vendredi 21 décembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution française chapitre 20 1ere partie.



Chapitre 20


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Début mars 1782, marché de l’Île de la Cité, Paris, dix heures du matin. La presse était immense, la foule nombreuse et les clameurs assourdissantes. Tout était bon pour attirer le chaland. S’offraient aux regards du petit peuple les marchandises les plus variées et les plus odoriférantes: des fromages, des choux, des pois, des raves, des légumes secs, des courges, des coings, des pieds de porc, des bettes, des oiseaux piailleurs, des perdreaux, des pigeons, des grives, du lard, des vins en fût ou en flacon, de la bière, du vinaigre, de l’huile, des épices, de la moutarde, des rubans, des fleurs, des dentelles, des lacets, des boucles de chaussures, des almanachs et des petits livres de la bibliothèque bleue de Troyes, des chaussures ressemelées, des bas, de la toile, des chemises et des jupons écrus, et ainsi de suite. 
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Des porteurs d’eau peinaient sous leur charge, des vanniers tressaient des sièges et des paniers, des marchands de coco offraient leurs rafraîchissements pour un sol seulement. Il y avait même des seaux pour faire ses besoins, des « vas-y-donc » ou des « tire-pot » ou chacun pouvait soulager sa vessie ou vider ses intestins, non à la vue de tous, mais bien confortablement assis et enveloppé sous de vastes toiles. Un peu perdus au milieu de cette foule, les écrivains publics s’empressaient de rédiger une lettre d’amour galamment tournée ou encore d’écrire des missives destinées aux familles restées dans les provinces de ce beau et prospère royaume de France.
Des montreurs de marionnettes attiraient des enfants en développant tout leur art. Il en allait de même des bohémiens ou des forains qui gagnaient quelques piécettes en faisant danser des ours sur des mélodies et des rythmes fantaisistes.
Les odeurs les plus composites se mélangeaient, pas toujours désagréables tandis que les chèvres gambadaient en liberté sur le marché, croquant souvent avec malice des choux-fleurs qu’elles volaient au nez et à la barbe des marchandes de quatre saisons.
Partout, la volaille caquetait à qui mieux mieux, les chiens flairaient, se faufilaient, gémissaient ou grognaient, chapardant parfois de petits chapelets de saucisses ou mordant de leurs crocs jaunâtres des jarrets de porc.
Il fallait faire bigrement attention à ne pas glisser et chuter sur les pavés gras et irréguliers, maculés de déjections diverses. Les ânes, eux, restaient docilement attachés près des véhicules qu’ils tiraient et supportaient avec placidité les farces des gamins qui tentaient de leur faire perdre leur impassibilité.
Parmi les bohémiens, un grand barbu à la bedaine visible, aux longs cheveux sales tout emmêlés, coiffé d’un bonnet de laine à la couleur passée, les oreilles ornées d’énormes anneaux de cuivre, ayant enfilé au moins cinq ou six couches de vêtements dépareillés, s’époumonait à vanter les tours de son ours savant, Martin. Or, apparemment, l’animal récalcitrant s’embrouillait dans les pas de danse puisque le forain était obligé de faire claquer régulièrement la lanière d’un gigantesque fouet sur l’échine et les pattes du plantigrade afin d’obtenir quelque chose d’acceptable.
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- Martin, un peu plus de conviction, sacrebleu! Là, tu ne me rapportes rien. Ce soir, tu vas jeûner.
Un pseudo grognement lui répondit. Un curieux qui se serait approché aurait alors entendu quelques paroles geignardes provenant du gosier du faux ours.
- Oh! Capitaine! Un peu de miséricorde, je vous en prie… je n’ai plus vingt ans et je sue à mort dans cette pelisse. J’étouffe, vous n’avez pas idée!
Une personne avertie aurait reconnu le timbre de voix si caractéristique de Saturnin de Beauséjour et identifié, sous les oripeaux datant des Pink Floyd ou du Flower Power, Symphorien Nestorius Craddock dans ses œuvres.
- Moi non plus, je ne suis pas à la fête, bougre de rodomont, avec ces frusques de récupération de pirate peace and love des Îles Fortunées! Vous savez bien que nous sommes là pour une mission spéciale: épier Galeazzo ou ses sycophantes en train de faire emplette de freaks ou autres chourineurs abandonnés des dieux.
- Freaks? Je n’ouïs point ce mot étranger.
- Je veux bien me mettre à votre portée, Saturnin. Pensez à Eng et Tcheng, ou à la femme à barbe, ou encore au général Tom Pouce.
- Ah! Les monstres de foire.
- Eh oui! Ne me dites pas qu’on ne vous a pas raconté le coup de l’homme serpent. Compléta Craddock jouant de plus belle de son fouet.
- Ouille! Là, vous me déchirez les chairs.
Le Cachalot du Système Sol daigna cesser de tourmenter l’ancien chef de bureau.
- Regardez! Mais regardez donc! En face, imbécile! Quelque chose cloche.
Sans prendre garde, le capitaine administra un autre coup de lanière à Saturnin. Celui-ci faillit hurler.
- Craddock, maintenant, je saigne pour de bon!
- Apophtegme de mes deux, silence! Au lieu de gémir, visez plutôt ces loustics. S’ils sont nés sous Louis XV, je suis partant pour faire du vélo d’Aldebaran jusqu’à Cygnus tout en mangeant de la barbe à papa. Là-bas, à trente mètres, droit devant, il y a une espèce de Hun Hephtalite à la noix de coco fesse qui jacasse avec le « docteur Gogol » en compagnie de ce méchant distingué so british qui a connu la célébrité, si je me souviens bien, avec ce vieux truc bidimensionnel La Mort aux trousses. Heureusement que le commandant a fait mon éducation cinématographique. À croire qu’il a anticipé cette rencontre.
Du menton, Craddock désignait trois individus qui, malgré tout leur art du déguisement, faisaient quelque peu tache dans ce XVIIIe siècle. Il s’agissait de Ti, le cousin d’origine Thaïe de Sun Wu, de Peter Lorre et de James Mason. 
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- Euh… capitaine, je suis peut-être sot mais moi, je ne vois pas en quoi la présence de ces trois hommes peut vous déranger.
- Crème d’ahuri! Vous avez évidemment zappé les cours de rattrapage de Daniel Lin.
- Je devais m’habituer à vivre sous terre, trouver mes repères. Au prochain voyage, je saurai me montrer plus assidu.
- Oui, on dit ça… le plus grand des trois anachroniques est abordé par cette espèce de bouquetière. Allez, ours Martin, rapprochons-nous donc de ces lascars. Avec précaution, bon sang! Soyez tout entier à votre rôle.
Pour motiver l’ours Martin, Symphorien joua avec son fouet. Sous la douleur, Saturnin glapit mais n’en obéit pas moins. Il n’avait pas le choix. Cahin-caha, dans une dans grotesque et malhabile, le vieil homme déguisé avança donc jusqu’à n’être plus qu’à quinze pas du trio anachronique. Le Britannique avait repoussé la jeune fleuriste et, désormais, parlait bas à l’oreille de Peter Lorre. Celui-ci hochait la tête tandis que l’Asiatique observait les étals d’un air blasé et critique à la fois. Mason, que le spectacle de la foule bigarrée du petit peuple parisien n’enthousiasmait guère, finit par jeter, acide:
- Allez-vous me dire ce que nous cherchons en ce lieu? Les effluves de ces corps mal lavés me soulèvent le cœur.
- Tss, tss, mon occidental ami, vous manquez de patience. Je dois, je vous le rappelle, m’approvisionner en médications diverses afin de satisfaire les lubies de ce vieillard lubrique et crédule à la fois, ce puant maréchal duc. D’après le comte, les abords du Palais Royal sont le lieu idéal pour faire le plein de charlataneries et de pharmacopées qui ne le sont pas moins…
- Certes, le comte a beaucoup voyagé à ce qu’il paraît, proféra Peter Lorre avec un sous-entendu appuyé.
- D’accord, mais dépêchez-vous Ti. Je ne tiendrai pas longtemps. Hum… ce gitan avec son ours, on dirait qu’il nous a remarqués… diable…
- Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Il veut certainement un peu de monnaie en paiement des tours de son ours.
- Je ne dirais pas cela, siffla Ti entre ses dents, soudain rendu méfiant par quelques détails dans la défroque du plantigrade. Un faux ours…
- Bah! Une escroquerie… s’exclama Peter.
- Tout à fait, renchérit Mason. 
