jeudi 5 juin 2014

Le Tombeau d'Adam 1ere partie : L'Introuvable chapitre 6.



Chapitre 6

La presse française puis britannique fit ses choux gras de l’attentat raté dont avait été victime le Président du Conseil français Léon Blum. Cette publicité involontaire renforça la sympathie des citoyens pour le gouvernement du Front Populaire. 
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Par rapport à la chronoligne connue, celui-ci dura trois mois de plus grâce à la prolongation du mandat du leader socialiste. Ce n’était pas là le but recherché par Sarton mais l’Hellados sut s’en accommoder.
Personne ne sut que Lilian Hartley voulait en fait assassiner l’économiste britannique John Maynard Keynes. En fait, les quotidiens et les journaux à scandale s’acharnèrent sur la jeune comédienne , lui découvrant de nouveaux défauts à chaque tirage successif. 
Enfin, après plus d’un mois de battage odieux, les hyènes se lassèrent et passèrent à une nouvelle proie.
Gustav Zerling avait su rester dans l’ombre durant « l’affaire du cirque Amar ». Quant au chauffeur Fernand, il était parvenu à échapper à la curiosité des journalistes et avait disparu avec discrétion, invoquant une excuse quelconque pour demander un congé légitime à son employeur.
La nouvelle chronoligne suivit son cours apparemment semblable mais pourtant sensiblement modifié au fur et à mesure que l’on s’éloignait du point nodal majeur.
Au 1er septembre 1939, le réarmement français était nettement plus engagé que lors du temps alternatif précédent. En attaquant la Pologne, Hitler déclencha bien la Seconde Guerre mondiale. Or, cette fois-ci, le Duce y participa dès le mois d’octobre 1939, conforté par ses succès en Albanie. Le pacte germano-soviétique avait été signé le 23 août 1939.
Au niveau de l’État-major français, les changements étaient sensibles. Alors que les armées s’immobilisaient dans la drôle de guerre, le Président du Conseil Paul Reynaud parvenait à imposer à l’armée et aux hauts officiers les vues modernes d’un jeune colonel Charles de Gaulle.
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 Gamelin, Weygand et Giraud se plièrent à la nouvelle stratégie mise en place. Ainsi, les compagnies de chars furent employées plus efficacement dans le soutien des fantassins lors des attaques de mai 40.
Du côté de la Wehrmacht, un jeune lieutenant s’illustra pendant la campagne de France. Franz Von Hauerstadt fit preuve d’un courage splendide paralysant à lui tout seul cinq chars français au sud de Sedan. Blessé, il fut soigné puis posté en Normandie lorsque la région fut occupée par les troupes allemandes.
L’armée française ne fut vaincue qu’à la fin du mois d’août 1940. Ce délai retarda la bataille d’Angleterre d’autant. Naturellement, elle fut perdue par Göring qui ne bénéficiait pas des nouveaux avions à réaction livrés par les Etats-Unis aux Britanniques en vertu de l’accord « Cash and Carry ».
Le conflit gagna ensuite l’Afrique du Nord où Mussolini désirait se tailler un empire. Les troupes fascistes italiennes furent balayées en Éthiopie et en Egypte par les Anglais. Hitler n’eut pas le temps de secourir son compère, l’Italie déposant les armes dès juin 1941. L’Allemagne nazie se retrouvait donc désormais affaiblie sur son flanc sud. Cela obligea le Führer à occuper le pays ce qui le retarda notablement dans son grand projet, le fameux Plan Barbarossa.

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Caen, avril 1941.
La Kommandantur fourmillait d’activité. Dans l’un des bureaux du premier étage, une souris grise prenait congé du commandant Hallberg pour être aussitôt remplacée par un jeune capitaine à l’uniforme impeccable.
Après les salutations d’usage, le supérieur invita son subordonné à s’asseoir tandis qu’un silence chargé s’installait. Les deux hommes s’observaient mutuellement. Nullement gêné par cet état de fait, le plus jeune étudiait le commandant Hallberg sans daigner baisser les yeux. Il en fallait beaucoup pour intimider Franz.
Le capitaine Franz Von Hauerstadt représentait le parfait aryen, l’idéal humain selon Adolf Hitler. Les cheveux châtain clair, presque blonds sous les rayons du soleil, les yeux bleu gris le visage énergique et le menton affirmé, la taille élégante et élevée, le corps bien proportionné, les mains fines d’un musicien chevronné, le front haut d’un intellectuel, le sourire souvent ironique ou désabusé, la voix bien timbrée et mélodieuse passant facilement de l’allemand au français ou encore à l’anglais sans accent étranger, le langage choisi sentant la bonne éducation des plus prestigieuses écoles et universités, tel apparaissait Franz au commandant Hallberg. 
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Quant au supérieur du jeune homme, il s’agissait d’un homme entre deux âges, au corps massif et carré, au regard dur, le militaire incarné pour qui la discipline et l’obéissance prévalaient sur toute autre vertu.
Croisant et décroisant machinalement ses doigts, Hallberg prit enfin la parole;
- Capitaine. J’ai décidé de vous affecter au village de Sainte-Marie-les-Monts à une vingtaine de kilomètres de la Kommandantur. Vous commanderez la demie compagnie 113 et aurez sous vos ordres le lieutenant Schiess ainsi qu’une demi-douzaine de sous-officiers, ce qui vous fera une centaine d’hommes.
- Merci, commandant, se contenta de murmurer Franz.
- Comment? C’est fort maigre comme remerciement. Après l’affaire de la Chandeleur, vous risquiez la dégradation. C’est mon intervention qui vous a sauvé la mise.
- Commandant, je ne suis pas un ingrat. Vous me connaissez.
- Oui. Mais vous vous complaisez à jouer avec le feu et à défier l’autorité supérieure. Parfois, votre attitude frise l’inconscience pure, la désinvolture… je me refuse à aller plus loin.
- Je saurai tenir compte de votre mise en garde.
- Si vous tenez à la vie et à celle des vôtres, il vaudrait mieux. Allez rejoindre votre poste. Je viendrai vous inspecter régulièrement.
- A vos ordres, commandant!
Le capitaine se leva alors et salua impeccablement son supérieur. Ce dernier lui fit néanmoins remarquer:
- N’avez-vous rien oublié?
- Ah! Pourquoi devrais-je me montrer hypocrite? Ce n’est pas dans ma nature, commandant.
- Tête dure!
Préférant hausser les épaules, Hallberg se tut et prit dans ses poches un étui renfermant des cigarettes , un étui en argent massif. Il ne quitta pas des yeux Von Hauerstadt tant que celui-ci n’eut pas disparu de la pièce.
- Il ne changera jamais! Murmura-t-il pour lui-même. Je me demande parfois pourquoi je m’obstine à la protéger. Il est tout mon contraire. Peut-être parce que j’ai connu son père autrefois à Weimar…

