vendredi 13 janvier 2012

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 7 1ere partie.

Chapitre 7

Octobre 2517.
Dans les coursives du Lagrange, la nuit artificielle régnait. Les gardes, dans leur uniforme bleu rutilant, avaient tendance à céder à la somnolence, trop confiants vis-à-vis de surveillance automatique du vaisseau.
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Aure-Elise avait su amadouer son tyran de mari. En possession une nouvelle fois des derniers codes de sécurité, elle était sortie de sa cabine en catimini après avoir trompé les caméras partout présentes dans les couloirs.
D’un pas assuré, vêtue d’une longue robe noire qui pouvait la rendre partiellement invisible, après avoir pris soin de baisser sa température corporelle, la jeune femme se dirigeait vers l’infirmerie, deux niveaux au-dessous des suites dévolues aux VIP.
Denis O’Rourke l’attendait avec une certaine fébrilité.
Aure-Elise entra furtivement dans le bureau du médecin et demanda abruptement, oubliant sa bonne éducation:
- Je suis là comme convenu. Je risque gros à vous voir ainsi. Qu’avez-vous donc à m’apprendre?
- Vous vouliez savoir où se cache le commandant Grimaud, n’est-ce pas?
- Le bruit court qu’après sa fuite de ce terrible bagne de Bolsa de Basura dos, il serait mort dans l’explosion de la navette qu’il avait volée.
- Mais naturellement, vous ne croyez pas un mot de cette fable.
- Bien évidemment. Je connais Daniel depuis quinze ans. Cette fin absurde ne lui ressemble pas. Elle est cousue de fil blanc. Il s’agit d’un conte arrangé pour la pseudo opinion publique. Je n’ai qu’à observer mon cher et tendre Marie André et la di Fabbrini pour voir que tous deux sont plus qu’inquiets depuis l’évasion du commandant.
- J’en comprends la raison, mais Daniel Grimaud n’a nullement l’intention de passer à l’ennemi.
- Qu’est-ce qui vous rend si catégorique?
- Le commandant a rejoint la cinquième planète du système Sestriss.
- Ah! Il est donc parvenu à entrer en contact avec vous!
- Pas directement; le vice amiral Fermat est entré en communication avec mon humble personne, ma chère.
- Je ne comprends plus. Cet homme n’est-il pas à la tête d’un service secret?
- Plus actuellement. Désormais, il est recherché pour collusion avec l’ennemi.
- Incroyable. Mais avez-vous songé à désactiver tous les mouchards de votre bureau?
- Oui, avec l’aide d’Albriss.
- Cet Hellados me surprendra toujours. J’ai du mal à le cerner.
- En fait, il voue une fidélité sans faille au commandant Grimaud, mais j’en ignore les raisons.
- Revenons plutôt à Fermat. Pourquoi apporte-t-il son soutien à notre fugitif et sacrifie-t-il sa carrière en agissant ainsi? Qu’est-ce que tout cela cache? Quels sont les enjeux?
- Aure-Elise, je n’en sais rien. Par contre, le vice amiral a insisté sur un point. Il a demandé à ce que vous gagniez au plus vite Sestriss V. Nos deux hors-la-loi ne peuvent s’y éterniser.
- Ah! Tiens donc! Comment accomplirai-je pareil exploit? Par un coup de baguette magique? Les deux officiers ne doutent vraiment de rien! Je ne vois pas en quoi je puis être utile à ces messieurs. Bien sûr, mon amitié envers Daniel est précieuse. Mais c’est justement parce que cette dernière est un fait notoire que je dois prendre garde à mes arrières. Il ne m’est pas si facile d’endormir la méfiance de mon époux et de lui tirer ensuite les vers du nez.
- Je comprends, surtout depuis qu’il est avéré que vous vous êtes rendue complice de la fuite de Violetta Grimaud. Cependant, le vice amiral a été formel. Il a besoin de votre présence.
- J’hésite…
- J’ai un plan, mon amie. Écoutez-moi. Cela ne vous coûtera rien…
- Un peu de mon temps. Dépêchez-vous, Denis.
