samedi 18 août 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre XV 1ere partie.


Chapitre 15

Dans la cité de l’Agartha, ce n’était pas encore la routine quotidienne. L’expédition entreprise pour contrer Galeazzo di Fabbrini et Johann Van der Zelden était de retour. Elle se soldait par un demi-échec. Certes, le comte italien était mort mais, tel le phénix, avait reparu en amont de la chronoligne, en 1782, en France, à Paris et à Versailles.
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 Quant à l’Ennemi, impossible de savoir ce qu’il était devenu. Irina Maïakovska était partie à la poursuite de l’Ultramontain non sans avoir au préalable blessé Daniel Lin et semé le chaos parmi les alliés du commandant Wu.
Tout était à recommencer ou presque.
Or, un nouvel adversaire s’était démasqué, Sun Wu père, assassin stipendié de l’Empereur Fu Qin.
Dans la cité souterraine, il y avait désormais deux nouveaux hôtes plus ou moins volontaires: le K’Tou Uruhu et le commandant britannique du Cornwallis, Benjamin Sitruk. Celui-ci vivait une véritable tempête morale. Ligoté, bâillonné, humilié, assoiffé, affamé, ressassant son geste fou contre Daniel lin, il était mûr pour faire acte de repentance.
Dans une pièce adjacente, l’espion patenté observait le prisonnier, disséquant chacune de ses expressions, lisant dans ses pensées tumultueuses et les interprétant avec une indifférence telle qu’en cet instant André Fermat laissait deviner qu’il n’était pas un simple humain, qu’il n’en avait que la vêture.
Quelqu’un vint troubler cette étude anthropologique: Daniel Lin, toujours d’une pâleur extrême, exténué mais sorti de sa transe régénératrice. Le daryl androïde avait désobéi à Denis qui lui avait recommandé le repos absolu et échappé à la tendre vigilance de sa compagne. Le Prodige de la Galaxie voulait donner une seconde chance à Benjamin Sitruk, retrouver en lui l’ami fidèle, le commensal indéfectible.
- André, commença Daniel Lin, ne croyez-vous pas que cet homme a assez souffert? Ne percevez-vous donc ni son chagrin sincère ni ses remords?
- Commandant Wu, vous n’avez pas à être ici! Se fâcha l’interpellé. Vous ressemblez à un spectre. Allez vous reposer.
- Oh! Mon corps me le rappelle sans cesse. Actuellement, je suis incapable de soulever ce bloc-notes ordinaire.
- Et pourtant, vous voici debout.
-Pour le défendre, pour protéger ses intérêts. Gwenaëlle a bien tenté de me dissuader de venir, mais ma volonté a été bien plus obstinée que la sienne.
- Prenez cette chaise, moi je n’en ai pas besoin.
- Volontiers.
Le convalescent s’assit et, à son tour, porta son attention sur Benjamin.
- André, il est à bout. Il baigne présentement dans le désespoir le plus destructeur.
- Malgré votre faiblesse vous percevez ses émotions, s’étonna Gana-El.
- Nettement, avec une clarté qui m’effraie. On peut dire que je partage tout ce qui le concerne, tout ce qu’il ressent et vit. Une osmose, une communion auxquelles je ne puis et ne veux me libérer.
- Est-ce pour cela que vous tremblez Daniel Lin?
- En partie seulement. La fièvre me ronge et mine mes forces.
- imprudent, vous êtes sorti trop tôt de la régénération.
- Je devais venir, André, mettre fin à cette épreuve. Elle n’a que trop duré. N’éprouvez-vous réellement aucune compassion pour Benjamin?
- Daniel Lin, le pardon est hors de ma portée, je n’y peux rien.
- Et pourtant, vous avez beau nier éprouver des émotions, je sens en vous de la colère, une envie pressante de vengeance que vous tentez de maîtriser, mais aussi de la peine. Non pour cet humain mais pour moi. Pourquoi André? Pourquoi? Répondez-moi, je vous en prie. Actuellement, ma vie n’est pas en danger. Est-ce parce que Galeazzo recommence ailleurs ses machinations et qu’une nouvelle fois je devrai m’exposer? Ou parce que face à Irina je ne pourrais me montrer à la hauteur? Parce que l’Ennemi s’est évaporé inexplicablement, qu’il reste insaisissable et qu’il finira par m’abattre? Parce que ma mort vous apparaît inéluctable?
- Daniel Lin, nous savions tous deux qu’une deuxième manche aurait lieu.
- Ah! Soyez plus précis, Homo Spiritus…
- Mon…enfant, votre force est aussi votre faiblesse. Ce n’est pas de Van der Zelden que vous devez vous garder, croyez-moi. Irina a été à deux doigts de vous tuer. Or, elle n’aura de cesse de recommencer. Elle n’est plus elle-même. Et vous n’aurez pas le courage de riposter. Voilà ce que je crains, ce que j’entrevois. Il vous reste tant de chemin à parcourir avant de… vous n’avez pas achevé votre travail et votre retour sur vous-même.
- Avant de quoi? Releva Daniel Lin.
- Euh… avant de préserver véritablement ces petites créatures, ces humains méprisables et méprisants, ces animalcules vils mais si admirables.
- Qu’essayez-vous de me dire, de me faire comprendre Homo Spiritus?
- Vous devez le découvrir par vous-même.
- Michaël ne me parlerait pas ainsi. Lui est capable de comprendre les petites vies, toutes les formes de vie… lui veut aussi les préserver… je le sais, du moins, je le pressens…
- Vous sous-entendez que je ne lui ressemble guère.
- Tout à fait. Vous faites un drôle d’agent temporel… mais tandis que nous discutons ainsi du sexe des anges, en personnes trop civilisées sans doute, Benjamin n’en continue pas moins à souffrir. Alors, amiral, pardonnez-moi de vous commander, mais vous devez ouvrir le sas. Ensuite, partez, je m’occuperai de Sitruk.