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À Londres, en ce début d’automne 1940, le Blitz faisait rage. Il ne se passait pas une nuit sans un bombardement de la Luftwaffe. Mais avec leur flegme habituel, les Britanniques rejoignaient dans le calme les abris anti-aériens qui se trouvaient dans les caves des maisons ou encore dans les tunnels du métro. Les gares faisaient cependant des cibles de choix pour les bombardiers allemands.
C’est ainsi que les rues autour de Charring Cross n’échappèrent pas au déluge de bombes qui s’abattit sur la capitale anglaise en ce triste et démentiel mois d’octobre où les hommes rivalisèrent de courage, d’audace et d’abnégation, de veulerie et de cruauté, d’infamie et de gloire.
Ce 21 octobre 1940 devait rester gravé au fer rouge dans la mémoire de Sarton. Plusieurs semaines auparavant, il avait tenté de persuader Cléa de quitter Londres pour la campagne. Mais l’épouse habituellement si docile avait refusé fermement, arguant que jamais elle ne fuirait face à la barbarie qui s’annonçait.
Dick avait usé de tous les moyens pour faire changer d’avis sa fidèle moitié. Pour ne pas être en reste et être taxé de lâcheté, il demeurait à ses côtés, se dévêtant peu à peu de son armure d’inflexibilité.
Comment? C’était donc aussi cela un être humain! Capable des pires atrocités mais également des dévouements les plus admirables. Cléa oubliait la sécurité de sa propre personne pour se consacrer aux orphelins et aux femmes découragées allant leur apporter de douces paroles de réconfort ou encore de la nourriture ou du linge. En agissant ainsi, elle devenait héroïque.
Silencieusement, Sarton admirait sa frêle compagne qui combattait à sa façon ses anciens compatriotes dévoyés. 
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L’inévitable et si redouté événement se produisit à 23h41 précisément.
Une bombe incendiaire explosa à moins de dix mètres de la maison des Simons. Sarton ne dut la vie qu’à une espèce de miracle et au fait que son organisme était beaucoup plus résistant aux traumatismes que celui d’un humain. Un sixième sens l’avait averti, mais trop tard, du danger. Profondément sonné, il perdit conscience quelques minutes. 
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Lorsqu’il rouvrit les yeux, ce fut pour constater que son lien mental avec Cléa était rompu. Alors, ignorant ses blessures, il se releva si brusquement que son corps regimba. Puis, au milieu des flammes rugissantes et des gravats, il chercha sa femme. Il finit par découvrir son cadavre enfoui sous les décombres.
Vite, il dégagea le corps inanimé de Cléa, voulant se dissimuler le pire, espérant encore au-delà de toute logique. N’avait-il pas à sa disposition la technologie de son peuple, une technologie du XXIIIe siècle? Le vaisseau Stankin possédait une infirmerie à la pointe de la recherche avec des cuves régénératrices et des duplicateurs biogels mémoriels.
Comme on le voit, Sarton était prêt à tout pour redonner vie à son amour, à sa Cléa. Y compris à jeter aux orties ses oripeaux de Terrien. Quelle tempête sous son crâne! Que d’émotions contradictoires se bousculaient et se heurtaient!
Hélas! Tout espoir était vain car une fois le corps dégagé, Sarton dut se rendre à l’évidence. Il était trop endommagé, trop mutilé et le visage écrabouillé méconnaissable. La résurrection intégrale de Cléa s’avérait impossible dans de telles conditions. Cela aurait été une faute éthique de s’obstiner à vouloir tenter le coup, un crime plus grave que celui de l’assassinat.
Affreusement déçu, bouleversé au-delà de tout entendement, oubliant où il se trouvait, Sarton restait prostré au milieu des ruines de son bonheur perdu tandis qu’au loin les explosions continuaient et que tout autour de lui l’incendie grondait de plus belle.
La lancinante sirène des pompiers rendit l’extraterrestre à la réalité. Redressant la tête, le visage encore plus fermé que d’habitude, sans expression, l’Hellados envoya alors le signal d’appel au vaisseau Stankin. Aussitôt Sarton se remotorisation à son bord. Tandis que ses atomes se diluaient, il formula un ultime adieu à la douce Cléa.
- Cléa, simple humaine mais si chère à mon cœur, que ta mémoire vive à jamais. Tu étais l’être le plus digne que j’ai connu. Tu seras mienne à jamais, par-delà les siècles et la mort. Aucune autre femme ne vivra désormais à mes côtés. J’en fais le serment devant Stadull. Al Shastrimaa, Cléa!
Lorsque les pompiers parvinrent à ce qui restait de l’immeuble, Sarton, en sécurité sur son vaisseau, recevait les premiers secours de l’ordinateur robot médical.
Désormais, notre prospectiviste devait tourner la page. Faisant preuve d’un acharnement jamais vu, il allait se lancer à la poursuite d’Opalaand, le pourchasser jusqu’à ce que le Haän rendît grâce.

