samedi 27 novembre 2010

Mexafrica 3e partie : Le chevalier au blanc harnois chapitre 18.

Chapitre 18

Le message télépathique du vampire se poursuivit, toujours aussi brouillé.

- J’ignore comment les Russes sont parvenus à s’introduire chez le duc et à droguer mon verre de sang. Le somnifère, puissant, était indétectable!

Tony Hillerman, qui se tenait aux côtés d’Antor, marmonna quelque chose. Le vampire répercuta aussitôt la suggestion de l’historien.

- Le lieutenant demande à remonter à la source.

- Ouille! Fit Daniel. Cela signifierait que votre synthétiseur de nourriture a été trafiqué. Pourtant, je ne vois pas les hommes de Fouchine être capables d’accomplir un pareil exploit! Essayez d’identifier le narcotique incorporé aux boissons.

Antor reprit.

- Hillerman s’y emploie déjà. Il a commencé à effectuer quelques analyses basiques. C’est pour cela qu’il a suggéré le sabotage du synthétiseur; d’après lui, tous les aliments reconstitués contiennent du véronal à forte dose. Notre première tâche doit être de reprogrammer le synthétiseur. Toutefois, lors de l’enlèvement de Von Hauerstadt, je n’étais pas totalement inconscient.

- Oui, je vois, grâce à ta biologie, partiellement différente.

- Tout à fait. Dans mon demi-sommeil, j’ai perçu quelques mots et des noms russes.

- Compris! Avec qui Fouchine a-t-il fait alliance? Le Commandeur Suprême en personne? Ce serait la réponse la plus logique! Notre agent du KGB, croyant servir l’Union soviétique, serait en fait manipulé par la Sphère noire… Le raisonnement se tient car le contrôle des temps alternatifs par d’autres entités ou par des humains nuirait à l’hégémonie de l’ordinateur terminal par excellence.

- Je pense de même et ai abouti aux mêmes conclusions.

- Antor, pardonne-moi de te donner des ordres, mais…

- Fais comme si j’appartenais à la flotte et non aux corps diplomatiques, mon frère!

- Voici donc la piste que tu devras remonter: il te faut absolument découvrir l’identité du clone du Commandeur Suprême. Non pas Humphrey Grover, que tu connais déjà, mais celui qui est en poste en URSS.

- Bien. Ensuite?

- Un détail me turlupine. Pourquoi Franz n’a-t-il pas résisté à ses ravisseurs? Que mijote-t-il?

- Il est vrai que le duc était tout à fait capable à lui seul de provoquer un véritable carnage! Le KGB en a fait les frais en 1958 lors d’une précédente tentative avortée d ‘enlèvement. Il aurait donc un plan?

- Oui… Ou il a fait semblant, ou il a été contrôlé mentalement par le Commandeur! Non! Ce raisonnement ne tient pas! Franz est le Neutre de ce temps-là! Il a donc la faculté de résister au viol psychique!

- Mmm… Franz veut donc connaître l’objectif exact du Commandeur Suprême. La stratégie employée pour conserver la domination sur tous les temps et chrono lignes

- Le problème se pose ainsi: où et quand a-t-on conduit le duc?

- Daniel, tu as omis de me dire que les Russes possédaient désormais toute une flottille de translateurs opérationnels. Toutes les bandes rivales qui nous contrecarrent ont été favorisées par les p!

- Hélas! Nous avons pu constater de visu qu’ici, en 1249, les troupes de Zoël Amsq et de Hinckel s’étaient déjà affrontées! Il ne reste plus que TQT, Fouchine et Sun Wu à avoir un peu de retard.

- Pour ce dernier, je ne pense pas qu’il ait déjà perdu la partie! Pour révéler l’identité du clone du Commandeur, il faudra que Tony et moi nous rendions à Kola, non?

- Exactement, mon vieux!

- Daniel, moins de familiarité, je te prie! Et, de ton côté, tu ne crois pas que tu as déjà au moins deux navettes de retard?

- Je le reconnais! Avoue donc que ce 1249 t’intrigue! Oui, nous nous retrouvons plongés dans un merveilleux médiéval où les dragons côtoient les démons et les fées! Notre atterrissage a été un rien mouvementé. Et, pour une fois, je ne pilotais pas! Nous avons gagné ce 1249 avec deux mois d’avance… cela grâce à Zoël Amsq bien sûr! Les défaillances informatiques de l’Einstein ont atteint un tel niveau que nous sommes en train de nous rendre à Saint Géraud que montés sur des canassons!

- Ah! Bien! Bravo! Tu as donc opté pour cette solution plutôt que de tenter une réparation de l’IA… Tu aimes relever de sacrés défis, mon frère! De plus, tu oublies de nous signaler que ton groupe a rencontré quelques embûches en chemin!

- Pourquoi perdrai-je mon temps à formuler à haute voix ce que tu sais si bien en lisant dans mes pensées, Antor? L’aide du chevalier Philippe nous est indispensable. Les démons foisonnent!

- Permets-moi de rester sceptique! Le diable, ou Ogo, comme l’appelle le chevalier Van der Kirsche n’est qu’un nouvel avatar de Johann et de son alter ego, le Commandeur Suprême!

- Je ne mettrais pas ma main au feu… je pense que l’affaire est un poil plus compliquée…

- Je te souhaite bonne route, Daniel… je vais interrompre la communication. Si notre mission réussit…

- Elle doit réussir, Antor! L’inverse n’est pas envisageable!

- Je suis à même de comprendre ton inquiétude… bref, si nous réussissons, Tony et moi-même, le véritable 1249 se rétablira instantanément. Ah! Encore quelques secondes… Tony me signale la présence d’une singularité à hauteur de la presqu’île de Kola. La magnétosphère apparaît perturbée à cette latitude. La conclusion s’impose d’elle-même! Plusieurs translateurs temporels sont en activité et, selon la théorie formulée par Von Hauerstadt en 1968, plus on comptabilise de translateurs en état de marche en un lieu précis, plus les distorsions locales s’aggravent, mettant en danger de fragmentation et les ceintures magnétiques et le tissu du continuum spatio-temporel!

Hillerman conclut et le commandant Wu l’entendit:

- Triangulation de la base secrète de Kola achevée. Cette carte est un véritable bijou!

Antor coupa alors brutalement la communication, laissant Daniel Lin quelque peu désemparé. Il lui tardait de se rendre à Kola à bord d’une petite navette d’exploration, un simple runabout biplace! Toutefois, l’engin pouvait atteindre la vitesse de la lumière et se montrait d’une grande maniabilité dans l’atmosphère des planètes. Vaisseau de reconnaissance par excellence, il avait été amélioré par Daniel. La petite navette lui avait été utile lors de ces nombreuses pérégrinations dans les différentes Chines alternatives!

Pendant ce temps, au-dessus de la presqu’île de Kola, les déplacements temporels des Soviétiques engendraient un micro trou noir local, pas encore détectable. A terme, toute la Terre de l’année 1961 de l’Univers 1721 ter se retrouvait menacée mais aussi ses consœurs dans les chrono lignes numérotées 1700 à 1800!

***************

En quittant Issoire, le groupe de tempsnautes rencontra une troupe de pèlerins qui chantait « Ultreia », cheminant sur une route qui suivait le cours de l’Allier par Ronzières, Colamine… Les pèlerins avaient pour objectif de rejoindre le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au niveau du Puy-en-Velay.

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Les fervents portaient de larges chapeaux qui les protégeaient à la fois de la pluie et de la neige. Des bâtons noueux les aidaient à progresser sur un sol difficile et inégal, tandis que des bures grossières auxquelles pendaient des coquillages caractéristiques vêtaient leurs corps pas très propres. Les tissus dégageaient une odeur forte où l’on reconnaissait la crasse, l’urine et le fromage de chèvre tourné. La terre et les feuilles mortes en décomposition également. A cette époque, une hygiène aussi sommaire était chose normale chez les pauvres. Seuls les riches seigneurs possédaient des étuves. De plus, l’Église tonnait contre les bains publics dans les villes où les deux sexes se mélangeaient. Pour être un chrétien sans reproches, il fallait donc être sale. La crasse était-elle synonyme de sainteté?

Après cette rencontre éphémère, Daniel et Philippe prirent le chemin du Cantal. Il leur fallait rejoindre Aurillac par Veze, Allanche, Vernols, Dienne afin, ensuite, d’atteindre la Cère et en suivre le cours.

Le groupe s’arrêtait souvent dans de toutes petites bourgades afin de se recueillir dans des chapelles minuscules ornées de vierges noires. Chaque soir, tous partageaient la pitance des moines mendiants, alternant avec bonheur la fourme d’Ambert, le bleu d’Auvergne, le Cantal et d’autres produits laitiers.

