- Louise, je n’ai rien fait… je me suis contenté de réparer une erreur, une odieuse monstruosité. Il n’y a là rien de miraculeux… vous seule avez accompli un véritable miracle; vous avez été capable d’aimer, sincèrement, totalement, de vous donner sans arrière-pensée, vous avez cherché à combler une autre personne que vous-même…
- Non Daniel Lin! Je vous connais suffisamment pour comprendre bien des choses. Vous voulez que tous les habitants de la Cité soient heureux, partagent votre félicité présente. Vous êtes l’être le plus généreux que j’aie rencontré. Vous donnez tout votre amour. Vous faites en sorte que votre bonté rejaillisse sur nous. Merci! Mille fois merci pour Gaston, pour moi et pour tous…
Alors, Louise s’agenouilla sans honte ni gêne et s’emparant des longues mains de Daniel Lin, les baisa respectueusement, les arrosant de ses larmes.
- Louise, que faites-vous? Vous me mettez dans une situation impossible… reprocha doucement le Préservateur… vous… m’embarrassez…
- Pardon, Daniel Lin… j’oubliais les témoins…
Le plus vite qu’elle le put, Brelan se releva, essuyant les larmes de son visage d’une touchante beauté. Transfigurée, avant de quitter la salle d’attente, elle dit:
- Que le Seigneur vous bénisse pour l’Eternité!
Puis, elle se retira, un sourire ineffable sur les lèvres.
- Dans son cœur, murmura Gwenaëlle, il y avait un amour pur, qui dépassait le monde, un amour infini pour… toi…
- Oui, Gwen, tu as les mots justes. Mais je ne veux pas être vénéré comme une divinité. Je ne suis qu’un simple humain, un peu plus doué que la moyenne pas davantage…
- Oui, Daniel Lin, mon maître…
Les jeunes femmes qui patientaient dans la salle hochèrent machinalement la tête et laissèrent le couple s’éloigner, tendrement enlacé.
- Deanna Shirley, c’est à vous, appela O’Rourke.
DS De B de B se leva précipitamment. L’apprentie star était enceinte elle aussi, mais sa grossesse n’avait rien de miraculeux et plutôt à voir avec une virée dans la France précédant la Belle Époque! On murmurait qu’un certain Bertie n’était pas étranger à son état.
Personne ne garderait en mémoire cette scène émouvante d’une future mère remerciant le Superviseur général de l’Agartha comme s’il était un dieu vivant. Denis, quant à lui, ne verrait pas ses souvenirs altérés. Fermant la porte de son cabinet, il soupira:
«  Si j’étais porté sur le blasphème, si je voulais manquer de respect, je dirais que Louise est parfaite dans le rôle de Marie-Madeleine repentante, une Marie-Madeleine sublimée par l’amour christique. Quant à Daniel Lin, il ne ressemble certes pas à Jésus. Peut-être un peu au Bouddha de la Compassion. Ah! Superviseur! Vous devrez vous montrer plus prudent si vous voulez préserver votre incognito! ».
Le soir même, le médecin comprit qu’il n’avait pas à s’inquiéter pour le Préservateur; celui-ci était fort capable de se protéger lui-même.

