samedi 19 juin 2010

Mexafrica 1ere partie : la collection fantastique de Lord Sanders chapitre 5

Chapitre 5

Revenons à 1999. TQT informait ses disciples et acolytes que désormais, il disposait de la technologie adéquate afin de mener une expérience temporelle test. Axel Sovad ayant été destitué par les siens pour trahison, le continuum pi avait pris la décision d’entrer directement en contact avec l’ultralibéral. Les êtres déca dimensionnels n’avaient pas lu Machiavel, mais il va de soi que pour eux, la fin justifiait les moyens. Avec un léger coup de pouce de leur part, les humains parviendraient à détruire leurs civilisations ; ensuite, la Terre serait conquise sans heurt par les Haäns. Enfin, la Dimension satisferait momentanément le désir des Velkriss en leur abandonnant le bio translateur. A terme, le continuum ramasserait le pactole, les insectoïdes menant une guerre temporelle les amenant à l’effacement et les pi se retrouveraient seuls maîtres du pan multivers.

L’écroulement de l’URSS avait engendré des besoins financiers énormes dans l’ancien Empire ; le gouvernement corrompu d’Igor Panine en accaparait la plus grande partie. Ainsi, tout était vendu à l’encan, au plus offrant, les technologies les plus secrètes, y compris les appareils pas tout à fait au point ou encombrants, tel le translateur originel volé en 1959 à Franz Von Hauerstadt. Le véhicule temporel fut cédé au gouverneur du Nouveau Mexique, moyennant la somme astronomique de 5 millions de dollars, pour un appareil qui ne fonctionnait pas. Les Russes croyaient rouler dans la farine les Amerikanskis. Or, les pi fournirent la pièce manquante au translateur originel. Voilà comment notre candide TQT accéda à une technologie dont lui et les siens ne pouvaient appréhender toutes les conséquences néfastes. Ingénieux, l’Américain se procura de nombreuses pièces de rechange et mit en train la construction de plusieurs translateurs.

Sur la même chrono ligne, mais une vingtaine d’années en amont, un être beaucoup plus puissant que le continuum agissait également dans l’ombre. Sans scrupule, il fournit à une triade chinoise la même technologie. Une partie de poker menteur à l’échelle du pan trans multivers était engagée, alors que les joueurs ignoraient l’existence d’un des participants et que chacun trichait!

Naturellement, le grand public, victime du divertissement pascalien, ignorait ces transactions secrètes et voyait son attention attirée par un fait divers des plus sanglants survenu à Meaux, à une soixantaine de kilomètres de Paris. Même CNN y envoya quelques caméras!

Les p croyaient être les maîtres de la partie ; ils envoyèrent leur représentant Hepta chez le sudiste auquel il déclara froidement :

- Si nous vous faisons un tel cadeau, ce n’est pas gratuitement.

- Je comprends, siffla TQT entre ses dents.

- Donnant donnant! Avec ces appareils, vous vous déplacerez presque à volonté dans le temps. Il vous faudra alors pister un tempsnaute particulièrement dangereux.

- Dangereux, mais pour qui? S’inquiéta l’Américain.

- Pour vous en premier lieu. Ce quidam qui répond au nom complet de Daniel Lin Wu Grimaud peut changer le cours de votre histoire en empêchant le triomphe de l’ultralibéralisme, d’abord sur la Terre, puis dans ses futures colonies marchandes.

- Ah, mais, c’est effrayant!

- Comme vous dites! Ce Wu est un écolo terroriste attardé!

- A quel siècle appartient-il?

- Au XXVIe siècle. Rassurez-vous, mon ami! Il ne lui est pas du tout facile de se déplacer dans le temps car lui ne dispose pas d’un translateur mais d’un vaisseau inter sidéral qui, lorsqu’il effectue le saut temporel, risque de finir grillé à l’intérieur d’une étoile.

- Ce Chinois sait-il que je voyage moi aussi dans le temps?

- Certainement, souffla Hepta p qui trouvait TQT de plus en plus sot. Tout ce que vous accomplirez, c’est de l’Histoire! Tâchez de l’éliminer avant qu’il ne fasse de même pour vous!

- Entendu!

A peine TQT eut-il répondu cela que le représentant du continuum s’était évaporé. Resté seul devant son bureau, le gouverneur du Nouveau Mexique se mit à trembler d’une peur rétroactive.

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Meaux, 12 mai 1999...

Cela aurait très bien pu être 1988, 2008 ou 2019. Une cité dégradée, à l’abandon, un lieu pudiquement appelé de non droit où en fait, régnait le droit du plus fort. Des trafics en tous genres se déroulaient. La police n’allait plus dans ce quartier. Les pompiers eux-mêmes étaient accueillis à coups de pierres. Les livreurs de pizzas n’osaient y mettre les pieds. La population était livrée à elle-même depuis des décennies. Les dealers de toutes sortes y faisaient régner un ordre relatif. Pour la presse, tout allait bien dans cette cité qui aurait pu s’appeler Les Minguettes, Le Neuhof, La Caillol etc. Les pitbulls y circulaient en liberté et se jetaient, crocs dehors, en toute impunité, sur les rares passants qui refusaient de payer l’impôt. Les biens pensants, ceux qui tenaient les rennes du pouvoir, ignoraient la souffrance de ces petites gens, condamnés à vivre dans ce nouveau ghetto des temps modernes.

Des petits de six ans à peine servaient déjà de veilleurs et des grands de dix jouaient les dealers. A dix-huit ans, trop vieux, trop camés, devenus incontrôlables, ils se faisaient descendre par des bandes rivales dans des guets-apens parfaitement organisés ou bien, en plein délire, se suicidaient. Jamais ils n’atteindraient l’âge adulte. Mais pour l’heure, ils brûlaient la vie par les deux bouts, ayant parfaitement assimilé les règles du capitalisme sauvage. Complices volontaires ou involontaires, abrutis de misère, les parents n’avaient d’autre choix que d’accepter cet argent maudit venu de l’enfer, hurlant la mort de leur petit lorsque celle-ci survenait, vociférant contre la police et la justice, impuissantes à endiguer cette délinquance devenue ordinaire.

Pour cette jeunesse à la dérive, pour ces laissés pour compte sacrifiés d’une société qui affichait insolemment son, matérialisme le plus abject, pour les privilégiés du pouvoir qui n’avaient qu’un dieu, l’argent, demain n’existait pas. Oui, l’argent, vite gagné, sans effort, la nouvelle valeur mise au pinacle, le drapeau vénéré d’une civilisation moribonde. Pour les nouveaux branleurs, les victimes d’un monde déboussolé, seuls l’instant comptait, la jouissance la plus crue. C’était à qui affichait les marques les plus prestigieuses grâce au deal et au meurtre : Nike, Adidas, Lacoste, Chevignon, Montblanc, Longchamp tenaient le haut de l’asphalt jungle.

La figure déformée et rendue monstrueuse par les piercings, de véritables diamants dans les narines, les oreilles et le nombril, tatouée ridiculement sur les bras, les épaules ou le torse, la langue zézayant, telle apparaissait la faune habituelle qui sévissait sur son territoire! Malheur au facteur, au livreur, au médecin, au plombier, aux meufs, aux keufs. Ici, les tournantes étaient monnaie courante et le moins grave qui pouvait survenir consistait en la bastonnade ou encore en l’égorgement par les fauves dressés, ces pitbulls, dogues argentins et rottweilers avides de sang, chiens moins coupables que leurs maîtres, brutes décervelées qui parfois, pouvaient abandonner sur les champs de bataille, lors de règlements de compte perdus, leurs bijoux de famille! Alors, pour ne pas se vider de ce liquide pourpre si précieux lorsqu’il s’agissait du sien, on se souvenait que les urgences existaient, on assaillait les internes de service, on les insultait, on les menaçait, on les battait!

Le petit Comorien tour frisotté qui sifflait faux un rap à la mode interrompit son trille inspiré de MC Solaar pour signaler l’arrivée d’intrus aux fringues luxueuses avec toutefois un rien de bizarre dans leur coupe.

« Hé bien, les gadjos on pourrait presque s’payer une Ferrari avec! Fit le plus clair de peau de la bande. Ça en jette un max! »

Le groupe multiethnique armé de battes de baseball - mais qui donc pratiquait ce sport en France? - de coups de poing américains, de chaînes, de canifs et de couteaux de toutes tailles, de bombes aérosols, d’un pistolet magnum, accompagné de chiens d’attaque, c’est-à-dire de deux pits, d’un bull terrier, d’un rottweiler, d’un dogue argentin et d’un doberman, se positionna stratégiquement. Les intrus ne pouvaient l’éviter. La nasse grande ouverte les attendait.

Merritt avait l’habitude des faunes interlopes des docks de Limehouse. Depuis des décennies, il pratiquait la crapule. C’est pourquoi il ne cilla pas à la vue des harengs black, blanc, beur qui souhaitaient cette rencontre ou plutôt le face à face. Ainsi commença l’affrontement avec une petite touche exotique et humoristique.

Un Eurasien dont une partie de la famille était sans doute originaire d’un des trois Ky, arracha prestement le bonnet lapon d’Anta pour s’en coiffer aussitôt ; puis il lui releva le menton assez brusquement à l’aide de la batte de baseball. S’adressant au plus âgé des intrus, le Marocain lança dans son français si particulier :

« Ah, ben dis l’bourge, toi, t’es pas fripé d’une façon tendance! A ton avis, man, combien j’pourrais en tirer de tes habits? Même l’meilleur de mes potes n’en voudrait pas! Trop chaud pour la saison! Pff! Et pas une marque, aucun logo, pas même un Lacoste! C’est à pleurer! »

Le Burkinabé qui dévisageait Van Vollenhoven rajouta :

« Ouah! Mon gars! Vise-moi c’ balai brosse! Tu portes des postiches ou des vraies, man? Ou alors, tu cherches à imiter cette vieille conne de raclure de Magnum! Tu sais, nous, les pédés, on peut pas les voir! »

Pas démonté par la réflexion du Noir, - avait-il d’ailleurs compris ses propos? - le Néerlandais s’adressa à Merritt :

- Tudieu, Sir Charles! Avons-nous affaire à une brochette de sous-hommes ou à des animaux?