- Demain, vous le savez sans doute, nous serons ravitaillés en aliments frais par le cargo Maréchal Soult. Pour quitter notre vaisseau, vous n’aurez qu’à vous dissimuler dans les conteneurs une fois vidés. Et le tour sera joué.
- Comment cela? Fit Aure-Elise intéressée.
- Je connais l’itinéraire du cargo, grâce toujours au précieux lieutenant Albriss. Après le Lagrange, le Soult doit se poser sur Sestriss V. l’Hellados m’a fourni les doubles des listings des opérations de routine.
- Hum… tentant. J’accepte. Je vais simuler une grippe. Mon doux Marie André qui craint les virus et les microbes comme la peste, va m’ordonner de venir me reposer ici.
- Parfait.
- Aïe, mais non! Attendez! Après ma fuite, vous allez être assurément arrêté pour complicité…
- Pas du tout. J’ai tout prévu. Vous n’aurez qu’à m’endormir avec le produit de cette seringue. Vous vous en serez emparée et vous l’aurez retournée contre moi. Pour plus de crédibilité, je vous recommande de m’injecter une dose de cheval. N’ayez aucune crainte. J’ai un cœur solide et un somme de quinze heures ne peut me faire que du bien.
- Denis, je vous admire. Cela ne paraît pas au premier abord, mais vous êtes en fait un homme courageux.
- Ma loyauté va d’abord au commandant Grimaud. Je lui rends service mais je lui dois bien cela. Grâce à lui, ma candidature à bord du Lagrange a été acceptée. l’Amirauté a cédé à ses desiderata.
- J’ai saisi. Votre orientation sexuelle faisait tache dans votre dossier…
- Effectivement. Mais nous sommes gouvernés par des hypocrites! À commencer par le conseiller de Sa Majesté Impériale, homosexuel notoire…
- Vous faites allusion à Gilles Grenoble?
- Exactement. À ce nom, il faut rajouter celui de l’amiral Gavret qui, lui, n’a aucun scrupule à suborner de très jeunes gens. Moi, j’ai Kilius, mon compagnon depuis le lycée.
- Kilius le Castorii fait office d’économe à bord depuis un an.
- Toujours par l’entremise de Daniel Grimaud. Et nos cabines sont mitoyennes.
- A vous écouter, je m’aperçois que sous des abords froids, Daniel est en fait profondément humain. Mais je change de sujet. Denis, après ma fuite, je vais avoir toutes les forces de police à mes trousses.
- J’ai de quoi remédier à ce problème. Lorsque vous reviendrez à l’infirmerie, grippée et enchifrenée, j’altèrerai provisoirement votre apparence ainsi que vos marqueurs ADN.
- J’ignorais qu’une telle chose était possible. A qui vais-je ressembler?
- A la personne que vous voudrez. Cette altération a cependant une durée limitée dans le temps, pas plus d’une semaine.
- D’où provient cette biotechnologie?
- Euh… La section 51 l’aurait subtilisée à l’Empire chinois il y a moins de cinq ans…
- Encore le vice amiral Fermat! Il a séjourné en Chine justement lors des échanges avec Pékin. Décidément, je vais finir par penser qu’il a anticipé les événements actuels.
- Qui sait? Peut-être supposez-vous juste… nous avons beau être des officiers de la flotte des Napoléonides, nous ne savons en fait pas grand-chose des conflits des services secrets, des guerres feutrées et néanmoins mortelles qui s’y livrent.
- Il vaut mieux ne rien en savoir! Nous aurions honte assurément et serions dégoûtés, conclut Aure-Elise.
Après quelques ultimes conseils, la jeune femme se retira. Le plan audacieux mis au point par O’Rourke fonctionna sans anicroche. Surprenant, n’est-ce pas?

***************

Octobre 2517.
Lorsque la défection de l’épouse de l’ambassadeur d’Elcourt fut constatée à bord du Lagrange, Marie André fulmina. Il n’avait rien vu venir, le sot. Alors, il ordonna de rattraper vaille que vaille la fugitive. Or, ce fut impossible car, désormais, le gouvernement des Napoléonides se préparait à entrer en guerre contre l’Empire chinois. Il n’était donc pas question de détourner le vaisseau pour capturer n’importe quel déserteur. Il y avait mieux même.