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Après avoir mûrement réfléchi quant à la meilleure décision à prendre, Sarton s’installa définitivement aux Etats-Unis où il renoua le contact avec Albert Einstein. Le chercheur l’appuya chaudement afin qu’il puisse rejoindre l’équipe d’Oppenheimer qui travaillait sur le projet Manhattan, autrement dit la mise au point de la bombe A. l’arme fut expérimentée avec succès dès le mois de mars 1942 à Los Alamos. 
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Mais que devenait pendant ce temps l’amiral Opalaand?
Sous la double identité de Gustav Zerling, officier nazi redoutable, et de Russel Hartford, richissime mécène fou de septième Art, le Haän avait loué une splendide propriété sur les hauteurs d’Hollywood.
Désormais, Opalaand voyait presque chaque jour Chester Flynt qui paradait au sommet de sa gloire grâce à des films d’aventures qui avaient ramassé le pactole au box-office. Nous voulons parler de Robin des bois, La Vie privée d’Elizabeth, Le Brigand bien-aimé, Le retour de Franck James et Dodge City. Il avait raté de peu le rôle du vengeur masqué Zorro qui avait finalement échu à Tyrone Power. 
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Chester Flynt partageait souvent la vedette avec la délicieuse Daisy Belle de Beauregard,
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 au talent confirmé. Cette gentille demoiselle était la sœur aînée de l’extravagante et insupportable Deanna Shirley de Beaver de Beauregard que nous aurons l’occasion de retrouver dans une prochaine intrigue au grand dam de Daniel Lin Wu qui devait endurer ses frasques, ses caprices et ses sautes d’humeur. 
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Par moment, le commandant regrettait amèrement de l’avoir sélectionnée pour plusieurs missions improbables que la jeune femme réussissait de justesse.
Revenons au présent et à cette histoire.
Mais Chester Flynt, tel un colosse aux pieds d’argile, pouvait désormais compter les jours qui le séparaient de la chute dans les abysses de la vindicte populaire. Agent allemand dévoué à Hitler et à Zerling, il obéissait à ce dernier sans émettre la moindre objection. Du moins ne s’y hasardait-il pas à haute voix.
De son côté, le Haän était en communication plus ou moins permanente avec le scientifique Zoël Amsq, originaire de la cité impériale de Kamminq,où demeurait le souverain Tsanu XV. Ce Zoël était aussi rusé qu’un serpent corail et tout aussi dangereux. Il avait lutté durant de nombreuses décennies pour parvenir au poste qui était le sien. Le scientifique cachait de terribles secrets et n’était pas prêt à s’avouer facilement vaincu. De plus, il avait fait de l’élimination de Sarton une affaire autrement bien plus personnelle que celle d’Opalaand vis-à-vis de l’Hellados.
Mais ce n’était pas tout ce qu’ignorait l’amiral. Le prospectiviste d’Hellas le talonnait de près car il était parvenu à parasiter les communications subspatiales et interdimensionnelles d’Opalaand! En réalité, les ordres reçus par le noble Haän étaient directement dictés par Sarton, du moins les ordres essentiels.
Pour comprendre cet embrouillamini, il est nécessaire de revenir quelques semaines après la mort de Cléa Bernhardt, peu de jours avant l’installation de Dick Simons au Nouveau-Mexique.
Dans la salle réservée à l’IA, Sarton consultait les données concernant les multiples destins possibles des individus clés de l’histoire humaine entre les XX e et XXIe siècles. Selon qu’il avait à faire au temps modifié par ses soins ou pas, les différences étaient notables.
Il en allait ainsi pour un obscur acteur américain de deuxième catégorie, qui pouvait soit végéter dans des rôles peu intéressants, et connaître ensuite une fin assez misérable, soit accéder à la plus prestigieuse fonction de son pays. Il s’agissait de Thomas Tampico Taylor.
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 Ou encore les vies parallèles d’une anglaise issue de la petite classe moyenne, Meg Winter,morte tragiquement à l’âge de onze ans ou devenu le Premier Ministre de la Septième puissance économique du monde dans les années 1980. 
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Quant au destin d’un officier allemand alors en poste en France, les renseignements fournis paraissaient plus qu’étranges. Le jeune homme était à la fois le découvreur du voyage temporel dans un univers qui voyait la Troisième Guerre mondiale presque le détruire entre 1993 et 1998, conflit éclatant à la place des tristes guerres eugéniques, où alors la Terre ne devait sa survie que par l’intervention de mystérieuses entités vivant au 41ème millénaire, où le donateur généreux de vingt millions de dollars permettant la mise au point d’un matérialisateur temporel, ou bien un traqueur acharné de nazis et qui trouvait encore le temps de participer à la construction des premières fusées Ariane. Cet homme se nommait Franz Von Hauerstadt.
Or, il s’avérait que celui-ci, d’après les dernières instructions de Zoël Amsq, devait être éliminé au plus vite par Opalaand.
Décidément, l’utilisation du chronovision conférait à celui qui le détenait un pouvoir égal à celui des dieux. Pleinement conscient de cela, Sarton se jura de détruire l’invention de Stankin une fois sa mission réussie.
- Comme le disent les Terriens, j’ai entre mes mains la boite de Pandore. Et pourtant! L’appareil serait plus qu’utile à Daniel Wu et à André Fermat! Deux humains confrontés cette fois-ci au rocher de Sisyphe. Peut-être rencontrerais-je ce Français si froid et si déterminé ainsi que ce hardi explorateur de mondes inconnus, à l’âme déchirée par sa double nature. Daniel Lin, sache que tu as un frère parmi les étoiles. La glace dissimule parfois le feu le plus brûlant.
Telles étaient les méditations de Sarton devant l’écran éteint du chronovision.
Puis le silence s’établit à peine troublé par les divers appareils filtrant l’air du vaisseau.
Enfin, s’arrachant à ses pensées, le prospectiviste, son plan minutieusement préparé, gagna la plate-forme de dématérialisation.
Une partie d’échecs sans merci était dorénavant engagée entre Opalaand et l’Hellados. Qui triompherait? Le parti de la Vie ou celui de la Mort?
« Ma nature profonde ne peut que choisir le camp de la Vie…mais… de quelles armes devrais-je user pour obtenir le seul succès qui vaille? » disait au fond d’elle-même une intelligence inappréhendable. « Revisiter les tourments de cette triste époque? Une fois encore? En serais-je capable? Bah! J’ai relevé depuis des défis autrement plus difficiles. ».

