samedi 22 septembre 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1932 (2).


Piikin atterrit derrière le bois de la propriété des van der Zelden à la date et à l’heure prévues. Sortant de son véhicule intelligent, il le reprogramma et la bulle se plaça en orbite déphasée juste au-dessus du château, invisible à l’intérieur d’une sphère temporelle légèrement déviée. 
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A petits pas, l’homme artificiel avança en direction du parc et des bâtiments centraux. Il n’avait aucune hâte à croiser Madame. Puis, il pénétra dans l’imposante demeure par la porte du jardin d’hiver. Il y régnait une atmosphère d’étuve, digne de la forêt tropicale.
Tout en marchant, Piikin se défaisait de son apparence d’espion de la Première République. Bientôt, il recouvra son aspect naturel, c’est-à-dire le crâne dépourvu de toute pilosité, de même pour son visage, la peau présentant des reflets métalliques bleu acier, les yeux froids. Ses vêtements, des projections holographiques, avaient été remplacés par une combinaison grise passe-partout.
Comme il faisait déjà nuit, Piikin crut qu’il avait assez de temps afin de se recomposer un visage nettement plus humain, celui de Wilfried, le régisseur qu’il était censé être.
La maisonnée devait être endormie. Mais il prit la précaution d’entrer à pas feutrés dans le grand salon du rez-de-chaussée. Il ne désirait pas réveiller qui que ce soit, et surtout madame van der Zelden.
Or, à peine avait-il esquissé un pas dans la vaste pièce, qu’avertie par on ne sait quelle prémonition, ou dotée d’une ouïe surdéveloppée, Johanna actionna l’interrupteur électrique d’une main frêle. Aussitôt, des centaines de watts éclairèrent violemment le salon, aveuglant Piikin. Désarçonné, l’homme robot recula, trébuchant sur un siège qui avait été déplacé. Ce fut tout juste s’il ne tomba pas sur le parquet ciré.
Alors, une voix doucereuse s’éleva dans la nuit, une voix empreinte de menaces. 
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- Bonsoir, Wilfried. Vous venez bien tard, ce soir… Je vous espérais plus tôt, beaucoup plus tôt… mais… est-ce bien Wilfried que je dois vous appeler ? C’est fort mal à vous de m’avoir ainsi fait attendre. Vous avez menti, trahi la confiance que j’avais mise en vous…
Réajustant sa vision, l’homme artificiel parvint à voir son interlocutrice. Il avait face à lui une jeune femme blême, d’une maigreur effrayante, qui n’était plus que le fantôme de ce qu’elle avait été jadis… une malade assise dans un fauteuil roulant dont les yeux exsudaient la folie et la haine. Dans sa main droite, elle serrait un pistolet laser.
Toutefois, malgré les circonstances dramatiques, madame van der Zelden n’avait pas oublié d’être élégante afin d’accueillir comme il se devait l’homme prodigue. En effet, elle portait un délicieux tailleur gris en flanelle, du chic le plus absolu, à motifs losangés. L’ourlet de la jupe, rallongée, descendait à mi mollet et dissimulait partiellement les jambes décharnées de la phtisique. Ce tailleur ajusté avait été prévu pour des jeunes femmes sveltes et non pas pour des malades se mourant de consomption. Il y avait ici une forme d’humour noir à vouloir arborer une telle tenue car elle ne faisait qu’accentuer la maigreur étique de celle qui la portait. Mais Johanna n’en avait cure, toute accaparée par sa vengeance. Cependant, elle avait pris soin de compléter sa toilette par des chaussures glacées assorties au tailleur et coupées dans du chevreau.
- Que me voulez-vous, madame ? S’inquiéta Piikin. Vous tenez une arme. Le savez-vous ?
- Bien évidemment… Votre absence s’est éternisée, Wilfried… alors, durant celle-ci, j’ai eu le temps d’apprendre… de beaucoup apprendre. Je me suis servie de vos étranges appareils… de vos projecteurs portatifs… J’y ai vu des films et encore des films… des actualités, des représentations théâtrales… mais pas seulement… des documentaires… désormais, je sais que vous venez du futur, que vous êtes originaire d’un lointain avenir. Vos archives cinématographiques ont enregistré toute l’histoire du XXe siècle… alors que celui-ci n’est même pas encore parvenu en son mitan à l’instant où je vous parle.