- Des animaux? Mais nous leur ferions trop d’honneur ce me semble!

Le Français d’origine, de souche, selon l’appellation d’un leader d’extrême droite, qui avait le crâne rasé et portait un vêtement imitation guerre du Golfe, se rappelait vaguement de quelques rares leçons d’anglais qu’il avait subies au collège. Il comprit le terme animals.

- Hey, man! Tu transportes quoi dans ce cagibi? Bigre, quelle taille! Matez-moi ça! Un super pitbull ? Un Congo en fraude?

Réagissant au mot Congo, l’explorateur flamand réagit en français, hésitant un peu :

- Petit, ce n’est pas un singe du Congo, et certainement pas un Kakundakari! Mon ami possède beaucoup mieux!

Merritt, qui maîtrisait le français à la perfection au contraire du Hollandais, était pourtant quelque peu désarçonné par cette langue abâtardie pratiquée par ces cailleras. Quelle évolution depuis un siècle l’argot parisien avait connu! Qu’en était-il donc de l’anglais?

- Mon cher, je pense que ces sauvages indigènes veulent savoir ce qu’il y a dans la cage. Fit Sir Charles à Cornelis.

- Dans ce cas, montrons-nous aimables, répondit Van Vollenhoven avec un sourire cruel.

- Tout à fait! Hâtons-nous de satisfaire leur légitime curiosité!

Pendant ce bref échange, les chiens d’attaque des petites frappes de banlieue bavaient, grognaient, aboyaient, s’agitaient, faisant un boucan infernal. Pour calmer la meute mais aussi pour le jeu, le sport, d’un geste ample et théâtral, Charles Merritt ôta la bâche qui recouvrait la cage dans laquelle le Velociraptor était prisonnier.

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- Pff! Ouh! Putain, les gars, ça c’est de la technique: Quel beau robot sort tout droit de Jurassic Park! Et c’est pas du 3 D! On le croirait vrai! J’en crache d’émotion! Y coûte combien votre Raptor? Vous nous faites un prix? Pas trop de briques au moins? Ou alors, on vous le vole! Allez, soyez cools on vous l’achète rapido!

- Ouais! Jeta le Beur. Je suis prêt à vous fourrer cent lingots - attention, pas des barrettes de blanche - pour votre animal! Avec lui, on sera les chefs de la ville!

Les choses se gâtaient car un pit, affreux, moche, particulièrement vicieux, à la tête albinos et au poil feu, à qui manifestement il manquait une case de bon sens, ne se tenant plus de rage, voulut sauter tout bavant sur le dinosaure somnolant dans sa cage. Le choc brutal réveilla la bête. Les yeux jaunes et reptiliens dardèrent les chiens et soudain, le Raptor se dressa, ses instincts carnassiers exacerbés par les proies gesticulantes qui aboyaient de plus belle.

Terrorisé, Anta, sachant d’avance ce qui allait advenir, ne bougeait plus, osant à peine respirer. Sans coup férir, un sourire narquois aux lèvres, l’ex professeur de mathématiques ouvrit la cage. Son regard mauvais brillait d’amusement. Il se réjouissait par avance du spectacle. Le dinosaure, muni d’une sorte de harnais - en fait, sa ceinture biologique -, bondit avec une certaine élégance sur le pit à demi-albinos. Puis, rapide comme l’éclair, à l’aide de la griffe recourbée de sa patte postérieure, il éventra le canidé, faisant jaillir les boyaux sanglants et fumants.

« Shit! Hurla l’Eurasien, prenant sous la terreur un teint cuivré olivâtre. Men, c’est un vrai! Merde! Fichons le camp! »

Mis en appétit par ce zakouski, le Raptor se précipita sur les jeunes humains à une vitesse à peine imaginable, fauchant les chiens sur son passage. Un carnage bien plus terrible que tous ceux des films d’horreur commença alors. Lui était réel! L’Eurasien, tremblant de tout son corps, tenta d’échapper à son sort en escaladant un mur enlaidi par des tags. Mais Taïaut, nom du dinosaure, lui arracha promptement les jambes qu’il croqua en deux coups de dents. Kiku aurait applaudi à cet exploit. Puis, toujours plus affamé, il avala également le bull terrier dont il ne recracha que la queue encore agitée de soubresauts. Après s’être rempli la panse d’une dizaine de victimes, humains aussi bien que chiens, il délaissa enfin les cadavres déchiquetés éparpillés devant lui et rota fort bruyamment.

« Bien Taïaut, tu as achevé ton repas. Alors, aux pieds, nous rentrons! »

Obéissant comme un bon épagneul, le Velociraptor s’exécuta et se rapprocha docilement de son maître. Ce dernier le fit entrer dans la cage après avoir manipulé un bouton du harnais. Ensuite, la grille fut abaissée. L’animal du Secondaire s’évapora avec sa prison, comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve. Désormais, le temps pressait. Un silence inhabituel régnait dans la cité. Les trois intrus effleurèrent la boucle de leur ceinture biologique et, à leur tour, ils disparurent de ce 1999 pour rejoindre leur point de départ, à Londres, un jour d’octobre 1890.

La police et les habitants de ce quartier dit pudiquement sensible héritaient d’une énigme insoluble. Elle dépassait en abomination tous les faits divers sanglants dont les journaux télés de 20 heures étaient si friands.

Amsq ayant suivi la scène dans ses moindres détails sur l’écran de son chrono vision, alternait la colère et la satisfaction. Il était furieux contre Merritt car celui-ci avait poussé au maximum les capacités actuelles de l’appareil en osant déplacer à la fois sur une distance de plus d’un siècle trois personnes, une cage et en prime, un dinosaure bipède de près de deux mètres. Toutefois, la satisfaction dominait parce que tout avait parfaitement fonctionné.

« Je dois reconnaître, soupira Zoël, que ce Merritt ne manque ni de sang froid, ni de ressources. L’âge me rend trop timoré. Toutefois, cette excursion me coûte un cristal entier de charpakium. Par l’enfer! L’orona ne pousse pas sur les arbres! »

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Le lieutenant Tony Hillerman s’occupait de la maintenance de la navette avec une grande efficacité. L’Einstein, en orbite légèrement déphasée, tournait autour de la Terre de 1890. Le vaisseau Velkriss qui patrouillait dans le secteur tout en gardant le contact avec Zoël Amsq ne l’avait pas détecté. Si le Haän avait pu rejoindre Londres en cette fin du XIXe siècle, c’était avec l’aide de ses alliés insectoïdes car la générosité de l’Empereur Tsanu laissait à désirer.

Quant à Tony Hillerman, la solitude ne lui pesait guère. L’intellectuel venait de recevoir le renfort de Kiku U Tu, le chef de la sécurité. Notre Troodon en avait plus qu’assez de moisir dans la suite grand luxe de son commandant vénéré. Pour le dinosauroïde l’hôtel particulier présentait un défaut de taille : il était dépourvu de synthétiseur de nourriture. Alors, à bord de l’Einstein, le lieutenant rattrapait sa diète forcée.

De son côté, Hillerman se montrait plus professionnel. Il restait en contact trans temporel avec le Langevin tout en surveillant le vaisseau Velkriss. L’aspect hideux des insectoïdes expliquait pourquoi ils ne se manifestaient pas sur le sol terrestre alors qu’ils auraient pu débusquer Daniel Wu sans difficulté et en finir rapidement avec lui. Pour l’heure, ils se contentaient d’exécuter strictement les ordres d’Amsq. Ils venaient justement de recevoir l’instruction d’aller recueillir de l’orona au plus vite. Or, ce cristal précieux ne se trouvait pas à moins d’une distance de 10,8 années lumières du système Sol. Cette réclamation du Haän signifiait que les expériences répétées du bio translateur devenaient trop gourmandes en énergie. Les Velkriss seraient absents trois mois au moins, le charpakium devant être extrait, raffiné et calibré avant usage. Cela laissait amplement le temps au commandant Wu de neutraliser Merritt et Amsq. Ce dernier avait-il bien réfléchi aux conséquences de ses ordres?

Ce matin là, une communication urgente du Langevin parvint à Hillerman. Le message du capitaine Sitruk était codé priorité 0001.

- Lieutenant, disait Benjamin, l’œil enflammé, la barbe embroussaillée et le cheveu en bataille, le vaisseau scientifique est encerclé par les Velkriss, les Haäns et les Castorii. Une cinquantaine de Praedators nous menace. J’applique donc le plan d’urgence dlz!

- Compris capitaine! Répliqua Tony. Le commandant sera mis au courant sur l’heure.

Brutalement, l’image tridimensionnelle disparut. L’officier historien arborait sa mine des mauvais jours. Il s’enquit auprès de Kiku U Tu.

- Les Velkriss font-ils des prisonniers?

- Jamais! Rugit le Troodon. Ils n’ont aucun honneur! Si je pouvais…

- Chef, vous ne pouvez rien, alors, taisez-vous!

Pendant ce temps, quel jeu jouait la dimension p? Tout en permettant à TQT de posséder une flotte de quatre translateurs totalement opérationnels, elle en avait octroyé un à l’Allemagne nazie dans les années 1930. Il s’agissait en fait de l’exemplaire lunaire, appareil légué par Franz von Hauerstadt à Violetta Sitruk. Les psychos images de la grotte, élaborées par l’Hellados Sarton, n’avaient eu aucun effet sur ces êtres déca dimensionnels non organiques. De plus, dans cette histoire dépourvue d’Asturkruks, Daniel n’avait pas éprouvé le besoin de récupérer l’engin, alors qu’il en connaissait l’existence. Bientôt, le cynisme des p allait les pousser à ravitailler en charpakium Zoël Amsq en personne.