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Hollywood, 21 novembre 1940.
Plateau 11 du film La piste de Santa Fe, sous la direction de Michaël Curtiss, avec, dans les rôles principaux Chester Flynt, Daisy Belle de Beauregard, Raymond Massey et Thomas Tampico Taylor. 
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Nous étions au neuvième jour du tournage, une scène extérieure, celle de la défense de Palmyre, au Kansas. Il s’agissait plus précisément d’une scène de nuit en montage alterné. Custer, alias Thomas T. Taylor, se portait au secours de son ami Stuart - Chester Flynt - prisonnier à l’intérieur d’une grange en flammes.
Or, inhabituelle, une atmosphère électrique venait entraver le travail de l’équipe.
Chester Flynt battait froid T.T.T. et se disputait sans cesse avec Curtiss. Le planning très serré prenait du retard. Furieux, les patrons de la Warner envoyaient missives sur missives, télégrammes sur coups de téléphone pour rappeler à l’ordre le réalisateur. Ce dernier, son accent germanique encore plus prononcé qu’à l’accoutumé, sous le coup de la colère, s’engueulait avec les producteurs ou hurlait après les techniciens.
Bref, le film était mal parti.
Assise à l’écart de tout ce brouhaha, la vedette féminine soupirait.
- Un mauvais sort s’acharne sur moi. J’espérais sur ce tournage pour voir ma côte remonter. La dernière production à laquelle j’ai participé a été un flop retentissant. Le film le plus cher de l’histoire du cinéma boudé par le public. C’est incompréhensible! Il avait tout pour devenir un succès planétaire. David O. Selznick s’est retrouvé ruiné.
- C’est la vie, très chère, répondit Raymond Massey avec philosophie. Quelle idée de donner le rôle féminin principal à l’ex-égérie de Chaplin! Paulette y était peu crédible. du moins, c’est-ce qu’il m’a paru.
- Rajoutez également les quatre réalisateurs qui se sont succédé sur  les plateaux. Seul Clark Gable a su tirer son épingle du jeu.
- Ma chère Daisy, ne vous en faites pas. Tout s’arrangera. Votre talent sera reconnu, j’en suis certain.
- Merci pour ces paroles réconfortantes. Vous êtes un véritable ami.
- Pourtant loin de moi de faire des louanges. Mon compliment est des plus sincères. Mais voyez! Encore notre prima donna en train de faire une scène!
- En effet. Cette fois-ci, Chester me paraît avoir raison. Ce Taylor ne convient pas pour le rôle de Custer. Comment dire? Il n’a aucune prestance…
- Il manque de panache tandis que Flynt, lui, en a trop. Je me demande quand je pourrai tourner le plan suivant. N’incarné-je pas le méchant dans ce film moi?

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Mais la séquence fut tournée, non sans peine. Massey put gagner sa place. Il reçut alors les dernières instructions scéniques de Curtiss.
- Tu as compris. Ton fusil est vide. Tu le jettes avec rage. Tu sors ton colt et tu vises Custer. Ton visage exprime la haine. 
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- C’est facile. Où est l’arme?
- Là. Elle est chargée à blanc. Tu es tellement excité que tu rates la cible. Bon. À toi Taylor! Courageusement, tu fais front et charges Brown. Tâche cette fois-ci de ne pas tomber de cheval.
- Ouais. Pour cela, il aurait fallu me donner une bête plus calme!
- N’exagère pas. Nous l’avons déjà échangée avec celle de Flynt. La preuve: il a volé les quatre fers en l’air; depuis, il m’en veut. Assez discuté. Si tu as peur, tant pis! Il fallait mieux apprendre à monter à cheval, mon vieux! Dépêchez-vous, tous les deux, je ne veux qu’une seule prise.
Les deux comédiens prirent leurs marques au milieu des troisièmes couteaux et des figurants.
- Silence! On tourne! Prêts? Moteur!
Comme l’escomptait Curtiss, l’action s’engagea. Vint l’instant délicat où Brown jetait son fusil et faisait feu avec son arme de poing. Un claquement sec retentit sur le plateau. Mais au lieu de charger Massey, Thomas Tampico Taylor, grimaçant douloureusement, s’effondra sur le col de son cheval, la chemise tachée de sang!
- Ach! Nein! Mein Gott! Halt! Stop! Arrêtez! Arrêtez le tournage! Il est blessé! Hurla Curtiss.
- Vite! Un médecin! Un horrible accident vient d’avoir lieu. S’époumona un des assistants.
Tandis que Daisy Belle s’évanouissait, une scripte girl ramenait le médecin de service. Après avoir allongé Taylor sur une couverture, il examina le blessé.
- Trop tard! Fit-il lugubrement. Il est mort. Une balle en plein cœur, c’est imparable.
- C’est impossible, marmonna Massey livide. L’arme était chargée à blanc.
- Où est-elle justement? S’enquit le réalisateur.
- Je ne sais pas. Dans l’affolement, je l’ai jetée au loin.
- Il faut la retrouver au plus vite, déclara le docteur d’une voix dure. Monsieur Curtiss, je vous conseille de faire venir la police. Une enquête s’impose car il ne s’agit pas d’un accident mais d’un crime prémédité.
- Mais ce n’est pas ma faute, gémit le Canadien. Michaël m’avait assuré que le colt serait chargé à blanc.
- Personne ne vous accuse, remarqua Curtiss. Moi aussi , je le pensais. Il faut savoir qui a eu l’accessoire en mains. Peggy, téléphonez au poste de police du secteur.
- Oui monsieur Curtiss.
Le cœur retourné, la jeune fille brune s’empressa d’obéir tandis que le médecin s’occupait de Daisy Belle de Beauregard. 
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Lentement le calme se rétablit sur le plateau. Plus personne n’osait bouger. Lorsque le lieutenant Carpenter arriva en compagnie de deux sergents, il trouva toute l’équipe apte à témoigner. L’enquête pouvait commencer. Elle allait aboutir à des résultats étonnants, déclenchant un scandale politique sans précédent aux States et ailleurs.

