samedi 15 juin 2019

Un goût d'éternité 4e partie : Franz : 1939 (1).


1939

Début janvier de cette fatidique année, Londres. 
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Un dénommé Stéphane Andreotti débarquait seul dans la capitale britannique. Il devait rendre visite à un de ses oncles, installé à Piccadilly où il avait ouvert un restaurant il y avait quinze ans déjà. Le jeune homme s’exprimait sans le moindre accent dans la langue de Marlowe. Il n’éprouva donc aucune difficulté à héler un taxi et à lui demander de le conduire dans ce quartier.
Agé d’à peine vingt ans, Stéphane était employé municipal à Bastia où il exerçait la profession de rédacteur. Ses opinions politiques assez tranchées le faisaient appartenir au courant bonapartiste et le sang lui montait vite à la tête lorsqu’il croyait que l’on insultait les Corses, ses compatriotes.
Dominique, l’oncle, l’accueillit avec chaleur et lui offrit de le loger le temps de son séjour.
- Merci, mon oncle, répondit Stéphane.
- Quel bon vent t’amène jusqu’ici, mon neveu ?
- Rien de spécial…
- A d’autre. Allons… dis-moi tout…
- J’avais besoin de changer d’air, vois-tu…
- Une histoire de fille ?
- Non… Une histoire d’honneur…

*****

20 Avril 1948. Quelque part en Sibérie orientale, un village perdu au milieu de cet immense désert glacé. 
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Nicolaï Diubinov, rencontrait le chef des recherches spatiales soviétiques. Le futur dirigeant de l’URSS arborait un costume froissé taillé dans un tissu bon marché. Tandis qu’il allumait une cigarette à l’aide d’un briquet, il détaillait des yeux son interlocuteur, le toisant avec sévérité.
- Sergueï, je suis déçu…
- Il n’en va pas de ma faute, camarade Nicolaï. Loin de là…
- Explique-toi…
- Tu n’as pas idée combien nos ingénieurs d’origine allemande savent faire preuve de réticence et se montrer d’une efficacité douteuse. Cela fait plus de vingt fois que nous essayons de faire décoller cette fichue fusée !
- Camarade Sergueï, c’est toi qui t’y prends mal !
- Une fois, ce sont les circuits électriques qui tombent en panne, une autre fois, les moteurs ont des ratés…
- C’est bien ce que je disais, souffla Diubinov en examinant le petit bureau chichement éclairé par une lumière verdâtre. Il faut te montrer plus ferme avec cette engeance. Mettre au cachot les fortes têtes sans manger durant une semaine.
- Mais j’ai déjà tenté cela. Sans résultat aucun.
- Y compris le passage à tabac ?
- Bien évidemment…
- Alors, il ne reste plus que la torture mentale et physique…