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Musée de l’Homme, mai 1978.

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Inutile de se demander de quel 1978 il s’agit, vous le saurez bien assez tôt. Ce lieu mythique, étape obligée de Daniel Wu lorsqu’il se rendait dans les nombreux passés de la Terre, voyait ce jour-là déambuler dans ses salles et ses escaliers un trio d’adolescents dont l’âge oscillait entre seize et dix-sept ans. Pacal Despalions, un pur Maya, tenait à voir les collections précolombiennes avec l’intention de renouer avec ses racines. Fraternellement, Ivan, l’aîné du trio, s’était joint à lui et Geoffroy, l’hôte permanent de la famille Despalions avait suivi les deux frères rapportés. Les origines de chaque membre du trio mériterait un roman, mais comme il faut se montrer bref…

Ivan avait un père tout à fait banal, ingénieur de profession. Il voyageait souvent dans le nord de l’Europe ou en Amérique latine. La mère, une russe blanche d’origine, petite-fille de comtes et de ducs, était décédée lors d’un tragique accident de ski alors qu’Ivan avait à peine treize ans. Le jeune homme présentait des traits caucasiens quasiment parfaits ; il avait hérité de la blondeur maternelle et des yeux bleus semblables aux eaux des fjords des côtes norvégiennes d’un très lointain ancêtre. Nullement blasé par les multiples aventures qu’il avait déjà vécues malgré son jeune âge, l’adolescent voulait tout voir et tout connaître. C’était l’impulsif de la bande, et l’action ne l’effrayait pas. Bien éloigné des préoccupations des jeunes de son âge, il menait une scolarité heurtée mais brillante par correspondance. Tant bien que mal, Ivan se débrouillait en russe, en italien, en espagnol, en allemand mais pratiquait couramment l’anglais.

Il avait rencontré son frère adoptif lors d’un étrange voyage initiatique en Amérique centrale, où, enlevé par la sinistre bande de narco terroristes à la solde d’Humphrey Grover, abandonné en plein désert, il n’avait dû la vie sauve qu’à un jeune orphelin Pacal, qui avait fui les mauvais traitements de son oncle. L’Amérindien avait eu le malheur de perdre ses deux parents assassinés cinq ans auparavant par les terroristes susnommés. La mère du Maya avait été adoptée par une star d’Hollywood, mais dès l’âge de dix-huit ans, elle avait quitté le giron maternel, ne supportant pas les frasques de DS De B de B. Cahin-caha, les deux garçons, âgés à l’époque de quatorze et quinze ans, avaient réussi à atteindre Panama.

Plus de dix-huit mois plus tard, Geoffroy d’Évreux s’était joint aux deux frères d’occasion, après des péripéties qui mettaient à mal la logique cartésienne. Cet adolescent brun, costaud, aux yeux noirs, aux cheveux rebelles à tout peigne, était un authentique rescapé du XIIIe siècle. Son père Aymeric d’Évreux, seigneur normand, avait trempé dans le complot de Pierre Mauclerc, duc de Bretagne en l’an de grâce 1230, lorsqu’il avait aidé l’expédition militaire d’Henri III Plantagenêt.

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Le comte félon avait été fait prisonnier par les vassaux de Louis IX, mais auparavant, il avait eu juste le temps d’ordonner à son fils unique de gagner l’Auvergne, province d’origine de sa défunte épouse. Geoffroy s’y était résolu de mauvaise grâce, son sang brûlant du désir de se battre jusqu’à la mort. Égaré dans la chaîne des Puys, épuisé, parlant mal la langue d’oc, le jeune homme avait erré durant quatre jours et quatre nuits et avait eu la tristesse de perdre son cheval. Un orage violent l’avait surpris alors qu’il comptabilisait le peu d’argent qui lui restait dans sa bourse. Un éclair plus fort que les précédents l’avait à moitié aveuglé. Lorsqu’il avait recouvré la vue, il n’avait plus reconnu le paysage. Comme par magie, non seulement les bois mais aussi les collines, avaient disparu. Geoffroy s’était retrouvé à Arpajon sur Cère, en plein milieu d’un camping, à quatre heures du matin. Terrorisé, il avait semé la panique et n’avait pu être maîtrisé que par Pacal et Ivan. Le blond adolescent s’était ensuite chargé du jeune noble. Avec beaucoup de patience, il avait réussi à gagner sa confiance puis son amitié. Le trio enfin constitué avait vécu des aventures palpitantes aux quatre coins du monde, aventures mêlant fantastique et science-fiction. L’Amérindien incarnait la sagesse, Ivan l’impulsivité et Geoffroy le bon sens.

Notre trio comptait parmi ses relations une sommité scientifique de première pointure, le professeur Giroux, du CNRS. Auteur d’une invention remarquable et semi secrète, le professeur travaillait sur ordre implicite du gouvernement. En fait, il avait réussi à mettre au point une plate-forme électromagnétique, ancêtre d’un téléporteur temporel. Le lourd appareil ne permettait des déplacements que sur une même chrono ligne et sur une distance temporelle d’un siècle maximum. Revenus en 1968, les trois adolescents avaient volé le célèbre diamant bleu de la tsarine Catherine II de Russie. Puis, les jeunes gens avaient rendu service à Georges Clemenceau en 1898, en pleine affaire Dreyfus et à Abel Gance en 1925.

Pour l’heure, le trio s’était figé devant une vitrine consacrée au classement des familles de singes. Cette vitrine contenait de nombreux squelettes et était illustrée de photographies en noir et blanc.

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Or, l’une d’entre elles était véritablement un cliché impossible, puisqu’il représentait l’Améranthropoïde sud-américain, qui n’avait aucune existence officielle. Forts de leur savoir récent pioché dans l’Encyclopedia Universalis, les garçons s’étonnaient. Une voix douce les fit tressaillir.

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- Ah oui, évidemment, vous avez vu l’anomalie, vous aussi! Pourtant, ce singe Atèle géant existe bel et bien! Toutefois, il n’appartient pas à cette ligne de temps. Sa présence ici est disons…un accident. J’en sais quelque chose! Je faisais partie de l’expédition de de Lloyds, chez les Matilones, à la fin des années 1910. Ah comme je regrette ma jeunesse aventureuse et mes amis depuis perdus! Alors, je n’avais peur de rien et…

Poliment, les trois garçons se retournèrent avec un bel ensemble. Ils avaient devant eux un vieillard octogénaire des plus extravagants, au bouc à la Paul Ramadier, au col cassé à la Louis de Broglie, aux yeux malicieux et pétillants partiellement dissimulés derrière des lunettes cerclées, vêtu d’un complet veston lustré maculé de traces de craie dont les poches déformées étaient bourrées de caramels mous, et chaussé d’antiques chaussures à guêtres par-dessus le marché. Bref, la caricature d’un savant de bandes dessinées, encore plus farfelu que Tryphon Tournesol!

- Oh, j’ai omis de me présenter, reprit le vieux bonhomme. Adelphe-Fiacre de Tournefort pour vous servir! Archéologue, érudit et explorateur, salua-t-il avec grâce. Mais cette dernière qualité est caduque aujourd’hui, hélas!

- Ivan Despalions.

- Pacal Despalions.

- Et Geoffroy d’Évreux, souffla l’adolescent brun rapidement.

- Sans doutes visitez-vous ce musée pour une raison précise, poursuivit l’excentrique savant en examinant de près le trio. Je ne vois pas beaucoup de jeunes en ces lieux.

- Oui, effectivement, fit Ivan. Mon frère Pacal désire retrouver ses racines. Or, nous nous passionnons tous les trois pour les civilisations précolombiennes. Les livres nous apportent beaucoup, certes, mais la vision des artefacts davantage encore.

- Ce qui m’intéresse surtout, jeta Pacal, c’est la civilisation maya. J’appartiens à ce peuple au brillant passé et, lorsque j’en ai le loisir, je consulter le moindre livre ou visionne le plus petit documentaire portant sur ce sujet qui m’est cher! J’ai eu la chance de visiter le grand musée de Mexico ainsi que les ruines de Chichen Itza.

- Par exemple, compléta Geoffroy de sa voix lente et grave, nous n’avons manqué aucun des épisodes du documentaire de Soustelle diffusé il y a deux ans à la télé. Mille ans de civilisation maya,

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si je ne me trompe pas, avec la musique de Serge Kauffman. Vous savez, celui de l’émission sur les pratiques musicales des amateurs, « les musiciens du soir ».

- Ah! Vous vous intéressez également à la musique, je constate.

- Elle m’apprend beaucoup sur les gens, les époques, les civilisations.

- Nous ne dédaignons pas non plus les Aztèques. Dit Ivan, revenant à la charge. « Les grandes batailles du passé » sur Mexico 1521 nous a tout autant captivés. Comment une grande civilisation peut-elle mourir? Quelques fois, il ne reste que d’infimes traces qu’il nous faut déchiffrer difficilement, mais, le plus souvent, nous n’avons rien! Quel dommage!

- Posséder toute la mémoire du monde, c’est le rêve fou d’Ivan! Lança Geoffroy. Parfois, il vit plus dans le passé que bien des personnes âgées!

- Oui, mais mon siècle me fascine tout aussi bien avec ses prouesses technologiques! Te rends-tu compte! L’homme a marché sur la Lune! Et dans quelques années, ce sera sur Mars!

- Jeunes gens, je pourrais avoir besoin de votre aide et de votre enthousiasme! Ce que j’ai à vous dire doit retenir votre attention pleine et entière! Mais d’abord, allons voir les collections amérindiennes au deuxième étage. Nous pourrons ainsi faire plus ample connaissance.

Les escaliers gravis, notre quatuor remarqua immédiatement les vitrines des collections de la Patagonie, de l’Amazone, avec notamment les pectoraux de plumes, les têtes momifiées Munduruku et Jivaro,

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puis bien sûr, les momies andines.