Dans ce périple, Daniel semblait oublier toute impatience et observait, fasciné, les mœurs locales, se remplissant de souvenirs et d’expériences, absorbant tout comme une éponge dotée de raison.

Enfin, nos amis parvinrent dans un village où se tenait le marché à bestiaux mensuel. Parmi les moutons et les chèvres qui broutaient paisiblement, ils reconnurent des vaches rousses de Salers, caractéristiques, qui avaient failli disparaître à l’orée du XXIe siècle!

Depuis plusieurs jours déjà, l’équipe n’avait rencontré aucun obstacle merveilleux ou démonique. Cependant, la grossesse d’Irina courait vers son terme. Il lui fallait trouver au plus vite un havre confortable afin de mettre au monde Tatiana.

Or, dans le village, les moines mendiants pullulaient. Violetta était grandement intriguée par leur comportement. Elle identifiait l’humilité suprême dont ils faisaient preuve à une forme d’orgueil! Elle n’avait peut-être pas tort! Candidement, elle demanda quelques explications à son oncle. Sentencieusement, Daniel lui raconta alors une anecdote remontant à son enfance. La métamorphe adorait particulièrement les souvenirs du commandant.

- C’était l’année de mes dix ans. J’allais entrer à l’Académie. Li Wu me conduisit à Vientiane pour la première fois. J’avais déjà vu bien des cités. Beijing Canton, Hong Kong, Delhi, Tokyo, Paris, Cambera… mais aucune, bien sûr, ne ressemblait à Vientiane. Quel spectacle! Des immeubles ultra modernes en verre, d’une hauteur à rayer l’azur, de véritables vaisseaux aériens, des oiseaux multicolores immenses, magnifiques se dressant soudainement au milieu d’une jungle préservée… Plutôt reconstituée! Tout brillait, moirait, s’irisait devant mes yeux émerveillés. Certains bâtiments, parmi les plus anciens, rappelaient la Maison de la cascade de Frank Lloyd Wright. D’autres évoquaient avec bonheur des perruches, des grues cendrées du Japon ou encore des oiseaux-mouches. Mais ce n’est pas cela qui me frappa avant tout.

Le magnéto porteur nous avait déposés au centre d’une place ornée de demeures orchidées et là, au cœur de cette opulence, un bonze mendiant de l’ethnie Lao jouait en virtuose de l’orgue à bouche afin de gagner sa nourriture!

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Bigre! Pourquoi donc mendier puisque l’argent avait été éradiqué depuis plus de trois cents années? Ce qui me choqua, ce fut la robe safranée du moine. Elle était déchirée! Je ne savais pas ce qu’était la faim. Pour moi, la pauvreté n’existait pas!

Je fis part de ma stupéfaction à Li Wu.

« Grand-père, pourquoi cet homme mendie-t-il sa nourriture alors que, partout règne l’abondance? »

Le vieil homme me répondit avec un sourire que je ne compris pas immédiatement.

« Mon enfant, ce moine, ce saint homme, a fait vœu de pauvreté absolue. Il a chois un mode de vie éthique des plus honorables. Il a renoncé à tout. Il veut ignorer de quoi demain sera fait. Ainsi, il montre qu’il est détaché des biens matériels et se rapproche de la voie du Bouddha. Mais, pour autant, il ne pratique pas l’ascèse! »

« Me faudra-t-il un jour emprunter la même voie? » M’enquis-je avec une inquiétude soudaine.

- Oh! Stop! Là, nous sommes vraiment loin de l’Asie et du XXVe siècle! Et puis, tu ne m’as pas répondu!

- Mais si, Violetta! C’est la même chose! Ces moines mendiants veulent retrouver la pureté du temps des premiers apôtres. Jésus lui-même errait en compagnie de Pierre, de Jacques, de Mathieu sans savoir s’il allait souper le soir!

Fermat vint interrompre ce tableau idyllique.

- Tout ça, enseigne Sitruk, c’est pour la galerie! Le commandant Wu est un doux rêveur, un incurable idéaliste. Il embellit le passé. Les moines mendiants, que je sache, n’ont pas interdit l’argent! En reconnaissant l’existence du marché, du prêt à intérêt, ils ont permis l’essor du capitalisme! Voici pourquoi, ailleurs, Pamela Johnson envisageait de tuer Thomas d’Aquin!

- Certes, oncle André! Toutefois, parmi eux, il y avait de nombreux révolutionnaires! Les franciscains spirituels, les joachimites, les millénaristes…

- Ah! Tu t’es documentée, ma grande!

- Bien évidemment!

- Bravo pour ta science encyclopédique! Fit Geoffroy.

- Serais-tu jaloux?

- Parce que tu me fais la pige? Pas du tout!

Tout en devisant, les deux adolescents aperçurent un groupe d’hommes vêtus étrangement, en train d’acheter des chevaux d’une façon plutôt musclée à un maquignon. Celui qui paraissait le chef, coiffé comme ses acolytes d’un bonnet de fourrure et emmitouflé dans un long manteau doublé de vison, menaçait le marchand d’une dague à la lame fort aiguisée. Le bonhomme réclamait haut et fort cinq pièces d’argent pour ses roussins, ce qui était quelque peu exagéré; l’étranger était prêt à ne lui en verser que deux! Celui-ci se qualifiait de boyard Varègue de Kiev.

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Il avait avec lui toute sa domesticité et ses sergents d’armes. Ces derniers étaient munis d’arcs et de carquois tandis que des cottes matelassées protégeaient ces géants.

Le français du Varègue était entaché d’expressions anachroniques mais aussi d’exclamations typiques du genre « Boje moï! ». Pour couronner le tout, il arborait un visage falot et sa silhouette malingre contrastait nettement avec celle de ses gardes. Dépourvus de leurs déguisements, les hommes puaient la police spéciale du KGB! Armoires à glace baraquées d’un mètre quatre-vingt dix au minimum, visages taillés à la serpe, yeux inexpressifs…

Violetta retint péniblement un cri.

- Fouchine! Ici!

Les deux adolescents s’empressèrent de rejoindre Daniel qui, devant un étal bien achalandé, achetait quelques légumes frais à un vilain, des choux, des potirons et potimarrons. Après quelques brèves explications, Irina se rapprocha des intrus aussi discrètement qu’elle le put. Ainsi, elle capta quelques bribes d’une conversation tenue en russe, du russe du XX e siècle, bien entendu! Un sergent se plaignait:

- Camarade commandant! Bougonnait-il. Je crois avoir attrapé des puces! Quant à ces odeurs qui nous entourent, elles sont insupportables!

Daniel, dissimulé pat son épouse, sonda mentalement l’équipe anachronique. Quelque chose clochait.

- Rien dans leurs pensées n’indique qu’ils détiennent Von Hauerstadt. Ou bien, ils sont antérieurs à l’enlèvement du duc, et, dans ce cas, c’est après leur retour du XIIIe siècle qu’ils agiront, ou le Commandeur Suprême a mis en place dans leurs neurones un barrage télépathique que je ne puis franchir! Toutefois, j’opte pour la première hypothèse.

Juste à cet instant, le marché bruissa de rumeurs hostiles. Un groupe vociférait, prenait à partie un individu de grande taille, vêtu d’une capuche. L’inconnu avait eu le tort de s’approcher d’un peu trop près des claies derrière lesquelles des porcs attendaient d’être vendus, sans doute avec l’intention de voler un de ces animaux comestibles. Ici, les bêtes ne ressemblaient pas du tout à celles du futur. Elles présentaient des soies longues comme celles des sangliers, une peau foncée et ainsi de suite.

Hors de lui, le marchand de bestiaux, ne contrôlant plus sa colère, plus téméraire que ses aides, rabattit brutalement la capuche de celui qu’il prenait pour un malandrin déguisé et, en proie à une hystérie soudaine, se mit à hurler:

- Un démon! Sainte Marie mère de Dieu, protégez-moi! Un rejeton du drac et de la tarasque!

Kiku U Tu, une fois encore, avait fait des siennes. Décidément, il ne savait pas se tenir dans les périodes du passé de la Terre! Bientôt, le Troodon fut submergé par le nombre. Malgré ses cinq cents dents, ses rugissements de fureur et ses coups de griffes mortels, il fut mis rapidement à terre, tandis que ses chairs meurtries par les nombreux coups de bâtons, prenaient une vilaine teinte verdâtre. Déjà, ses écailles pré duveteuses se ternissaient.