- Daniel Lin, l’épuisement vous fait-il perdre toute raison? Je ne puis accéder à votre téméraire demande! Bon sang! Regardez-vous! Vous ne pouvez tenir debout. Un enfant de cinq ans vous enverrait à terre. Et vous voulez que je vous laisse seul avec ce forcené? Cet assassin en puissance? Ah! Non! Il n’en est pas question.
- Faites ce que je vous dis, André. Ayez confiance en cet humain, accordez-lui un peu de crédit.
- J’ai changé le chiffre et je vous défie de lire le nouveau dans mon esprit.
- Tiens donc! Je m’y attendais figurez-vous. Puisqu’il le faut…
Résolu, le commandant Wu se leva et fracassa le moniteur qui commandait la fermeture du sas. Cet effort le fit pâlir davantage encore si possible. Fermat avait voulu s’opposer à ce geste inconsidéré à ses yeux, mais, inexplicablement, il resta impassible. En fait, il était immobilisé comme cloué au mur attenant à la prison, incapable de parler, presque de respirer.
Mais le plus épuisant était encore à venir pour le Surgeon. Le daryl androïde, après cet exploit, parvint à écarter la porte blindée en acier et titane. Puis, il pénétra les jambes flageolantes dans la cellule improvisée.
- Daniel Lin, dit enfin Gana-El, puisant dans ses forces de Ying Lung, décidément, vous n’êtes pas raisonnable! Vous êtes en train de vous vider de toute votre énergie. Vous mettez votre vie en péril. Et je n’ose user de mon pouvoir pour vous faire renoncer.
- Ah! Pas possible mon… père! Enfin, on en vient à faire preuve de sincérité. Votre pouvoir d’Homo Spiritus ou de Dragon?
- Vous vous souvenez… je pensais…
- Avoir occulté définitivement ma mémoire? Eh non! Olmarii l’a débloquée. Il l’a bien fallu pour que je puisse vous chercher dans l’Infra-Sombre!
- Vous avez également compris ce que j’étais pour vous…
- Je ne suis ni aveugle ni sot, Gana-El, puisque c’est là votre véritable nom. Jamais vous n’êtes apparu aux côtés de Tchang et vice-versa dans les chronolignes 1721 et 1722. En fait, vous aviez deux identités. Grâce à la transdimensionnalité qui fait partie de votre nature véritable, il vous était facile de vous trouver à deux endroits à la fois, simultanément. Mais pas de vous rencontrer vous-même sous la pelure de Tchang Wu. Et, sous les Napoléonides, Firmin Antoine Napoléon était trop occupé pour être souvent à la maison.
- Sous les Napoléonides, votre mère, Catherine, a été, un court moment, ma maîtresse. Je n’avais pas le choix, voyez-vous. Je devais vous engendrer, et ce, d’une façon classique. Mon fils, vous n’êtes pas un enfant légitime.   
- Bien Gana-El. Puisque nous ouvrons nos tiroirs secrets et que nous ne craignons plus les squelettes enfermés dans nos placards, poursuivons. Vous êtes un Ying Lung, mais en est-il de même pour moi?
- Euh…
- Allons, mon père, pas d’hésitation. Il est temps de crever l’abcès.
- En fait, oui, mais il vous faudra encore redécouvrir vos talents, plus qu’exceptionnels, y compris pour un être de ma race, avant d’accomplir ce pourquoi vous existez.
- Et cette enveloppe de chair?
- Vous pourrez bientôt la transcender et vous en passer.
- C’est-à-dire?
- Hé bien, vous reprendrez votre véritable aspect. Je dois cependant vous le laisser découvrir par vous-même. C’est mieux ainsi. Lorsque vous serez prêt…
- Quand?
- Vous le saurez. Pour l’instant, je vous assure que ce n’est pas le cas. Maintenant, Daniel Lin, libérez-moi. Votre volonté me maintient dans cet immobilisme odieux. Ah! Et cela est une preuve que vous avez déjà parcouru une bonne partie du chemin qui mène à l’état sublimé de Dragon.
- Serais-je donc plus puissant que vous, que tous mes semblables?
- Quel effet cela vous fait-il? Que ressentez-vous?
- Je n’éprouve ni orgueil ni satisfaction mon père, seulement une grande lassitude. Bon, je relâche ma pression. Me jurez-vous que vous ne nuirez plus à Benjamin? Questionna Dan El sur le mode mental.
- Oui, Surgeon.
- Surgeon? Un terme affectif sans doute! Souffla le daryl androïde sarcastique tout en défaisant le bâillon du prisonnier.
- Tout à fait.
- Je n’aime pas ce terme. Il signifie que je suis le dernier de mon espèce. Que je porte tous les espoirs des miens.
- Il y a du vrai dans votre analyse. Mais je vous expliquerai plus tard.
- Oui, allez chercher O’Rourke. Sitruk a besoin de ses soins. Il souffre présentement de faim et de déshydratation. De plus, il a froid et il faut s’occuper au plus vite de ses engelures. Je ne voudrais pas qu’il fût amputé.
- Bon diagnostic, Daniel Lin.
- Merci, mon père!
Soulagé de ne plus sentir la puissante pression exercée par Dan El, le visage sévère, André s’en fut à la recherche de Denis. Toutefois, il était réellement inquiet pour la santé du Prodige de la Galaxie.
«  Il est loin d’avoir recouvré l’intégralité de ses dons et facultés », pensa l’Observateur en s’éloignant.
«  Hâtez-vous au lieu de vous apitoyer sur moi! » jeta Dan El sur le mode télépathique.
Fermat ne s’offusqua point de cette colère impudente. Il captait parfaitement et la détresse et la lassitude de son rejeton. S’il répliquait une fois de trop, ce dernier s’effondrerait.