- Madame…
- Taisez-vous, Wilfried… Je n’ai pas achevé, loin de là. J’ai vu le premier homme marcher sur la Lune. Il était américain.
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 J’ai vu un hautboïste et chef d’orchestre vivant presque trente années dans le futur. Je l’avais déjà croisé durant mon enfance… mais ce détail, vous le connaissez déjà sans doute…
- Madame…
- J’ai vu le Troisième conflit mondial… Une horreur… des engins de mort striant le ciel, abattant des villes entières, des rideaux de feu, des énormes champignons lumineux détruisant tout, que ce soit les bâtiments, les arbres et les humains… j’ai entendu des cris, des hurlements de terreur, des pleurs, j’ai vu les gens s’enfuyant poursuivis par ces murs de flammes… en vain… une fois rattrapés, ils brûlaient vifs, se transformant en torches vivantes. Les plus chanceux avaient leur peau qui se cloquait et éclatait, leurs cheveux qui s’embrasaient… mais j’ai également vu Adolf Hitler régner sur l’Europe… triomphant… magnifique, sublime…
- Madame, répéta Piikin, tentant de clamer l’exaltation de la pauvre folle.
- J’ai vu, reprit Johanna dans un souffle, dans un vaste bureau tout meublé de verre et d’acier, à New York, oui, il s’agissait de New York manifestement puisque la Statue de la Liberté se découpait au large, un homme étrange, aux yeux de nuit, le maître occulte, à la tête d’une puissance incommensurable, donner des ordres incompréhensibles… chose incroyable, je n’ai pas eu peur… je l’avais en effet reconnu. C’était l’homme qui me sauva des griffes de ce musicien assassin…
-  Madame, insista Piikin.
- Wilfried, vous êtes pour moi l’envoyé de la Providence, l’envoyé de cet Inconnu… les documents auxquels j’ai eu accès n’étaient que fragmentaires… oui, Adolf Hitler règnera sur l’Europe, imposera à tous sa vision grandiose du monde… mais… quand ? Jusqu’à quand ? Je ne sais rien ou presque quant au sort de l’Allemagne, mon pays…
- Madame, je vous en prie…
- De quoi donc avez-vous peur, Wilfried ? De moi ? Ah ! Ne me faites pas rire… je n’en ai ni l’envie ni la force… Vous devez forcément savoir ce qui doit advenir… vous devez me le dire, rien me celer.
- Madame, je ne puis vous révéler mon savoir… cela m’est interdit… oui, interdit… je suis programmé ainsi… mon maître Johann a placé en moi un garde-fou… même sous la torture, ma bouche restera scellée. Aucun de vos contemporains, aucun humain de ce siècle ni des suivants n’obtiendra de moi le moindre des renseignements, l’information la plus insignifiante, du moins en apparence.
- Wilfried, vous avez décidé de me fâcher, c’est cela ? Siffla Madame.
- Non, vous ne comprenez pas. Je suis prisonnier de ma programmation de base. Car, voyez-vous, madame, je ne suis qu’un… robot, un être artificiel. Vous qui avez vu Metropolis,
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 vous devez faire l’effort de saisir ce qu’il en est pour moi… Il n’appartient pas aux gens du passé de connaître l’Histoire de la Terre, une Histoire qui, pour eux, ne s’est pas encore déroulée… On ne bouscule pas, on ne bouleverse pas le continuum temporel… le système chaotique ne le supporterait tout simplement pas…
- Que me dites-vous là Wilfried ? Vous mentez ! Oui, encore une fois vous me mentez effrontément. Vous me prenez pour la dernière des demeurées.
- Madame, lâchez cette arme. Elle peut occasionner des dégâts considérables entre des mains malhabiles et ignorantes. Même sans elle, je suis capable de vous détruire…
- Comment cela ?
- Je dispose à l’intérieur de mon corps artificiel d’une sorte de protection qui peut s’activer si la menace devient probable et se transforme en danger immédiat. Une sécurité qui est une arme qu’on ne peut pas stopper. Un dispositif d’attaque parfait.