Parallèlement à cet incident, Ufo s’était égaré dans l’enclos des volailles. Égaré? Vraiment? Comme toujours, le félin malicieux avait un petit creux! Visiblement, il avait l’intention de croquer quelques poussins innocents qui piaillaient à sa vue, mais il se heurta au garde, en l’occurrence un furet apprivoisé! Reculant et faisant le gros dos, notre chat finit piteusement emprisonné, saisi par la peau du cou par un adolescent boutonneux dont le corps dégageait des effluves puissants. Ses miaulements à fendre l’âme ne réussirent pas à attendrir les villageois. En ces temps lointains, les félins étaient perçus comme des envoyés du diable!

En à peine quelques minutes, dans un procès vite expédié, les deux créatures furent condamnées, de même qu’une truie accusée, elle, d’avoir dévoré un enfançon! Pour comparaître devant le tribunal improvisé, on avait vêtu la femelle d’un vieux bliaut crasseux. Quant à sa tête, elle avait été coiffée d’un chaperon troué. Triste mascarade en vérité, qui n’étonnait plus personne car courant en ce XIIIe siècle!

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Profitant du trouble, les Russes s’étaient esquivés. Les tempsnautes assistaient à ce spectacle, se demandant comment agir en toute discrétion. Violetta bouillait d’impatience.

- Ils sont fous! Marmonnait-elle. Ils ne vont pas bien dans leur tête! Décidément, Geoffroy, tes contemporains sont des débiles! Ils ne vont pas brûler Ufo, Kiku U Tu et ce pauvre cochon comme sorciers ou démons en les anthropomorphisant, non?

Geoffroy serra fortement les épaules de l’adolescente et lui chuchota:

- Non, ces gens sont normaux pour ce temps! Ne les juge pas avec ta grille de lecture du XXVIe siècle! Et ne t’agite pas ainsi! Tu vas finir par te faire remarquer!

Au milieu des villageois, Kiku avait été revêtu d’une robe blanche et sa tête portait désormais une mitre peinte qui le désignait comme un hérétique! Ufo lui, était à peine reconnaissable dans une robe rouge, le chef surmonté d’une autre mitre.

Maintenant, malgré les conseils du comte, notre métamorphe trépignait de rage.

- Il me faut faire quelque chose! Tant pis! J’y vais!

Pleine de courage mais aussi de stupidité, la jeune fille se retrouva au centre de l’assemblée. Surexcités, les vilains la toisèrent d’un air peu engageant!

- Pucelle! Que fais-tu là? Que signifie cet air empreint de colère? L’apostropha durement le marchand de fromages. Remets-tu en doute notre saint jugement?

- Tu devrais montrer plus d’humilité! S’écria une mégère dont le bonnet autrefois blanc dissimulait ses cheveux gris. Il ne sied point à une fille encore à marier d’afficher une telle impudence! A moins que tu ne sois, toi aussi, une sorcière?

- Une sorcière? Vous voulez rire sans doute! Jeta froidement la métamorphe.

- Seigneur! Grimaça Geoffroy. Elle aggrave son cas!

Tandis que Violetta, entourée par la foule hostile, risquait elle aussi de comparaître devant le tribunal, les trois « coupables », incapables de réagir, étourdis par les coups de bâtons, avaient été fermement attachés à un bûcher fait de bottes de paille. Déjà, un Dominicain s’apprêtait à y bouter le feu tout en réclamant une ultime fois aux condamnés de se repentir. Leur âme ne devait point séjourner en enfer pour l’éternité! S’ils reconnaissaient maintenant leur culpabilité, ils seraient promptement étranglés et ne sentiraient pas l’atroce brûlure des flammes.

Le sort des animaux semblait joué et celui de Violetta fort compromis lorsque Philippe s’en mêla. Enfin!

Monté sur son blanc destrier, armé de pied en cap, le heaume lacé, le chevalier interrompit le frère prêcheur de sa voix aux intonations surnaturelles:

- Frère moine, ce serait grande vilenie que d’occire ces créatures de Dieu! Tu t’apprêtes à brûler des animaux et non point des êtres humains pourvus d’entendement!

Avec une lenteur calculée, le chevalier ôta son heaume, et, son regard gris bleu subjugua le prêtre! Son bras brandi se figea avec sa torche enflammée, mais celle-ci s’éteignit d’un seul coup, subissant un invisible courant d’air! Fasciné par ce prodige, le Dominicain s’empressa de libérer les trois condamnés.

La foule elle-même, domptée et hypnotisée, relâcha Violetta et assista sans rien dire à la délivrance des trois animaux! Promptement, la truie fut mise en sécurité. Peut-être allait-elle finir en lards pour une fête quelconque? Grondant et mécontent, Kiku U Tu s’en vint près du Philippe. Il ne craignait point le chevalier et le lui fit comprendre. La reconnaissance n’était pas sa vertu première!

- Les Kronkos ne sont pas des animaux! Rugit-il. Notre espèce est supérieure à celle des humains, surtout ces humains de ce siècle obscurantiste! Elle a su conquérir la technologie qui l’a conduite à explorer les étoiles! Humilier un Troodon par des paroles blessantes, c’est signer son arrêt de mort! Dernier avertissement!

- Sire lézard, répliqua Philippe suavement, mon intention n’était point de vous infliger une blessure d’orgueil! Je sais que vous êtes un fier guerrier comme tous ceux de votre race d’ailleurs! Certes, vous tuez pour la gloire et le plaisir, mais, un jour viendra où vous aurez l’illumination! Alors, vous comprendrez que le bien le plus précieux du macrocosme est la Vie… Et vous n’aurez d’autre but que de La préserver!

Violetta, penaude, avait envie de s’agenouiller devant Philippe et de lui demander pardon.

- Je crois que j’ai gaffé, marmonna-t-elle piteusement.

- Votre cœur généreux vous a poussée, voilà tout! Je ne vous en veux point, gente Violetta.

Se tournant vers le Troodon, la métamorphe tenta de le consoler.

- Kiku, on t’a traité d’animal, mais moi, on m’a dit que j’étais pucelle. Et on m’a soupçonné de sorcellerie!

Geoffroy, soulagé, ricana afin de ne pas montrer son trouble. Après tout, son amie avait frôlé une mort effroyable.

- Pourquoi te sens-tu donc vexée? Ce n’est pas vrai peut-être?

- Je ne me mêlerai plus de ce qui me dépasse! J’ai compris la leçon!

- Pff! Te connaissant, c’est là serment d’ivrogne! Jeta Daniel ironiquement.

Uruhu avait haussé les épaules.

- Mademoiselle, combien de fois ai-je entendu les Sapiens m’appeler homme singe et rire derrière mon dos!! J’en ai pris mon parti et, avec le temps, ma susceptibilité, je l’ai rangée au placard!

Irina après avoir passé par toutes les affres de l’inquiétude s’impatientait.

- Je crois que nous avons assez causé de troubles! Il est plus que temps de nous esquiver!

Fermat, qui s’était contenté de garder les chevaux, acquiesça.

***************

Le groupe progressait désormais sur un terrain abrupt et désolé. Souvent, les étapes étaient constituées d’humbles chapelles sises sur des promontoires, voire des collines qu’il n’était pas question de contourner. Les tempsnautes parvinrent à Chastel-sur-Murat, puis à Bredons, au bord de l’Alagnon.

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Bien évidemment, la petite troupe pria à l’église Saint Pierre dont le porche roman dépouillé était surmonté d’une clef de voûte représentant Dieu le Père lui-même! A l’intérieur, le bâtiment s’ornait de chapiteaux à motifs végétaux, ou encore de têtes humaines stylisées qui formaient les culs de lampes des colonnes du chœur. Au XIIIe siècle, point encore de retable baroque pour cacher à la vue la statue romane polychrome de Saint Pierre en majesté qui pointait deux doigts de la main droite.

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Derrière une ouverture dissimulée dans son dos, cette statue contenait des reliques. Il en allait de même pour la tonsure du saint où se trouvait une seconde niche à reliques.

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Brutalement, l’obscurité se fit à l’intérieur de la nef! Dehors, des bruissements d’ailes. Le ciel s’était chargé de brumes. Des noirs corbeaux croassaient dans cette nuée fuligineuse. Parallèlement à ce phénomène, devant le chœur, des lettres de feu apparurent. Le prêtre desservant l’église s’écria:

« Défense au Malin de causer tentation ici! ».