«  Ah, au fait, mon père, reprit le plus jeune, plus tard, vous n’oublierez pas non plus de m’expliquer pourquoi vous avez tout fait pour m’engendrer dans la totalité des chronolignes où les Sapiens modernes existent. Y compris à vous perdre dans l’acte d’amour  alors que l’accouplement physique vous dégoûte habituellement! »
«  N’est-ce pas évident, Daniel Lin? »
«  Encore une circonvolution, une hésitation ».
André ignora la dernière réplique du rebelle et s’empressa de disparaître de la vue de celui-ci. Comprenant que l’heure n’était point venue de la révélation finale, le commandant Wu se contenta de hausser les épaules tout en défaisant les liens de Sitruk. Ensuite, il se mit à lui masser vigoureusement les poignets et les chevilles.
- Aïe! Ne put s’empêcher de crier Benjamin. Vous me faites mal et les paumes de vos mains sont brûlantes.
- Pardon, Benjamin. Il n’en va pas de ma faute. Mais je dois rétablir votre circulation sanguine au plus vite.
Ce traitement administré sans ménagement dura deux longues minutes.
- Voilà, fit enfin Daniel Lin. Je pense que cela doit suffire. Maintenant, essayez de vous redresser et de vous mettre debout.
- Aidez-moi, gémit Sitruk. J’ai le corps et les membres douloureux.
- Oh! Vous êtes sacrément lourd, Sitruk. J’avais presque oublié ce détail.
- Commandant Grimaud, je tiens à vous dire que je regrette sincèrement mon geste stupide de l’autre jour. Je suis extrêmement soulagé de ne pas vous avoir tué.
- Et moi donc! Cependant, il s’en est fallu d’un cheveu.
- Que va-t-il m’arriver maintenant? Vais-je être jugé et condamné? À mort, peut-être… voyez-vous, je suis prêt à payer. Après tout, je sers dans le camp opposé. Je suis un ennemi…
- Diantre, Benjamin, ne vous obstinez donc pas dans la stupidité!
- Vous n’entreprendrez rien contre moi? Vous n’exercerez pas de représailles?
- Bigre! Pourquoi ferais-je une chose pareille? Ce n’est pas productif, mon ami.
- Ainsi, vous me pardonnez. Je n’arrive pas à vous comprendre.
- Je saisis votre étonnement. Dans la chronoligne d’où vous êtes originaire, vous n’êtes pas habitué à une telle mansuétude. Il y a longtemps, vous savez, que je ne comptabilise plus les dettes. Tenez, un proverbe de mon grand-père Li Wu me revient fort à propos. «  Tends la main à l’officier japonais qui a massacré ta femme et tes enfants car il regrette son geste, pardonne… mais n’oublie jamais ». Admirable n’est-ce pas? Benjamin Sitruk, la haine et la vengeance n’ont jamais rien résolu, bien au contraire. Toujours, la violence a freiné voire entravé les progrès de l’humanité. Il n’est pas question que je tombe dans ce travers. Croyez en ma sincérité et retenez la leçon.
- Votre main…que je la serre, Daniel Grimaud. Je souhaite devenir votre ami.
- Daniel Lin Wu Grimaud, j’y tiens. Quant à votre amitié, je l’ai déjà…
Alors, le commandant Sitruk saisit la main du daryl androïde, toujours aussi bouillante. Ainsi, il l’empêcha de tomber.
- Vous vacillez, fit Benjamin doucement, votre blessure… Vous n’êtes pas remis…
- C’est la fièvre seulement. Ma blessure est cicatrisée.
- Il en va de ma faute.
- Non. Je me suis montré encore trop désinvolte. Le remède d’O’Rourke, cet affreux Tri CPB 18. J’ai toujours réagi ains à ses médications. Sortons vite de ce caveau.
- Euh… je veux bien, mais je suis tout nu. La décence…
- Passez donc mon gilet.
- Pourquoi riez-vous Daniel Lin?
- Benjamin connaissez-vous la parabole de l’Aveugle guidé par le Paralytique qu’il porte?
- Je suis juif.
- Qu’importe! J’ai été élevé en respectant toutes les croyances. Cependant, dans la vie quotidienne, je suis bouddhiste. Je vous apprendrai à élargir votre horizon spirituel, à faire preuve de tolérance.
- Certes, tout ce que vous voudrez, Daniel Lin, mais… ne tombez pas…
- Je m’y emploie avec les maigres forces qu’il me reste. Denis arrive. Dans vingt-deux secondes. Il vous réhydratera tout d’abord.
- Et vous soignera!
- Surtout pas! Il va m’achever.
Le daryl androïde rit de plus belle. Sitruk l’imita, son rire étant communicatif. Or, ce fut juste à cet instant que le jeune médecin se pointa dans le corridor dans lequel se trouvait le sas, sa porte largement éventrée.
- Par Saint Géraud et Saint Colomban! Ces deux-là ont l’air de s’amuser là-dedans. S’exclama Denis. Je n’y comprends plus rien. Tantôt l’un aurait volontiers étripé l’autre. Bah!
Atteint par le fou-rire de Daniel Lin, O’Rourke se mit à l’unisson. Il rit si fort qu’il toussa.

****************

 Dans la cité de Shangri-La, l’atmosphère s’était quelque peu détendue. Uruhu, immédiatement bien accueilli, avait établi des liens d’amitié très forts avec Symphorien Nestorius Craddock. Denis O’Rourke, quant à lui, fasciné, désirait étudier de près le rescapé de la préhistoire. De bonne grâce, le Néandertalien avait accepté de se prêter au bon vouloir du médecin qui put ainsi l’examiner à loisir et l’interroger sur son vécu dans son passé lointain. Au contact du K’Tou, le jeune homme dut abandonner tous ses préjugés. 