- Silence, Wilfried ! Vous voulez m’intimider, mais vos efforts sont vains. Je sens ou plutôt devine votre peur. Vous ne pouvez rien contre moi, contre ma résolution. J’ai identifié votre maître…
- Madame, vous vous condamnez…
- Ne soyez donc pas idiot. Il s’agit de mon… petit-fils… l’homme le plus riche et le plus puissant de la fin du XXe siècle… N’est-ce pas merveilleux ?
- Madame, vous venez de signer votre arrêt de mort.
- Vous vous entêtez donc ? S’écria madame van der Zelden.
Soudain, comme provenant de nulle part, une voix dure s’éleva et retentit, prononçant des paroles tranchantes.
- Piikin, vous avez eu l’audace de menacer Johanna ? Tant pis pour vous, laquais ! Votre rôle s’achève donc ici et maintenant…
- Maître ! Maître ! Pardon… Je suis désolé… je ne voulais pas…
- Ah ! Ainsi, cette voix appartient à Johann, murmura Johanna avec satisfaction. Mais… que vous arrive-t-il subitement, Piikin, puisqu’il semble que cela soit votre véritable nom ? On dirait que vous partez en pièces détachées…
- C’est le cas, madame… mon maître est un monstre… Il me vide le cerveau. Il le décharge de toute sa connaissance… mais… j’aurai néanmoins le temps de vous dire… puisqu’il a annulé la programmation de sécurité de base…
- Oui ? Je vous écoute, fit avec anxiété Johanna.
- Oui, votre Führer Adolf Hitler instaurera l’Ordre nouveau… mais il ne pourra aller plus loin que l’Europe… s’attaquer à la Russie sera sa plus grande erreur… Ainsi Staline deviendra l’allié des Américains, des Alliés… qui remporteront la Deuxième Guerre mondiale…
- Quoi ? C’est impossible ! Gronda Madame.
- Une guerre effroyable, avec son cortèges d’abominations, d’horreurs… Hitler sombrera dans la fureur meurtrière, dans la folie de la destruction. Lorsqu’il comprendra que sa défaite sera inéluctable, il s’en prendra à son propre peuple… un loup avide, cruel, qui sera terrassé par deux autres loups, tout aussi insatiables… L’URSS, à la tête de laquelle se trouve le tsar rouge, l’ours enfin réveillé, et, de l’autre côté de l’océan, le requin du capitalisme, les Etats-Unis… contre la force sauvage, brutale, une force encore plus puissante… Une nouvelle barbarie… contre la terrible machine de mort, d’autres machines, d’autres armes sèmeront une terreur tout aussi affreuse. L’arme nucléaire…
- L’arme nucléaire ? Expliquez-vous Piikin…
- Vous en avez vu ses effets à la fin du XXe siècle… Maître, arrêtez… pitié ! Je suis Piikin, j’ai été créé par Okland di Stephano… je suis Piikin… Shalaryd, la cité d’or où j’ai pris conscience que… j’existais… avec ses coupoles, ses jets d’eau… ses mutants…
- Ressaisissez-vous, Piikin. J’ai tant de choses à vous demander…
- Oui… Hitler perdra la guerre. Il finira misérablement dans un Berlin en ruines, assiégé par les troupes soviétiques. Il se suicidera le 30 avril 1945, refusant le tribunal et le jugement… ainsi finira le IIIème Reich. Ainsi finissent les monstres.
- Piikin ! Hurla Johanna, hors d’elle, comprenant qu’elle n’obtiendrait pas de l’homme robot ce qu’elle désirait par-dessus tout.
- La théorie de la relativité générale formulée par le physicien Albert Einstein en 1915 stipule que… 
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- Mais je m’en fous de la relativité générale ! Ce qui m’importe, c’est de guérir ! Piikin, vous jouez avec moi… vous faites semblant de perdre la mémoire, s’époumonait la jeune femme.
- Pourtant, en 1959, Otto von Möll expérimentera ce qu’il nommera un module temporel prouvant ainsi que la théorie générale était incomplète et qu’il fallait aussi tenir compte de l’intrication quantique… Franz von Hauerstadt, quant à lui, fournissant tous les calculs, les équations d’une extrême complexité, permit au translateur de voir vraiment le jour… Alors, l’appareil, en avance sur son temps, utilisant l’énergie électromagnétique, effectua son premier déplacement au sein du continuum espace-temps…
- Piikin, insista Johanna d’une voix stridente qui n’avait plus rien d’humain.