Soupçonné de tiédeur, voire de complaisance, l’ambassadeur d’Elcourt fut mis momentanément aux arrêts par la commissaire politique, le capitaine di Fabbrini. Marie André dut se justifier et subir le viol mental de la semi métamorphe.
Pendant ce temps, Aure-Elise avait gagné sans encombre la planète Sestriss V.
Alors que la jeune femme parcourait le marché central de Guirres avec l’idée de renouveler ou d’enrichir une garde-robe désormais fort réduite, elle sursauta violemment lorsqu’une main indubitablement masculine se posa sur son épaule.
Vivement, Aure-Elise se retourna et dévisagea le malotru qui se permettait ainsi ce geste de familiarité. Elle ne reconnut pas le personnage. Intérieurement, elle espérait ne pas avoir été démasquée.
Or, une voix fort connue retentit dans sa tête et la détrompa:
- Ne paniquez donc pas, Aure-Elise Gronet d’Elcourt. Ce n’est que moi, celui que vous nommez Daniel Lucien Napoléon Grimaud. Et n’affichez pas ainsi votre trouble. Faites semblant d’avoir retrouvé un vieil ami. C’est le cas, non? Les caméras sont partout de même que les espions.
- Euh… certes, balbutia l’intéressée. Mais… enfin… vous êtes tout à fait méconnaissable… et je ne vous connaissais pas ces talents de télépathe.
- Chut! Pas à haute voix, voyons! Empruntons plutôt cette direction. Mon hôtel, dépourvu de confort, je vous préviens, n’est qu’à deux kilomètres de ce centre commercial. Et si vous voulez communiquer avec moi, contentez-vous de penser vos phrases.
Aure-Elise, fascinée par l’art du grimage de son compagnon, un Manda à la peau bleue et au visage muni de trois yeux reptiliens, obéit.
- Vous m’attendiez, manifestement…
- Effectivement. Vous vous êtes enfin résolue à suivre les ordres de Fermat. Ceci dit, il y a une heure trente-quatre minutes et deux secondes que je vous piste. Mais vous ne m’avez pas remarqué. Ceci prouve que mon déguisement est au point. Vous détecter avec mon talent était un jeu d’enfant.
- Justement, à ce propos… comment avez-vous acquis cette faculté soudaine? Par un implant?
- Oh! L’histoire est un rien plus compliquée Aure-Elise.
- Attendez une minute Daniel.
La jeune femme s’arrêta prise d’un doute concernant l’identité réelle de l’individu qui lui faisait face.
- Tout à l’heure, vous avez employé une expression étrange, « celui que vous nommez Daniel Lucien Napoléon Grimaud ». Que voulez-vous me faire comprendre?
- Aure-Elise, très chère amie, je ne vous tends aucun piège! Je suis, du moins en partie, celui que je prétends être et que vous avez connu alors que vous n’aviez que sept ans.
- La preuve de ce que vous avancez! Donnez-la moi immédiatement. Vos propos deviennent obscurs et fort inquiétants.
- Je m’exécute. Vous avez épousé ce fat de Marie André d’Elcourt sur Derron VIII, avec pour témoins de cette union mal assortie mais néanmoins ordonnée par l’Empereur deux hologrammes, ceux de votre père et de votre mère…
- C’est un fait connu de tous!
- Sans doute, mais pas ce détail. Ce jour-là, vous vous êtes présentée en retard à la cérémonie; vous aviez une excuse en or massif. Vous veniez de perdre votre animal de compagnie, une adorable chatte angora blanche appelée Pompon. Après votre mariage, vous m’avez chargé d’incinérer la petite dépouille. Cette marque de confiance me toucha profondément. Vous disiez qu’il n’y avait que moi pour comprendre votre chagrin. Vous m’aviez avoué, alors que vous alliez sur vos quinze ans, n’étais-je pas déjà votre confident et votre mentor, que, parfois, vous aviez l’impression d’avoir vécu ailleurs, jadis, dans un Paris ancien et révolu. Vous logiez, d’après vos dires, rue Rambuteau et les voitures hippomobiles parcouraient encore les rues pavées de la capitale. J’étais le seul à vous écouter, à vous croire et à ne pas me moquer. À partager votre émoi. Savez-vous pourquoi?