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Mais Uruhu intéressait également Tellier, Brelan et Pieds Légers. Le trio n’en revenait pas. Un homme primitif, bien vivant, qui parlait et s’exprimait comme tout le monde, qui raisonnait, était capable d’aider dans les tâches d’ingénierie les plus ingrates et qui ne rechignait pas non plus à donner un coup de main dans les travaux réclamant de la force et des muscles. Méfiante dans un premier temps, Gwenaëlle avait fini par s’apprivoiser. Le K’Tou savait qu’elle était la compagne du Révélateur. Naïvement, il lui avait demandé si Daniel Lin avait oublié Irina.
- Hélas non, avait soupiré la Celte. 
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Finalement, ces deux-là s’entendaient à merveille et passaient de longues heures à apprendre à mieux se connaître, à s’apprécier et à discuter de leur passé respectif.
L’adaptation de Benjamin s’avéra plus difficile. L’officier britannique devait d’abord faire oublier son geste malencontreux dirigé contre le commandant Wu. Pour consolider la paix établie à la sortie du sas-cellule, le daryl androïde avait invité Sitruk dans ses quartiers privés. Avec Gwenaëlle, tous trois partageraient un repas tout simple, composé d’une soupe au cresson, de patates douces et de groseilles. À l’annonce de cette nouvelle, la future mère avait eu une moue de désapprobation mais s’était résignée. Elle n’était pas celle qui décidait dans le ménage et acceptait tout ce qui venait de son maître, Daniel Lin.
Ainsi, en ce début de soirée, Sitruk patientait dans ce qui tenait lieu d’antichambre, piétinant sur place, essayant d’oublier sa nervosité. Il ne savait pas quelle attitude il devait prendre face au commandant Wu. Pourquoi ce dernier tardait-il tant? S’était-il ravisé? Se morigénant de ses craintes stupides, Benjamin inspira et expira lentement afin de se calmer.
Enfin, une jeune femme inconnue sortit de la pièce principale. Elle était d’une beauté sauvage renversante; mesurant du regard le géant roux, son hôte, elle s’avança. Scruté, presque mis à nu par l’intensité des yeux verts, Benjamin ne put s’empêcher de rougir puis se présenta en bégayant.
- Oh! Mais je sais très bien qui tu es, rétorqua la Celte familièrement de sa voix chaude et vibrante.
- Pardon, madame, mais pourquoi me tutoyez-vous? Nous ne nous sommes jamais encore rencontrés auparavant et j’ignore votre nom…
- Gwenaëlle, de la tribu de Gashaka. 
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- Ah? Bien.
Benjamin n’était pas plus éclairé. En son for intérieur, les pensées se bousculaient.
«  Dieu qu’elle est belle! Ses yeux verts sont des gemmes pailletées d’or. Et ses cheveux, une cascade éblouissante qui doit être douce à caresser. Si je ne pensais pas encore à Irina, si je n’avais pas l’espoir de la retrouver… mais elle est enceinte et c’est la compagne du commandant Wu. Ce n’est pas le moment d’écouter ses hormones ».
Un silence gêné s’installa qui menaçait de durer longtemps. Gwenaëlle n’invitait pas le Britannique à entrer dans la pièce principale et à s’asseoir. Toutefois, après quelques instants, la Celte reprit:
- Daniel Lin met de l’ordre. Il est allé chercher des couverts et des carafes. Moi, je n’en voyais pas l’utilité. Je suis habituée à manger avec les doigts. Mais mon maître essaie de corriger ce qu’il prend pour un défaut.
- Je ne peux pas entrer? Hasarda Sitruk.
- Oh oui, bien sûr! Pardon, mais Daniel Lin reçoit rarement. Il a toujours tant à faire!
Sans façon, Gwenaëlle pénétra alors dans la grande pièce. Le Britannique la suivit, remarquant les rares meubles, un lit dans un recoin, bordé au carré, une table basse, quelques poufs, une sculpture en verre, de style abstrait, un piano débordant de partitions, une armoire métallique, fermée en partie, laissant deviner des dossiers mais également des vêtements dépareillés, certains datant d’un passé lointain, d’autres plus contemporains.
- Asseyez-vous, fit la Celte en tentant de respecter les règles de la politesse. J’ignorais que je ne pouvais pas tutoyer toutes les connaissances de Daniel Lin.
Tant bien que mal, Benjamin allait pour s’installer sur un pouf, mais, voyant la jeune femme peiner à l’imiter, en galant homme, il l’aida à s’asseoir.
- Ouf! Merci! L’enfançon Bart devient pesant. Denis me dit de faire de l’exercice. Il a aménagé une piscine. J’y nage une heure par jour mais l’eau est froide…
- Denis O’Rourke, le médecin?
- Oui, évidemment! Il n’y a qu’un seul Denis dans la cité! Daniel Lin a été absent plus d’un mois, vous savez. J’ai craint pour sa vie. Il si généreux, si compatissant. Il a toujours le pardon à la bouche. Et vous lui avez fait du mal!
- Madame, croyez bien que je le regrette…
- Gwenaëlle…
- Je réitère mes regrets, Gwenaëlle.
- Mon compagnon m’a expliqué pourquoi vous aviez réagi ainsi. Il m’a demandé de vous pardonner à mon tour. Nous nous sommes disputés à ce sujet. Or, je n’aime pas cela. Comme j’insistais, il m’a fermé la bouche par un baiser. Ensuite, tandis qu’il entrait en moi, j’ai vu toute la scène avec ses yeux. Mais aussi votre réconciliation. Avant, ça avait été Irina… la maudite, avec son arme à feu. Daniel Lin ne la menaçait pourtant pas! Mais elle a brandi la foudre! J’ai ressenti l’atroce brûlure. Là!