Brandissant alors une croix et un ostensoir, il s’avança vers Philippe et lui expliqua:

- Sire chevalier, cela fait déjà bien long temps que les démons tentent de prendre possession de ce lieu sacré! Des hordes de corbeaux de choucas et de corneilles venues d’une gaste plaine maudite assurément, hantée par le chevalier évêque damné, détruisent nos champs. Las, certaines de mes ouailles se retrouvent possédées! Si vous ne craignez point ces noirs oiseaux, venez avec moi. Voici tout le village qui s’amène.

Philippe et le prêtre sortirent pour constater qu’effectivement une horde de serfs en guenilles, mais aussi composée de vilains, hommes, femmes, vieillards, enfants mélangés, s’avançait maladroitement, se tordant de douleur, prise de la danse de Saint Guy. Quelques-unes de ces pauvres créatures esquissaient des gestes désordonnés avant de chuter et de baver abondamment. Ce spectacle inspirait pitié et horreur.

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Ces malheureux êtres avaient les membres dissous et quelques uns même se détachaient de leur corps! Réduits pratiquement à des hommes troncs, les traits tourmentés, distordus, beaucoup de villageois se consumaient par combustion spontanée. Alors, leur âme rejoignait l’enfer directement!

Empli de commisération, Philippe était conscient de représenter l’espoir de la contrée. Il se devait de la débarrasser de l’esprit maudit du chevalier évêque, un ecclésiastique croisé qui s’était damné auprès de Frédéric II, l’empereur germanique qui avait osé marchander aux infidèles la reprise de Jérusalem lors de la sixième croisade.

Mais, pour Daniel et Fermat, nulle possession ici! Tout s’expliquait scientifiquement. Une succession de mauvaises récoltes, les nombreux saccages des corbeaux, trop d’humidité et des bleds pourris et parasités par l’ergot du diable. Ainsi, la population, atteinte du mal des ardents, connaissait l’épilepsie et, à terme, la mort.

Cependant, le courage ne manquait pas à la troupe. Le commandant Wu, parlant au nom de tous les siens, proposa son assistance à Philippe. Un peu en retrait, le prêtre, quelque peu intrigué par l’aspect d’Uruhu et de Pacal, questionna le blanc chevalier. Heureusement, il n’avait fait nul cas de Kiku U Tu qui s’était contenté de garder les montures sur le parvis. Philippe pouvait mentir; il fournit donc une explication plausible.

- Ce sont là sujets du grand Khan de Cathay qui, désirant embrasser la foi en Nostre Seigneur, a envoyé des émissaires en notre chrétienté, comme le Saint Père et notre bon roi l’ont fait précédemment.

Daniel, grâce à sa mémoire prodigieuse, comprit l’allusion. Deux ans auparavant, Jean Du Plan Carpin s’était rendu en Chine.

***************

Une pluie torrentielle pénétrait jusqu’aux os nos héros. La gaste plaine était entièrement envahie de corbeaux dont les bruyants croassements fatiguaient les oreilles et les nerfs. Rares étaient les humains osant s’aventurer dans cette contrée désolée.

Soudain, le cheval de Geoffroy fit un écart et se cabra brusquement tandis que Pacal et Ivan détournaient les yeux devant le spectacle macabre et surprenant qui les attendait.

Trois cadavres décomposés, à l’odeur puissante, aux chairs dévorées par les corneilles, gonflés et rongés par les vers, à demi enveloppés dans un linceul jaune, souillé de fluides puants et troué, couchés dans des bières de sapin.

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Ô stupeur! Les trois dépouilles affichaient les traits mêmes des adolescents. Les trois vifs faisaient face aux trois jeunes aventuriers et les affrontaient de leurs orbites noires et vides. La raison vacillait devant cette horreur.

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- Avancez! Mais avancez donc! Ordonna André Fermat. J’ai déjà été confronté jadis et ailleurs à ce phénomène. Nous avons affaire à de simples psycho images, et elles sont là pour nous détourner de cette route en suscitant chez nous la frayeur suprême: la mort!

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Une voix tonnante s’éleva alors, venant de nulle part et répondit à l’ambassadeur des 1045 planètes.

- Par Monseigneur Ogo le Maudit, par le Porteur de lumière déchu, détournez votre chemin! Aucun d’entre vous n’est de taille à m’affronter, moi, l’évêque chevalier du Malin qui, autrefois, eus pour nom Ulrich Von Stolzsteufel, ancien grand maître de l’ordre militaire de la Buena Muerte!

Sans coup férir, l’esprit malfaisant se matérialisa. Il était monté sur un destrier caparaçonné, au chanfrein orné d’un éperon d’airain. L’ex-évêque portait un heaume classique anthracite, surmonté d’une mitre sinople de cuir bouilli qui servait de cimier. Naturellement, la croix de la mitre était renversée. La cotte d’armes était d’azur et l’écu de l’esprit à trois fasces de gueules.

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Ulrich brandissait un fléau d’armes tandis que son baudrier de cuir et de plaques de fer repoussé ouvragé agrémentées de gemmes représentant les sept péchés capitaux laissait pendre un estoc à la poignée de vermeil et de nacre. Une tête de mort cousue sur la poitrine de la surcotte rajoutait une note macabre à l’apparition.

Les sabots du cheval claquaient avec régularité alors que le fantôme s’avançait.

- Toi, Philippe, l’envoyé du Très Saint, clama-t-il, je te défie le premier!

Le duel paraissait inévitable. Mais voilà qu’Irina se mit à hurler, prise soudain par les douleurs de l’enfantement!

***************

La navette biplace Szilard d’Antor et Hillerman approchait de la base de Kola, non sans mal, car les distorsions électromagnétiques et spatio-temporelles, provoquées par le fonctionnement simultané d’un trop grand nombre de translateurs rendait impossible toute manœuvre d’accostage ou d’atterrissage.

Le commandant Wu avait pu prévenir son ami ainsi que son subordonné de la présence de Fouchine en 1249. Le Russe ne détenait pas encore l’ex-lieutenant colonel de la Wehrmacht. Daniel s’était montré affirmatif sur ce point après un sondage télépathique poussé.

Hillerman, qui officiait devant l’écran tridimensionnel, aperçut, pris dans des tourbillons lumineux distordus et déphasés, des objets, des armes, des véhicules, des meubles et des hommes, piégés dans ces monstruosités technologiques, émanant de leur propre inconsciente témérité! Malheureux cobayes, vous étiez présentement fort à plaindre! Victimes d’un communisme qui se voulait scientifique!

Les têtes hurlantes et déformées, boursouflées, déformaient, se décomposaient en fractales d’âges différents. Vieillesse, jeunesse, momification, stade embryonnaire pour un seul individu devenu mosaïque de tout ce qu’il avait été et serait.

Mais il y avait plus terrible encore! De grandes parties des corps des cobayes se retrouvaient encastrées ou fondues dans la pierre, le métal, le plastique ou la terre. Certains membres ou organes allaient jusqu’à flotter dans les airs, séparés de l’organisme en son entier. Tout cela donnait un avant-goût de l’enfer.

Le lieutenant noir, quelque peu dandy, n’avait jamais vu une telle horreur. Il avait le cœur au bord des lèvres mais, Antor, lui, conservait tout son sang-froid. Avoir subi durant vingt-six ans l’esclavage chez les Haäns, cela forgeait une âme!

Bien que ce spectacle dépassât l’entendement, il fallait rester professionnel. Aucune donnée des senseurs ne permettait de détecter la présence de Franz Von Hauerstadt en ces lieux. Mais le couplage des IA des translateurs soviétiques avec l’ordinateur central de la base, le clone du Commandeur Suprême, Paldomirov, avait sûrement dû en installer un, pour surveiller ne serait-ce que la bonne marche des expéditions temporelles!, pouvait fournir les renseignements nécessaires quant à la localisation précise du duc, au sein des multiples méandres des chrono lignes.

Une tâche immense attendait donc Antor et Hillerman. Les deux hommes, munis de combinaison peau de niveau de protection optimale, c’est-à-dire 15, ce qui était nouveau, comportant un ordinateur personnalisé d’armure Asturkruk, permettant ainsi à son propriétaire de se déphaser par rapport aux tempêtes anentropiques que sans doute le clone allait soulever, et de passer à travers l’enchaînement des distorsions, les boucliers du Szilard à pleine puissance, le vaisseau biplace étant désormais entouré d’une sorte de champ déviant les ondes distorsionnelles, les bosons de Higgs et les gravitons déphasés, parvinrent donc à se poser sur le terrain d’aviation de la base sans pépin, ce qui tenait de l’exploit, et à sortir de la navette sans ressentir le moindre malaise!

Flottant en ultra vitesse, Antor et Tony fondirent à travers les matériaux disloqués et les courants furieux, à la recherche du central informatique attendu. Le vampire le repéra après quelques minutes de ce vol audacieux.