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Craddock n’avait rien perdu des propos tenus en anglais, agitant son fouet et son tambourin avec une conviction renouvelée, s’écria:
- Martin, danse, danse donc plus vite pour ces messieurs, ces beaux seigneurs. Nous devons manger ce soir. Un petit pas de menuet ou de gavotte. Allez… c’est cela. Un, deux, trois… et un, deux, trois. En mesure. Révérence…
Le pauvre Saturnin tournait en cadence, sautillait, saluait, transpirant et grognant de plus belle, ratait une mesure, se reprenait et recommençait son manège.
- Messeigneurs, à votre bon cœur! Insista le Cachalot de l’Espace. Un peu de monnaie blanche, de billon pour satisfaire l’appétit d’ogre de mon animal savant. Dieu et la Vierge vous béniront.
- Oh! Alors, là, vous exagérez, le mendiant! Gronda Mason, exaspéré. Cessez de vous pendre à mes basques et allez empuantir l’air ailleurs!
- J’entends à l’accent que monsieur est anglais! Je croyais les représentants d’Albion riches comme Crésus! Las, le me trompais. Foutre, Martin. Tu jeûneras avec moi ce soir.
Faisant semblant de verser une larme et de l’essuyer tout en grimaçant, le faux bohémien recula, entraînant Beauséjour avec lui.
Ti, un dernier regard vers le duo burlesque, annonça:
- Là-bas, près du vendeur de gravures lestes, des flacons contenant de la poudre de cantharide. Venez. Cessons d’attirer l’attention.
Peter Lorre acquiesça non sans ironie.
- Oui, mais les Parisiens n’ont assurément pas l’habitude d’admirer un authentique Asiate vêtu comme à la Cour du roi de Siam! 
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Tout en ayant prononcé cette vérité, le Hongrois versa un louis à Craddock dans le but de s’en débarrasser. Le capitaine d’écumoire cabossée s’en empara avec avidité et remercia son généreux donateur en claironnant:
- La Providence vous garde mon bon seigneur!
Cependant, avec toutes ces simagrées, Symphorien était parvenu à glisser un micro pisteur dans le fourreau de l’épée de James Mason. Ainsi, il saurait où se rendrait le trio et peut-être même, avec de la chance, il pourrait alpaguer Galeazzo di Fabbrini en personne.

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Quelques heures plus tard, les clones malfaisants poursuivaient leurs emplettes et leur exploration du Paris de l’Ancien Régime sans se douter le moins du monde qu’ils étaient pistés par six brigands dignes de figurer sur une estrade de monstres de foire. En jetant dans les paluches du Cachalot de l’espace un louis d’or, Peter Lorre avait commis une erreur. Sa largesse n’avait pas échappé à des yeux envieux qui appartenaient à des bougres capables de suriner leur propre mère pour un sol ou presque.
Dans une sente encombrée de cageots contenant des choux et des raves qui faisaient les délices d’une chèvre et d’un goret, Ti, tous ses sens alertés, se retourna vivement. Il avait eu l’intuition d’une présence hostile derrière son dos. Surpris, le malfrat n’eut pas le temps d’administrer à l’Asiatique un coup de couteau sous la nuque comme il en avait eu l’intention. Il reçut une terrible manchette dans le foie qui le laissa tout pantelant et râlant sur les pavés boueux et malodorants.
Aussitôt, après ce retournement de situation, ce fut l’hallali. Les malandrins n’eurent d’autre choix que de vendre chèrement leur peau. Dégainant coutelas, lardoires et bretèches plus ou moins rouillés, ils firent face aux trois intrus temporels du mieux qu’ils purent. James Mason, armé de son estramaçon ne tarda pas à embrocher proprement sa première victime. Ne prenant pas même le temps d’essuyer la lame de son épée, il se débarrassa tout aussi promptement d’un deuxième assaillant avec autant de maestria que précédemment. Tout en accomplissant cet exploit, son visage ne reflétait qu’une froide détermination.
De son côté, Ti dévoilait sa grande habileté. Sa maîtrise des arts martiaux lui permettait de tuer à mains nues n’importe quel adversaire. Un brigand, encore un et puis un troisième connurent ainsi un triste sort.
En deux minutes, il ne resta plus sur la place, au milieu des chèvres, des cochons, des légumes blets et des excréments qu’un pitoyable survivant, fort mal en point, la tête emplie de sang, les habits tout souillés, gisant sur les pavés glissants, assommé par le fourbe docteur Gogol, identifiable par sa boule à zéro et ses yeux en boules de loto. 
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Le Hongrois, pas bravache pour deux sous, n’en avait pas moins exécuté sa part de travail. Tandis que ses deux compères se battaient, il avait préféré opter pour un cageot de légumes dont il s’était saisi et l’avait fracassé sur le crâne du plus jeune des voleurs, un adolescent défiguré par une vilaine balafre, à la bouche tordue et aux cheveux gras et luisants.
Durant l’échauffourée, les commerçants des échoppes branlantes et les habitants de ces modestes demeures avaient pris soin de ne pas se montrer. Restés à l’abri derrière leurs volets, ils attendaient, résignés, que le calme revînt dans la sente. Non pas que pareille mésaventure fût quotidienne. Mais la police du roi ne pouvait être partout à la fois.
- Ah! Souffla le comédien britannique avec contentement. Mon entraînement d’escrimeur m’aura été finalement utile dans la vraie vie.
- Oui, vous avez accompli là un exploit digne d’une médaille d’or, renchérit le métèque de sa voix douce.
- L’Italien nous avait bien mis en garde quant à la sécurité du Paris d’antan, reprit James Mason. Je m’attendais donc plus ou moins à subir les vols des tire-laines mais pas l’assaut des coupe-jarrets en plein jour!
- Hum… ce séjour m’apparaît désormais riche de promesses insoupçonnées, d’expériences enthousiasmantes et profitables, souffla Peter.
- En effet, je ne regrette plus de m’être acoquiné avec le comte. En est-il de même pour vous, Ti?
- Mes compagnons, hâtons-nous de rejoindre notre pied-à-terre au lieu de jeter aux murs des paroles imprudentes.
- Allons bon! Vous le dissimulez, mais vous êtes fâché, en vérité, soupira Peter Lorre.
- Ti, nos propos sont tenus en bon anglais. Ici, en pareil lieu, nul ne peut nous comprendre.
- Je n’en suis pas si certain, my Lord.
Sur cette conclusion ironique, les trois tempsnautes pressèrent le pas. Aucun d’entre eux ne s’était aperçu que, durant la bataille, le minuscule pisteur dissimulé par Craddock dans le fourreau de l’épée du comédien de Huit heures de sursis avait chuté pour être presque aussitôt avalé par une chèvre goulue. Symphorien s’était donné du mal pour rien. Il lui faudrait soit attendre une nouvelle occasion pour recommencer soit espérer apprendre par miracle où logeait Galeazzo.

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La salle principale d’holo simulation de l’Agartha venait d’être activée. Albriss supervisait d’un œil neutre l’entraînement de quelques escrimeurs non professionnels. Parmi eux, Frédéric Tellier, détendu et concentré tout à la fois, Symphorien Nestorius Craddock qui, malgré son âge, pouvait venir à bout d’adversaires particulièrement coriaces, le jeune Alban de Kermor qui apprenait, vaille que vaille, à maîtriser sa fougue et son impatience, Erich Von Stroheim qui avait besoin de dérouiller ses muscles, Fernand Gravey qui s’efforçait de rattraper son retard technique et Pierre Fresnay qui veillait à entretenir sa forme.
Les femmes n’étaient nullement en retrait. Aure-Elise se lançait à cœur joie dans l’apprentissage des rudiments de parades selon des styles variés. Violetta, déjà plus aguerrie, montrait à Pieds Légers quelques tours à sa façon, contournant allègrement les vieilles lois de la courtoisie française. Louise de Frontignac s’y était mise également, retrouvant dans ces exercices toute la souplesse de ses jeunes années.
Daniel Lin, debout un peu à l’écart, s’entretenait avec l’Hellados.
- Alors, qui progresse, Albriss? De qui êtes-vous particulièrement satisfait?
- Commandant, la plupart ont atteint le niveau trois. Ainsi, Tellier est capable de venir à bout de six adversaires à la fois de manière traditionnelle et le capitaine Craddock de même…
- Mais… car je sens un mais…
- Mais il faudrait maintenant dépasser ce stade. Je connais vos intentions, sir. La science des moines Shaolin additionnée à celle des ascètes de la montagne de Vorr…
- Oh! Oh! Vous avez de l’ambition, lieutenant. Les grands maîtres du Harrtan avaient cinq décennies devant eux pour dominer cet art sans pareil.