Gwenaëlle montra son épaule.
- Deux fois, reprit la jeune femme. J’ai hurlé à pleins poumons tant la douleur était cuisante. Rien que d’y penser, j’ai encore mal. Et, dans mon ventre, Bart, aussi, a remué. Il m’a donné de violents coups de pieds.
À ce récit tout simple, les larmes vinrent aux yeux de Benjamin. Jamais il n’avait éprouvé une émotion aussi intense, y compris lorsque ses jumeaux étaient nés.
- Gwenaëlle, balbutia le commandant Sitruk gêné, je ferai tout pour me racheter, je vous le promets.
- Benjamin, du Cornwallis, lui répondit la Celte, vous n’êtes pas un homme cruel par nature. Je le lis dans votre cœur.
Alors, timidement, la jeune femme tendit sa main droite en direction du géant roux qui s’empressa de la prendre et d’y déposer un baiser.
- Je ne comprends pas… est-ce de l’affection?
- Non, un geste de politesse, d’admiration et d’hommage.
Sans qu’il s’en rendît compte, Benjamin conserva la main de Gwen dans les siennes.
- Vous devez maintenant vous faire pardonner de Violetta.
- Violetta Grimaud? Je crains que cele soit plus délicat.
- La fille du premier lit de Daniel Lin est assez rancunière, oui, mais…
- Commandant Sitruk, fit la voix enjouée du daryl qui entrait dans la pièce, seriez-vous en train de courtiser ma compagne?
Comme poussé par un ressort, Benjamin se leva précipitamment. Son teint s’empourpra jusqu’à prendre la couleur de la pivoine.
- Pas du tout, je vous l’assure, commandant Wu, crut-il bon de répliquer.
- Encore? Appelez-moi Daniel Lin, tout simplement.
Le Révélateur qui avait repris quelques couleurs déposa sa charge sur la table basse puis embrassa tendrement sa jeune compagne. Visiblement, il en était très amoureux.
- Oh! Je constate que tes jambes sont encore enflées. Je me sens fautif. Deux heures de massage et de piscine ce soir, ma douce.
- Oui, Daniel Lin, tout ce que tu voudras, murmura docilement la Celte.
- Je viendrai avec toi. Je vous invite à nous imiter tantôt, Benjamin. Je vous l’avoue, Denis ne s’est pas mal débrouillé durant mon absence. Il faut dire aussi que de nouvelles recrues fort appréciables sont venues renforcer la communauté: Chtuh, Albriss l’Hellados, Manoël, Celsia, Lancet…
- Manoël du Cornwallis?
- Effectivement, Sitruk, il s’agit bien de la même personne. Elle avait demandé et obtenu un congé personnel l’an passé, enfin en 2516, à cause de sa maternité. Elle est arrivée en même temps que les lycanthropoïdes malgré les risques, avec True, son adorable petite fille. J’aime tant les bébés! Je voudrais qu’il y en ait une floppée dans la Cité. Mais je fais preuve d’immaturité en souhaitant cela. Les conditions d’existence sont encore loin d’être idéales ici.
- Oh! Daniel Lin, vous êtes en train de shanghaïer tout mon équipage! À ce train-là l’Alliance Anglo-sino-russe ne va pas tarder à perdre la guerre.
- Elle cessera plutôt faute de combattants, Benjamin et ce n’est pas pour me déplaire. Assez palabré, dînons. J’espère que vous appréciez les légumes et les fruits.
- Cela ira très bien.
- Je suis végétarien; manger de la viande me répugne. De temps à autre, Gwen se rend à mon avis, mais je n’exige pas d’elle qu’elle change définitivement de régime alimentaire à cause du bébé. Ceci dit, ma compagne a la main verte. Le cresson est frais cueilli, il provient des serres hydroponiques. Les groseilles également. Quant aux patates douces, nous les devons à la tribu de Tenzin Musuweni. Si les plants supportent leur nouveau terreau, nous aurons notre propre récolte d’ici trois années.
- Tenzin Musuweni? Quel étrange nom!
- Je vais vous expliquer. Mais servez-vous donc Benjamin, aucune gêne entre nous.
Le dîner eut l’effet escompté par Daniel Lin.
Le jour suivant, le commandant Sitruk fut présenté à tous les résidents de l’Agartha. Pris en mains par Albriss, il fit tout son possible pour se faire accepter par la communauté qui grossissait chaque jour davantage. Toutefois, il évita d’instinct le vice amiral Fermat. Comme celui-ci ne tenait pas à le croiser, tout se passa pour le mieux.

***************


Mai 1825.
Dans la rue Saint-Honoré, là où était situé le vieil Opéra dans lequel La Dame Blanche devait être donnée, la presse était immense. Les carrosses, les cabgaz, les fiacres, les charrettes et les vraquiers encombraient la chaussée. Sur les trottoirs étroits, une foule bigarrée accueillait l’arrivée des véhicules des hauts personnages et dignitaires du régime avec des applaudissements nourris et des cris d’encouragement. Manifestation sincère de sympathie ou soutien tarifé? 
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Des bouquetières endimanchées offraient leurs modestes fleurs aux passants tandis que des voleurs à la tire se méfiaient à juste titre des mouches de la police secrète de Vidocq. Justement, ledit policier, un homme d’âge mûr, aux cheveux manifestement teints, s’entretenait à voix basse avec un individu vêtu d’un habit clair, coiffé d’un haut-de-forme gris, le visage dissimulé par un masque qui laissait parfois apparaître une moustache triomphante.
- Dans dix minutes, tout sera réglé, assura fermement l’inconnu en anglais où, toutefois, perçait un soupçon d’accent russe.
- J’enverrai la police enquêter sur les traces des royalistes, les boucs émissaires habituels, répondit le chef de la Sûreté. L’assassinat d’Artois arrange notre affaire. Ce sera facile de faire porter le chapeau à Berry. Le motif est tout trouvé: la vengeance.