Cependant, le sieur Pierre Duval, alias Sergheï Antonovitch Paldomirov, n’avait point déserté les lieux! Installé confortablement dans un appartement privé, digne des plus hauts gradés de la Nomenklatura, décidément le clone ne se refusait rien, il appréciait une séance de cinéma uchronique. Pour qui le connaissait, c’était là un trait d’humour appartenant à sa véritable nature. Sergheï se délectait donc particulièrement à la vue de films tels que le Don Quichotte d’Orson Welles, ou encore le Boris Godounov de Sergueï Eisenstein, sa dernière œuvre réalisée en 1950 en couleurs et en noir et blanc, dans un univers où le réalisateur avait donc survécu sans subir les foudres de Staline! C’était là un coup encore plus fort que celui des Spirou des différentes chrono lignes!

Présentement, l’agent triple savourait la séquence montrant le mendiant innocent, avec sa mélodie célèbre, qui refusait obstinément l’aumône du tsar assassin.

Soudain, il y eut un basculement du temps inattendu qui surprit notre clone. Paldomirov fut brièvement affecté par le 1961 tsariste vu précédemment. Mais le cours naturel des choses revint rapidement dans son lit.

Toutefois, la mise en fonction des translateurs bio temporels provoqua presque immédiatement un autre incident dans ce continuum fragilisé. Outre donc la tempête temporelle qui importait peu au Commandeur Suprême, il se produisit un phénomène incompréhensible!

Sergheï Antonovitch se pixélisa! Oui! Vous avez bien lu! Son visage devenu mosaïque s’étira en hurlant pour disparaître bientôt sous la forme d’une onde violette instable qui se subdivisa en un camaïeu spectral malade s’étendant dans toutes les nuances de gris et de noir avant de s’estomper à la fin! Paldomirov s’était-il fondu dans le Néant?

Pendant ce temps, parvenu au central informatique, Antor tenta de pénétrer, de forcer les mémoires de l’IA installée dans la base par le Commandeur Suprême, sous l’apparence d’Humphrey Grover. Il s’agissait d’un ordinateur ID, ultra perfectionné pour l’année 1961 puisqu’il avait été mis en service en 1992, un 1992 qui devait connaître la Troisième Guerre mondiale, hélas!

Mais pour notre vampire mutant originaire du XXVI e siècle, ID faisait figure de jouet antédiluvien!

Toutefois, le diplomate eut du mal à violer des codes qui restaient sous le contrôle d’Humphrey Grover. De plus, ID fonctionnait à partir d’un langage informatique inusité depuis le XXIIIe siècle. L’IA, prise elle aussi dans les distorsions, semblait s’étirer, se fractionner, tandis que ses microprocesseurs s’assemblaient et se désassemblaient tour à tour et à la fois en une spirale vertigineuse. Par instant, ID n’était plus qu’un agglomérat de poussières de silicium brut, et, simultanément, incarnait pourtant une antique machine, bonne pour le rebut aux yeux d’Antor!

Transpirant à grosses gouttes, ce qui était rare pour notre mutant, se concentrant, le vampire parvint malgré tout à ses fins.

- J’ai les codes! Il était plus que temps!

Alors, la voix synthétique d’ID vibra d’intonations furieuses. L’IA se plaignait et geignait.

- Moi, l’ordinateur le plus perfectionné de ce siècle, moi qui suis doté d’une personnalité, qui pense, je suis brutalisé par les mains malhabiles d’un vulgaire voleur néophyte! Seul Johann peut me manipuler ou, à la rigueur l’un des clones du Commandeur Suprême!

- Silence, stupide machine! Tu m’agaces prodigieusement! Ton caractère m’insupporte! Si tu n’es pas capable de taire et de m’obéir, je sabote ton programme de voix artificielle et tes paroles ressembleront aux couinements d’un Donald en colère!

- Comment? Mais, vous m’humiliez, là!

- Tu sais que je puis le faire!

Dompté, ID accepta de se laisser manipuler, anticipant presque les ordres du vampire, murmurés sur un ton froid.

- ID, localisation de l’unité carbone Franz Von Hauerstadt, spectre de déviation… Tu le connais…

- Parfaitement! Franz, le Neutre, n’est plus ici! Répondit l’ordinateur un ton plus bas. Il a été conduit en Mexafrica en 2148 selon notre calendrier, dans l’Univers dévié dont voici les coordonnées précises!

- C’est-ce que tu oses appeler précises! Tu te moques de moi, ID!

- Voici: déviation originelle 0, suivi de soixante zéros 1... Démarrage: Anno Domini 1311, déviation qui atteint déjà 0, 0000291% en 2148! Règne du cinquante-quatrième Moro Naba de Texcoco Nanki M’Bembe Coatl!

- Oui… En 2517, cela donne presque 1%…

Hillerman qui scrutait la salle arme au poing, soupira.

- Hauerstadt n’est pas au XIIIe siècle! Les Russes que le commandant Wu a vus, n’avaient pas le duc avec eux!

- Évidemment, stupide humain! Souffla ID avec mépris.

- Hillerman, nous avons déjà abordé ce sujet. Ceux qui ont enlevé Von Hauerstadt sont postérieurs aux Soviétiques croisés par Daniel… CQFD: ils vont échouer en 1249. Et, à leur retour, pour conserver un atout en mains, ils vont prendre le duc en otage!

- Ce Fouchine, jamais il ne renonce!

- Il ne le peut pas! Il joue sa vie! Ensuite, les Russes iront dans ce Mexique teinté d’Afrique afin de récupérer l’avant-dernier élément du bio translateur.

- Ils espèrent prendre de vitesse les équipes adverses.

-Exactement!

- Cela ne nous dit pas qui héritera de la mandorle ni si Stankin sera libéré par le commandant.

- Lieutenant, réfléchissez. La réponse se trouve dans l’enlèvement même de Franz. Daniel et son équipe ont affaire à forte partie mais mon ami est plein de ressources. Lui aussi ne s’avoue jamais vaincu! Il peut user de ruse et de tromperie…

- J’ai foi en mon commandant, Daniel Wu…

- Le génie ou le prodige de la Galaxie n’a jamais failli ni déçu les attentes.

- De qui?

- De ses supérieurs…

***************

Au fait, qu’arrivait-il à Pavel Pavlovitch en ce 1249? Nous n’avons fait que l’entrevoir. Occupons-nous un peu de lui. Avec un certain retard, Fouchine avait appris la présence de Daniel Wu dans le village où Kiku avait failli être brûlé vif et, désirant brouiller sa piste, il s’était retiré le plus discrètement possible avec sa troupe. Le Soviétique était toujours à la recherche des détenteurs plus ou moins légitimes de la mandorle, qu’ils fussent les moines de Saint Géraud ou encore les chevaliers malfaisants mâtinés de voleurs de La Buena Muerte.

Sciemment, le commandant du KGB et ses hommes empruntèrent les chemins les plus sauvages et les plus difficiles. Malgré les aléas de la route, parfaitement armés, munis de solides montures, ils pouvaient brûler les étapes jusqu’à Saint Géraud et se pensaient capables d’affronter les autochtones.

Mûrement réfléchi, ce plan faisait bon effet en théorie. Dans son application… Notre Fouchine avait occulté un minuscule détail. Lui et son commando d’élite se retrouvaient dans un Moyen Âge dévié, un univers enchanté résultant des manipulations machiavéliques de Zoël Amsq, un monde qu’ils n’étaient pas prêts à combattre et où tout et n’importe quoi pouvait survenir! A commencer par le temps truqué, subjectif, qui paraissait s’étirer, se conformant ainsi à la perception qu’en avaient les contemporains, temps ecclésiastique, temps seigneurial ou encore rythmes agricoles imposés par une nature à peine domestiquée.

Cet après-midi là, les Russes traversaient une gaste colline boisée, sur le qui-vive bien que la contrée fût apparemment accueillante et paisible. Mais, l’inimaginable survint d’un coup et fondit sur ces matérialistes du XX e siècle. Surgi du néant, des limbes ou d’un autre lieu tout aussi improbable, un groupe de monstres hybrides, qu’on pouvait croire provenant d’un des plateaux de « l’Île du docteur Moreau », se jeta avec hargne et fureur sur les intrus; les buissons et les arbustes avaient dissimulé les assaillants, créatures cruelles et merveilleuses.