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Plusieurs momies incas étaient donc exposées dans un espace muséographique qui ne serait rénové qu’en 1992. A cette date, elles seraient cachées dans les réserves. L’une d’entre elles, placée en hauteur, n’était plus qu’une tête de mort sur laquelle des mains décharnées se posaient, tête horriblement déformée par un rictus effrayant.

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Cette momie d’origine Chachapoya rappelait la célèbre peinture de Munch, le Cri. Pacal fit la moue car une odeur puissante et désagréable filtrait à travers les vitrines.

- Jeunes gens, je vous rappelle, déclara doctement Tournefort, que les momies incas sont moins bien conservées que les égyptiennes.

Puis tous poursuivirent leur visite. Parvenus aux vitrines consacrées au Mexique ancien, nos amis ne se lassèrent pas d’admirer la statue de Quetzalcóatl, les poteries ornées, le crâne en cristal de roche du dieu de la mort Mictlantecutli sans oublier un imposant calendrier maya.

Pacal se pencha afin de mieux examiner l’objet. Souriant, il jeta:

- J’arrive à déchiffrer les glyphes gravés dessus!

- Évidemment! Lui répondit Ivan narquois. Tu n’y as aucun mérite car tu as oublié de mentionner que le nahuatl est ta langue natale! Tu peux donc lire les codex et le Popol Vuh dans le texte!

- Alors, s’exclama Adelphe avec joie, vous êtes l’homme qu’il me faut! Tous les trois, écoutez! Je suis sur la piste d’un mystère crypto archéologique étonnant, qui concerne à la fois la Méso Amérique, l’Auvergne, l’Afrique noire et le Tibet, mystère qui relie plusieurs siècles!

- Rien que ça! Siffla Ivan.

- Vous ignorez sans doute, reprit Tournefort qui semblait avoir rajeuni de dix ans au moins, que le Musée de l’Homme possède dans ses réserves des pièces et un film que directeurs et conservateurs se refusent à montrer au public depuis plusieurs années malgré mes demandes persistantes, et ce, sous le fallacieux prétexte que ces objets contredisent les thèses de la science officielle!

- Vous nous mettez l’eau à la bouche, admit Ivan.

- Vous ne faites pas allusion au moins à d’éventuels extraterrestres qui se seraient rendus au Mexique et au Pérou? Pour moi, il s’agit d’une hypothèse des plus invraisemblables! Émit Geoffroy.

- Pas du tout, jeune homme! Je sais raison garder! Dans cette énigme, il serait plutôt question d’une machine à explorer le temps, plus exactement les temps, c’est-à-dire les histoires parallèles! Cela vous intrigue, n’est-ce pas?

- Oui, mais…

- Nous reviendrons sur cela plus tard. Bref, les réserves du musée renferment une momie Guanche trouvée en 1890 par l’explorateur néerlandais Cornelis van Vollenhoven, momie qui ne serait autre que celle d’un roi, ou tout au moins, d’un pseudo pharaon noir influencé par les Aztèques ou les Mayas, dont les amulettes qui la couvrent seraient des glyphes! Outre cette momie hétérodoxe, le Musée de l’Homme est le seul à posséder une copie intégrale du film documentaire Congorilla de Martin et Osa Johnson, pellicule tournée en 1932 chez les Pygmées. Le passage, - qui manque dans toutes les autres copies que j’ai pu dénicher, - nous montre la découverte dans une grotte sacrée d’un cube en cristal de roche, - comme le crâne de cette victime, - lui aussi gravé de signes mystérieux, peut-être précolombiens! Nul ne sait où ce cube se trouve actuellement en 1978! Martin Johnson est mort en 1937 dans un accident d’avion et c’est la date à laquelle la trace de l’artefact se perd. Quant à Osa, elle s’est sans doute suicidée en 1953.

- Tout cela est bel et bon, fit Pacal, mais…

- Ne doutez pas de mes déclarations! Je puis vous en dire plus chez moi au Quartier Latin!

- Oh! Nous vous suivons bien volontiers, dit Ivan avec nonchalance. Mais peut-être faudrait-il avertir une autre personne auparavant! Mon père Yves Despalions ou encore le professeur Giroux!

Geoffroy fit la grimace. Il murmura à l’oreille de son ami:

- Ivan, décidément, tu parles trop!

Mais Tournefort rassura immédiatement le trio.

- J’avoue que le nom de ce professeur ne m’est pas tout à fait inconnu. Vos exploits temporels non plus… J’en ai été informé par la bande… Et même si la presse a relaté l’étrange récupération du diamant bleu de la tsarine, elle a aussi dissimulé le meilleur, n’est-ce pas? C’est le duc Von Hauerstadt qui entretient une correspondance régulière avec le professeur Giroux qui m’a écrit à votre sujet. Il est mon ami depuis tantôt plus de vingt ans. Aujourd’hui, vous avoir rencontrés est un signe du destin!

- Dans ce cas, nous nous rendons à votre invitation, s’inclina Geoffroy poliment.

***************

Le petit appartement d’Adelphe-Fiacre de Tournefort, - un trois pièces vieillot aux plafonds hauts dont la peinture s’écaillait, - présentait les caractéristiques attendues chez un célibataire plus qu’endurci qui était aussi un érudit. Bref, il s’agissait d’un capharnaüm poussiéreux, rempli d’objets et de livres à craquer, dans un désordre indescriptible! Pacal, Ivan et Geoffroy avaient cependant réussi sur des chaises cannelées, ou encore sur un fauteuil dont le tissu était si usé qu’il en laissait apparaître la trame! Patiemment, ils écoutaient attentivement le laïus du savant tout en observant les multiples documents éclectiques qui leur étaient soumis.

- Tenez! Examinez cette pièce parmi les plus remarquables! J’ai acheté, voici trois ans, pour une somme dérisoire, ce document tibétain du XVe siècle, intitulé Traité de Lobsang Rama. Il était mis aux enchères avec un lot d’objets chinois ayant appartenu, s’il faut en croire la notice que voici à un certain Sun Wu, un Han mystérieux versé dans les sciences occultes.

- Quelle sornette que la magie! Proféra Ivan avec mépris.

- Ici, occulte veut dire dissimulé, caché, mon jeune ami! A l’époque de sa mort, le bruit courait que Sun Wu était le Grand Maître d’une société secrète, celle du Dragon de jade!

- Bah! Une triade!

- Passionnant! Siffla Geoffroy.

- Et inquiétant! Renchérit Pacal.

-Comme je ne parle ni ne lis le tibétain, j’ai fait déchiffrer ledit traité par plusieurs sinologues et spécialistes réputés officiant à l’Institut des Langues orientales. Conclusion: nous sommes bien en présence d’un écrit à la fois poétique, mystique, ésotérique et… scientifique!

- Rien que cela! S’exclama Ivan avec son tic de langage habituel.

- Je vous résume les conclusions des spécialistes. Le traité de Lobsang Rama, un maître lama, décrit la manière de voyager en esprit dans l’espace et dans le temps, de franchir les mondes et les chrono lignes parallèles, de voir les différents passés et futurs potentiels, le tout avec les moyens de concevoir une machine permettant d’accomplir ces exploits même pour les cerveaux les moins aptes à la concentration psychique!

- Holà! Lança Geoffroy. Cela me paraît plus que dangereux!

- Mais ce n’est pas tout. Le traité explique également comment construire un être artificiel, fait de chair, de sang et de pièces composites, ayant lui aussi la faculté de se déplacer dans un Multivers espace temps pluriel, librement, sans limite et pas simplement par la pensée.

Avec curiosité et passion, les trois adolescents feuilletaient les pages du précieux manuscrit. Pourtant, ce qui était écrit leur demeurait presque inintelligible. La traduction elle-même comportait de nombreuses obscurités. Toutefois, des dessins assez précis agrémentaient l’original mais également sa translation. Les schémas détaillaient les différentes parties d’un engin voyageant dans les multiples espaces temps, appareil mêlant sans contestation biologie et intelligence artificielle. On y devinait des sortes de capsules disques transparentes, qui, pour quelqu’un d’initié, comportaient des données concernant tout le vivant galactique, une bille irisée, un miroir ou écran permettant d’observer le passé ou le futur, - un chrono vision amélioré, - un cube de cristal, - les mémoires informatiques sans nul doute, - une espèce d’autel ou de plate-forme, - un téléporteur transtemporel, - un curieux octogone dont les côtés , peu marqués, donnaient à la pièce en question une forme en amande, des tuyaux ou réceptacles destinés à renfermer ou à recueillir une matière inconnue, un cercle gradué, et ainsi de suite…

- Quel assemblage hétéroclite! Laissa échapper Ivan.

- Une partie me semble familière, murmura Geoffroy, quelque peu troublé. Cet autel…

- Nous devrions montrer ces dessins au professeur Giroux. Il en tirerait sûrement quelque chose!

- J’en ai soumis une partie à Von Hauerstadt…

- Qu’a-t-il dit? Demanda innocemment Pacal.

- Rien, sinon le conseil de laisser tomber.

- Bizarre. Pourquoi donc? S’enquit Ivan.

- D’après lui, nous ne sommes pas prêts à construire cet appareil. Pas seulement parce que la technologie nous fait défaut… Il ne pourrait fonctionner, faute d’une source d’énergie suffisante.

- Pourtant, son translateur, objecta Pacal, montrant ainsi que le trio savait précisément à quoi s’en tenir sur les précédentes recherches du germano Américain.

- C’est vrai, il a fonctionné, mais sur des distances relativement réduites avec des piles atomiques.

- Alors, il n’existe aucune solution? Articula Ivan déçu.

- Que non pas! Vous vous rappelez la momie Guanche de Van Vollenhoven. Elle était incluse dans une donation effectuée en 1912 par la nièce du mathématicien Charles Merritt, en l’occurrence Daisy Neville et par la veuve de l’explorateur que j’ai eu l’insigne honneur de croiser dans ma jeunesse. La donation a été dispersée entre Londres, Paris, Bruxelles Berlin et New York.