- Monsieur le baron, vous me garantissez l’entière impunité?
- Bien entendu, prince Danikine. Son Excellence, le comte di Fabbrini pourra revenir sur le devant de la scène et moi, devenir enfin Ministre de l’Intérieur de Sa Majesté. J’ai de grands projets. Je donnerai enfin toute ma mesure. Mais où se trouve Fieschi?
- Dans le vraquier, à trois mètres en face de l’Opéra. La bâche dissimule la machine infernale.
- Bien. J’aperçois à deux cents mètres le carrosse de l’Empereur qui approche. Mettons-nous à l’abri discrètement.
- Néanmoins, je reste inquiet. Un adversaire déterminé de l’Italien est parvenu à tuer plusieurs de nos agents subalternes;
- Mais aussi deux de mes plus fidèles sergents. Danikine, j’ai perdu la piste.
- Moi aussi, souffla Pavel.
- Or, mes mouches n’ont rien remarqué de suspect parmi la foule. Qui est, croyez-moi, fortement encadrée, quadrillée et surveillée.
- Tant mieux!
Pourtant, la bande de Tellier était bel et bien à son poste dans la rue Saint-Honoré et les venelles adjacentes. Un regard attentif et prévenu aurait identifié Brelan et Doigts de fée déguisées en bouquetières, Violetta en vendeuse de rubans et de médailles, Pieds Légers en coursier, Marteau-pilon, Bonnet rouge, Monte-à-regrets, le Piscator en maçons désoeuvrés et curieux, Michel Simon, Pierre Fresnay, Joël Mc Crea et Charles Laughton en bourgeois. 
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Tellier, Paracelse, Craddock et Fermat avaient repéré Fieschi depuis pas mal de temps et placé la contre-machine en conséquence.
Quant à Viviane Romance et Erich Von Stroheim, en tenues d’apparat, ils s’attardaient devant l’entrée de l’Opéra, l’un fumant un cigare, l’autre admirant son reflet dans la vitrine d’une devanture. Il ne manquait que Saturnin de Beauséjour, consigné à bord du Vaillant. vexé, remâchant son éviction, le vieil homme lisait d’un œil distrait un roman de Tostoï doublement anachronique en version poche, Guerre et Paix. 
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Vaille que vaille, le carrosse impérial approchait du point fatidique. Au-dessus de la chaussée, les réverbères brillaient de tous leurs éclats. Et, dans le ciel de nuit, quelques nuages s’effilochaient langoureusement. Pour une fois, la Seine ne dégageait pas sa puanteur habituelle.
En cette soirée de printemps, l’air doux de la capitale embaumait la glycine, le lilas et le jasmin. Bref, un temps idéal pour oublier les soucis quotidiens et musarder librement, fleureter ou encore se rendre à une grande première lyrique.    
Un mouvement se fit soudain à hauteur du vraquier. Le cheval qui tractait la voiture hennit et renâcla. Alors, l’enfer se produisit. La bâche soulevée, la super mitrailleuse, le ribaudequin démoniaque, l’orgue de Staline revu et corrigé, entra en action. Les balles traçantes et sifflantes fusèrent, ricochèrent, tombèrent et s’accumulèrent  sur la chaussée et les trottoirs, se heurtant à un mur invisible impénétrable, tout en moissonnant une sanglante récolte. 
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Instinctivement, la foule s’aplatit sur le sol. Beaucoup se mirent à ramper, cherchant un hypothétique abri. Pour l’instant aucun projectile n’avait encore touché la famille impériale, mais ce miracle ne pouvait se prolonger indéfiniment.
En effet, la contre-machine se montrait fort gloutonne en énergie.
Enfermé dans son vraquier, en partie surpris par le semi- échec de son engin, Fieschi n’en accéléra pas moins la cadence de son tir.
- Ah! Par tous les daïmons! Il faut augmenter la puissance du champ de force! Jeta Fermat à Craddock.
- Maître espion, je veux bien, répliqua le vieux phoque en soufflant bruyamment. Mais je vous signale qu’on en est déjà à cinq tera watts de dépense d’énergie par seconde! Alors, dites-moi donc comment faire!
- Les victimes sont trop nombreuses, émit Tellier.
- Notre contre-machine devrait se montrer plus efficace. Or, ce n’est manifestement pas le cas, reprit André soucieux. Van der Zelden ou?
- Ah! Ça! Les femmes accomplissent un sacré bon boulot, siffla Jules Souris. Itou pour les comédiens. Ils entraînent les passants dans la direction opposée aux tirs et la panique n’a pas lieu.
- Bon sang, Paracelse, au lieu de jaspiner, concentre-toi! Tu dévies!rugit l’Artiste.
Effectivement, distrait par ses réflexions formulées à haute voix, Jules Souris n’avait pas maintenu le champ anentropique dans la direction optimale. Quatre balles traçantes passèrent donc dans l’interstice apparu dans le mur magnétique. Elles traversèrent le véhicule qui précédait la voiture impériale, et le maréchal Suchet
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ainsi que le duc d’Otrante, tous deux mortellement blessés, furent donc les victimes de l’étourderie de Paracelse. Joseph Fouché mettrait toutefois quinze jours à mourir.
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 Suchet eut plus de chance relativement car il succomba sur le coup.
- Il faut en finir, proféra le vice amiral avec une colère rentrée qui ne demandait qu’à s’extérioriser.
- Laissez-moi cet honneur, dit l’Artiste. Paracelse dirige le champ de contention vers le vraquier… maintenant! 

- Oh! Non! Un poil trop tard! S’écria l’ingénieur de la pègre. La machine infernale vient d’exploser. Qui donc est l’auteur de cette diablerie?