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Toutes les personnes présentes sur le plateau 11 du film La piste de Santa Fe  ce jour fatidique du 21 novembre 1940 furent interrogées par le lieutenant Carpenter et ses deux adjoints. Personne ne fut oublié et toutes les déclarations et témoignages minutieusement contrôlés. Ainsi, les accessoiristes furent particulièrement mis sur la sellette.
Or, assez vite, il ressortit de l’enquête que, certes, le personnel technique avait eu la possibilité de substituer un véritable colt à l’arme de théâtre mais ne l’avait pas fait. Comment expliquer aussi qu’aucun des accessoiristes et encore moins le comédien Raymond Massey ,’avaient remarqué que le révolver était vrai? La différence de poids était pourtant sensible.
L’acteur canadien fut mis hors de cause. Il n’avait aucun intérêt à vouloir la mort de Thomas Tampico Taylor.
Il fallut donc réinterroger les témoins du tragique accident. Chester Flynt, qui revenait d’un cabaret à la mode, Le Perroquet bleu, et qui était assez imbibé, reçut très mal l’officier de police Carpenter. L’interrogatoire tourna rapidement à l’affrontement.
- Donc, monsieur Flynt, vous n’avez rien vu car, au moment du coup de feu, vous n’étiez pas sur le plateau.
- En effet. Ne vous l’ai-je pas déjà dit? Pourquoi faut-il me répéter?
- Où vous trouviez-vous précisément?
- Dans ma caravane en train de me rafraîchir.
- Était-ce habituel?
- Tout à fait. La matinée avait été assez pénible. Michaël faisait la gueule et les prises n’étaient jamais satisfaisantes selon lui.
- Aucun incident à noter?
- Si! Comment la production a-t-elle pu engager un acteur aussi nul pour le rôle de Custer? T.T.T. montait fort mal à cheval. Aucun charisme et une diction épouvantable en sus.
- Donc, vous n’aimiez pas votre collègue…
- Je n’avais pas à l’aimer ou pas. Un faux jeton et un fouteur de merde voilà ce que je pensais et pense encore de lui. Pourquoi cacherais-je mon hostilité?
- Expliquez les raisons de votre rancœur, monsieur Flynt. 
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- Par sa faute, j’ai failli me briser les reins! La production a été obligée d’échanger mon cheval avec le sien. Et T.T.T. a réussi à effrayer ma monture qui a alors rué et m’a envoyé valdinguer à travers le décor! Alors que je monte à cheval depuis l’âge de cinq ans et que je suis un excellent cavalier.
- Ne serait-ce pas là un mobile pour vous venger de ce confrère maladroit?
- Me venger et commettre un meurtre pour un motif aussi futile? C’est là une supposition absurde, lieutenant!
- Alors, pourquoi appelez-vous Taylor faux jeton, fouteur de merde?
- Euh… Il avait été élu comme porte-parole de notre profession et faisait partie du syndicat des acteurs…
- Oui, et alors? En quoi cela vous gênait-il, monsieur Flynt? 