- Monsieur, j’en ai conscience…
- Assurément. Vous avez l’étoile bleue des initiés, je ne me trompe pas?
- Je le reconnais.
- Dans ce cas, une petite démonstration pleine d’enseignements pour nos aspirants s’impose.
- Certes, sir. Vous choisissez l’attaquant ou le défenseur?
- A votre guise Albriss, cela m’est égal.
- Commandant, permettez-moi d’opter pour l’attaquant. Cela sera plus facile pour moi. Face à vous, je ne suis pas de taille.
- Entendu. Cependant, lieutenant, ne vous sous-estimez pas. Je connais votre valeur dans cet art. De plus, je vous promets de combattre en simple humain.
Albriss s’inclina puis noua un bandeau autour de son front, un tissu léger de teinte bleue tandis que Daniel Lin l’imitait avec un serre-tête couleur or.
Dans la salle d’entraînement, le silence se fit. Tous observèrent attentivement l’affrontement entre le Supra Humain et l’Hellados. Le combat, pas si inégal que cela, ressemblait à du taekwondo et à du karaté mais avec l’alternance de mouvements suspendus dans le vide avec une grâce et une maestria inouïes, de brutales accélérations, si rapides que l’œil humain ne parvenait à percevoir qu’un tourbillon flou, et à des passes et des parades d’escrime.
Aucun des adversaires ne criait, ne soufflait ou ne soupirait. Les lames des deux longs fleurets s’entrechoquaient parfois, se frôlaient souvent, se nouaient, se dérobaient, glissaient par-derrière, se soulevaient, virevoltaient dans les airs, suivant les esquives, les ruses, les feintes, les assauts, les parades consenties, les bottes, les sauts et saltos, les quintuples boucles inversées des deux acrobates duellistes.
Cette démonstration dura, s’éternisa ou du moins le parut jusqu’à ce qu’Albriss ralentit et mit une main à terre, demandant ainsi merci. Hochant la tête, Daniel Lin se recula. Alors, l’Hellados se releva et essuya son visage avec une serviette éponge, puis fit de même avec son cou et ses mains. L’ancien lieutenant était en sueur.
- Bien, fit le daryl androïde, ignorant l’épuisement de l’extraterrestre non par mépris mais par égards afin de ne pas l’humilier. Tout le monde a assisté au spectacle. Qui veut commencer afin de passer aux travaux pratiques?
- Moi! S’écria Sitruk avec aplomb.
Fièrement, le Britannique s’avança.
- Entendu, commandant, répliqua Daniel Lin avec un léger sourire. Je n’en attendais pas moins de vous. Mais il vous faut une épée plus souple.
Le Ying Lung incarné tendit à Benjamin l’arme d’Albriss.
- Pour cette première leçon, j’éviterai les parades exigeant trop de gymnastique. Sitruk contentez-vous d’éviter mon acier.
- Pourquoi me ménager? Je suis champion de la flotte tant au sabre qu’à l’épée! Jeta Benjamin.
- Certes, je sais cela. Mais ici, il s’agit avant tout d’anticiper sur l’adversaire tout en défiant les lois de la pesanteur. Parallèlement, il vous faudra contrôler les réactions, les réflexes primitifs de votre corps. Mettez-vous en garde, le poing gauche sur le flanc, le jarret souple et ferme à la fois, l’épée dressée d’un quart. Conservez en mémoire ce que je vous ai dit.
Sitruk obéit avec un sourire carnassier.
La première leçon débuta.
Patiemment, Daniel Lin fractionnait ses attaques, expliquant à l’apprenti comment parer, comment contre-attaquer tout en maîtrisant à la fois son souffle, son rythme cardiaque et tout en anticipant sur celui qui lui faisait face.
Trente minutes plus tard, le cours s’achevait. Benjamin n’en revenait pas. Le commandant Wu était plus que brillant. À ses yeux, il lui apparaissait tel un héros, un prodige, un miracle de la nature, un phénomène. Lui, Sitruk, pataugeait dans le petit bassin, clapotait dans dix centimètres d’eau alors que Daniel Lin se complaisait dans les grands fonds. Il y avait plus humiliant encore. Le Britannique soufflait comme un phoque asthmatique, son cœur battant la breloque alors que son adversaire, plus fringant que jamais, était manifestement prêt à recommencer.
Toutefois, le Français paraissait satisfait des efforts de Benjamin et il osa le complimenter.
- Sitruk, pour une première séance, ce n’est pas mal, pas mal du tout. Vous êtes un sportif accompli doublé d’un athlète de haut niveau.
- Commandant, vous faites preuve de beaucoup d’indulgence, soupira le Britannique.
- Non, mon ami. Je suis sincère et me contente de constater. Vous avez besoin d’entraînement, c’est tout.
Albriss sentit qu’il était temps pour lui de prendre la parole. Il le fit en s’adressant à tous les néophytes.
- Vous n’atteindrez pas le niveau du commandant Wu. Ne vous faites pas d’illusion. Toutefois, vous pourrez faire des adeptes valables du Harrtan. Nous allons donc commencer par quelques mouvements d’assouplissement. Ensuite, nous entamerons les gestes préparatoires pour passer en mode Harrtan.
Docilement, les bretteurs acquiescèrent.
Mentalement, Daniel Lin remercia l’Hellados pour son investissement.
- Albriss, vous êtes l’homme de la situation.
- Sir, je sais que vous n’avez pas triché. Mais vos talents naturels particuliers ont resurgi malgré vous…
- Ah? Vous le croyez… je n’ai point usé de magie, pourtant…
- Oui, c’est exact. Toutefois, vous êtes un daryl androïde, ou du moins, vous apparaissez comme tel aux yeux de tous…
- Et c’est bien suffisant, lieutenant.
L’échange muet s’arrêta là afin de ne pas distraire l’Hellados dans son rôle de professeur.
Deux heures plus tard, devant le seuil de la salle d’holo simulation, Craddock, tout cramoisi et échevelé, jetait:
- Hé bien, je n’éprouve aucune honte à le dire, mais j’suis littéralement crevé, là! Par la malemort, je n’ai pas du tout envie de recommencer pareil jeu! Je comptais faire une partie de poker ce soir avec Sitruk, Chtuh, Uruhu et O’Rourke. Nib! Que dalle! Je déclare forfait! J’n’ai qu’une hâte: au dodo, comme un enfant bien sage…
- Bravo, Symphorien! Approuva Daniel Lin bruyamment, en éclatant de rire. Enfin, une bonne résolution. Vous devenez raisonnable. Surtout, tenez parole. Il vous faudra être en bonne forme demain soir pour remettre ça.
- Euh… vous voulez rigoler, mon gars?
- Non, pas du tout. Je suis tout ce qu’il y a de sérieux, capitaine. Ne me décevez pas, je compte sur vous.
- Ah… je vais essayer…

***************

Plusieurs séances d’entraînement plus tard, quelques membres de la Cité se détachaient du lot. Évidemment, avec son sabre, Craddock faisait merveille. Vêtu de hardes dépareillées, il ressemblait quelque peu à l’adversaire du chevalier de Hadocque, le sinistre Rackham le Rouge. 
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Or, justement, dans un combat qui paraissait plus vrai que nature, les sécurités restaient débranchées, il fallait tester les candidats au voyage vers l’année 1782, il évitait avec une relative facilité la lame meurtrière d’une copie de Barbe Rouge. Tel un jeune homme, bondissant sur le pont d’un galion, il envoyait un cordage au visage du pirate mal embouché puis sautait sur une rampe sans marquer la moindre hésitation et, de là, saisissant une voile, passait sans difficultés par-dessus la tête du flibustier pour s’en aller assommer, toujours aussi vaillant, un immense colosse noir, un moricaud au torse musclé et luisant de sueur. Pour réussir pareil exploit, notre Symphorien s’était-il donc dopé?
Non, le Cachalot de l’espace s’était contenté de rester sobre une douzaine de jours et de se coucher tôt.
À quelques mètres de lui, Benjamin Sitruk devait échapper à la vindicte d’un sécutor armé de deux glaives, un gladiateur surgi du passé lointain de l’Antiquité romaine. Le Latin, habile, et champion toutes catégories, ne se laissait pas démonter par le calme et la détermination affichés du Britannique. Les « clang » et les « cling » s’enchaînaient avec la régularité d’un métronome. Il en allait de même pour les mouvements tournants, les feintes et les tentatives d’intimidation.
Benjamin, toujours fermement campé sur ses deux jambes, envoyait au loin le premier glaive du Romain, souriait au champion, dévoilant ainsi ses dents blanches et pointues, lui démontrant qu’il n’était pas du tout impressionné. Après tout, la victoire finirait par lui revenir.