Les hommes animaux, armés comme pour accomplir le service d’hast ou pour s’élancer dans une joute, se battirent avec une agilité, une science du combat surnaturelles. Parmi les créatures, on pouvait identifier un homme âne au long poil crasseux, empli de parasites, laineux et filandreux, identique à celui d’un baudet du Poitou, aux oreilles pendantes, un individu au faciès K’Tou mais au crâne surmonté d’andouillers de cerf, un homme bouquetin ou homme chamois, dont les sabots meurtriers en des bonds prodigieux défonçaient à coup sûr les cages thoraciques, un homme ours, émule du légendaire Jean de l’Ours, de la taille fort impressionnante d’un grizzly, très velu, mugissant, aux griffes redoutables,

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un homme loup et un homme renard dont il fallait absolument éviter les terribles crocs! L’homme goupil arborait d’étranges yeux jaunes luisants tandis que ses mains étaient envahies par des touffes rêches de poils roux, plus dures que du crin.

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A cette bande bien pourvue, il fallait rajouter un homme sanglier qui ressemblait à un Gronkt ensauvagé, mais le Marnousien se serait senti humilié de se voir comparé à cet être dégénéré, au groin démesuré et aux défenses terriblement efficaces et, enfin un homme poisson - peut-être le petit-fils de Nicolas le Poisson qui avait vécu en Italie au XIIe siècle - muni d’une mâchoire de brochet et recouvert d’écailles à l’odeur de marée tournée.

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Deux créatures plus « humaines » commandaient la horde:

- un « monstre » de deux mètres de haut; certes, il était bipède et vêtu tel un vilain du XIIIe siècle. Mais voilà! Son visage dissimulé par une cagoule ne laissait voir qu’un appareillage inattendu. A l’emplacement de la bouche, émergeait un étrange tuyau relié à une vessie gonflée, contenant une sorte de liquide amniotique. L’être s’en sustentait afin de vivre et de respirer. Sous cet aspect, il paraissait sorti des dessins de la Renaissance, illustrant les nageurs et autres « urinatores » sous-marins de Végèce dans son célèbre traité De re militari rédigé en 375 après J.-C. dans ces illustrations, les nageurs étaient effectivement munis de casques cagoules et de tubas ou outres de cuir.

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Ici, au bout du tuyau fait de boyaux, la vessie, semi transparente, laissait deviner la présence d’une douzaine de têtards, d’embryons et de fœtus innommables et tératologiques surnageant dans le précieux liquide vital. A vrai dire, le monstre s’en nourrissait. Daniel aurait qualifié cette créature d’embryo omni phage, vivant habituellement dans les eaux tempérées d’une planète du système Omicron VII.

- Le sous-chef présentait également un corps humain et avait passé une tenue complète de chevalier. Mais le heaume relevé dévoilait une tête de pierre polychrome tentant d’imiter le vivant. L’étrange créature portait sous son bras droit un coffret renfermant un crâne relique qui semblait commander les actes et les paroles du pseudo chevalier.

Malgré leurs armes automatiques, leurs kalachnikovs, leur science des arts martiaux, les Soviétiques perdirent cette bataille surnaturelle! Fouchine rageait, se demandant intérieurement ce que Paldomirov avait pu encore omettre de lui révéler!

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TQT lui-même et sa bande de séides ultralibéraux avaient eu maille à partir avec ce monde hostile où les plus affreuses chimères prenaient vie! Dans leur cas, les vilains et les serfs d’un village assez reculé n’avaient guère apprécié la suffisante et orgueilleuse Noémie Pitois qui s’était joint au groupe du gouverneur sudiste. Trop propre, trop maquillée, trop bien vêtue, fleurant à une lieue le Chanel numéro 5, trop méprisante, en quelques minutes à peine, elle était parvenue à exaspérer cette plèbe qu’elle considérait comme du cheptel de dernière catégorie, un cheptel qui aurait été contaminé par la vache folle ou encore par la fièvre aphteuse et bon pour l’abattoir! A ses yeux, cette faune puante, ces paysans ignares, cassés par les travaux des champs, édentés, mal nourris, couverts de vermine, méritaient de griller au mieux ou de finir transformés en farine animale!

Or nos vilains, point si sots, et fort susceptibles, s’emparèrent de la syndicaliste mégère sans que les Yankees levassent le petit doigt pour s’y opposer. Comme il se doit, notre Noémie Pitois tâta du bûcher des sorcières. Pour TQT et ses sbires, cette groupie française ultralibérale comptait peu! Au contraire, elle avait tendance à ralentir la progression des hommes de la NSA. On n’allait pas crapahuter dans les forêts du Moyen Âge en tailleur griffé YSL et hauts talons! Sans remords, les Américains quittèrent le village isolé, abandonnant la syndicaliste jaune à son triste sort! Ainsi, le corps de la « sorcière » brûla longtemps, dégageant une entêtante et insupportable odeur de viande carbonisée avant d’être réduit en cendres.

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Alors qu’Ulrich allait charger, Irina connaissait les affres des contractions d’un accouchement quelque peu précipité au grand dam de Daniel qui se reprochait amèrement son inconscience d’avoir entraîné sa douce moitié dans cette aventure! Immédiatement, le commandant se porta à son secours, secondé par Uruhu et André.

Von Stolzsteufel en profita pour invoquer les 6666 démons, tous avatars d’Ogo qui devaient l’aider dans son combat contre l’Ange du Seigneur!

De la terre lourde et détrempée, transformée en fondrière, surgirent brusquement des milliers de mains baladeuses amputées, verdâtres, bleuâtres, griffues et velues comme il se doit, couvertes d’abominables et repoussantes pustules, dégageant des effluves particulièrement nauséabonds, tout à fait répugnants, déclenchant des hoquets et des quintes de toux. Ces mains surnaturelles brandissaient des armes d’hast, des fléaux, des masses, des haches et des hachettes, des estocs, des dagues, des lances et des hallebardes, mais aussi des colichemardes et des estramaçons, bref, tout ce que les hommes avaient inventé pour s’étriper, se massacrer, s’éventrer, s’égorger, au nom d’une divinité supérieure qui n’en demandait pas tant!

Les mains de ces créatures démoniaques, dans un stade plus ou moins avancé de putréfaction, se caractérisaient par des ongles enduits des poisons les plus violents, des poisons ayant traversé les Indes, l’Arabie, Cathay Cipangu, l’Éthiopie, le royaume mythique du mystérieux prêtre Jean. Certains ongles, particulièrement longs et recourbés, ressemblaient à des faux en miniature, souillées de taches sombres. Quelques mains présentaient un aspect simiesque d’autres étaient desséchées et marquées par la lèpre. Quelques unes évoquaient également les membres antérieurs de loups garous ou de goules répugnantes et affamées.

Cependant, avec un bel ensemble, toutes les mains se précipitèrent sur les héros, ces outrecuidants qui avaient osé s’aventurer dans cette contrée maudite, ce territoire réservé, formant une nuée dantesque, tentant de griffer, de blesser, de frapper, de faire saigner, de déchirer les chairs saines, normales, innocentes. Mais il en fallait plus, beaucoup plus pour affoler Geoffroy d’Évreux! Malgré ses dix-sept ans, le comte, l’estoc à deux mains tenu, se débattait, se démenait splendidement, hachant les mains assaillantes avec une vigueur, un courage remarquables. Derrière, Ivan et Pacal tâchaient de lui faire honneur, essayant de ne point faiblir, tandis que Kiku U Tu protégeait Violetta et la parturiente.

Après l’assaut des mains, quelques têtes émergèrent à leur tour de la fange, rictus de silènes, de boucs, de satyres, de griffons, de dracs et de macaques!

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Pour nos amis, la question se posait ainsi: comment venir à bout de ces mains enchantées, guidées par des chefs et des mascarons méphistophéliques?

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Daniel allait-il abandonner momentanément Irina et joindre ses forces à celles du chevalier?

Maintenant, la nuée se faisait légion. Parmi les têtes cornues, barbues et grimaçantes de faunes ou de démons de chapiteaux historiés, les érudits auraient pu reconnaître celle d’un capitaine au long cours, célèbre personnage de BD autrefois, grand amateur de Whisky. Dans ce cas, il s’agissait plutôt de sa mauvaise conscience incarnée.

A sa vue, Daniel et Violetta comprirent que cette tête était la manifestation concrète de l’humour plus que douteux d’Ogo, en l’occurrence dans cette situation de Zoël Amsq. Le Haän possédait des connaissances phénoménales concernant la culture humaine!