***************

Sur sa couchette, Daniel Lin reprenait des forces. Sa nausée s’était dissipée tandis que ses muscles recouvraient leur souplesse habituelle. Ufo, lové en boule à ses pieds, somnolait, le ventre plein d’un merlan qu’il avait chapardé dans l’assiette du capitaine Craddock, au grand dam de ce dernier.
Avec acidité, Violetta jetait à l’adresse de son chat: 
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- Il dort, il bouffe; il ronfle, il bâfre! Vingt-deux heures sur vingt-quatre! Tu parles d’un animal familier idéal! En plus, il me fait des infidélités en préférant mon père! 
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- Hum… Et le reste du temps, rajouta le Cachalot de l’espace, il miaule à pierre fendre car il n’a pas de femelle…
Méthodiquement, profitant de l’absence momentanée de Fermat, mais également du sommeil récupérateur du commandant Wu, Craddock bourrait sa pipe.
- Pff! Vous vous trompez, capitaine! Ufo n’a pas l’âge!
- Hon! Hon! Répliqua Symphorien en fumant. Il est en avance, jeune fille. Tiens, pas plus tard que tantôt, alors que je lui faisais faire une petite promenade digestive et hygiénique - j’en ai plus qu’assez que ce vaisseau pue l’urine de chat! - il était bien à l’affût d’une femelle en chaleur. J’ai reconnu le miaulement rauque caractéristique.
- Ah! Bah! Ça lui passera.
- M’étonnerait, miss.
- Une chatte en chaleur, vous dîtes, capitaine? Où cela?
- Près du cloître en ruines, du côté de Grenelle.
- Vous croirez qu’Ufo serait plus heureux si on lui ramenait une jolie compagne?
- Oh! Ça! Il ne songerait plus à se remplir la panse disons durant une semaine, c’est sûr! Miss Grimaud…
- Capitaine Craddock, cher Cachalot du Système Sol, soyez mimi tout plein…
- Qu’allez-vous me demander encore? Bougonna le vieil homme.
- Ramenez la chatte qui met Ufo en émoi.
- Quoi? Doucement les basses, jeune fille! Mon astronef n’est pas une animalerie!
- Un chat supplémentaire, ce n’est pas si volumineux, ça ne respire pas tant que cela et ça ne gaspille pas tant d’oxygène…
- Ouiche! Mais ensuite, on aura sur les bras cinq ou six boules de poils en plus… qu’il faudra noyer!
- Quelle cruauté, capitaine!
- Hé, je dis la vérité, mademoiselle. Et puis, ces bêtes-là; ça bondit partout, ça mordille n’importe quoi, ça fait ses griffes dans les endroits les plus inattendus. Ça réclame des soins, de l’attention, et tout… et tout…
- Ufo, le plus souvent, n’a pas besoin de moi…
- Sauf à l’heure de la soupe, c’est-à-dire huit à dix fois par jour…
- Certes, mais après, il dort… la preuve… voyez comme il ronronne…
- Sans doute… mais tous les chats ne sont pas comme lui, miss Violetta, ventre sur pattes et feignant…
- Oncle Craddock, je vous en prie. Je vous en supplie… sinon, je chante la Valse de la Traviata puis j’enchaîne avec la Habanera de Carmen!
- Tout mais pas ça! Je cède, miss. Vous avez une voix de sirène d’alarme! Je ne tiens pas à avoir aussi mal au crâne qu’après deux jours de beuverie.
- Oncle Craddock, vous êtes un amour.
La jeune adolescente se jeta vivement au cou du vieil homme pour lui marquer sa reconnaissance. Elle lui déposa deux baisers sonores sur des joues piquantes comme du foin.
- Vous devriez cesser de fumer, oncle Craddock. Vous puez le tabac et votre barbe n’est pas très accueillante.
- Du bon tabac blond de Hollande à vingt francs les cent grammes! Peste! Je ne vais pas m’en débarrasser comme cela. Ce serait du gaspillage.
En haussant les épaules, le vieux baroudeur de l’espace se téléporta dans les ruines du cloître. Il revint peu après cette escapade portant dans ses bras une jolie chatte chartreuse aux poils brillants et propres et aux escarboucles émeraude. La bête sentait le lilas et les herbes sèches.
- Adorable! Tout à fait adorable! S’exclama Violetta conquise. Viens dans mes bras, ma toute belle!
La jeune féline se laissa prendre par la jeune métamorphe avec grâce. Elle en accepta les caresses et les mamours sans la griffer ni se hérisser. Bientôt, elle ronronna d’aise et ferma ses yeux magnifiques.
- Je t’appellerai Opaline.
Le sort en était jeté. Le deuxième piège tendu par Johann et Galeazzo venait de s’activer.

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