Quelques secondes plus tard, effectivement, le sécutor fit un faux pas qui le contraignit à mettre un genou à terre. Aussitôt, le géant roux tendit la pointe de son arme et, sans état d’âme, égorgea son éphémère ennemi.
Un peu plus loin, dans un décor tout autre, Frédéric Tellier et Alban de Kermor, unis dans cette œuvre commune, ferraillaient contre une dizaine de spadassins emperruqués, vêtus comme sous la Régence de Philippe d’Orléans. Ils avaient affaire aux roués de Gonzague,
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 l’infâme assassin du duc de Nevers s’il fallait en croire Paul Féval. Mais cette bataille ne prêtait ni à rire ni à s’émouvoir. L’Artiste et l’adolescent brettaient ferme, souples et efficaces à la fois. Chacun de leur coup portait. Une estocade et… hop! Un épéiste de moins, tout simplement.
Les pourpoints se tachaient de rouge, les perruques vacillaient sur les crânes, les gouttes de sueur dégoulinaient jusqu’aux pointes de bien laides moustaches en crocs. Alban, moins aguerri que son compagnon, prenait toutefois garde à éviter les pièges tendus par deux âmes damnées du duc de Mantoue. Pourtant, un court instant, il marqua une faiblesse, son poignet se raidissant. Immédiatement, Nocé, le roué, enfonça sa lame fine dans la chair encore tendre du jeune homme.
Se ressaisissant, le comte de Kermor rompit de deux pas et fit glisser son épée dans la main gauche. Puis, plus déterminé que jamais, il reprit le combat qui s’acheva par la mort du féal de Philippe de Gonzague. Tant pis pour la vérité historique!
Inutile de vous décrire comment Frédéric Tellier embrocha à lui tout seul huit spadassins les faisant ainsi passer de vie à trépas. Devant cet amoncellement de corps, le dernier roué prit le parti de s’enfuir. Quittant la scène, il regagna le néant n’étant, après tout, qu’un flux de données numérisées dans les mémoires de l’ordinateur.
Sous les yeux ébahis de Michel Simon, Marcel Dalio et Delphine Darmont, Erich Von Stroheim, Fernand Gravey et Pierre Fresnay, alliés dans ce cas-ci, affrontaient, sourire aux lèvres, panache oblige, une horde de chevaliers teutoniques dûment casqués, portant la cotte de mailles attendue, jonglant habilement avec le lourd et encombrant estramaçon manié à deux mains.
Pour l’heure, aucun de nos trois comédiens n’avait reçu de blessures graves hormis quelques entailles sur l’avant-bras ou des éraflures sur le torse.
Comme il se doit, nos bretteurs criaient, rugissaient des insultes plus ou moins choisies.
- Teufel! Himmelgott! Hunde! Va pourrir en enfer!
- Que les rats rongent ta carcasse!
- Que les loups affamés et les goules se repaissent de tes entrailles putrides!
Le tout en allemand, en haut allemand ou encore en argot d’opérette.
Bref, un tel langage fleuri ne pouvait que réjouir les oreilles de Michel Simon. Le Suisse bougonnait regrettant de ne pouvoir immortaliser ce combat sur pellicule ou encore sur simple 78 tours.
Les épées à deux mains sonnaient clairement et les assaillants se montraient inflexibles. Malgré tout, le trio de baladins ne déméritait pas, bien au contraire.
Erich Von Stroheim, usant de ruse, réussit à couper cruellement la jambe de son moine soldat. Fernand Gravey, sifflotant l’air fameux Auprès de ma blonde, fut l’auteur d’un authentique exploit. La lame de son estramaçon se glissa insidieusement à travers les mailles en fer et fendit le flanc du chevalier. L’Allemand n’eut pas le temps de toucher terre. Il se pixélisa pour s’effacer bientôt.
Pierre Fresnay n’eut pas autant de chance. Sa brette brisée, il évitait comme il pouvait l’ire de son Teuton. L’acteur refusait de prendre la poudre d’escampette. Tout en reculant, il ne prit pas garde à la petite mare derrière lui. Hé oui, l’holo simulation allait jusque là dans le réalisme des décors. Il y tomba sans grâce et se trempa.
- Je crains de voir là mon existence s’achever! Murmura l’Alsacien pour lui-même. Ah! Ma chère Yvonne! Je ne pourrais te dire une fois encore combien tu m’es chère.
Cette fin plausible aurait pu avoir lieu mais c’était sans compter sur l’Austro-américain. Le chevalier teutonique se retrouva soudainement à basculer dans le vide du sommet de son monticule, le sabre de Von Stroheim le traversant de part en part. Alors Pierre se secoua, tentant de se relever. Il était encore sous le choc. Éternuant, il jeta:
- Erich, mein Freund, danke schön.
Chaleureusement, le génial réalisateur des Rapaces tendit la main au Français et l’aida à se redresser.
Mais la séance d’entraînement s’achevait. Sans le moindre avertissement, sans un scintillement annonciateur, tous les décors s’estompèrent, laissant réapparaître les murs nus de la salle holographique. Les chaises confortables sur lesquelles étaient assis Dalio, Delphine et Michel Simon connurent le même sort. Mécontents et ronchons, les spectateurs se retrouvèrent sur le sol, le bas du dos plus ou moins endolori. Albriss était l’auteur de cette farce, tout à fait involontaire.
L’Hellados s’avança pour s’entendre copieusement injurié par ces messieurs tandis que DD, une jolie moue sur son gracieux visage, marquait sa désapprobation de manière plus raffinée. Elle n’estimait pas le malotru et le lui fit savoir.
En fait, Albriss venait attribuer les points et annoncer par la même occasion qui se retrouvait qualifié pour l’expédition temporelle. À son grand dam, Pierre Fresnay fut remplacé sur le fil par Fernand Gravey. Sitruk voulait en être, mais Daniel Lin avait d’autres vues le concernant. Il l’avait mis en réserve pour accomplir une autre tâche, moins glorieuse en apparence. Prendre le commandement de l’équipe de sécurité de l’Agartha. Ainsi, il coiffait Khrumpf et Kiku U Tu. Grâce au harrtan, le Britannique était désormais assuré de s’imposer face aux Kronkos et aux Lycanthropoïdes. 
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Malgré la sélection effectuée par Albriss, ce fut presque un régiment entier qui partit à bord du Vaillant, un vaisseau entièrement rénové et agrandi, afin de rejoindre le Paris de Louis XVI, celui où Galeazzo sévissait et dans lequel Irina Maïakovska, devenue la marionnette de Fu le Suprême, allait davantage compliquer le jeu.
Autour du commandant Wu, formant sa garde rapprochée, on reconnaissait Albriss, bien entendu, mais également Frédéric Tellier, Symphorien Nestorius Craddock, Fernand Gravey, Erich Von Stroheim, puis venaient Pieds Légers, Marteau-pilon, Jules Souris et ces dames, Aure-Elise, Delphine Darmont, Pauline Carton, Brelan et Violetta Grimaud.
Un peu en retrait, la mine sombre, Alban de Kermor était dans l’expectative. Il espérait obtenir une audience de Sa Majesté Louis XVI. Ainsi, il pensait pouvoir mettre en garde le souverain sur les dangers qui menaçaient sa couronne. Sans le savoir, le jeune comte adoptait l’attitude du Voyageur des siècles, un feuilleton bien oublié de la télévision française remontant à l’aube des années 1970 de la chronoligne 1721.
Par moment, André Fermat toisait l’adolescent, n’ignorant nullement les intentions de l’exalté. Quant à lui, Alban se demandait comment échapper à la surveillance constante dont il était l’objet.
Dans un recoin, essayant de se faire oublier, Saturnin de Beauséjour caressait Ufo mais à rebrousse-poil. Malgré ce traitement, le chat conservait un calme olympien. Le vieil homme soupirait régulièrement, souriait mécaniquement à Brelan, ne comprenant toujours pas son utilité dans ce passé plus que dangereux à ses yeux.
Louise n’avait pas ce souci. En effet, l’ancienne aventurière était parvenue à démontrer à Daniel Lin qu’on ne pouvait se passer d’elle. Grâce à sa noblesse rapportée, la jeune femme s’avérait un atout précieux dans la partie mouvementée qui s’annonçait. L’hôtel particulier ancestral des Frontignac était encore debout en ce mitan du règne de Louis XVI. Or, notre comtesse en détenait les clés!
Le représentant de cette noble famille originaire de Gascogne séjournait présentement, nous voulons parler de l’année 1782, dans l’Île Bourbon et ne regagnerait le continent qu’en 1788. Bref, l’équipe de Daniel Lin avait donc à sa disposition un pied-à-terre des plus commodes sis au cœur du Paris historique. Adieu les soucis d’intendance.