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- Hé bien… Il professait des idées dangereuses.
- Veuillez préciser…
- Ce n’est pas là un secret. Tout le monde sur le plateau savait cela. T.T.T. était un républicain convaincu.
- Mais ce n’est pas un crime de professer publiquement des opinions politiques.
- D’accord. Toutefois, je vous rappelle que le Parti républicain milite normalement pour la non-intervention dans le conflit européen actuel. Il est pacifiste. Or, Taylor déclarait haut et fort qu’il n’était pas d’accord avec cette position. Pour lui, c’était manquer à l’honneur de ne pas déclarer la guerre à l’Allemagne!
- Vous ne partagez pas cet avis…
- Sûrement pas! Je suis pour la paix ou encore la neutralité.
- Vous n’avez pas la nationalité américaine ce me semble…
- Non. Je suis Néo-zélandais.
- Souhaitez-vous devenir Américain?
- Naturellement. Ma vie et ma carrière sont ici.
- Pourtant, vous n’avez pas effectué les démarches nécessaires pour acquérir cette nationalité. Pourquoi?
- Pas le temps, c’est tout! Pourquoi de telles questions, lieutenant? Tout cela ne regarde que moi… je trouve que vous vous immiscez trop dans ma vie privée.
- Lors d’une enquête pour meurtre, la police doit explorer toutes les pistes…
- Enquête pour meurtre? Vous y allez un peu fort! Pour moi, il s’agit d’un stupide accident…
- Revenons à vous. Vous dites que vous êtes neutre. Mais, en tant que Néo-zélandais, ne craignez-vous pas d’être appelé à combattre aux côtés des Britanniques et des autres peuples membres du Commonwealth?
- Ah! Ah! Vous voulez rire! J’ai été reconnu inapte au service militaire.
- Voilà qui est étonnant connaissant les rôles que vous jouez au cinéma.
- Justement… en fait, j’ai contracté une affection pulmonaire grave durant mes jeunes années. Il m’en reste des traces et je me fatigue vite…
- Les services d’immigration n’ont pas eu connaissance de ce fait…
- Vos dossiers sont incomplets, tout simplement. Mais vous êtes en train de vous éloigner du sujet, non? Toutes vos questions ont l’air de me considérer comme le principal suspect dans cette triste affaire. Or, j’ai horreur de cela et je vais prévenir mon avocat…
- Encore une minute, monsieur Flynt… il y a un trou de deux ans dans votre biographie officielle. Pouvez-vous satisfaire ma curiosité sur cette partie obscure de votre vie?
- Mais c’est de l’indiscrétion! Enfin, je veux bien me montrer bon prince. J’ai voyagé…
- Voilà qui est bien vague… Où?
- Un peu partout… l’Australie, Hong-Kong, l’Italie, l’Allemagne, l’Irlande. Je suis un très bon marin, savez-vous? Je possède une petite goélette que j’ai retapée de mes mains.
- Donc, si j’en crois vos propos, vous avez quasiment effectué  le tour du monde à bord de votre goélette.
- Bon sang! D’où sortez-vous? C’est en menant deux pontes de la Warner au large que j’ai été remarqué et ai pu ensuite entamer la carrière que vous connaissez!
- Ainsi, vous voyagiez en Europe au début des années 30?
- Oui, il n’y a pas de mal à cela. En 1931 en Italie et en Allemagne à la fin de cette même année. En Irlande à l’automne 1932. Je suis arrivé ici, à LA. En février 1933. Mon passeport porte tous les visas de mon périple.
- Votre séjour en Allemagne a duré bien longtemps je trouve! N’avez-vous eu aucun ennui là-bas? L’époque était assez troublée. Comment avez-vous vécu durant ces nombreux mois?
- J’ai exercé un peu tous les métiers: bûcheron, serveur, mécanicien, garde du corps…
- Je vous croyais d’une complexité faible… malgré le chômage vous êtes parvenu à trouver du travail… étrange!
- Je suis un type très débrouillard.
- Certes… Mais l’obstacle de la langue?
- Je baragouine l’allemand, l’italien et même le français… Suffisamment pour me faire comprendre…
- De qui avez-vous été le garde du corps?
- Oh! De Gustav Zerling. Ce nom ne doit rien vous dire. C’est un militaire qui se sentait menacé à cause de ses idées…
- Intéressant… dites m’en plus…
- Euh… mais on s’éloigne de la mort de T.T.T.
- Pas tant que vous croyez, monsieur Flynt. Je l’ai toujours à l’esprit.
- Quels sentiments vous poussent à me cuisiner de la sorte? Vous me croyez coupable, ne vous en cachez pas!
- Je l’avoue… mais vous n’avez pas agi par simple vengeance, non! Vous avez assassiné Thomas Tampico Taylor pour des motifs politiques, idéologiques. De plus, vous avez mûrement réfléchi quant au meilleur moyen d’y parvenir. Pour moi, c’est donc un crime prémédité.
- Voici de graves accusations concernant ma personne qu’il vous faudra justifier. Je m’en vais téléphoner de ce pas à mon avocat.
- Non, monsieur Flynt, pas pour l’instant. Vous allez plutôt me suivre jusqu’au poste. Là-bas, vous pourrez téléphoner.
- Carpenter, je ne comprends pas cet acharnement. C’est la presse que je vais alerter. Vous serez bientôt viré.
-J’en doute fort. Un accessoiriste, un certain Dick Simon s’est souvenu fort à propos avoir cherché le colt de longues heures la veille de la mort de Thomas Tampico Taylor et il ne l’a retrouvé que dans votre caravane. Bien entendu, je parle ici de l’arme factice.
- C’est un fieffé mensonge! Dick Simon, dites-vous? D’où sort ce type? Je ne l’ai jamais vu!
- Bien sûr. Lorsqu’on a votre statut de star on ne fait pas attention, aux sans grades, aux anonymes. On les ignore superbement.
- Sur ces paroles dures contenant une vérité profonde, Carpenter s’approcha du sergent qui avait pris note de l’interrogatoire conduit par son supérieur et lui ordonna de mettre en route l’Oldsmobile.

***************

Au bureau central de la police de Los Angeles, l’interrogatoire de la star « américaine » fut si bien mené que Chester Flynt finit par avouer l’impensable: il avait bien assassiné Thomas Tampico Taylor, non pour rivalité professionnelle ou par vengeance, mais pour des raisons politiques. L’acteur reconnut même être payé par les services secrets allemands. Bref, il s’avérait être un agent nazi, élevé au grade de lieutenant et il avait agi sur un ordre émanant de son supérieur direct, le capitaine Gustav Zerling!
Il fut impossible à la police et aux services spéciaux de cacher l’arrestation et les aveux de Chester Flynt à la presse. Bientôt, le scandale, immense, provoqua des remous jusqu’à la Chambre des représentants. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/95/Errol_Flynn1.jpg
Puis, le procès du comédien Néo-zélandais attira une foule considérable et déclencha des émeutes devant le palais de justice. On comptabilisa une dizaine de morts. Brûlant ce qu’ils avaient adoré il y a peu encore, les citoyens américains réclamaient la chaise électrique pour le traître.
De son côté, la Nouvelle-Zélande exigeait l’extradition de son ressortissant. Mais Washington resta sourd à ces appels.
Le jour de la sentence, l’hystérie fut à son comble. Une centaine de blessés, des arrestations et des suicides par dizaines… Chester Flynt fut condamné à vingt ans d’internement dans un camp. Apparaissant pour la dernière fois en public, il était devenu méconnaissable. Pas rasé, les cheveux trop longs, l’œil trouble, la parole embarrassée, sa morgue enfuie, tentant de se disculper maladroitement, une véritable épave, une loque humaine qui souffrait du sevrage très dur qu’il subissait: plus une seule goutte d’alcool avalée depuis plus de six semaines sans oublier d’autres substances illicites.
Un sentiment de malaise envahit alors le prétoire tandis qu’on pouvait entendre les sanglots désespérés de quelques admiratrices bien déçues.
L’incarcération de l’agent nazi lui fut fatale. Flynt se suicida en mars 1941.