- Vous tous, vous n’avez pas vu la lumière noire frapper le vraquier? Demanda Daniel Lin subitement matérialisé aux côtés de ses amis.
- Moi, répondit Craddock en crachant un jet brun de salive, j’ai cru apercevoir un éclair sombre.
- Inutile de chercher plus loin qui a accompli ce tour, conclut Fermat entre ses dents. Van der Zelden!
- Ce n’est pas là sa signature, objecta le daryl androïde.
- Admettons. Mais Daniel Lin, pourquoi vous exposer ainsi? S’inquiéta le vice amiral.
- Une puissance inconnue vient de tuer Fieschi, répliqua le commandant Wu mentalement à André. Or, vous savez pertinemment qu’il ne s’agit pas de Johann.
- Certes, c’est là le geste de l’Entité que vous avez débusquée dans son antre il y a peu. Prenez garde…
- Je m’y emploie.
Une pause infime et Daniel Lin reprit sur le mode verbal.
- Je ramène quelqu’un que j’ai fait prisonnier.
- Vidocq! Bravo commandant! Applaudit Symphorien.
- Je me ferai un plaisir de l’interroger moi-même, dit alors Frédéric avec un sourire énigmatique.
- Je voulais également prendre Danikine au collet mais… j’ai été alors violemment repoussé par une force invisible, renseigna Daniel Lin.
- Tant pis! Soupira le Cachalot du système Sol. On a Vidocq, ce n’est pas si mal. 
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- Que lui est-il arrivé? Fit Jules Souris le regard mauvais en direction du chef de la Sûreté.
- Un petit coup de matraque télépathique afin de le rendre aussi docile et obéissant qu’un agneau velant, proféra le commandant Wu avec une désinvolture marquée. Rien de grave.
On sentait que le daryl n’appréciait pas particulièrement le policier retors.
- Quittons ce lieu au plus vite, recommanda le danseur de cordes. Nous allons finir par nous faire remarquer d’autant plus que la Sûreté rapplique en force.
- Aucun risque, Frédéric, rassura le saint-Bernard de la Galaxie. Les gens tout autour de nous nous ignorent. Pour eux, nous n’existons pas.
- Encore une manipulation mentale, sans doute?
- Exactement, capitaine!
Fermat, quant à lui, ne perdait pas de temps dans cet échange de propos. Méthodiquement, il envoyait le message de rappel aux autres membres de l’équipe. Puis, il commanda le transfert de la troupe au Vaillant.
Les plans de Galeazzo di Fabbrini semblaient se solder par un échec. Napoléon Premier était sorti indemne de l’attentat. Impossible désormais de le remplacer par un clone malléable qui aurait simulé une légère blessure à la suite de l’agression tandis que le véritable Empereur aurait péri.

***************

Au palais des Tuileries, l’atmosphère était à l’orage. Dans son bureau de travail, Napoléon le Grand arpentait la pièce d’un pas nerveux, foulant, martyrisant un précieux tapis des Gobelins, s’arrêtant soudainement, foudroyant du regard Talleyrand, Cipriani et, surtout, Savary.
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 Le prince de Bénévent, lui, gardait son calme, appuyé sur sa canne, rêvant de deux choses pas forcément incompatibles: priser une bonne pincée de tabac, soulager son pied douloureux. Lui seul, Charles Maurice, ne se dérobait pas au regard d’acier de son souverain et osait le toiser avec une ironie non dissimulée.
- Sire, nous n’allons pas faire le poireau longtemps encore! Se décida à déclarer enfin Talleyrand après dix minutes.
- Insolent foutriquet! Eh bien, puisque vous voulez savoir maintenant ce que je vais ordonner… Savary, l’enquête? Que donne-t-elle? Et ne roulez pas tant des yeux! On dirait ceux d’un merlan frit! Je veux des résultats et vite!
- Tout d’abord, Votre Majesté, apprenez que l’auteur de cet odieux attentat est bel et bien mort. Il a explosé avec sa machine infernale.
- Une explosion fort opportune, n’est-ce pas? Ensuite? J’en veux davantage! N’importe quel échotier ou plumitif sait cela…
- Son identité supposée…
- Supposée! Vous vous gaussez de moi, Savary! Attention. Encore une sortie de cet acabit et je vous envoie au fort de Vincennes.
- Hum… le terroriste se nomme Giuseppe Fieschi. 
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- Ah! Mais n’était-il pas sous la surveillance de la Sûreté?
- C’est tout à fait vrai, sire. Les troupes de Vidocq le pistaient depuis un moment.
- Mes espions également, compléta Talleyrand, s’appuyant encore plus fortement sur sa canne.
- Alors, messieurs? Je ne comprends pas! Cet homme était espionné, fiché, mais il est pourtant parvenu à construire ce canon, à le transporter au vu et au su de tout le monde rue Saint-Honoré et à l’utiliser! À la barbe de ma police votre police, la meilleure du monde d’après nos ennemis.
- Hélas, Votre Majesté…
- Vous croyez que je vais me contenter d’un hélas? Assez! Hurla Napoléon.
Sa colère accentuait ses intonations corses.
- Je ne puis tolérer davantage votre impéritie. Vous savez ce que je crois? Fieschi a bénéficié de complicités au plus haut niveau de l’Etat, dans ce palais-même!
- Sire, dit Cipriani d’une voix égale, nous sommes tous dévoués à Votre Majesté.
- Oh! Certains plus que d’autres! Je vous accable de mes bienfaits, je vous engraisse, fais de vous des marquis, des ducs, des princes, vous rends richissimes, et quelle récompense reçois-je en retour? Des balles et du sang! Mon épouse est alitée à cause de la peur qu’elle a eue. Quant à ma petite Pauline, elle refuse de parler à quiconque depuis hier. Mais messieurs, oubliez-vous que sans moi, vous n’êtes rien ? Pas même de la merde?