- Vous avez reconnu subir aussi de semblables désorientations, Daniel.
- Oui, Aure-Elise… aujourd’hui, voyez-vous, j’ai la réponse à ce mystère qui nous est commun. J’ai vécu dans d’autres pistes temporelles, j’ai parcouru des bulles mondes autres, j’ai franchi les frontières de l’impensable, les frontières du temps et du Multivers. J’ai fusionné avec mon autre moi-même, mon alter ego et je suis enfin redevenu Daniel Lin Wu Grimaud, le Révélateur de la Supra Réalité.
- Daniel, vous avez la conviction de l’être et vos pensées sont parfaitement claires. Je ne sens rien d’hostile dans celles-ci. Je vous crois.
- Merci pour cette nouvelle marque de confiance, Aure-Elise. Mais appelez-moi désormais Daniel Lin. C’est là mon véritable nom assumé. Rue Rambuteau, vous étiez différente… plus jeune et innocente. Vous appreniez le chant et le piano.
- Oui, une image affleure par-dessus mes souvenirs actuels; vous jouiez remarquablement de cet instrument devant un auditoire blasé. Vous interprétiez du Bach, les Suites Anglaises… or…
- Or, le Daniel des Napoléonides est dépourvu de tout don artistique;
- Précisément. Même s’il m’a encouragé à pratiquer…
- Tantôt, je vous montrerai que je n’ai nullement perdu ce don; mais hâtons le pas, Aure-Elise. L’endroit n’est pas sûr.
- André Fermat s’inquiète, Daniel Lin.
- Oui, je capte distinctement son trouble. Ah… un autre détail. En 1900, vous étiez un peu amoureuse de moi, cela faisait rager Adeline, votre mère, quoique… pensez… vous n’aviez que dix-huit ans et aucune expérience de la vie tandis que j’étais chargé de famille.
- Hum… je m’en souviens. Vous aviez deux filles. Une brunette charmante aux yeux verts et une petite rousse aux yeux bridés.
- Marie, souffla le daryl androïde fort ému.
- Daniel Lin, je vous suivrai partout, toujours, jusqu’au bout du, non, des mondes…
- Chut Aure-Elise, pas autant de passion. Vous savez, sur le Lagrange, alors que le procès inique venait de s’achever, j’ai croisé une seconde votre regard. J’ai compris aussitôt que je pouvais compter sur votre indéfectible amitié, votre affection sans bornes.
- J’ai aidé Violetta à quitter le vaisseau.
- Vous avez pris de grands risques.
- Pas plus qu’à vous retrouver ici!
- Violetta Grimaud, ou plutôt Sitruk rue Rambuteau.
- Je ne comprends pas Daniel Lin.
- Dans la plupart des chronolignes, c’est là le véritable nom de mon lutin, de ma joie de vivre. Vous l’avez rencontrée sous cette identité là, là-bas, mais par commodité, je la faisais passer pour ma fille. Mais ici, elle l’est devenue réellement. Puisse-t-elle me faire oublier Mathieu, Marie et Tatiana…
- Qui sont-ils donc?
- Mes enfants de l’autre monde…
- Mais vous pleurez?
- Je ne m’en cache pas Aure-Elise. Je n’ai pas honte de mon chagrin. Vous comprendrez toute l’étendue de ma douleur lorsque le vice amiral aura fait fonctionner le chrono vision. Ainsi tous les doutes se dissiperont.
- Daniel Lin, aujourd’hui vous m’avez à vos cotés mais plus tard, Maria vous rejoindra…
- Sans doute…
Avant d’accélérer le pas, les deux amis avaient donc repris leur marche, Aure-Elise déposa un léger, très léger baiser sur la joue humide de Daniel Lin, un baiser chargé de tendresse et d’amour, un amour pur, entier, prêt à tous les sacrifices.
L’Aure-Elise de cette piste 1730 aimait l’ex-commandant Grimaud depuis l’instant de sa première rencontre avec lui. S’il n’avait pas été déjà marié à Lorenza, cette maudite Italienne, elle l’aurait épousé dès ses quinze ans. Mais le destin en avait voulu autrement.

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Octobre 2517.