- En quoi cela nous intéresse-t-il? Marmonna Geoffroy qui s’impatientait.

- Hé bien, laissez-moi achever, jeune homme! Mis à part des momies plus ou moins en bon état et des objets d’art décoratifs ou primitifs, il y avait aussi du matériel technique; hélas, la plupart des pièces ont été perdues, en particulier de magnifiques automates!

- Charles Merritt, questionna Pacal, ce n’est pas ce mathématicien anglais en avance sur son temps, bricoleur à ses heures, inventeur de la proto informatique, qui tenta de perfectionner la machine à calculer de Babbage et voulut créer les premiers androïdes mécaniques, électriques et organiques?

- Exactement! Vous êtes bien informé.

- Grâce au professeur Giroux.

- En tout cas, dans ce domaine, à ma connaissance, il s’y cassa les dents! Certes, le Britannique introduisit les principes du calculateur mécanographique fonctionnant partiellement à l’électricité mais cela n’alla pas plus loin. La plupart de ses objets d’art provenaient de l’héritage d’un lord assassiné dont le nom ne me revient pas pour l’instant. Pour l’heure, je me souviens qu’il servit de modèle au personnage qui dévoya Dorian Gray…

- Peut-être… mais, en ce qui concerne le cœur même de nos préoccupations, vous avez certainement d’autres révélations à nous faire? Hasarda Geoffroy. Vous n’avez pas cité Merritt gratuitement!

- Tout à fait. Sir Charles, d’après la rumeur, aurait tenté de construire partiellement l’appareil du traité tibétain. Naturellement, tous les documents et témoignages concernant cette tentative ont sciemment disparu! Le peu que j’ai appris, c’est par ouï dire, mais aussi par les déclarations de la veuve de Van Vollenhoven. Je cherchais ledit traité depuis des décennies et j’avais pratiquement perdu tout espoir de mettre la main dessus lorsque le hasard a exaucé mon vœu le plus cher.

- Le hasard, vraiment? S’étonna à juste titre Geoffroy.

- J’ai encore plus fort à vous montrer.

Adelphe-Fiacre tira alors d’une chemise en carton anodine des notes comportant d’autres esquisses.

- La bibliothèque de l’Arsenal possède un manuscrit auvergnat de toute beauté daté de 1244 en provenance d’Aurillac, La Vie de Saint Géraud.

http://www.natureculture.org/wiki/images/thumb/b/b9/Sap01_59p01181_p.jpg/500px-Sap01_59p01181_p.jpg

Or, cet ouvrage comporte une curieuse enluminure accompagnée d’un texte. Comparez donc le dessin avec celui du traité de Lobsang Rama.

- Inimaginable! S’écria Ivan après deux minutes. L’octogone en forme d’amande! Quelle coïncidence!

- Or, le manuscrit n’est pas un faux! Compléta Geoffroy. Je reconnais la façon d’écrire le latin du XIIIe siècle.

- Assurément, La Vie de Saint Géraud est authentique. Dans le manuscrit, l’octogone y figure sous l’appellation de « mandorle de gloire irradiante ».

http://www.artbible.net/2NT/EVANGELISTS%20SYMBOLS%20...%20FIGURES%20DES%20EVANGELISTES/13%20A%20CHRIST%20EN%20MAJESTE%204%20EVANGELISTES%20ROUEN%20MDA%20BB.jpg

- Cela ressemble à une espèce d’électro aimant, constata Pacal, un peu comme un… catalyseur ou encore un multiplicateur d’énergie.

- Tout à fait! Opina Ivan.

- Manifestement, cette affaire concerne le professeur Giroux au premier chef, monsieur de Tournefort, rappela Geoffroy.

- J’en suis parfaitement conscient, jeunes gens, mais moins d’impétuosité, je vous prie! Nous devons rester prudents car la science officielle ne verrait dans tout ceci qu’élucubrations éhontées!

Pragmatique, Pacal acquiesça.

- Le cube des Johnson, disparu en 1937, était-il semblable à celui du dessin du traité?

- Par chance, je possède aussi une photo de ce cube, prise par les Johnson. Vous allez pouvoir le constater par vous-mêmes! Il s’agit là de l’unique document rescapé d’une destruction volontaire attestant de son existence et non de son appartenance à quelque chimère! Le cliché est un peu flou, je vous l’accorde, mais on reconnaît bien l’objet parfaitement analogue à celui du dessin tibétain.

- Vous avez raison! Admit Pacal perplexe.

- Quelle suite concrète envisagez-vous de donner à cette affaire? S’enquit Ivan.

- Le professeur Giroux sera prévenu dans la plus grande discrétion. Vous lui demanderez de vous envoyer dans le passé afin de prendre contact avec le duc Von Hauerstadt.

- Dans le passé? Mais… Pourquoi? Où? Et… quand?

- Vous vous rendriez en février 1961 près de Munich, dans sa propriété bavaroise afin d’assister à un colloque qu’il organisa et auquel j’ai participé!

- Tiens donc! Émit Geoffroy. Pourquoi ne pas contacter Von Hauerstadt là, ici et maintenant, en 1978?

- Il y a plusieurs raisons qui rendent la chose impossible, mes amis! Tout d’abord, le duc s’est retiré de toute vie publique et a acheté une île à proximité de la Nouvelle-Zélande. Sauf danger imminent de guerre mondiale, il n’accepte l’immixtion de personne!

-Soit! Concéda le comte d’Évreux. Mais… surtout?

- Surtout… Il y a que je vous ai croisés en 1961 en Bavière, je vous ai parlés et vous avez été les hôtes de Franz! En voici la preuve irréfutable. Cette lettre datée de début mars 1961, paraphée par le duc, atteste de la véracité de mes propos.

- En effet, fit Geoffroy après un temps d’examen.

L’adolescent se détendit alors, délaissant sa méfiance naturelle.

- Le jaunissement du papier, les pliures, les cassures témoignent que vous dites vrai. Or, vous n’avez pas disposé du temps nécessaire pour fabriquer tous ces faux…

- A moins que vous nous pistiez depuis plusieurs jours déjà! Lança Pacal. Mais je m’en serais aperçu!

- Donc, pour que le passé concorde, reprit Ivan, il nous faut rencontrer Hauerstadt en 1961!

- Précisément! Ainsi, il n’y aura pas de paradoxe. Je savais que je finirais par vous rencontrer, mais j’ignorais quand, et dans quelles circonstances.

- Comment Von Hauerstadt nous aidera-t-il à résoudre cette énigme à la fois historique et scientifique?

- Comme vous le savez, Franz a expérimenté un translateur, certes encore primitif, mais nettement plus performant que le lourd appareillage utilisé par le professeur Giroux. C’était à la fin des années 1950, en pleine guerre froide. Les Russes ont réussi à lui voler l’engin mais, étrangement n’ont abouti à rien dans leurs tentatives…

- Tentatives? Lesquelles? Comment en êtes-vous certain?

- Ivan, réfléchissez! Tout simplement, nous sommes là à discuter paisiblement, et les Soviétiques ne se sont pas vantés de leurs exploits!

- Moui… Mais si les Russes sont… au parfum, cette expédition peut s’avérer plus que risquée!

- Comme si le danger te faisait reculer! Ricana Geoffroy.

- Il n’y a pas que les Russes dans l’affaire! Proféra Tournefort. Les anciens associés de Sun Wu veulent récupérer le traité tibétain qui leur a malencontreusement échappé. Nous sommes tous menacés dès lors que nous côtoyons ledit traité!

- Ça nous changera! Fit Geoffroy avec son humour particulier.

- Que pouvons-nous attendre du duc? Questionna encore Ivan.

- Je pense qu’il possède un deuxième exemplaire du translateur même s’il s’en défend. Vous le persuaderez de vous accompagner aux États-Unis dans les années 1930 dans le but d’empêcher la disparition du cube des Johnson…

- Est-ce tout?

- Puis, bien sûr, vous retournerez au XIIIe siècle…

- Mmm… grommela Geoffroy, pas très chaud.

- … afin d’y rechercher la mandorle de gloire irradiante. Maintenant, vous comprenez l’utilité du translateur du duc.

- Effectivement. L’appareil du professeur Giroux n’est pas fonctionnel au-delà du XIXe siècle!

- Si des mains mal intentionnées parvenaient à reconstituer dans sa totalité la machine de Lobsang Rama, elles seraient alors en possession d’une arme redoutable, une arme absolue incontrôlable!

- Oui, j’ai saisi monsieur de Tournefort! Marmonna Ivan. Une guerre mondiale s’en suivrait qui serait la guerre du temps où l’URSS, la Chine et les EU seraient à même de modifier à volonté le cours de l’Histoire et pourraient ainsi créer tout un tas de mondes parallèles à leur convenance meurtrière! Des Univers dans lesquels ils régneraient sans partage, hégémoniquement, où nous n’existerions peut-être pas!

- Cela fait froid dans le dos! Dit Pacal.

- Monsieur de Tournefort, je pense parler au nom de nous trois. Nous acceptons, s’inclina Geoffroy.

- Merci à vous, messieurs, fit Adelphe-Fiacre quelque peu ému.

***************

Tony Hillerman avait prévenu Daniel Wu sur la situation du Langevin. Manifestement, toute la science tactique du capitaine Sitruk ne suffisait plus. Précipitamment, le commandant Wu remonta à bord de la navette Einstein afin de donner des instructions détaillées pour sortir le vaisseau scientifique de la nasse dans laquelle il se trouvait. Le daryl androïde connaissait sur le bout des doigts les différentes configurations de combat employées par les Velkriss. Ainsi, il conseilla à son subordonné des tactiques non usitées à l’Académie et au sein de l’Alliance.

- J’ai suivi les plans de Trabinor et de Venge, faisait Sitruk. J’ai été jusqu’à appliquer la configuration hétérodoxe d’Haarduin! Sans succès!

- Ah! Oui, je sais pourquoi… Dans ce cas, poursuivez par les tactiques Fermat et Antor expérimentées contre les Asturkruks dans le temps bis…

- Oh! Je vois! La toute dernière simulation!