Ulrich, l’évêque chevalier défunt, ne brillait pas particulièrement par son courage, car, plutôt que de charger en premier ou, du moins à la tête de ses troupes, préférait s’abriter derrière l’assaut des mains et des têtes démoniaques. Geoffroy, Pacal, Ivan et Violetta qui avait échappé à la protection humiliante du Troodon, affrontaient la multitude crachée par l’enfer. De leur côté, André et Kiku sabraient à qui mieux mieux les nuées infernales, laissant Daniel assister Irina dans l’accouchement immédiat de Tatiana. Le daryl devait donc assumer ses responsabilités dans cette situation folle. Quant à Uruhu malgré sa peur, il officiait comme garde du corps et ses coups, parfaitement ajustés et mesurés, moissonnaient régulièrement leurs lots de démons.

De son côté, Philippe jugeait plus urgent d’apporter son aide angélique à la parturiente. Puisque ses compagnons semblaient ne point être submergés, il invoqua le Christ de Gloire régnant dans les Cieux! Grâce à sa prière, un attelage enchanté, mais dans le bon sens, se matérialisa, un couple de palefrois à la robe immaculée, qui tirait une litière garnie de soie, d’or, de pourpre, de brocart et de coussins de plumes d’oies des plus moelleux!

Daniel s’empressa de déposer sa femme sur les coussins et l’attelage s’en fut sous l’injonction magique de « Va où je vais le Magnifique! Va! Va… », ordre repris plus tard par Jean Cocteau dans son film La Belle et la Bête.

Irina désormais à l’abri, le combat contre Von Stolzsteufel et ses 6666 démons put se poursuivre avec un soulagement fort compréhensible de la part du camp du Bien. Il n’en fut pas moins encore plus sanglant et plus acharné que jamais car les têtes et les mains crochues voulaient absolument se lancer à la poursuite de la litière.

Le commandant Wu défendit le carrosse de façon époustouflante, transformé en véritable tourbillon impétueux, transfiguré en une tornade que rien ne pouvait arrêter.

Mais pour que le combat s’achevât, il fallait éliminer l’évêque chevalier damné. C’était bien lui le maître de ce jeu, de cette ordalie. C’était là la tâche qui revenait de droit à Philippe. Il en était tout à fait conscient.

Alors, imitant Saint Bernard de Clairvaux prêchant la croisade à Vézelay, le chevalier ouvrit la bouche et prononça de mystérieuses paroles, intraduisibles. Aussitôt, des quintaines apparurent et se multiplièrent à l’infini.

Von Stolzsteufel, dont le dessein était de désarçonner l’ange humanisé par une bonne joute en règle avec nombre de lances rompues, déchanta rapidement! Avec rage, il n’eut d’autre choix que de mettre d’abord à terre les quintaines armées de hauberts usagés, d’écus cabossés, de fléaux d’armes et coiffées de heaumes coniques défraîchis! Évidemment, plus le spectre abattait de mannequins, plus il en poussait! Et ce jeu dura, s’éternisa. Le temps paraissait comme suspendu. A qui obéissait-il véritablement?

Le maudit verdissait, s’épuisait en cette joute vaine. C’est-ce que recherchait van der Kirsche! Les quintaines, démultipliées encore et encore, tournoyaient, accéléraient dans le ciel gris qui allait s’éclaircissant. Des lances très longues se matérialisaient désormais sur leurs flancs et ce, d’une manière anarchique.

Un moment, Ulrich fut désarçonné. Il chuta brutalement, sans grâce. Alors, l’enchantement prit une autre tournure. Les mannequins subirent une métamorphose pour devenir des statues animées de preux, de gisants, toujours armées de pied en cap, l’écu sur l’épaule, l’estoc brandi à deux mains. Ces nouveaux paladins étaient coiffés du heaume classique ou du casque conique à nasal à visagière du XIIe siècle.

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Maintenant, un grondement sourd sortait de la bouche des preux et s’amplifiait comme à l’infini, devenant insoutenable. La terre se mit à trembler, le sol se souleva par plaques, et l’invraisemblable advint. Stolzsteufel fur découpé par les innombrables estocs de granit! Ses restes tout contorsionnés furent aussitôt avalés par les entrailles d’une terre en fusion. L’enfer récupérait son champion qui avait échoué!

Au même instant, les mains et les têtes de démons, dignes de Nosferatu, du loup garou ou de Méphistophélès qui griffaient désespérément, mordaient et tentaient d’agripper la litière d’Irina, malgré le tourbillon engendré par Daniel, commencèrent à se décomposer et à s’estomper. Des bras et des têtes réduits à l’état de squelettes, déformés, étirés jusqu’à l’impossible, s’évaporèrent dans le néant. Leur dernière manifestation se réduisit à une trace de plus en plus ténue.

Un soleil artificiel brilla, éclairant de ses rayons jaunes la scène. Pendant ce temps, les gisants de preux, mission accomplie, rejoignaient le Royaume des Cieux. Le calme revenu, litière et escorte furent entraînées, à bride abattue, vers une direction qui ne dévia plus. Cette mystérieuse chevauchée dura-t-elle un instant ou des heures? Nul ne s’en souciait plus dans ce monde où le temps pouvait être ralenti à loisirs, où il n’était qu’un leurre supplémentaire. Un seul des protagonistes aurait su rompre l’enchantement. Mais il ne s’en sentait pas le droit!

Tout l’équipage parvint à bon port devant une écurie confortable rattachée au monastère de Saint Géraud. L’huis fut ouvert par un frère moine en pleurs qui arborait un visage déformé, boursouflé et cramoisi. Le religieux, à la vue des nouveaux venus, geignit:

- Que le Seigneur nous ait tous en Sa Sainte protection! Vous arrivez trop tard! Le Prince du Monde a frappé! Des chevaliers stipendiés à sa cause, revêtus de la cotte de nuit, ont violé tantôt notre sanctuaire puis occis notre abbé et dérobé la mandorle de gloire irradiante!

Philippe, malgré toute la persuasion dont il était capable, ne put tirer des propos plus cohérents et plus utiles de la part du portier. Cependant, il fallait au plus vite obtenir le secours du monastère même si celui-ci avait connu des dégâts car Irina n’allait plus tarder à accoucher, les contractions se faisant de plus en plus rapprochées! En effet, la jeune femme venait de perdre les eaux et son col de l’utérus était dilaté pratiquement à la bonne dimension!

Tandis que les frères désignaient un abri où conduire le capitaine Maïakovska, abri situé dans la cabane des simples, au fond du jardin, Philippe déclina son identité ainsi que celles de la plupart de ses compagnons. Puis, il demanda à prier pour le repos de l’âme du père abbé, lâchement occis.

Alors qu’André escortait Irina ce qui le frappa, ce fut le cimetière du monastère. Le lieu présentait de nombreuses tombes toutes fraîches. Celles-ci étaient même majoritaires! Dans les fosses, reposaient les moines morts des radiations émises par la mandorle.

Déjà, des religieux s’affairaient à creuser la tombe du défunt supérieur. Le saint homme avait eu le corps transpercé par un mauvais coup d’épée. Il s’était obstinément refusé à offrir le gîte à une troupe de chevaliers visiblement dotée de noires intentions. Ces chevaliers assassins avaient affirmé par menterie avoir pris la croix et, présentement, souhaitaient rejoindre Sire le roi pour embarquer à Aigues Mortes. Leur chef, Jacques d’Ibertin, avait ôté son heaume avec une lenteur calculée et s’était alors présenté comme le fidèle et dévoué lieutenant du Grand Maître de l’ordre militaire de La Buena Muerte. Au nom d’Arnould de Charmeleu, Ibertin ne pouvait souffrir pareille offense! Son seigneur, le grand Maître, n’était-il pas le successeur de Rodrigo Diaz, El Cid Campeador?

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Ensuite, toujours aussi calme et mesuré, le lieutenant avait ordonné à ses hommes, des sbires assurément, d’une voix sans inflexions, de punir mortellement l’abbé pour cette insulte faite à un valeureux descendant des preux de la Reconquista du XI e siècle.

Le rapport temps avait été modifié par la grâce de Zoël Amsq. Parvenus trop tôt en 1249 et au mauvais endroit, nos héros étaient également arrivés trop tard à Saint Géraud! Ils avaient trop musardé en route, et affronté maints obstacles!

Maintenant, il fallait conserver son sang froid, être pragmatique et classer les urgences!

Daniel, André et le moine apothicaire aidèrent Irina à accoucher. Tatiana vint au monde, beau bébé châtain roux de 50 centimètres pour 3,8kg, légèrement prématurée, d’une quinzaine de jours.

Ensuite, tous les hommes nobles en tête, en l’occurrence Philippe, Geoffroy et le frère prieur assistèrent aux funérailles du père abbé.