Mais cette fois-ci, un léger retour en arrière s’impose; revenons donc au bagne de Bolsa de basura dos, alors que le commandant Wu vient d’administrer la terrible raclée que l’on sait au change forme Oniù. Le daryl androïde est en attente de transfert d’un niveau de fosse à un autre, plus profond, plus impitoyable encore si possible.
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En attendant, isolé à l’intérieur d’une étroite, fort étroite cellule de contention, Daniel Lin médite sur son sort et sur les événements étranges qui semblent s’accélérer. Parallèlement, tendant toutes ses facultés télépathiques, il tente vainement d’entrer en contact avec son frère parmi les étoiles, son autre lui-même. Mais Antor, inexplicablement, toujours, se dérobe à lui. Pourquoi? Existe-t-il encore, quelque part dans le Multivers?
Autrefois, pourtant, par-delà les barrières des univers parallèles, Daniel Lin est toujours parvenu à communiquer avec son ami. Mais, cette fois-ci, malgré tous ses efforts, son obstination, ses appels de plus en plus désespérés ne rencontrent que le silence et se heurtent au Néant.
Allons. Il devait se faire une raison. Ne plus gaspiller ainsi et son énergie et son temps. Confusément, le prodige de la Galaxie sentait que cela était vital.
« Antor n’est plus tout simplement, pense Daniel Lin. Il n’a même jamais été, n’a jamais respiré, existé. Il n’a été qu’un leurre, un simulacre…
On m’a fait croire que j’avais un ami alors que je suis voué à la plus incommensurable des solitudes… je suis désormais confronté au vide insondable que j’ai toujours refusé d’affronter, cette inanité effrayante et redoutée, cette peur, cette angoisse qui m’enveloppe de ses voiles indestructibles. Mais je me dois de repousser cette panique enfantine, irraisonnée, primitive! Je ne dois pas sombrer dans la folie monstrueuse, me laisser déchirer par ses serres qui prennent plaisir à mettre en pièces ma psyché, mon ego…
Je dois à tout prix surmonter mes démons intérieurs, ce doute, cette fascination pour la Mort, le Néant… je me dois de vaincre! Pas seulement mon abattement, ma terreur intime de me retrouver seul à jamais pour les siècles des siècles, jusqu’au bout du temps et de l’infini, jusqu’à la fin de l’histoire, et pas seulement humaine, sans ami, sans confident ni frère, ni double, sans amour ni amante… mutilé… ».
Après un laps de temps indéterminé, son spleen a-t-il duré une heure, une minute ou des éons, Daniel Lin se redresse sur sa couche dure, ses pensées étonnamment claires ses yeux illuminés par une étrange et inhumaine lueur orangée. Le spleen si tentant, l’abattement si confortable ne l’ont pas retenu dans leurs rets puissants. Il s’est montré le plus fort, a su recouvré sa détermination légendaire.
Maintenant, il capte l’appel à l’aide de Frédéric Tellier. Coïncidence ou synchronicité? Malgré les obstacles, le message est parvenu jusqu’au Prodige, se moquant des sentiers dangereux empruntés au sein des inter dimensions.
Le daryl androïde se doit d’y répondre. Il hésite une femto seconde puis s’y résout.
« D’étranges réminiscences m’assaillent, m’envahissent, établissent en moi des échos surprenants qui me sont pourtant familiers, ô combien… mais les vibrations s’amplifient, les chants mélodieux des sphères gagnent toutes les branes, les cordons des filins divins. Les feuillets s’étirent, tendus à l’extrême; souffrance… oui souffrance mais consentie, voulue, infligée et subie… chute… perte nécessaire… je vais répondre Frédéric, écoute bien ceci. »
Le message tel que vous l’avez déjà lu, ce message tant espéré par l’Artiste partit et atteignit son destinataire.
Puis, cette tâche achevée, soulagé par le devoir accompli, Daniel Lin cessa de se tourmenter, et entama les préliminaires afin d’entrer en transes et de retrouver ainsi son Centre. L’enseignement de son grand-père Li Wu de la piste 1721bis l’y aida partiellement.