- Tout à fait! Pour réussir, ne craignez pas de lancer le Langevin à hyper supra luminique 17 autour d’une étoile, y compris une proto étoile en formation… La procédure de mise en configuration des moteurs ne prend que quinze secondes… gagnez du temps en faisant diversion…

- Bien, monsieur! Mais, si tout de même cela ne suffisait pas?

- Dans ce cas, prenez la fuite à la même vitesse et réfugiez-vous dans une nébuleuse. Là, vous désactiverez toutes les sources d’énergie mais en gardant sous tension les détecteurs à longue portée.

- Je ne serai donc pas aveugle… et ensuite?

- Vous faites confiance à votre intuition et, au moment que vous jugez adéquat, au centième de seconde près, vous relancez à froid les moteurs supra luminiques selon les schémas thêta, gamma, zêta…

- Compris, commandant! Les superstructures du vaisseau vont être soumises à des tensions dépassant largement les seuils de sécurité! Mais, si ça marche…

- Croyez-moi, cela marchera Benjamin!

- Langevin va se retrouver projeté entre trois et six heures en arrière dans le temps!

- Justement, c’est là l’effet recherché. Ainsi, vous pourrez lancer une contre-offensive sur les poupes des raptors. Je vous rappelle que les secteurs les plus fragiles de l’essaim Velkriss se situent dans les zones 23, 52 et 61...

- Les alvéoles des larves d’ouvriers! Remarqua Hillerman.

- Bien conclu, lieutenant. Quant à vous, Sitruk, pour venir à bout des points névralgiques de l’essaim, n’hésitez pas à envoyer une rafale serrée de torpilles à bosons. Vous pourrez vous mettre à l’abri en effectuant un saut quantique à proximité de n’importe quel planétoïde.

- Oui, monsieur. Le trou de ver ainsi engendré nous fabriquera un bouclier naturel. Mais nous allons tanguer dangereusement…

- Et si toutes ces manœuvres échouent… eh bien! Puisque les p sont les alliés des Velkriss, rendez-vous!

- Euh…

- Du moins, ferez-vous semblants! Vous attendrez l’instant opportun. La Dimension p n’a pas intérêt à voir disparaître brutalement les membres du Langevin. Elle doit d’abord récupérer notre hôte, Axel Sovad…

- J’ai saisi, monsieur!

***************

Désormais, malgré les recommandations de l’Artiste, Raoul d’Arminville officiait en tant que valet de pied de sir Charles Merritt. Il avait pour charge de mettre un peu d’ordre dans les appartements privés de son nouveau maître. Cette tâche lui permettait d’aller et venir librement dans le manoir. Prudent, l’adolescent avait fait taire ses instincts de rapine et se montrait fort habile et discret dans son travail. Bien sûr, il évitait tant que possible de côtoyer la gent domestique exotique du mathématicien.

Ce soir-là, croyant le fumoir de Merritt désert, Raoul s’y introduisit muni d’un plumeau dans le but officiel de dépoussiérer les bibelots précieux ainsi que les meubles de prix. Il réussit à ne pas marquer sa surprise en y découvrant la nièce de sir Charles, Daisy, une enfant blonde, sept ans à peine, aux cheveux raides rebelles aux boucles pourtant fort à la mode, et au teint typiquement anglais. La fillette, assise dans un fauteuil de cuir trop vaste et trop profond pour elle, s’amusait à faire la conversation à ce qui pouvait passer pour une poupée aux yeux d’un profane peu au courant des recherches de sir Charles Merritt.

http://static.blogstorage.hi-pi.com/photos/caloudolls.designblog.fr/images/gd/1174995100/POUPEE-DE-COLLECTION-POUPEE-ANCIENNE-Infos-collectionneur.jpg

Attiré malgré lui par l’étrange joujou, Raoul s’approcha.

- Oh! Dis! Tu as là un bien beau jouet! Hors du commun! Mais, ta poupée bouge!!!

- Euh… oui… mais j’en ai l’habitude! Mon oncle ne veut pas que je parle aux domestiques! Sauf pour leur donner des ordres!

La petite fit la moue, se tut quelques secondes, réfléchissant, puis, se décidant, questionna:

- Ton accent est bizarre… Tu n’es pas Anglais, toi!

- Tu as tout à fait raison. Je suis Français.

- Alors, tu connais Paris?

- Oui, évidemment!

- Tu en as de la chance! Je voudrais tant visiter Paris et ses grands magasins! Soupira Daisy. Mais oncle Charles me confine ici, dans sa maison, avec une nounou et une gouvernante françaises. Il dit que je suis de santé fragile. La plupart du temps, je m’ennuie. Alors, pour se faire pardonner, il me fait beaucoup de cadeaux!

- Comme cette belle poupée, par exemple! Enchaîna fort à propos Raoul. Tu ne veux pas me la montrer de plus près? Je suis certain que tu es la seule à Londres et, même dans toute l’Angleterre à posséder une telle marionnette!

L’enfant acquiesça puis sourit.

- Tu n’en as donc pas vu à Paris?

- Oh! Non! Jamais!

- Cette poupée est neuve, je l’ai depuis la semaine passée.

- Peut-être que ton jouet vient d’Allemagne. Là-bas, j’ai ouï dire qu’il y avait de magnifiques automates très perfectionnés. Tiens, mais ta poupée respire!

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- Naturellement, puisque c’est un automate vivant! Que tu es bête! Mon oncle en fabrique des tas! Il en a toute une collection dans ses caves. C’est son hobby, qu’il dit!

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- Pourquoi pas?

- Je n’y dois pas m’y rendre dans les caves, tu sais! Reprit sentencieusement la fillette. C’est là qu’il y conduit ses expériences… secrètes. C’est très grand en dessous et ça fait peur!

- Pourquoi donc, miss Daisy?

- Euh… Oncle Charles va me gronder si je dis ce que j’ai vu!

- Je te jure que je garderai le secret.

- D’accord! Il enferme en bas de très méchantes et vilaines créatures! Encore plus laides que celles des lanternes magiques! La semaine passée… j’y suis allée et oncle Charles m’a vue! Il s’est mis dans une grande colère! Il est devenu tout blanc et ses yeux ont jeté des éclairs! J’ai tremblé car j’ai cru qu’il allait me punir… Mais non! Il m’a donné cette poupée. Je l’ai appelée Alice.

- Elle est chouette Alice! Sir Charles me paraît être un mécanicien de première force!

- Oui… je suis habituée à recevoir en cadeau des automates vivants! Mon bébé Alice mouille ses langes et… je dois la nourrir comme une véritable petite sœur! Je lui donne de la bouillie et du chocolat! La bouillie, elle n’aime pas, mais le chocolat…

- Tu lui donnes à manger pour de bon? S’étonna Raoul.

- Ben oui, pour de bon! Je ne mens pas! Si je suis bien sage, oncle Charles me remplacera ma poupée dans deux mois, avant qu’elle sente mauvais! C’est là le défaut des joujoux de mon oncle! En attendant, je vais aussi recevoir un trousseau complet pour l’habiller!

- Tout ce que tu me racontes est fort étrange! Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans les caves à part des monstres qui te font peur?

- Je n’ai pas tout vu, tout exploré! Elles sont presque toujours fermées avec beaucoup de serrures! Pour y accéder, c’est dur, crois-moi! Toutes les portes, - il y en a au moins dix!,- sont mécanisées! Et puis, on y entend des pleurs, des grincements, des cris! Tu veux essayer d’y aller toi aussi? Tu n’as pas peur?

- Non, pas du tout! Tu te trompes sur mes intentions. Je préfère garder ma place, j’ai besoin de travailler.

- Pourtant, je sais par où passer; les murs sont creux.

Le cerveau de Raoul s’activait à toute vitesse.

« L’aération, le chauffage, l’éclairage, tout est automatique. Cette maison serait-elle comme celle de Robert-Houdin? ».

Reprenant à haute voix, Raoul jeta avec désinvolture:

- J’ai réfléchi, miss Daisy. Si tu me montrais le passage, qu’aimerais-tu recevoir en échange? Un autre trousseau pour ta poupée? Une dînette?

Daisy se passa une langue gourmande de convoitise sur les lèvres puis déclara innocemment.

- Je croyais que tu n’avais pas d’argent!

- Certes, mais j’ai un ami riche…

- D’accord! Mon oncle me donne tout ce que je veux. Mais il ne sait pas construire des maisons miniatures où tout fonctionne, la cuisinière, le poêle, les lustres, les appliques, les robinets, la baignoire, les fenêtres, les rideaux, les meubles qui changent avec les tapisseries, comme au théâtre…

- Ah! Pâlit Raoul.

- Tu pourrais me donner ça, toi, en récompense?

D’Arminville faillit reconnaître que cela lui était impossible.

- Euh… c’est bigrement difficile, là! Le décor qui s’escamote et tout et tout… Il faudrait me laisser un peu de temps. Une telle maison ne se trouve pas dans n’importe quelle boutique de jouets!

- Ton ami qui est si riche! Je te laisse un ou deux jours! Pas plus! Après-demain, je raconte tout à oncle Charles!

- Dieu du ciel, marmonna Raoul. Cette enfant me fait chanter! Comment me procurer une telle merveille? C’est impossible en un délai aussi court! A moins que… oh! Il faut que je trouve un prétexte pour sortir. Inventer une course urgente. Ce Daniel Wu, il doit être capable de me construire ça en deux coups de cuiller à pot!

- Entendu, miss Daisy, reprit le valet à haute voix.

- Ah! Soupira d’aise la fillette. Alors, je le recevrai quand, mon cadeau?

- Après-demain dans la journée! Promis, juré!

- Tu as intérêt à tenir parole! Youppie!