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Forte des aveux de Chester Flynt, la police fédérale tenta de retrouver Gustav Zerling plus connu sur le territoire américain sous le nom de Russel Hartford. Peine perdue. L’amiral Opalaand avait pris la fuite dès qu’il avait appris l’arrestation de son poulain.
Cependant, quelqu’un avait eu le temps de lui rendre visite dans sa luxueuse propriété avant qu’il réchappât aux griffes de la justice humaine. Sarton en personne!
L’affrontement, on s’en doute, ne fut pas que verbal.
La nuit même où la star fut conduite au poste de police par le lieutenant Carpenter, le noble et valeureux guerrier Haän essayait une fois encore d’établir le contact avec les scientifiques de sa planète. Occupé à manipuler le communicateur inter temporel, il avait sottement omis d’enclencher le dispositif de sécurité ceinturant sa villa.
Enfermé dans son salon particulier, après quelques interférences agaçantes, Opalaand recevait enfin les dernières directives de l’Empereur Tsanu XV. Le monarque ne portait le titre impérial que par habitude et tradition, celui-ci ne représentant plus qu’un pouvoir désormais déliquescent.  
La conversation se tenait en langue de la très haute noblesse, celle de la première caste, pratiquée par moins d’un millier d’individus sur Haäsucq. Ainsi, Tsanu était persuadé que ses propres espions ne pourraient entraver le nouveau plan mis au point par le chercheur Zoël Amsq.
- Mon fidèle serviteur, j’ai encore à te demander un autre service.
- Parle, lumière éblouissante! Tu connais jusqu’où peut aller mon dévouement pour ta personne. La restauration de la grandeur de notre civilisation mérite tous les sacrifices.
- Mon ami, voici les dernières prospectives de Zoël Amsq, mon conseiller scientifique. IL vérifié et revérifié au moins une centaine de fois les conclusions de ses recherches avant de me les dévoiler. La puissance de Terra et d’Hellas tire sa source d’un humain qui vit présentement dans le siècle dans lequel tu séjournes actuellement.
- John Maynard Keynes…
- Non. Celui-ci n’est pas un personnage majeur.
- Alors, toutes mes actions pour le faire disparaître ont été inutiles…
- Ton échec est sans grande importance. L’essentiel est ailleurs.
- Il s’agit donc de Thomas Tampico Taylor…
- D’où sors-tu ce nom?
- De la bouche même de Zoël Amsq!
- Mais c’est impossible, voyons! Jamais le chercheur n’a pris directement contact avec toi. Il ignore que tu es mon bras sur Terra.
- Quoi? Ô grandeur éclatante! J’ai fauté gravement. Punis ton serviteur qui a failli!
- Explique-toi.
- Voilà, mon Haän… Thomas Tampico Taylor a été assassiné sur mon ordre aujourd’hui. Il était pour notre empire un danger potentiel pouvant…
- C’est tout à fait faux, Opalaand, bien au contraire! Cet humain représentait l’application à l’échelle planétaire des théories économiques si funestes pour Terra de Thaddeus Von Kalmann. 
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- Qui a donc pu m’induire en erreur?
- Mais ce maudit Hellados, fidèle et crédule serviteur.
- Sarton! Comment s’y est-il pris pour interférer dans mes communications? Originaire du XXIIIe siècle, logiquement, il n’a à sa disposition qu’une technologie obsolète par rapport à la nôtre…
- Opalaand, n’oublie pas qu’Hellas est une civilisation très ancienne et que ses représentants maîtrisent la transmission des informations à travers le temps grâce à l’invention de Stankin…
- Dans ce cas, c’est sur lui que nos efforts auraient dû porter…
- Qui te dit que je n’ai pas deux fers au feu? Pour l’heure, les résultats se font attendre, j’en conviens, mais je garde bon espoir… Zoël lui-même est parti effectuer cette mission…
- Mon Haän, tu es plus intelligent et plus averti que moi. J’ai failli et je mérite la mort sans circonstances atténuantes.
- Ne sois donc pas aussi sot! Le mal peut être encore réparé. J’ai toujours besoin de toi.
- Lumière éclatante, reçois ma gratitude pour ces paroles consolantes.
- Cesse-là et écoute-moi attentivement. La personne clé à l’origine de l’hégémonie de l’Alliance des 1045 Planètes est un certain Franz von Hauerstadt. En cette année 1940, officier de l’armée allemande, il est en poste en Normandie.
- Ce n’est là qu’un militaire!
- Non! C’est le plus prodigieux cerveau humain de tous les temps! Il est à la fois le père des voyages hyper spatiaux et le découvreur du déplacement temporel.
- Mon Haän voici une information renversante.
- Mes ordres sont clairs. Débrouille-toi pour le traquer et en finir avec lui. Mais, bien sûr, garde-toi de Sarton.
- Euh… ne devrais-je pas plutôt m’attaquer à ce fils de Skarr?
- Non! Éliminer Hauerstadt est vital pour nous. Réussis et Sarton s’effacera dans les limbes d’un univers fantôme jamais matérialisé.  
- Oui, j’ai compris, splendeur éblouissante.
- Parfait. Communication terminée.
L’amiral s’empressa d’éteindre sa radio subspatiale et de rabattre le cache qui la camouflait aux yeux d’un profane. Puis, se levant de son siège, il marcha de long en large dans la pièce, essayant de mettre de l’ordre dans ses pensées tumultueuses.
- Mon Empereur a beau dire, j’ai commis une erreur irréparable. Maintenant, Chester Flynt est arrêté. Or, c’est un couard, un pleutre et un veule, dépourvu d’honneur. Il peut me dénoncer d’un instant à l’autre.
- Voilà des réflexions fort sensées très cher adversaire! Lui répondit en écho une voix ironique.
- Toi ici, Skarr! Comment? S’étrangla l’amiral en reconnaissant l’individu qui lui faisait face.
- Tu avais oublié de brancher la sécurité, Opalaand.
D’un pas nonchalant, s’avança jusqu’au centre du salon. Il apparaissait sans maquillage aucun, sous les traits d’un pur Hellados.
- Quelle impudence! Viens-tu me narguer?
- Ah! Tu sais donc que je suis le responsable de ton erreur… de ta bévue, disent les humains.
- Oui! Hurla avec rage le guerrier Haän. Puisque tu as eu la bêtise de pénétrer dans mon repaire, tu n’en sortiras pas vivant, je le jure!
Se précipitant sur son ennemi, Opalaand fut arrêté net dans son élan par un mur invisible, un mini champ de force individuel engendré par une ceinture portée par le scientifique.
- Holà, mon furieux adversaire! On se calme; les humains ont un proverbe judicieux ma foi, dans notre situation. La colère est mauvaise conseillère.
- Peuh!
- Je ne suis pas venu pour me battre ni pour me moquer de vous, amiral Opalaand.
- Que voulez-vous donc? Fulmina le Haän, qui, à l’instar de son ennemi utilisait maintenant le langage de la troisième caste de sa planète et non plus celui de la dixième caste.
- Vous prévenir que toutes les actions que vous tenterez seront tout à fait inutiles. Vos scientifiques ne vous ont pas tout dit.
- Que signifient ces paroles?
- Voyez combien il m’a été facile de vous manipuler.
- Les Helladoï sont des Schnurls qui ne méritent qu’un chose: finir écrasés comme les bêtes venimeuses qui importunent nos cités.
- Ecoute-moi donc plutôt que de perdre ton temps et d’user de ta salive en m’insultant. Sache que je pratique couramment les vingt-cinq langues de ta planète. Mais là n’est pas l’essentiel. Je reconnais humblement que je n’applique pas, loin de là, les préceptes du grand Vestrak mais la cause est suffisante. dans un autre temps, un lieu différent, nous nous sommes déjà affrontés. Vous appartenez à la seconde chronoligne et moi à la première… enfin… je parle ainsi afin de simplifier…
- Je ne saisis pas…
- C’est pourtant très clair. Votre double de l’histoire numéro 1 a tenté de modifier le cours du temps. Or, je suis parvenu à le contrer. Avec succès puisque j’ai en face de moi non pas le baron Opalaan’Tsi mais l’amiral Opalaand!
- Je ne comprends toujours pas et tu racontes n’importe quoi!
- Laissez-moi achever. Si, comme vous l’a ordonné votre souverain Tsanu XV, et non Tsanu XVIII, vous vous attaquez à l’humain nommé Franz Von Hauerstadt, des désagréments vous attendent.
- Aucune menace n’a jamais réussi à m’intimider, chien bâtard! Je suis un guerrier Haän, l’oublies-tu?
- Le susnommé appartient à toutes les dimensions où Terra existe. Le chronovision me l’a montré. La logique veut que vous courriez à l’échec. Un échec patent et douloureux pour vous…
- Cela reste à voir.
- Opalaand, je ne pense pas que vous conserverez votre conscience lorsque ce jour arrivera. Von Hauerstadt réchappera à vos machinations que je m’en mêle ou pas. Une entité d’un avenir bien plus lointain que le vôtre le soutient et le protège. Votre rêve de grandeur pour l’Empire Haän n’est qu’une chimère. Je joue peut-être avec vous, mais quelqu’un d’autre fait de même. Cet être est inappréhendable… à cause de la sottise inscrite dans vos gènes, c’est lui qui aura finalement le dernier mot.
- Si vous pensez m’avoir fait changer d’avis par vos paroles qui ne sont que du vent, vous vous trompez lourdement.
- Quel besoin avez-vous de hurler ainsi? Montrez-vous impassible, c’est plus constructif! C’était là tout ce que j’avais à vous dire. Je n’aime pas m’attaquer à plus faible et à plus démuni que moi. Gardez-vous Opalaand. Je vous aurai prévenu. Ah! Un dernier conseil encore… Fuyez vite! Flynt a été arrêté grâce à mon témoignage et en ce moment, il est en train de vous dénoncer. Le temps n’est pas encore venu pour Terra de connaître l’existence d’autres formes de vie intelligentes habitant sur des planètes lointaines.
- Espèce de fumier!
- Je ne puis que vous rendre cette justice: vous avez rapidement assimilé le langage le moins châtié de ces humains.
Tout à sa rage, Opalaand ne vit pas Sarton faire un geste discret qui commandait au vaisseau Stankin de le téléporter. Il disparut comme s’il n’avait jamais été là, sans effet lumineux, sans éclat.
Voilà pourquoi la police fédérale trouva la propriété vide quelques heures plus tard. Le FBI négligea aussi de réinterroger le témoin si précieux qu’était Dick Simon. Notre Hellados avait également disparu mystérieusement. Personne ne fit le lien avec Dick Simons, qui, parallèlement, se faisait engager sur le projet ultra secret baptisé Manhattan.