Grâce à la remise en fonction du chronovision mais aussi aux machines à coudre de Louise, les tempsnautes arboraient des costumes presque authentiques. Cela ne choquerait pas les autochtones de voir les intrus revêtus de drap couleur sable ou tête de nègre, de vestes à basques, de soubrevestes unies, de gilets à liseré fleuri ou encore à fines nervures, ayant passé des culottes assorties plus ou moins ajustées, de chemises en toile, de cravates à jabot, de bicornes et de tricornes gansés ou emplumés. Les chaussures à boucles et les bottes avaient présenté plus de difficultés. Seul un synthétiseur put reproduire le cuir et le daim sans oublier le cuivre et le fer. Andrew Lane et Albriss, en mettant d’abord au point l’appareil puis en l’ajustant avaient accompli un notable tour de force.
Quant à ces dames, leurs toilettes auraient mérité un recueil entier de poèmes et de louanges. Les robes s’ornaient de paniers, de corsets, de rubans, de sous-jupes et de sur jupes. Tenues à la française, à la polonaise, robes en chemises, fichus de dentelles, ombrelles, souliers brodés en satin, bas laiteux ou rosés, oiseaux factices, plumes, navires, cages en osier dans les chevelures extravagantes, nous pourrions nous étendre sur ces frivolités durant des pages et des pages. Le bleu lavande, le vert tendre, le puce, le gris souris, le rose passé, le jaune canari se disputaient l’honneur de figurer dans ces toilettes toutes plus époustouflantes et gracieuses les unes que les autres.
Gants à profusion, colifichets inutiles et pourtant indispensables, blanc de céruse, poudre de riz, mouches en taffetas noir, voiles de gaze, mousseline, soie, brocart, œillet mignardise, rose écrasée, jasmin, violette, musc, poivre, parfums enivrants, affolants, inoubliables, et excitants.
Plus que jamais sollicité, le chronovision avait garanti la reproduction fidèle de la mode féminine de l’an de grâce 1782. Mais il avait fini par rendre l’âme sous l’effort. 
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Ne s’avouant pas vaincues, ces dames s’étaient arrangées pour fignoler leurs toilettes.
Quant à Pauline Carton, vouée au rôle ingrat de la domestique de service, elle avait mis la touche finale à toutes ces folies mais en maugréant.
Un détail avait particulièrement chiffonné Violetta. L’absence de « panty », de « pantaloons » ou de culotte en coton ou en dentelle.
- Euh… mais si le vent soulève ma jupe? Comment est-ce que je fais? Je tiens à ma pudeur, moi! Avait gémi l’adolescente. 
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- Je crois qu’il faudra nous en passer, rétorqua Pauline.
- Hum… je n’y tiens pas particulièrement, soupira Louise, mais je pense que nous n’avons pas le choix.
- Ah non! Je ne suis pas d’accord, Louise! Répliqua DD. L’indécence n’est pas mon lot.
Brelan avait fini par se rendre à l’avis général.
- Hé bien, nous tricherons et porterons de discrets pantalons de toile sous nos jupons.
- Pff! Comme si on allait regarder mes dessous! Avait conclu la Carton avec un haussement d’épaules.
- Ah! Ça, certainement pas les vôtres! Jeta Delphine avec acidité, faisant ainsi taire les lamentations de la sympathique comédienne. 
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Ainsi fut réglé ce délicat problème qui avait failli tourner à l’incident diplomatique et annuler l’expédition de Daniel Lin.

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Gaston de la Renardière avait établi ses pénates à proximité du palais du Louvre, dans une ruelle relativement tranquille. Aimant la bonne chère, il soupait souvent dans une auberge plus que centenaire, Le Coq hardi, là où une matrone fort avenante servait à ses hôtes et clients des fricassées généreuses, des omelettes baveuses d’une taille appréciable, des oies juteuses à la chair bien tendre et des poulardes farcies délicatement aux trois champignons, girolles, cèpes et bolets.
Ce soir-là, attablé devant une assiettée de cailles et de grives, se taillant de larges tranches de pâté de veau, le maître d’armes, béat, savourait son repas, l’arrosant d’un pichet de vin d’Anjou.
Lorsque Germaine Lanteret passait près de lui, Gaston l’appelait, l’interpellait, lui jetant une plaisanterie salace qui faisait éclater de joie l’accorte veuve.
Cependant, notre rescapé du règne de Louis XIII ne perdait pas de vue un certain jeune homme blond accompagné par une demoiselle à la chevelure flamboyante. Plus il observait le couple, plus il était troublé.
- Palsambleu! Je n’ai pourtant point la berlue! J’ai déjà vu cette gente demoiselle. J’en mettrais ma main au feu. Ailleurs… dans des moments difficiles si je m’en souviens bien… attifée étrangement. Cap de Diou! Comme dirait un mien ami Gascon, il faut que j’affûte ma mémoire… quant à son compère, son visage ne me dit rien… mais ce jeune oison n’a mas la conscience tranquille.
Malgré son trouble, Gaston faisait honneur à ses cailles et à ses grives, ne laissant dans l’assiette en étain que les carcasses des volatiles proprement rongées.
- Hem… je terminerais bien ce repas par un dessert, moi. Un dessert choisi et goûteux. Holà! La Germaine, par ici!
- Me voici, mon beau cavalier.
- Qu’as-tu à me proposer comme douceurs pour faire passer ce souper digne de Lucullus
- Des poires pochées au vin avec des gaufres à la crème fraîche. Cela vous va-t-il baron?
- Oh oui! Mais oublie donc un peu mon titre. Dis, as-tu remarqué ces deux jeunes gens?
- Ils ont payé leur écot sans rechigner, mon cavalier.
- Une place reste vide à leur table. Sais-tu pourquoi?
- C’est tout simple. La jeune demoiselle attend son père ou son oncle, je n’ai pas très bien compris. Elle a rendez-vous avec lui à neuf heures sonnantes.
- Et le freluquet?
- Un grand seigneur en vérité! C’est lui qui a sorti l’or d’une bourse pansue aux armoiries comtales.
- Intéressant. Peux-tu me décrire celles-ci?
- Euh… attendez. Deux mouettes, une épée, un esquif sur fond bleu, et, bien sûr, une couronne de comte coiffant le tout. Tu vois, mon service chez la haute m’a été utile, rajouta Germaine passant au tutoiement avec un sous-entendu appuyé.
- Ce que tu me décris là ressemble au blason des Kermor. Or, ledit comte actuel a quarante ans et vit dans une île quelque part au large de l’Afrique. Quant à son fils, le rejeton n’a que deux ou trois ans, pas plus.
- Un cousin? Un frère?
- Que non pas! Il y a là un mystère qu’il me faut éclaircir. Or, comme la diplomatie n’est pas mon fort et que je n’aime pas perdre de temps, je m’en vais de front attaquer le taureau par les cornes. Hop!
- Point d’esclandre, mon Gaston!
- Promis, la belle. J’aime trop ta cuisine et tes autres appâts pour nuire à ta réputation d’aubergiste la plus accueillante de Paris.      
Tandis que Gaston de la Renardière se redressait de toute sa haute taille avec l’idée de rejoindre la table du couple mystérieux, trois nouveaux clients passaient le seuil de l’auberge et, salués par les sourires soulagés de Violetta Grimaud et Alban de Kermor, se penchaient vers les adolescents avec une certaine décontraction.
- Quoi de neuf? S’enquit la métamorphe.
- Craddock a perdu la piste de Ti, répondit tout à trac Daniel Lin.
- Embêtant ça!
- Certes, reprit André Fermat. Mais nous savons où se cache…
- Galeazzo? Hasarda Violetta.
- Tout de même pas. Mais Irina Maïakovska.
- Déjà? Chapeau!
- Hum…Qu’avez-vous l’intention de faire? Fit Alban pour dire quelque chose.
- Pour l’instant Pieds Légers se charge de la Russe.
- Oncle André… s’il la serre de trop prêt, Guillaume met sa vie en danger.
- Mais, ma grande, il n’est pas seul, rajouta le commandant Wu. Jules Souris et Albriss lui prêtent main forte.
- Monsieur Wu… un grand escogriffe nous écoute en ayant l’air de nous vouloir quelque chose, risqua Kermor tout en glissant machinalement sa main droite sur la poignée de sa dague.
- Holà, marauds! S’écria alors fort à propos Gaston de la Renardière. J’ai l’impression que vous êtes tous en train de comploter contre une représentante du doux sexe. Par le diable et son compère, j’aimerais connaître un peu votre secret!