***************

De son côté, Harry récoltait également quelques précieuses informations. Sa tâche principale et officielle consistait à ouvrir les portières des voitures lorsque les invités de marque de sir Charles se présentaient devant l’allée sablée du manoir. Puis, il abaissait les marchepieds, portait les bagages et tendaient les parapluies ouverts en cas de nécessité. Il lui arrivait également d’accompagner son maître lors des visites de politesse que celui-ci rendait à ses amis. Ainsi, l’adolescent avait l’occasion de discuter le bout de gras avec les cochers et les palefreniers et glanait des potins et autres renseignements. Souvent, dans les arrière-cours, il constatait qu’outre les habituelles voitures hippomobiles armoriées des relations de sir Charles, se trouvait aussi une série de véhicules anonymes allant du fiacre au tilbury. Il avisa de même qu’un local anodin extérieurement était en fait réservé au déchargement de camions à l’abri des regards indiscrets. Or, le jeune homme savait par sa grand-mère que Charles Merritt était à la tête d’une bande internationale de voleurs. Sans en référer à Tellier, il décida d’agir.

Ce matin-là, tôt, Harry se dissimula à l’intérieur d’un fiacre afin d’espionner. Son maître n’aurait pas besoin de lui avant quatorze heures. Personne ne le chercherait d’ici là. Un chariot bâché arriva peu après. Deux hommes en descendirent: Jerry, le rouquin déjà entrevu en France et l’apache français, Lucien, son comparse habituel. Les hommes de main déchargèrent des ballots de marchandises bien mystérieuses. Ainsi, un objet oblong présentait une certaine ressemblance avec la forme d’un corps humain. Mais, s’il s’agissait d’un être vivant, il avait la taille d’un nain, pensa Harry. L’objet insolite était solidement ficelé et renfermé dans une toile grise.

Parvenus au fond de la remise, Jerry et Lucien actionnèrent un levier ouvrant une trappe. L’adolescent n’avait rien perdu de l’étrange spectacle.

- Qu’est-ce que tout ce mic mac? Se demandait-il. Tant pis pour la prudence, je risque le tout pour le tout! Suivons ces deux types!

Pendant ce temps, les hommes de main de Merritt s’étaient engagés sous terre avec leur précieux colis tandis que la trappe s’était automatiquement refermée derrière eux. Le jeune espion attendit une minute afin d’assurer sa sécurité puis sortit prudemment de sa cachette. A son tour, jetant des coups d’œil rapides autour de lui, il actionna le levier. Une échelle apparut. Elle conduisait à une sorte de plate-forme au sol métallique.

- Ouah! Quel modernisme! Un monte-charge électrique! S’exclama Harry.

Il grimpa sans difficulté sur la plate-forme et poussa un curseur vers le bas. Aussitôt, le monte-charge se mit à descendre tandis qu’au-dessus de lui, la trappe se refermait. Ignorant quel commutateur abaisser ou lever au contraire pour éclairer le lieu, Harry resta donc dans une semi pénombre durant le trajet. Ses oreilles percevaient un ronronnement régulier qui allait s’amplifiant peu à peu.

Arrivé au premier sous-sol, l’ascenseur s’arrêta. La porte s’ouvrit automatiquement sur une salle où des machines imposantes tournaient. Des dynamos électriques fonctionnaient et, près de chacune d’elles, il y avait des sortes de boîtes avec une fente dans laquelle étaient insérées des bandes de carton perforées pliées en accordéon comme celles des orgues de Barbarie ou encore des métiers à tisser.

- Mince! Quel perfectionnement! Il en faut de l’argent pour posséder une mécanique dans ce genre! Bon sang! A quoi tout cela sert-il? Se demanda le jeune homme de plus en plus intrigué.

Mais, comme s’il était programmé, le monte-charge reprit sa descente jusqu’au deuxième sous-sol. La porte se rouvrit. Cette fois-ci, Harry décida de sortir. Il vit d’abord, ou plutôt devina des murs voûtés en plein cintre, aux pierres régulièrement appareillées. Tout le long de la voûte, des lampes rondes formaient une ligne qui se perdait dans les coudes d’un immense corridor.

- Mazette! Un tunnel électrifié! Que cache toute cette installation? C’est désert, profitons-en!

Les sens aux aguets malgré tout, Harry explora les lieux. Son ouïe particulièrement entraînée percevait parfois de fugitifs soupirs, des gémissements étouffés, des plaintes inhumaines. Sur les côtés, il devinait, derrière de hautes grilles bien solides, des cachots dans lesquels étaient emprisonnées de malheureuses créatures souffrantes, certaines dégageant de puissantes odeurs alcalines qui vous raclaient la gorge.

- Dieu du ciel! De quel pandémonium s’agit-il? Ai-je eu raison de me hasarder ainsi dans cette galère? Je ne suis même pas armé! Si quelqu’un vient, mon compte est bon!

Par instant, Harry entrevoyait un bras plus ou moins velu qui se tendait désespérément non vers lui mais vers une liberté inaccessible. La peau nue, le duvet, les écailles ou le poil démontraient que les captifs n’appartenaient pas tous, loin s’en faut, à l’humanité ou à ses proches parents. Au loin, en écho, la voix nasillarde de Jerry avec son accent cockney se répercutait.

- Hé! Sale vampire! Réveille-toi! Voici ton nouveau compagnon de cellule! Fais gaffe à ne pas trop l’amocher sinon tu goûteras du fouet électrique du patron! Je sais que tu crèves la dalle, mais commence pas à lui sucer le sang avant qu’il se réveille! Si t’es bien sage, peut-être que demain tu auras une charretée bien pleine de rats crevés pour apaiser ta faim! A la revoyure, mon gars!

Harry entendit ensuite un bruit sourd. On jetait un corps sur le sol. Puis, il perçut presque aussitôt le grincement d’une grille qu’on refermait.

- Ah! Sacré de bon sang! Ces rats font demi-tour! Où me cacher?

Presque désespérément, le jeune homme porta ses yeux sur les cachots hermétiquement clos. Alors qu’il se croyait perdu, Harry avis à la dernière seconde un renfoncement, en fait une niche, qui contenait un circuit électrique. Et le duo d’apaches passa près de la cavité sans détecter ni soupçonner la présence de l’adolescent qui avait réussi à se recroqueviller dans l’anfractuosité. Les secondes s’écoulèrent, presque interminables; l’intrus retenait sa respiration.

Plus que prudent, Harry attendit que les malfrats fussent assez loin pour se rapprocher du cachot qu’il soupçonnait être celui du vampire recommandé par Daniel Wu. Avec mille précautions, il souleva le guichet, s’assurant ainsi de l’identité des détenus. Un albinos aux cheveux de lin et au bras trop longs, aux yeux qui rougeoyaient étrangement dans l’obscurité, prostré sur une paillasse, et, à ses pieds, un être difforme, de petite taille, au visage tout ridé. Apeuré, l’individu respirait bruyamment.

- Bon! J’en ai appris suffisamment. Ouf! Je l’ai sentie passer près, cette fois! Ne nous attardons pas davantage et courons faire notre rapport à grand-maman Louise!

***************

Daniel Wu reçut le soir même les informations récoltées par Raoul et Harry. Il voulait passer à l’action immédiatement mais Irina, qui se pensait à l’abri chez Lord Sanders, lui conseilla d’attendre encore quarante-huit heures afin de peaufiner l’évasion d’Antor et de saboter le bio translateur de Merritt et consorts. Fermat, chose étonnante, abonda dans le sens du capitaine Maïakovska. Il se chargeait de la logistique et il lui restait quelques détails nullement insignifiants à régler. Daniel céda donc. Dans son for intérieur, il bouillait. Pour calmer son impatience et s’occuper, il fabriqua la maisonnette réclamée par Daisy Neville. Le commandant aurait dû écouter son instinct.

De son côté, Amsq avait décidé d’attaquer de front. Lui, il voulait désarmer, neutraliser son adversaire. Merritt ne désapprouva pas. Le piège fut tendu avec subtilité.

Raoul avait suggéré de livrer la maison de poupées à l’heure du thé, le lendemain de sa rencontre avec Daisy. Irina se chargea de cette tâche, toujours accompagnée de son chaperon. Elle se rendit donc en grandes pompes chez Sir Charles, lui faisant une visite de courtoisie.

Pendant ce temps, André Fermat, secondé par Kiku U Tu, Tony Hillerman et Frédéric Tellier, mettait la dernière touche à son opération coup de poing qu’il devait conduire chez Lord Sanders dans le but de s’emparer du bio translateur ou, à défaut, de le détruire. Or, l’obstacle de taille ne s’appelait pas Lord Percy mais bien Zoël Amsq! Mais André, embarrassé par aucun scrupule, n’hésiterait pas, si nécessaire, à éliminer physiquement le chercheur Haän. Kiku hochait sa lourde tête en signe d’acquiescement. Le Troodon devait s’occuper du Velociraptor. Cela l’agréait. Quant à Hillerman et Tellier, ils assureraient les arrières.

Sur le papier, le plan était parfait, mais dans la réalité…

Quelque peu naïve, Irina ne pouvait imaginer que Sir Charles avait décidé de s’emparer d’elle d’une manière cavalière, digne des romans populaires en vogue à l’époque. Louise de Frontignac se montrait plus méfiante mais croyait fermement que l’identité de la grande duchesse n’avait pas encore été percée à jour.

- Votre Altesse! Quelle charmante attention, vraiment de votre part! faisait Sir Charles, cauteleux.

- Je crois que votre nièce Daisy, une si gentille enfant, sera satisfaite de ce présent…

- Assurément! Daisy, remercie donc son Excellence, la grande duchesse…

Timidement, la fillette s’avança puis fit une révérence quasi parfaite.

- Merci du fond du cœur, madame, pour ce cadeau! C’est la maison que je voulais…

- Tout fonctionne, Daisy, le chauffage, les lampes, les cuisinières, la salle de bains, la baignoire avec ses robinets, et… les personnages bougent! Ils ont même des vêtements de rechange.

- Oh! Des lapins, des écureuils, des tortues, des souris, habillés et animés! Avec des trousseaux complets!