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La nouvelle histoire se déroulait sur Terra avec des modifications de plus en plus visibles pour un observateur temporel extérieur.
Gêné par la capitulation italienne et la libération totale de l’Afrique du Nord par les Britanniques, Hitler n’attaqua l’URSS qu’en août 1941, se heurtant bientôt à l’hiver russe. Son intervention en Italie - il avait occupé la péninsule - lui coûta la victoire.
En Extrême-Orient, le Japon, encouragé par l’invasion allemande en URSS, déclencha Pearl Harbor dès le mois de septembre de cette terrible année 1941. Les Etats-Unis se retrouvèrent plongés dans le second conflit mondial au grand dam des pacifistes de tous poils. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8c/Fumimaro_Konoe.jpg
À Tokyo, l’état-major avait sous-estimé le potentiel militaire de l’Oncle Sam. Le Premier Ministre nippon était encore Konoye, reconnu comme incapable. Tojo ne le remplaça qu’à la mi-42, une fois les revers du Japon bien entamés.
Pendant ce temps, la machine industrielle américaine tournait à plein régime, bénéficiant en outre d’une plus grande avance technologique que dans la première chronoligne.
Les Soviétiques, quant à eux, perdaient Leningrad mais arrêtaient la Wehrmacht aux portes de Moscou. La reconquête de la ville symbole allait les occuper durant toute l’année 1942.
Dans la guerre du Pacifique, les Japonais échouaient dans leur conquête des Philippines tandis que les chasseurs à réaction, arme secrète de l’Air Force américaine bouleversaient les données de la guerre. Après la bataille de Midway, le recul nippon s’accentua.
Pendant ce temps, l’état-major allié, basé en Grande-Bretagne, prenait la décision de débarquer en Normandie dès le mois de mai 1943.

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