Alors, Daniel Lin se retourna prestement et ne laissa pas le temps au maître d’armes d’en dire davantage. Lui saisissant les bras avec une force inouïe, il l’immobilisa. Parallèlement, il lui sondait l’esprit. Rassuré quant à ses intentions, il lui ordonna de suivre le groupe jusqu’à l’hôtel des Frontignac. Subjugué par la voix qu’il entendait dans sa tête, le baron lui obéit sans rechigner.
Lorsque la tenancière s’aperçut que Gaston prenait le chemin de la rue, elle lui lança, mi-figue mi-raisin:
- Mais ma note?
- Sur mon compte, comme d’habitude! Rugit de la Renardière.
Dans la ruelle enténébrée, les présentations furent vite expédiées.
- Fernand Gravey, pour vous servir, mon Sieur…
Le comédien jouait le capitaine Fracasse avec un soupçon d’avance.
- André Fermat, en congé de la flotte pour convenance personnelle.
Naturellement, le vice amiral ne dit pas de laquelle il s’agissait.
- Alban de Kermor…
- Oh! Oh! J’avais donc bien raison de croire que vous aviez un lien de parenté avec ledit Breton. Quant à vous, monsieur, inutile. Je me souviens parfaitement de vous. Daniel Grimaud est votre nom. Je vous rencontrai une nuit, jadis, à la pointe de l’épée. C’était un soir d’avril 1627, je ne me trompe point. Milady de Glenn en voulait à votre vie. Vous me fîtes la promesse de me revoir après avoir décimé mes troupes.
- Belle mémoire, vraiment, Gaston de la Renardière! Je vous en félicite. Mais nous nous expliquerons d’ici peu chez une amie très chère, paisiblement, comme de parfaits gentilshommes. Non comme des malappris ou encore des faquins. Après tout, autrefois, nous nous étions promis amitié.
- Daniel Grimaud, vous parlez d’or.
- Daniel Lin, s’il vous plaît.
Ne retenant pas son élan de sympathie, le colosse se jeta au cou du jeune Ying Lung et lui donna une bonne et franche accolade. L’émule de Porthos était comme cela, franc du collier.
- Et moi, on m’oublie? S’offusqua Violetta.
- Jeune demoiselle, mon embrassement vous briserait les os.
Sur cette plaisanterie, Gaston éclata de rire. 

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jeudi 13 décembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution française : chapitre 19 2e partie.




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Une poignée d’heures après avoir reçu la visite d’Albriss, le commandant Wu se joignit à l’équipe qui réparait le Vaillant. Il se sentait coupable des dégâts subis par le vaisseau. Il lui fallait prêter main forte aux ingénieurs malgré la lassitude qui continuait à l’accabler. Nullement rancunier, Craddock l’accueillit avec le sourire tout en lui tendant un kit d’outils.
- Ravi de voir que vous êtes de retour dans le monde des vivants mon gars, lança joyeusement le Cachalot de l’espace. Désormais, cornes brouilles, ça va rouler vite ici! Ce n’est pas que cette équipe soit nulle, loin s’en faut, mais brouillard et gomme à mâcher, il vaut mieux avoir affaire directement à Dieu qu’à ses saints!
- Merci pour cet enthousiasme et la confiance que vous me manifestez Symphorien, répliqua Daniel Lin un ton en-dessous. Désolé, vraiment, de vous donner autant de travail. Alors, qu’en est-il du GPS temporel?
- Mort ou à peu près, souffla Andrew Lane. Sir, je me demande encore vous avez réussi à localiser l’Agartha dans cette année 2152 située dans une piste temporelle loin de celle dont vous veniez? Effectuer un saut transtemporel dans de telles conditions révèle de l’exploit ou encore du miracle…
- Disons que je connais par cœur le chemin de la cité, fit le daryl gêné. Parlons plutôt des réparations. Nous avons besoin, je pense, de fabriquer du biogel multicouches capable de supporter les sauts multidimensionnels. Normalement, en modifiant cinq brins d’ADN  à des nénuphars de Sestriss 5, puis, ensuite en greffant les nouveaux plants obtenus à des bourgeons de pélims originaires de Naor, nous devrions nous en sortir à peu près correctement et être en mesure de fournir au vaisseau un GPS à toute épreuve.
- Puisque vous le dites, sir, répondit doucement Mina, inclinant légèrement la tête sur le côté, marquant ainsi sa vénération et son approbation.
Daniel Lin s’approcha des câbles contenant lesdits biogels. Ne craignant pas de se tacher, il y plongea les mains et en retira quelques gouttes nauséabondes d’une couleur assez moche, bleu pétrole tourné. Habituellement, le biogel arborait un beau vert d’eau.
- Les biogels avaient déjà surchauffé lors de la panne provoquée sciemment par Opaline, rappela avec ammeistre le commandant Wu. Mon atterrissage raté n’a fait qu’aggraver les choses.
Le daryl androïde n’acheva pas; Fermat venait d’entrer dans le hangar. Il paraissait assez nerveux ce qui était insolite chez lui. Ne jetant pas même un regard rapide sur les ingénieurs et techniciens présents, il marcha tout droit jusqu’à Daniel Lin et lui dit d’une voix étouffée où perçait un certain soulagement:
- Ah! Vous allez bien. Tant mieux. Je pensais que Sitruk…
André s’arrêta net saisissant qu’il n’était pas réapparu aux bonnes coordonnées temporelles. En fait, il avait un peu d’avance. Or, le commandant Wu avait entendu le nom prononcé par son mentor. Quelque peu étonna, il lui demanda:
- Le commandant Sitruk du Cornwallis? Que je sache, il n’est point parmi nous. Même si la cité s’est enrichie de la présence de l’ingénieur Lane, de celles du psychologue Manoël et de Mina, sans que je comprenne exactement pourquoi précisément ils sont venus ici et se sont mis immédiatement à mon service, Benjamin brille par son absence. Pardonnez-moi, André, mais vous semblez… déphasé…
- C’est justement le cas, jeta Fermat sèchement.
- Je vois. Un problème d’ajustement sans doute. Cependant, permettez-moi de vous remercier pour votre désamorçage de la bombe de l’éléphant de plâtre puisqu’il y a eu, à l’évidence, une modification, minime, de la chronoligne.
- Surgeon, laissons cela. Quelle heure est-il précisément? Je dois adapter mon horloge interne au continuum local.
- Euh… seize heures quarante-cinq, amiral, répondit Craddock.
- Hum… l’erreur est minime. Je suis pardonnable. Quinze minutes tout au plus dans l’écart… voilà, je viens d’effectuer le réglage.
- Expliquez-vous, André.
- Commandant, c’est inutile, non? Vous avez compris de quoi il retournait. Shangri-La va comporter très bientôt deux nouveaux résidents. Daniel Lin, vous attirez comme un aimant tous les talents, même les plus improbables, tous ceux qui, un jour, ont croisé votre chemin.
- Certes oui, mais… oh! Vous avez raison. Maintenant je capte clairement une pensée familière. Une présence amicale, chaleureuse, naïve, entièrement dépouillée de malice. Uruhu! J’ignorais qu’il me manquait autant. Le K’Tou s’approche de la cité. Ainsi, lui aussi a entendu l’appel… que je n’ai point lancé, je vous l’assure. Moi-même, ailleurs, je lui ai donné l’autorisation de quitter le Langevin. Je ne pouvais faire moins. Désormais, je me souviens de cela. Mais Uruhu est à la fois heureux et inquiet. Il est rassuré d’avoir réussi à me localiser. Il regrette également d’avoir accordé sa confiance à ce Sitruk si différent de celui qu’il connaît. Quant au Britannique, il est fou furieux. Ah! La situation envenime apparemment. Il me faut m’en mêler…
- Daniel Lin, je vous l’interdit! S’écria Gana-El prêt à stopper le jeune Ying Lung. Vous êtes à peine rétabli et…
- Uruhu ne doit pas, ne peut pas mourir stupidement ici! Fit Dan El sur un ton sans réplique. Mon esprit ne peut accepter cette monstruosité. Vous le savez comme Je le sais!
Subjugué par l’autorité de son fils, Gana-El recula.
Le jeune et impétueux Ying Lung gagna donc l’ascenseur et s’y engouffra. Il se retrouva vite au niveau zéro. La suite, vous la connaissez. André ne pouvait qu’accepter ce qui devait advenir. Alors, il prit les mesures adéquates pour minimiser les actions téméraires de son fils. Incidemment, il calma également les instincts meurtriers de Sitruk, le ramenant lentement à la raison. Il n’a pas besoin non plus d’une longue explication pour recevoir l’aide de Craddock, Tellier et Marteau-pilon sans omettre celle de Denis O’Rourke. Lui aussi savait se montrer fort persuasif.