Le soir de ce jour mémorable, le nouveau supérieur, provisoirement désigné, frère Anselme, reçut Van der Kirsche, le comte d’Évreux, Daniel et André dans ce qui lui servait de scriptorium personnel et leur parla sans détour du mal mystérieux qui rongeait les frères moines depuis que le Christ de Gloire avait honoré le monastère. Depuis de nombreux mois déjà, les sculpteurs et les créateurs de la mandorle succombaient ainsi que tous ceux qui approchaient la précieuse relique! Aussi bien moines, convers, novices qu’oblats. Cette terrible lèpre brûlait les entrailles et la peau. Il avait fallu construire à la hâte une maladrerie à l’écart du cloître; là, les frères les plus atteints, les plus défigurés aussi, achevaient leur existence dans des souffrances terribles.

Philippe ne comprenait point comment la mandorle avait pu poursuivre sa moisson de morts. N’avait-il pas recommandé précédemment de recouvrir la sculpture, le Christ en Majesté de feuilles de plomb? Pourquoi ne l’avait-on pas écouté? Il rappela cela sévèrement au supérieur.

- Oh! Mais nous vous avons obéi en tout, sire chevalier! Cependant, les pertes ont continué!

- Rendons-nous auprès de ces malheureux voir précisément ce qu’il en est, suggéra André.

- Je ne vous conseille point cette action!

- Nous devons voir les malades et leur apporter notre soutien! Renchérit Daniel. Nous disposons de certaines médications qui ont déjà fait leurs preuves!

L’abbé Anselme, abasourdi par un tel courage, ne s’opposa pas à la volonté de la majorité de ses hôtes.

Une fois sur les lieux, Fermat et le commandant Wu mesurèrent soigneusement la radiation résiduelle ainsi que les degrés d’irradiation des frères. Philippe se chargea ensuite du compte rendu.

- La maladrerie est contaminée par de minuscules et invisibles démons! Il vous faut donc évacuer le lieu promptement et mettre vos frères à l’abri dans une autre communauté. Nous nous chargeons de purifier la maladrerie!

- Sire Philippe, vous aurez peut-être besoin de l’aide de notre exorciste…

- Nullement! Sire Daniel se chargera parfaitement de cette tâche. Il y excelle.

Anselme s’inclina et, en moins d’une heure, la maladrerie fut vidée de ses malades. Fermat avait bien conscience que, malgré les antidouleurs et les retardants administrés, tous étaient condamnés à terme! Les doses de radiations encaissées avaient été trop fortes!

Désormais, les religieux à l’abri dans un autre monastère à Aurillac, il fallait maintenant remonter la piste du triste sire Arnould de Charmeleu et, sans doute, se lier d’amitié avec cette crapule afin de mieux s’emparer de la mandorle.

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Par contact mental transtemporel, le commandant put faire un dernier point avec Antor. Rapidement, il raconta ce qui était arrivé à son groupe tandis que Kiku se tenait sagement à l’écart, son chef dissimulé par une ample capuche. De son côté, le mutant narra d’une voix posée où parfois transparaissaient des intonations ironiques, les résultats des fouilles de la base de Kola. Fouchine, qui avait enlevé Von Hauerstadt était évidemment postérieur à celui aperçu en 1249. Sous la menace, l’ordinateur ID avait fini par révéler que le duc avait été conduit par les Soviétiques dans un 2148 dévié dans lequel le Mexique avait mélangé et assimilé les civilisations bantoue, Toucouleur et mandingue! Or, c’était précisément dans cet empire qu’un des derniers éléments du bio translateur était caché!

Grâce à l’IA de la navette Szilard, Antor fournit à son ami des données complémentaires sur l’ordre militaire de La Buena Muerte. Cet ordre naissait à la fin du XI e siècle mais son histoire s’interrompait brusquement en 1251. La liste des grands maîtres révélait que l’avant-dernier se nommait Arnould de Charmeleu. Or, le noble avait disparu sans laisser de traces en 1250, en Égypte. Ce dévoyé personnage s’était retrouvé à la tête de la confrérie en l’an de grâce 1233, après avoir supplanté un rival de mortelle façon!

Fermat, aux côtés de Daniel, conclut avec une ironie cynique:

- Permettez-moi de soupirer et de verser une fausse larme sur ce triste sire! S’il nous fallait une preuve supplémentaire que Charmeleu doit rencontrer, non accidentellement, Stankin, prisonnier du sultan Ayyub, en Égypte, ce n’est pas de la chance mais un complot des hautes sphères de l’Univers! La mandorle, le Baphomet… ce croisé modèle a tous les atouts pour devenir le maître du monde! Mais, pour des raisons encore obscures, il va lamentablement échouer!

- Peut-être ce résultat sera obtenu par votre action, ambassadeur! Jeta Antor sur le même mode.

Puis, le vampire localisa verbalement et mentalement les limites des terres dudit Charmeleu. Elles étaient situées dans le Rouergue, à six lieues de Sainte Foy de Conques. La prochaine destination des tempsnautes était donc toute tracée. L’itinéraire emprunterait la route de Conques, par Montsalvy, abandonnant Aurillac. Le mutant et Tony Hillerman avaient leurs ordres: récupérer Franz dans la Mexafrica et, si possible, l’élément du bio translateur qui s’y trouvait!

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Fouchine, le maître espion, avait réchappé au démon avec un seul de ses hommes! Échec cuisant sur toute la ligne! Il fallait y remédier au plus vite. Conservant son sang-froid, le commandant du KGB changea ses plans. Mettant la main sur un des derniers translateurs en état de marche, il devait regagner ses pénates, tout en conservant une poire pour la soif. Cela signifiait enlever Franz Von Hauerstadt qui, à cette heure, vaquait librement à ses occupations, mais en 1961!

Parallèlement, TQT et ses hommes de la NSA avaient été les témoins privilégiés mais à distance, de l’attaque de l’abbaye de Saint Géraud par Charmeleu et se sbires. Après la bataille du bois de l’ermite qui avait autrefois recueilli Aah I Ou, les moines chevaliers assassins avaient été suivis à la trace, non seulement par les néolibéraux, mais aussi par les nazis de Dieter Karl Hinckel. Ces derniers, ainsi que Lady Alexandra Pirrott Neville, plus que jamais se prenant pour l’une des Walkyries destinées à sauver l’Allemagne éternelle, s’étaient habilement déguisés, empruntant les défroques plus ou moins en bon état des moines soldats à tête de mort, dont les dépouilles jonchaient le bois.

Dans cet embrouillamini, ce complexe scénario, les observateurs et les observés ne se comptaient plus. Chaque groupe marchait sur les pas de son adversaire, mais il y en avait tant!

- Daniel Wu et son équipe rapportée;

- TQT et les ultralibéraux de 1999;

- Dieter Karl Hinckel, Lady Alexandra et l’élite de la SS;

- Zoël Amsq, Sir Charles Merritt, Cornelis van Vollenhoven, Varami et quelques troupes Haäns;

- Sun Wu et ses Chinois mafieux du Dragon de Jade.

Tous flairaient la piste de Charmeleu qui, par l’intermédiaire de d’Ibertin, avait dissimulé dans un chariot un sarcophage de plomb renfermant la fort dangereuse mandorle. Manifestement, Jacques avait pu constater la nocivité de la relique et avait pris ses précautions.

Amsq vit le vol à quelques milliers de kilomètres d’altitude! Lui aussi allait rejoindre cette partie de poker. Il bavait d’impatience.

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Les enfants du Langevin supportaient plus ou moins stoïquement les tortures psychologiques infligées par les envahisseurs. Lorenza di Fabbrini n’en pouvait mais. Tsanu XIII, persuadé qu’elle était le maillon faible, convainquit Sertorius, son allié, de procéder au plus vite à l’interrogatoire du médecin en chef du vaisseau.

Isaac, Mathieu et Marie avaient simulé leur lassitude. Le plus intelligent des trois enfants, le plus futé aussi, fomentait un plan d’évasion digne de Latude! Les deux guerriers Haäns qui gardaient leurs geôles furent trompés dans les belles largeurs. Les soldats, sans qu’ils comprennent comment cela avait pu se produire, se retrouvèrent subitement dans une salle réservée aux chenilles des Velkriss! Ce lieu spécial pouvait prendre le nom de nymphose. Mathieu avait hérité des dons télépathiques de son père. Les valeureux soldats de plus de deux mètres cinquante de haut, à l’intelligence sommaire, croyant à la réalité matérielle des doubles des enfants, furent avalés et étouffés en moins de deux par les insectoïdes affamés en train de filer leur cocon. Dans quelques heures, ces glorieux Haäns desséchés, serviraient de nourriture aux chenilles voraces en train de muter!

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