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Il était partout et nulle part à la fois. Il avait perdu son identité, mais pas seulement. Y compris le sentiment d’exister. Il voguait, il s’étalait, il errait, porté par les vents pré solaires et par les flots des pré particules. Il nageait dans le maelström indescriptible, échappant à tout entendement de l’ante matière, de l’ante pré pan multivers. Il était bien en deçà des photons, des ions et des bosons.
Il allait tout simplement, ignorant à quoi se raccrocher. Il se contentait de dériver en deçà du temps et de l’espace. Cela lui suffisait… ou ne lui suffisait pas. Il ne savait pas ou n’en avait cure.
Le où, le quand, le comment, le pourquoi, le sens de toutes ces questions n’avaient plus aucune signification, aucune importance… n’en avaient jamais eu…
RIEN…
Le Rien absolu, tout au cœur de lui-même… tout autour et au dehors de lui…
Parfois, sans prévenir, des souvenirs, des images le traversaient, fulgurances obstinées mais vite oubliées et effacées, remontant du fin fond de ce qu’il avait été, revenant d’entre les mondes, le frappant, le poignardant, le blessant…
Des sons, des couleurs, des parfums dans le plus grand désordre, sans rime ni raison, des voix aussi, des sourires et des rires, des regards, des combats partagés, des victoires, des bonheurs éphémères mais précieux, de l’amitié, de l’amour, de l’espoir, assurément…
Et puis, tout s’éteignait, tout s’en allait…
Fugitives sensations éprouvées et vite parties.
Le Rien. Éternel… mais pas immuable, oh non! Car tout revenait, inexorablement, recommençait, encore et encore, toujours…
Il se sentait étiré, écartelé au-delà du possible, au-delà de la souffrance indicible. Ses terminaisons le brûlaient(?). Il suffoquait bien qu’il n’eût pas de poumons(?).
Comment pouvait-il donc ressentir une aussi intense douleur? Il était dépourvu de corps, de matérialité, l’avait toujours été…
Il ne comprenait pas et se refusait à comprendre. Cela faisait si mal, bien trop mal de se rappeler. Quoi au fait? À quoi bon? Il repoussait cette tentation.
Il se contentait de flotter, de traverser les branes, de passer au travers de ce qui n’était pas encore ou qui n’était plus ou ne serait jamais…
Mais les fulgurances le parcouraient encore, encore, agaçantes, têtues… opiniâtres…trop… elles le cisaillaient, le glaçaient, le torturaient, l’aveuglaient sans aucune pitié. Qu’étaient-elles? D’où provenaient-elles?
Se dérober, toujours, une habitude, un refuge, un confort…
Mais ces choses innommables insistaient, revenaient, se raccrochaient, s’agrippaient à sa mémoire rétive.
Ah! Comme il voulait se laisser sombrer dans la vacuité, dans l’Infinité des pré Multivers bulles, pas encore connectés! Se noyer, s’altérer, se fondre, se dissoudre, sans responsabilité, sans souvenirs, dans le confort du Néant…
Mais pourquoi quelque chose provenant de lui luttait-elle encore? Contre qui? Contre lui-même?
Pourtant, son Esprit avait tout oublié, du moins en était-il certain. Sa psyché n’avait jamais su. Qui avait-il à savoir après tout? Vanité, orgueil..
Jadis… Autrefois… naguère… quels termes étranges et étrangers… puisque le Temps n’existait pas, puisque tout était à la fois, mêlé, mélangé, sans continuité aucune.
Il avait été… Qu’il l’admît ou pas. Il avait existé… par-delà ce Multivers actuel, mais c’était fini, terminé… oui! Enterré, repoussé, oublié, effacé, épongé, anéanti…
Emprisonné dans les limbes de l’Infra Mondes, au plus profond de l’Outre Nulle Part, il s’obstinait à ne pas réfléchir. Il refusait de penser. Il le devait. Devoir sacré… pour préserver… quoi? Il n’en avait aucune idée…
Sans cesse, pourtant, tout lui revenait, pour se diluer aussitôt à la surface de son incertitude, de ses atermoiements, sur les vagues de sa douloureuse et surprenante mutilation, sur les frémissements de ce qu’il avait été autrefois… sur son non-être actuel.