- Madame… je n’y peux rien… je ne sais plus qui vous êtes… Vous assistez à ma mort…
- Ah ! Vous êtes comme une mémoire qui se vide, une batterie qui se décharge… mais… j’ai besoin de vous… Oui, j’ai besoin de vous… je voulais obtenir de vous la guérison, la santé… avec des médicaments provenant de l’avenir… des thérapies non encore envisagées… vous deviez me rendre la vie… or, vous voici en train de mourir stupidement… par votre faute, je me retrouve condamnée à périr à mon tour… Tous les docteurs sont des ânes, vous m’entendez ? Les médecins ont tous renoncé à me soigner… tous… même David m’abandonne et n’attend plus que mon prochain décès… je le lis dans son regard… je suis en train de m’éteindre de tuberculose… personne ne me regarde plus avec amour. Je ne vois chez les gens que la pitié, au mieux, l’horreur au pis. Quand à mes domestiques, ils laissent transparaître leur haine désormais…
Les grands yeux de Johanna, des yeux bleus de porcelaine laissaient échapper des larmes. Elles coulaient en abondance sur ses joues ravagées, ses traits creusés. 
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- Je ne comptais plus que sur vous, Piikin et vous êtes là, comme un pantin, perdant votre savoir, votre mémoire… quelle farce cosmique ! Je vous prie, je vous en supplie, Piikin, faites un effort, juste un petit effort… pour moi… écoutez-moi… répondez à mes attentes… je veux encore espérer… j’ai toujours été bonne pour vous… je vous ai toujours considéré…
Mais l’esprit de l’homme artificiel était au-delà des appels suppliants de madame van der Zelden. Désormais, il se trouvait dans l’incapacité d’entendre et de comprendre les sens des paroles de son ex-maîtresse.
- Il est écrit ce qui suit dans la Genèse : Et l’Esprit planait au-dessus des eaux…

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 Au début, il n’y avait rien, il n’y avait pas de temps… puis, l’étincelle survint… le premier atome, la première interaction… ensuite, survint la Vie… au cœur de la Vie, le Bien et le Mal étroitement incorporés… dès la première articule, le Temps survint… et… au-dessus du Temps, le Grand Ordonnateur… Le Grand Ensemenceur… L’Expérimentateur… qui créa l’Homme… à son image… hélas… ainsi, entre la Vie et la Mort, entre l’Être et le Néant, l’Homme… que se disputent deux forces contraires, antagonistes… l’Homme qui balance entre l’Amour et la pulsion de mort… Qui est capable du meilleur comme du pire… l’Homme qui ne s’accomplira pleinement que lorsqu’il aura suffisamment mûri…
- Piikin ! Entendez-moi… ne vous entêtez pas à réciter des évidences…
- Je suis Piikin, s’entêta l’homme synthétique… je suis un être artificiel dont le numéro de série est ϠϚϑѾԵᴟᶔṌὮ 77559912000-17924.
- Piikin, siffla la moribonde avec une colère concentrée, vous savez que je tiens présentement une arme létale entre mes faibles mains. Cette arme de feu que j’ai découverte dans le grenier… je vais tirer, Piikin, comprenez-vous ? Où dissimulez-vous vos remèdes ? Dites-le-moi. Bon sang ! Cessez votre plaisanterie ! Réveillez-vous ! Ce pistolet lance des traits lumineux capables de griller n’importe quoi. Il calcine tout ce qu’il touche. Je le sais car j’ai testé cette arme sur des écureuils et des bouvreuils. Ils n’ont même pas eu le temps de se sauver ou de s’envoler…je n’ai retrouvé d’eux que des cendres noires…
La jeune femme dévisageait maintenant d’un œil glacial le malheureux Piikin qui, se tordant de douleur sur le plancher ciré, répétait mécaniquement, toute intelligence enfuie :
- 2+2= 4 ; 1+1=2 ; si la proposition A est vraie, la proposition B est fausse… A= Vrai ; B= Faux…
- Décidément ! Piikin, vous l’aurez voulu ! Jeta la démente dans un sifflement de vipère.
Crispant alors son index sur la petite bille verte, elle déclencha le tir mortel. Un trait de feu, jaune et blanc, aussi brillant que mille lampes de deux cents watts allumées, fusa du pistolet et frappa de plein fouet, droit au cœur, l’homme artificiel qui n’eut que le temps de beugler un ultime râle avant de mourir.