- Sire, reprit Savary, je vous jure que j’ignorais ce qui se tramait.
- De votre part, il n’y a là rien d’étonnant. Vous êtes plus borné qu’un âne bâté. Mais vous, prince?
- Votre Majesté, vous souvenez-vous de notre entrevue un petit matin du mois dernier et des propos que je vous tins alors?
- Parfaitement! Je ne suis pas encore atteint de sénilité! Que voulez-vous donc me suggérer? Que l’attentat aurait été financé par Berry par l’intermédiaire de ce maudit Breton, ce Kermor? Mais c’est une fable, Talleyrand, cela ne tient pas la route! Fieschi est connu pour ses idées avancées, républicaines.
- Justement, sire, on l’aura détourné, débauché avec de bonnes et sonnantes livres anglaises…
- Pareille naïveté ne vous sied point, prince! Qui espérez-vous tromper ainsi? Moi? Non! L’argent, le savoir viennent de plus près, de mon entourage même.
Napoléon marqua une pause puis reprit avec autant de véhémence.
- Et Vidocq? Il n’a toujours pas reparu? Que voilà une disparition bien étrange! Ah! Décidément! Je suis servi par des sots ou des traitres.
- A ce propos, sire, s’avança Cipriani, le chef de la Sûreté a été enlevé par de mystérieux individus…
- Tiens donc! Comme c’est commode!
- Des individus à l’allure étrange, qui se sont soudain évaporés, comme effacés de la réalité, rajouta Charles Maurice en grimaçant. C’est du moins ce qu’il apparaît de quelques témoignages.
- Comment savez-vous cela?
- Sire, ma propre police… il appert que Vidocq a été approché par un homme à la taille élevée. Puis, il l’a suivi on ne sait où et… c’est tout. Ensuite, plus personne ne les a vus.
La jambe estropiée du prince le lançait douloureusement.
- Talleyrand vous m’agacez. Asseyez-vous donc.
- Merci, sire.
Sans se faire prier, Charles Maurice prit une chaise et s’y installa le plus confortablement qu’il le put. Avec un soupir de soulagement, il reprit:
- Peu après la disparition de Vidocq mais un peu plus loin, des témoins ont vu comme un halo vert descendu du ciel.
- Encore? Êtes-vous certain de la sobriété de vos témoins, prince? Le signalement de cet inconnu qui a abordé mon chef de la Sûreté, pouvez-vous le préciser?
- Un homme de belle prestance, assez jeune, vêtu avec une élégance extravagante.
- Tout cela est fort vague. Vous dissimulez quelque chose.
- Oui, c’est tout à fait exact, Votre Majesté. Encore plus tôt dans la soirée, François discutait avec un individu à la moustache blonde impressionnante, les traits cachés sous un masque. Toutefois, la Sûreté a pu établir le lien avec un des hommes fichés. Celui qui correspond précisément au numéro R-U-A- 1238.
- Un exilé russe, si j’en crois les premières lettres.
- Oui, sire, c’est cela. Le faux prince comte Pavel Danikine.
- Oh! Oh! Ça pue, Talleyrand, ça pue terriblement.
- Je partage votre pensée, Votre Majesté.
- Moi aussi, renchérit Cipriani en hochant la tête.
- Rien de plus sur l’autre individu?
- Non, rien, absolument. Un vague portrait a été dressé. Il ne correspond à aucun signalement déjà contenu dans nos fichiers.
- Et les fichiers de nos alliés?
- Consultés également, renseigna Savary. Mais ils n’ont rien fourni d’intéressant.
- Qui dit Danikine, dit l’Ultramontain, le comte di Fabbrini, osa prononcer Talleyrand.
- Savary, vous n’avez rien entendu, c’est compris?
- Oui, sire, balbutia le Ministre de l’Intérieur.
- Et pour plus de sécurité, j’ordonne votre arrestation. Vous serez enfermé, au secret, à Vincennes. Pas de discussion! Cipriani vous prendrez momentanément le portefeuille de Savary. Et vous poursuivrez vos investigations dans la direction suggérée par le prince de Bénévent. Avec mille et mille précautions.
- A vos ordres, sire. Toutefois, celui qui a retiré Vidocq de ce monde nous a peut-être rendu service…
- Vous pensez à une bande rivale qui s’opposerait à Danikine et à di Fabbrini? Je n’aime pas cela, oh mais alors pas du tout! Me sentir manipulé comme une marionnette…
- Certainement, sire… acquiesça Cipriani. Mais… que fait-on pour l’opinion publique?      
- Ce détail? Hé bien, les coupables seront les royalistes, voilà tout. Vous lancerez la police officielle sur la trace des clandestins, des émigrés au service du pseudo dauphin et de George IV. Puis, vous en arrêterez une douzaine que vous ferez exécuter à grand bruit.
- Quant à Vidocq, nous en soucions-nous?
- Son sort ne m’intéresse plus. Il s’apprêtait à me trahir manifestement. J’ai dit. Maintenant, sortez! Sortez tous! Ah! Galeazzo di Fabbrini… qui m’a si bien servi et qui, ensuite, m’a lâché au milieu du gué.
Les ministres de Napoléon Premier et ses serviteurs s’inclinèrent avec déférence et se retirèrent. Le maître avait parlé; il ne fallait pas s’opposer à lui.
Quant à Savary, victime expiatoire, immédiatement entouré, il fut conduit à Vincennes. Son arrestation fut connue de tout Paris moins d’une heure plus tard après cette décision.
L’Empereur, qui avait dégrafé son uniforme de colonel, buvait une tasse de café que Roustan
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 lui avait préparée. Cela n’allait pas arranger l’état de ses nerfs. Soucieux, il ruminait de troublants souvenirs dans lesquels di Fabbrini tenait le rôle principal.

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