Un visage doux, amical, empli de compréhension et de compassion. Des cheveux auburn, à la mèche rebelle, tombant sur un front blanc et pur de toutes rides, des yeux bleu gris amusés, une solide, indéfectible amitié, une communion…
L’imminence d’un danger pressant se rappelait à lui… il devait Le prévenir, au plus vite… il pouvait tout perdre, Le perdre s’il n’agissait pas, s’il ne faisait rien…
Perdre tout, oui, et avant tout la Vie…
Mais qu’était-ce la Vie? La Conscience?
Or, il n’avait rien pu ou voulu faire… les langues de feu, effrayantes inhumaines, effroyablement cruelles lui avaient dit… quoi au juste? L’Unicité avait été la plus forte. Elle lui avait imposé la Nécessité.
Telle avait été la terrible Punition. L’ardente obligation, l’épreuve pour que l’Expérience réussît. Il avait de la peine; le chagrin l’envahissait lorsqu'il se rappelait les petites vies dont il s’était entiché, ces humains stupides, versatiles et futiles , ces animalcules ridicules et inconscients, pourtant obstinément attachants…
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Maintenant, il comprenait, mais il regrettait son innocence enfuie… perdu, il se sentait, il était perdu… au milieu de l’Outre Nulle part, au cœur de l’Infra de l’Inframondes. Et l’Autre aussi… à cause de ces petites vies inabouties encore, fruit de ses expériences… objet de toute l’attention de l’Autre, son frère, son double, son Avatar, fierté de leur réussite commune… mais l’Autre n’était pas, n’avait pas été, n’était pas encore, n’était plus le Créateur… ne Le serait jamais sauf si…
Observateur… cela lui suffisait, lui suffirait! Baste de la vanité!
Pourtant le terme ne le satisfaisait pas vraiment. Révélateur, Expérimentateur, Préservateur, Conscience de tout les Pantransmultivers dans n’importe quel schéma…
Or, en attendant, il était là, sans mémoire ou presque, sans aide, seul, obstinément et durablement seul… la charge était trop lourde, le fardeau consenti librement trop accablant… il n’avait pas cru que cela fût si difficile; il subissait l’insupportable…
Il errait dans l’Infini, au propre comme au figuré… le Serpent merveilleux qui se mord la queue. Jamais de commencement ni de fin.
Infinie tristesse, amère solitude, rage impuissante, colère violente, résignation douloureuse, renoncement trompeur, oubli menteur, reflet prismatique de tout ce qui était ou serait, vagissement renouvelé, recommencement toujours neuf, leçon, compréhension, acceptation, silence revenu, partage, compassion, fusion…
Leurre ou réalité supérieure?
Une fois encore tout passait, tout coulait en lui et par-dessus lui, tout se fluidifiait, s’évaporait et se sublimait.
Un nuage de l’Outre Lieu creva, une ondée du Pantransmultivers tomba sur le Rien, une Résurgence de la Totalité réelle et immatérielle, lumineuse et emplie de ténèbres.
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Tout s’éteignit inévitablement… mais pourtant, dans ce Néant, ce Rien, cet incontournable Chaos, il surgit, il émergea, il naquit, il recommença, il sentit, il apprit, il comprit, il compatit, il sut.
Perpétuel battement de cœur, perpétuelle nécessité, victoire obligatoire sur les Infraténèbres!
Il ne mourrait pas, il ne le voulait pas… il était l’Éternité, l’Infinité, la Sublimité, la Transcendance, la Matière, le Temps, la Lumière, la Connaissance, la Symbiose, le Partage, l’Amour, le Don, la Communion, la Fusion…
IL Était tout simplement, parce qu’IL DEVAIT ÊTRE…
« JE SUIS »…
Et Antor sut, et Antor comprit, et Antor exista, et Antor pleura… sous les regrets, il remonta à la surface et nagea. Et Antor trembla et eut peur, non pour lui-même mais pour l’Autre qui n’avait pas terminé son INITIATION… QUI N’AVAIT PAS ACCOMPLI TOUT LE CHEMIN…
L’équilibre faisait défaut et manquait à l’appel… comment y remédier? Le choix s’offrit au double, au jumeau, douloureux, mutilant mais nécessaire…

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