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Une semaine après l’installation de Sitruk et Uruhu dans la cité, le commandant Wu eut une explication avec son géniteur. Gana-El ne se déroba pas à celle-ci.
Ravalant sa fierté, foulant aux pieds son orgueil démesuré, Daniel Lin parlait, parlait encore, demandant des explications, recevant les éclaircissements attendus, s’excusant de son insatiable curiosité.
- Ainsi donc, dans la Supra Réalité, celle qui embrasse tous les potentiels, dans chacune de leurs circonvolutions, vous m’avez toujours accompagné jusqu’à ce que je prenne enfin conscience de mon identité.
- Je dirais plutôt que vous repreniez conscience, mon fils.
- Oui, bien sûr. Quitte à vous retrouver matériellement mon géniteur… vous n’avez pas hésité à vous incarner en André Fermat, Tchang Wu, Ali Husseini, Sirius Lane et j’en passe.
- Il le fallait, Dan El.
- Mon véritable nom.
- Tout à fait.
- Moi un Dragon défiant la Totalité! Voulant lui prouver quoi au juste? Que j’étais plus capable qu’Elle de réussir, de ciseler la Création alors que je n’étais qu’un enfançon vagissant?
- L’idée d’amour que vous n’aviez pas encore expérimentée vous menait, vous aveuglait mon enfant. Vous avez outrepassé les ordres de l’Unicité. Franchissant le pas, vous avez mis tout le Réseau Mondes en émoi. Alors, l’inévitable s’est produit. La Création à venir a vacillé, oscillé entre le possible et le probable.
- Je vois… je me suis lancé dans une Expérience simulée d’une réalité époustouflante.
- Une sorte de pré reconstitution. Sans vous poser la question des conséquences. Vous fuyiez vos responsabilités. Enfant rebelle, brillant et fier, vous avez anticipé la création du Système Sol, puis modelé la Terre, encore et encore, éternel insatisfait. Une fois ensemencée, vous avez attendu les résultats.
- Je fus déçu par ce que je voyais… soupira le jeune Ying Lung.
- Comment pouvait-il en être autrement, Dan El? Vous n’aviez pas trois ans d’âge mental. Vous intervîntes une fois, cent fois, des milliers de fois. Vous multipliâtes les coups de balai. Tout comme les coups de pouce d’ailleurs. Vous ouvrîtes un boulevard à Homo Sapiens. Naturellement, vous fîtes jaillir un être à votre image, imbu de lui-même, persuadé de sa supériorité, brillant, certes, mais violent, capricieux, immature, cruel, gâtant tout ce qu’il accomplissait de grandiose, capable de s’autodétruire et son berceau avec lui.
- Oui, tout comme moi, à ma semblance… murmura Dan El humblement.
- Votre portrait moral tout craché. Génial et inconséquent. Vous comprenez que cette Expérience à échelle réduite devait être effacée. Le Temps allait naître. Le véritable Panmultivers avec.
- Or, il advint quelque chose d’imprévisible. Mon Expérience, si imparfaite fût-elle, permit de révéler la Faille.
- Plus précisément, de réveiller l’Inversé, mon fils. Acculée, l’Unicité n’eut pas d’autre choix que de chercher à vous sacrifier afin de satisfaire la faim du Ying Lung noir, et, à terme, de le résorber. 
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- Ah! Le Chœur Multiple me tendit un piège et moi, comme un benêt, je courus m’y précipiter.
- Ensuite, vous affrontâtes la colère de la Totalité. Expérimentateur, beaucoup de mes frères penchaient pour votre annihilation.
- Mais vous, vous plaidâtes ma cause. Longuement, sans vous décourager. Avec habileté, vous fîtes valoir que j’étais l’accomplissement du Tout, qu’il manquait quelque chose à l’Unicité, que c’était un sentiment appelé l’Amour. Après tout, ce que j’avais fait ne relevait que d’une erreur de jeunesse! Comprenant l’étendue de ma faute, je pouvais m’amender.
- Oui, c’est cela que je plaidais.
- Tout tremblant, écartelé, souffrant mille morts, je reçus la sentence. Moi seul aurait pour tâche, pour devoir d’affronter l’Inversé! Car moi seul pourrais en triompher.
- Vous acceptâtes pour vos petites vies Dan El. Telle était la douloureuse contrepartie. Cependant, il fallait vous améliorer encore, vous sculpter, vous ciseler, expurger ce qui avait permis l’Existence de l’Inversé.
- Mon père, je ne suis pas le seul fautif de cette éclosion!
- Non, mais vous en fûtes bien le catalyseur. Après votre consentement, une nouvelle Simulation commença.
- Le plus terrible m’attendait. Je fus mutilé, ma mémoire vidée. Puis je fus expulsé et me retrouvai tombant dans le Shéol, l’Enfer matériel. Mon essence fut projetée sur cette Terre si instable, si menteuse et si barbare. Handicapé, réduit à n’être qu’un Surhumain, envahi par la colère, la rage même, conduit par la haine, une haine inassouvie et inexplicable, je n’eus de cesse que de vouloir me venger de mes frères, du moins ceux que je prenais pour tels. Ne désirant que faire le mal, torturer, m’abreuver de sang, de douleur, je m’incarnais une première fois dans l’Avatar de Daniel Deng. Sybarite odieux, vil tyran, assassin manipulateur, menteur cruel, je me complus dans le meurtre, l’abjection et l’horreur. 
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- Pourtant, mon fils…
- Pourtant, au plus profond de ce que j’étais réellement, subsistait l’aspiration à la pureté. Ne devais-je pas me vaincre moi-même avant de vaincre l’Autre?
- Le faux temps passa. Plus tard, vous vîtes le jour sous l’identité de Daniel Lin Wu Grimaud. Cela sur près de deux mille chronolignes potentielles.
- Mon père, quel mal vous vous étiez donné pour que cela advint enfin!
- Certes. Mais alors, tout s’accéléra, Dan El.
- Je comprends. Ce fut moi-même que je combattis en tant que Daniel Deng. La Totalité ne manque pas d’humour…
- Un humour involontaire, mon enfant.
- Toutefois, cette épreuve était nécessaire, reprit le jeune Ying Lung après un temps de réflexion.
- Une répétition du duel futur…
- Lorsque je tentais de m’annihiler moi-même sous les traits du pseudo Zoël Amsq, saviez-vous, mon père, ce qui se passait vraiment au niveau de la Supra Réalité?
- Pas entièrement car, voyez-vous, il y avait bien trop longtemps que j’avais quitté le Réseau.
- Hum. Je vous crois. J’ai fusionné avec vous, je sais que vous dîtes la vérité. J’ai aussi parfaitement conscience du sacrifice auquel vous avez consenti en me suivant dans cet exil. Tout cela pour me permettre de me racheter une conduite.
- Mais surtout, de parvenir au But, mon fils.
- Je vous en suis reconnaissant, sincèrement. Je ne faillirai pas, je vous le promets. J’assume le devoir d’éradiquer la Lumière inversée. Je prends sur mes épaules la charge de l’incongrue création.
- Dan El, je devrais me montrer heureux, approuver votre résolution… cependant, en vous limitant à la Terre, à l’humanité, vous vous liez pour l’Eternité! Vous ne pourrez plus créer. Ainsi, vous vous privez d’autres expériences plus abouties, plus gratifiantes. Vous vous retrouvez prisonnier de ces animalcules imparfaits.
- Mon père, j’en ai une conscience aiguë. Ne les méprisez donc point autant. Ces humains, de l’Homo Habilis à l’Homo Spiritus, d’Adam à Michaël, en passant par le mythique Pi’Ou, Uruhu, Benjamin et tant d’autres tout aussi précieux et chers à mon cœur… je serai avec eux, je serai eux! Je vivrai tout ce qu’ils vivront. Ils apprendront, j’apprendrai. N’est-ce pas merveilleux? Ils expérimenteront, eh bien, j’expérimenterai également. Je progresserai avec eux, voilà tout, jusqu’à n’être plus qu’Amour, oui, entièrement, totalement! Je n’ai point honte de le reconnaître. L’idée d’amour fut ma faiblesse. Elle sera ma force, elle triomphera et s’imposera à tout le Chœur Multiple. Elle seule anéantira le Dragon Noir!
- Hum… vous en êtes convaincu, Dan El.
- Oui et vous aussi! Puisque vous m’avez accompagné, puisque vous me laissez la bride sur le cou, puisque l’Unicité a autorisé tout cela.