- Aaargl…  
Puis, ce hurlement affreux, inhumain, s’éteignit subitement. Alors, une forte odeur de fils grillés, de circuits brûlés se répandit dans l’immense salon, faisant tousser la meurtrière.
Désormais, le corps sans vie de Piikin gisait sur le sol, ressemblant davantage à un puzzle en trois dimensions qu’à un être humanoïde. On pouvait reconnaître, éparpillés, des fils, des filins transparents, du plasma, des microprocesseurs, des circuits intégrés, des cristaux, des organes synthétiques éclatés, de l’or fondu, des poches d’une liquide physiologique nauséabond, d’une vilaine teinte verdâtre ou violette, et ainsi de suite… 
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Avec précaution, Johanna manoeuvra sa chaise roulante vers ce qui restait de Piikin. Avec curiosité, elle examina la dépouille, voulant s’assurer s’il ne lui avait pas menti sur un point, sur le fait qu’il était une sorte de robot amélioré. Tout en se penchant, elle serra sur sa poitrine sa couverture de laine rose et blanche. Une moue boudeuse se dessina sur son visage.
Le plasma artificiel dégoulinait du corps sur le plancher, rongeant les précieuses lattes de bois. Quant aux cristaux luminescents, ils perdaient peu à peu de leur éclat et finirent par s’éteindre, sombres comme la mort.
- Il avait raison sur ce point, murmura la future défunte… Il était bien un des hommes robots comme dans Metropolis… je n’aurais pas dû tirer… désormais… désormais… plus ne m’est rien… et je reste seule avec ma mort…
Alors, en un geste d’une lenteur calculée, elle laissa là son arme qui chuta au milieu de ce qui, il n’y avait encore que quelques minutes, avait été un être pensant qui avait cru pouvoir s’affranchir de la servitude inhérente à sa condition… tristement, madame van der Zelden s’en retourna vers ses appartements, le souffle haletant, les mains brûlantes de fièvre.
Le lendemain matin, plus aucune trace ne subsistait de cette tragédie, Johann s’était occupé de faire le ménage.

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Lors de la conférence de Lausanne qui se tint en 1932, l’Allemagne se retrouva définitivement dégagée du paiement des réparations. De plus, le vieux maréchal von Hindenburg fut réélu Président de la République le 10 avril de cette même année. Le 1er juin, il nomma von Papen chancelier.
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 Or, les deux élections successives au Reichstag donnèrent aux nazis respectivement 230 sièges et 196 les 31 juillet et 6 novembre à la suite des dissolutions. Hitler avait-il raté le coche ? On aurait pu l’espérer.
Cependant, von Hindenburg renvoya von Papen et nomma von Schleicher chancelier du Reich.
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 En effet, le pays s’avérait de plus en plus ingouvernable. Dans les rues ce n’étaient que bagarres sanglantes, affrontements hyper violents entre les SA de Hitler et les communistes. Parallèlement, au Parlement, les nazis, vêtus de leurs uniformes paramilitaires, faisaient de l’obstruction systématique et empêchaient ainsi le fonctionnement régulier du pouvoir législatif.
Le pays comptabilisait déjà six millions de chômeurs alors que les indemnités spécifiques pour leur permettre de survivre n’existaient pas. Tous dépendaient des œuvres caritatives ou de la charité publique. Chaque jour, les fermetures d’usines, d’entreprises et de magasins s’accumulaient sans cesse davantage. Le secours populaire était plus que débordé. Les classes moyennes, appauvries et ruinées n’espéraient plus en rien, hormis le retour à l’ordre.
La République de Weimar agonisait. Otto sentant le vent tourner, un vent mauvais qui annonçait des jours noirs, prit juste à temps ses dispositions. Il était trop connu pour ses idées avancées et craignait le pire. Il avait compris que le vieux maréchal ne tarderait pas à faire appel à Hitler afin de redonner un peu de souffle au pays. Il pressentait que les Allemands comme lui seraient les premières victimes de ce dangereux démagogue, raciste et antisémite. Le cousin de Johanna avait conservé des contacts en Grande-Bretagne et ne le regrettait pas. Son exil prochain commencerait donc par Londres.

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