Sir Charles sonna un domestique. Raoul apparut.

- Raoul, portez donc ce jouet dans la nursery! Daisy, suivez-le…

- Oui, monsieur, répondit le valet de pied en s’inclinant;

Dans l’escalier, l’enfant babillait.

- Comment tu as fait, dis? Cette maison est la plus belle que j’ai vue! La duchesse est une magicienne, non?

- Oh non, Daisy, c’est son mari!

- Ah! Tu joues avec moi?

- Je regrette, mais j’ai mon service…

- Tu joues avec moi, c’est un ordre!

Raoul d’Arminville fut forcé d’obéir au caprice de Daisy. Là, une petite explication s’impose… Sir Charles avait flairé depuis longtemps que le jeune Français était là sous les ordres de son vieil adversaire, l’Artiste. Il en avait eu l’assurance grâce au chrono vision de Zoël Amsq et le piège avait été tendu… Pour une fois, le mathématicien n’avait pas usé de la force brutale, mais de la ruse… Raoul avait été instrumentalisé à son insu! Et Daisy avait joué son rôle à la perfection!

Pendant ce temps, très gentleman, Merritt offrait le thé à ses deux visiteuses.

- Du lapsang souchong ! Remarqua Irina.

- peut-être, auriez-vous préféré de l’Earl Grey votre Altesse?

- Non, cela me convient fort bien. Je suis habituée à cette saveur depuis quelques années déjà.

Après avoir servi ces dames, Merritt fit de même pour lui, versant le liquide ambré dans sa tasse, liquide provenant de la même théière. La conversation qui suivit tourna autour d’une opérette qui était jouée avec succès depuis de longs mois. Mais, peu à peu, une langueur sournoise s’empara d’Irina et de Louise. Cette dernière se rendit compte trop tard qu’elle avait été droguée et qu’elle sombrait dans l’inconscience. Lorsqu’elle s’effondra dans le canapé, Irina dormait déjà! Sir Charles n’avait pas été affecté par le somnifère. Une heure auparavant, il avait pris soin d’avaler un antidote.

Gardant toujours son sang-froid, le mathématicien honoraire actionna une sonnette spéciale, dévolue à son personnel occulte. Aussitôt, deux de ses sbires surgirent d’une porte dérobée et s’emparèrent d’Irina et de Louise. Merritt avait tout prévu. Il passa à l’application de la mise en scène du pseudo retour de ses visiteuses. Enfin, par téléphone, il prévint Amsq de la bonne exécution de l’enlèvement du capitaine Maïakovska et de la comtesse de Frontignac.

- Désormais, nous détenons deux otages précieux. A nous, très cher, d’en faire bon usage! Aucun soupçon de la part de votre domesticité régulière?

- Non, tout se déroule à merveille, répondit le Britannique. Deux complices, enveloppées dans les manteaux de ces dames regagnent la demeure de Lord Sanders. Elles seront bientôt arrivées.

- Parfait. Maintenant, il nous faut attendre la réaction de ce Daniel Wu!

Dans la nursery, Raoul ignorait évidemment tout des derniers événements. D’un œil distrait, il avait aperçu la voiture de la Grande Duchesse faire demi-tour dans la cour; pour lui, les deux invitées étaient reparties tout simplement.

***************

Près de trente minutes plus tard, Irina et Louise reprirent péniblement conscience, désorientées, nauséeuses, la tête lourde, douloureuse. Les deux femmes étaient retenues prisonnières dans un sinistre cachot où l’humidité suintait des murs en laissant des traces vertes. Une forte odeur de moisi vous saisissait la gorge. Frissonnante dans sa robe noire, Louise gémit à haute voix tout en se morigénant sévèrement.

- Que la tête me fait mal! Je ne parviens pas à stabiliser ma vision. Quelle sotte je fais! J’aurais dû insister sur le fait que Merritt était capable de tout! Mais j’ai trop eu confiance en son vernis mondain! Lourde erreur! Sir Charles n’est définitivement pas un gentleman!

- Ne vous lamentez pas, Louise! Nous sommes tous fautifs! L’affaire est grave, c’est certain. Mais réfléchissons. Sir Charles est donc passé à l’attaque le premier. Cela signifie d’abord, qu’il nous a démasquées, deuxièmement que son allié Amsq craint une action prochaine de Daniel. Enfin, le temps presse pour notre Haän! Une fois mon mari au fait de notre disparition, je puis vous dire que ça va tanguer!

- Pourquoi?

- Daniel vous a donné une fausse image de lui. Vous l’avez cru calme, pondéré, méticuleux…

- Exactement!

- En réalité, derrière cette apparence, le feu couve! Il peut être des milliers de fois plus dangereux que tous les Merritt de la Terre!

- Je pensais plutôt que c’était André Fermat l’ennemi le plus résolu d’Amsq et ses amis! Ah! Et Antor également!

- Pour parler vulgairement, ma chère, Amsq et consorts vont devoir numéroter leurs abattis! Dans une autre chrono. Ligne, ces trois là ainsi que mon amie Lorenza ont réussi à effacer toute une piste temporelle et de surcroît, à semer la mort partout sur leur chemin. Leur bilan s’est soldé par des milliers de cadavres!

- Seigneur! N’exagérez-vous pas?

- Oh que non! Pour reconstituer leur Monde, et, incidemment, me permettre d’exister à nouveau, Daniel, André et Antor s’étaient transformés en exécuteurs des bonnes œuvres! Ici, je les pense capables d’agir de même. Pour l’instant, tâchons de savoir où nous sommes enfermées. Croyez-vous que nous ayons perdu connaissance longtemps?

En fonction de la durée de notre léthargie, nous pourrions ainsi déduire si nous avons été transportées loin hors de la demeure de Sir Charles.

- J’ai bien ma montre pendentif, mais il y a si peu de lumière ici!

- Montrez.

Lentement, la comtesse de Frontignac ôta sa minuscule montre bijou et la tendit à son amie. Irina fit alors passer un fin faisceau lumineux sur le cadran.

- D’où provient donc ce rai de lumière? S’étonna Louise.

- De ma lampe de poche de secours. Voyez, cette bague anodine n’est pas qu’une fausse émeraude! Si le renseignement vous intéresse, sachez que nous avons dormi un peu plus de trente minutes.

- Et cela signifie?

- Peut-être sommes-nous enfermées dans les caves de Merritt! Dans tous les cas, j’active mon transpondeur! Ainsi, nous serons localisées plus facilement… à moins qu’Amsq ait mis en place un brouillage!

- Toutes ces paroles sont pour moi fort absconses.

- Ah! J’aurais dû également me munir d’une arme… un petit paralysant, par exemple… Enfin! Examinons plutôt les murs. Nous aurons peut-être la chance de découvrir une issue ignorée de tous!

- Mais Merritt aura pris ses précautions, très chère!

Minutieusement, à l’aide de sa bague lampe, Irina explora l’appareillage des murs qui l’entouraient. Soudain, la jeune femme se figea lorsqu’elle perçut nettement un étrange grattement répétitif. Le bruit provenait du sol en terre battue. Le grattement inquiétant se rapprochait. Plus pâle qu’à l’accoutumée, Louise s’était redressée et se tenait près de sa compagne, serrant machinalement sa montre.

Au bout de trois ou quatre minutes, des mottes de terre jaillirent du sol tandis qu’un bras décharné et grisâtre, terminé par une main à huit doigts crochus émergeait de l’étroit boyau ainsi creusé.

- Quel prodige est-ce là? De quel cirque vient cette malheureuse créature? S’écria Louise.

Un être squelettique, repoussant, au faciès déformé, finit de sortir du tunnel. Il était si hideux qu’instinctivement, la comtesse recula.

- Comment un tel monstre peut-il exister? Poursuivit Brelan d’As, la voix tremblante. Je croyais avoir tout vu!

- Ne vous inquiétez pas, Louise, je vous assure que notre nouveau compagnon est inoffensif!

- En êtes-vous si certaine?

- Je pense reconnaître l’espèce à laquelle il appartient.

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Il s’agissait d’un géophage de surplus atteint de polydactylie, au crâne hypertrophié, aveugle de naissance et si décharné, qu’il ne mangeait pas à sa faim depuis de nombreuses semaines déjà! Sa mâchoire présentait des dents proéminentes, mal plantées, en forme de pelles. C’était comme si la race des primates taupes du musée imaginaire de Johann van der Zelden, l’Ennemi, avait pris vie dans cet Univers-ci! La créature, détectant la chaleur émise par les corps des deux femmes, s’avança encore, maladroitement.

-Louise, cessez de trembler! Je vous le répète: nous ne craignons absolument rien! Notre hôte impromptu se nourrit exclusivement de terre. Et, si je ne me trompe, il s’agit même d’un enfant!

- Un enfant de près de six pieds!

Dans le cachot voisin, un autre prisonnier, un freak eut une violente explosion de rage. Il avait senti les nouvelles présences. Il se rua sur les grilles et hurla tout son saoul, tentant d’arracher les barreaux d’acier; peine perdue! Puis, épuisé, le singe momie, sorte de gorille enveloppé dans des bandelettes répugnantes, se calma et sombra dans une somnolence réparatrice.

Quant au géophage, il recherchait une présence amicale, voire maternelle. Il souffrait profondément de solitude. Cela faisait six jours qu’il creusait la terre. Or, certains de ses congénères pouvaient s’enterrer plusieurs mois et vivre au ralenti. Mais l’être n’avait pas plus de quatre ans et sa mère lui manquait cruellement.

Irina, qui avait côtoyé de semblables créatures sur des exo planètes s’abaissa près de l’enfant allongé, et, sans répugnance aucune, se mit à le câliner tout en lui chantant une vielle berceuse russe.

- Comment faites-vous? Je vous admire! Souffla Louise qui retrouvait peu à peu son calme.

- Lorsque vous aurez voyagé autant que moi, rencontré des êtres très différents des humains, cela vous paraîtra des plus naturels!

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