Daniel Lin se leva de son siège et avec hardiesse embrassa son père sur le front.
- Mon père, ce simple geste doit vous rendre heureux.
- Il me comble Surgeon, en effet. Bien plus qu’une fusion.
À son tour, André étreignit le commandant Wu. Or, ce dernier savait pertinemment que cette démonstration d’affection coûtait au vice amiral. Depuis son retour dans la cité, le plus âgé des Yings Lungs peinait à conserver sa matérialité de chair. L’unicité n’avait effectivement que partiellement cédé à sa prière d’un ultime avatar.

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Dans la caverne secrète, le duc de Chartres leva une main; il ne savait s’il devait autoriser ce duel ou s’y opposer. Après une rapide réflexion, il opta pour la première solution mais réclama ce qui était son droit et sa prérogative. 
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- Messieurs, c’est entendu. Cet affrontement aura lieu. Toutefois, vous cesserez au premier sang.
Alors, ne se le faisant pas répéter, les deux gentilshommes se mirent en garde après s’être salués selon les règles de l’escrime. Les premières passes et bottes furent rapides. Tout le monde faisait silence ce qui permettait d’entendre distinctement le cliquetis de l’acier contre l’acier.
Des deux escrimeurs, Beauharnais semblait le plus aguerri.
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 Il montrait plus de technique et plus de sang-froid que son adversaire. Cependant, le vicomte de Noailles avait pour lui la fougue, l’assurance et la morgue. 
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Mais le futur général ne reculait pas. Qui plus est, lentement mais sûrement, il marquait des points, obligeant son adversaire à parer les attaques et les assauts plus ou moins hétérodoxes. Dernièrement, Beauharnais avait pris quelques leçons chez un maître d’armes en vogue, un certain Gaston de la Renardière. L’homme, un géant aux cheveux blond roux, pouvait obliger ses meilleurs élèves à aller jusqu’au bout de leurs possibilités.
Bientôt, les deux bretteurs furent obligés d’élargir le cercle de leur affrontement. Un instant, Noailles regretta d’avoir déclenché ce duel. Les passes s’enchaînaient, les lames se liaient et se déliaient, les fers se croisaient tandis que le vicomte transpirait abondamment malgré la fraîcheur de la température. Seul son orgueil lui imposait de poursuivre. Il était évident que Beauharnais le ménageait.
Cela n’échappa pas non plus aux spectateurs et particulièrement à Galeazzo di Fabbrini. Le comte italien pensait.
- Ce Beauharnais a fait de grands progrès dans le noble art de l’escrime. Décidément, il faudra que moi aussi je fréquente davantage les salles d’armes et cultive l’amitié de maître de la Renardière. Cette esquisse de Porthos me plaît. Je pourrais l’appâter en lui présentant mes dernières inventions, lui faire une démonstration gratuite, pour le plaisir. Peut-être l’aurais-je comme allié.
Beauharnais estimait maintenant qu’il était temps d’en finir. Il se lassait d’amuser la galerie. Sans que le vicomte de Noailles comprît comment son adversaire s’y prit, la lame de ce dernier s’en vint directement le toucher sous la clavicule de l’épaule gauche et lui érafla les chairs. Aussitôt, la blanche chemise s’imprégna de sang tandis que le comte français rompait son combat.
- Monsieur, fit le futur général, Monseigneur a dit « au premier sang ». Cela vous satisfait-il? Quant à moi, je reste votre ami.
Légèrement pâle, le vicomte de Noailles lâcha son épée et prononça d’une voix claire les paroles de la réconciliation.
- Monsieur, je suis fier d’avoir été vaincu par votre lame. Mon amitié vous reste acquise.
Le duc de Chartres approuva vivement cette fin heureuse. Quant à Galeazzo, il ne put se retenir d’applaudir comme s’il se trouvait au théâtre.
- Je ne sais pas pourquoi mais ces deux-là me font penser à deux loups de haut lignage essayant de se prouver mutuellement leur supériorité. Et le vaincu, sous la lune, présente tout naturellement son ventre et sa gorge au vainqueur. Celui-ci, magnanime, l’épargne à la condition que, plus jamais, il ne le défiera. Des loups de haut lignage… me voilà bien généreux. Moi, je suis le loup blanc, aux cruels yeux gris jaune qui voit plus loin, ô combien, que l’orée de la forêt et que la steppe enneigée.
Cependant, le prince réclamait le silence. Les acclamations cessant, Philippe articula distinctement ce qui suit.
- Messieurs, êtes-vous d’accord pour entériner l’identité du véritable descendant de la seule lignée légitime des rois de France? Quant à vous, madame, votre avis est également requis.
- Oui-da, nous le sommes, s’écrièrent avec un bel ensemble tous les nobles.
Puis, tous remirent en place leurs masques d’oiseaux de proie.
Les vivats fusèrent. L’Ultramontain avait la joie au cœur. S’approchant du hibou grand-duc, il lui murmura à l’oreille fort discrètement: 
- Monseigneur, il y a peu de jours, je me suis rendu en Corse, à Ajaccio. Ensuite, j’ai regagné le continent pour rejoindre l’école de Brienne. J’ai ainsi pu sonder l’âme des hoirs de Charles Marie de Buonaparte. Je vous conseille de favoriser le second des fils, le puîné et non l’aîné. Il se nomme Napoleone. 
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- Oui, comte, je verrai.

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Été 2478, île d’Hokkaido, piste temporelle 1721 bis. 
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Le vieux philosophe et lettré Li Wu tentait une nouvelle expérience qui dépassait l’entendement de son petit-fils. Tchang quant à lui, avait renoncé à tempérer la curiosité du chef de famille.
Quittant les alentours de la vaste propriété, Li Wu s’était engagé jusqu’à une mare que peu de personnes fréquentaient. Il y avait de quoi car, le lieu, assez inhospitalier, était envahi par les moustiques. Parvenu devant la berge, le vieil homme se déshabilla méticuleusement et plia ses vêtements. Ensuite, il s’allongea sur la terre mouillée malgré le bourdonnement agaçant des milliers de diptères affamés.
Que cherchait donc à prouver le grand-père de Daniel Lin?
Selon les préceptes jaïnistes, toute forme de vie méritait le respect et ainsi la préservation, y compris celles qui portaient atteinte au confort humain. C’était pourquoi Li Wu reprenait cette expérience d’ascèse jaïn consistant à demeurer la proie consentante des moustiques une journée entière, sans tenter de tuer les agresseurs qui le piquaient dans tout le corps, jusqu’aux moindres replis les plus sensibles ou les plus chatouilleux.
En fait, Li Wu ne ressentait rien, aucune gêne. Il avait détaché son esprit de son enveloppe corporelle.
Enfin, lorsqu’il estima que l’expérience avait assez duré, le vieux sage rouvrit les yeux. Vingt-quatre heures s’étaient écoulées et le philosophe arborait désormais des boursouflures, des plaques rouges à profusion sur toute la peau.
Bien évidemment, repasser sa robe et ses chaussures lui coûta. Mais déterminé, Li Wu y parvint, repoussant dans le néant non seulement la douleur bien réelle mais également la fierté de ce succès sur lui-même.
Tandis que l’ancêtre se rapprochait de la villa, un enfant s’en vint à sa rencontre. Les yeux bleu gris du garçonnet brillaient d’excitation.
En voyant son grand-père ainsi défiguré et se déplaçant avec difficultés, Daniel Lin réprima un cri de stupeur où la compassion n’était pas absente.
- Grand-père, fit l’enfant, que t’est-il arrivé? Pourquoi t’es-tu ainsi offert à de vils insectes?
- Daniel Lin, tu as encore lu dans mon esprit alors que je ne t’avais pas autorisé à le faire. Sache qu’il ne s’agissait que de moustiques, mon garçon. Eux aussi jouent un rôle précieux dans l’équilibre de l’écosystème. Alors, respecte-les.
- Certes, grand-père, c’est entendu. Mais puis-je donner mon avis? Oui? Ah! Tu as peut-être détruit justement cet équilibre en les nourrissant, en les gavant comme tu l’as fait! Reconnais-le.
- Hum… veux-tu tenter toi aussi l’expérience? Tu devrais, cela dompterait ton énergie. Ainsi tu apprendrais à la fois la discipline et la nécessaire idée du sacrifice.
- Grand-père, je ne pense pas être déjà prêt. Je suis encore trop jeune. Cependant, je ne refuse pas ta proposition. Ce soir, je vais prier le Bouddha et, bientôt, sans doute, je t’imiterai. Je t’en fais le serment.

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