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21 Août 1993, Kremlin. 
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Le chef de l’URSS recevait en grand secret le directeur du KGB, Piotr Balankhinov. Le Premier Secrétaire du Parti communiste de l’URSS avait revêtu un costume bleu nuit et sur son bureau en acajou un cendrier plein manifestait que le vice du tabac ne lui était pas passé malgré les années écoulées.
- Mon cher Piotr, il est plus que temps de réveiller nos taupes là-bas… commencer le travail de sape à l’encontre de ces maudits Amerikanskis… saboter tous les postes de commandement.
- Certes, camarade Président. J’attendais ton feu vert avec impatience… mais je n’ai pas osé l’anticiper.
- Tu as eu raison.
- Mais tous nos efforts ne suffiront pas. Les Yankees disposent d’une arme secrète. Tous nos agents bien placés nous l’ont confirmé.
- Oh ! Je sais de quoi tu parles, Piotr. Je suis déjà au courant. Ne t’emballe pas. Leurs modules spatio-temporels.
- Euh… C’est cela, oui…
- Un certain Stephen Möll en serait l’inventeur… foutaises ! En attendant, ce petit prof d’université n’est pas prêt à laisser son engin aux militaires. Ces derniers ont tenté de l’obtenir, mais sans succès. Il est protégé…
- Comment cela ?
- Par quelqu’un que je compte bien enlever bientôt. Or, moi, je sais comment m’y prendre avec cet individu.
- En attendant, nous avons deux longueurs de retards, camarade secrétaire…
- Que non pas ! Nous aussi nous disposons d’un translateur. Eh oui, cette nouvelle te laisse pantois…
-Je n’étais pas au courant…
- Normal. Oui, tout à fait normal car ce fichu engin n’est pas opérationnel. Toutefois, ce n’est là qu’un détail, un minuscule défaut qui sera pallié au plus vite.
- Je veux espérer… mais raconte-moi comment tu peux posséder un tel engin.
- Le dénommé Stephen Möll a tout d’abord construit un premier exemplaire de son module. Or, cet exemplaire, pour des raisons que j’ignore, a fini par être détruit. Actuellement, il utilise un deuxième appareil, appareil que nous sommes parvenus à voler mais que nous avons dû rendre, dans l’impossibilité que nous étions d’en comprendre le fonctionnement.
- C’était là une grave erreur, émit Piotr en allumant une cigarette offerte par Diubinov.
- Les Américains n’y ont vu que du feu. Et Stephen également. Quant à celui qui en avait la garde, il nous a laissés faire… une journée, pas davantage.
- Tout de même…
- Oui, nous avons restitué le translateur à son propriétaire, tout simplement parce que les ordinateurs qui contrôlaient la mise en fonction n’obéissaient à aucun de nos ordres. Nous ne sommes pas parvenus à casser les codes de sécurité.
- Donc l’engin ne s’est pas laissé violer.
- En quelque sorte. Toutefois, les Américains et les Israéliens ont, eux aussi, pu utiliser un translateur. Mais l’engin s’est perdu quelque part dans les méandres du temps. Heureusement d’ailleurs.
- Je frémis…
- Bref, le cours de l’Histoire n’a pas été modifié d’un iota.
- Poursuis donc. Tout cela ressemble à un roman.
- En effet. Tu connais Johann van der Zelden…
- Ce capitaliste qui nous sert ? Oui…
- Un quatrième exemplaire du module temporel a existé… et ce, bien avant notre époque actuelle. Franz von Hauerstadt… Ce nom doit te dire quelque chose, non ?
- Le physicien ayant travaillé sur l’électromagnétisme et sur un lanceur européen ?
- Le Germano-américain avait mis au point un prototype de translateur bien avant Stephen Möll. Et l’appareil fonctionnait. Avantage, il était dépourvu de protection électronique.
- Alors ?
- A l’époque, je parle des années 1950, un de nos chefs de la police secrète, le dénommé Sergueï Antonovitch Paldomirov, plus connu à l’Ouest sous le nom de Pierre Duval, avait réussi à voler le translateur de Franz.
- Cet appareil, serait-il toujours en notre possession ?
- Oui, Piotr.
- Alors, pourquoi nos scientifiques ne sont-ils arrivés à rien ?
- Lorsque nous avons mis la main sur ce maudit engin, nous nous sommes rendus compte trop tard qu’il avait été saboté avec le plus grand art. Il y manquait et il y manque toujours un élément essentiel, une puce électronique subtilisée soit par celui qui protège l’exemplaire de Stephen Möll, soit par von Hauerstadt lui-même.
- Que d’années perdues !
- Oui… pendant des années et des années, nos chercheurs ont construit des modules temporels non opérationnels qui parvenaient, certes, à voler, mais jamais à se déplacer dans le temps.
- Que s’est-il passé alors, lorsque vous avez compris qu’il y avait eu sabotage ?
- Pierre Duval a été accusé de haute trahison et éliminé. Mais, maintenant, il y a du neuf. Johann nous a promis de nous fournir la puce manquante ainsi que son aide quant à l’enlèvement du protecteur de Stephen Möll.
- Ah… mais s’il s’agit d’un individu qui vient du futur, ce ne sera pas chose facile…
- Nous pouvons tenter le coup avec toute l’assurance de réussir. Michaël Xidrù, tel est le nom de cet homme, tombera entre nos mains car notre allié connaît son point faible.
- Quel est-il ? Comment comptes-tu t’y prendre ?
- Avec un annihilateur d’énergie… Van der Zelden s’est engagé à nous le fournir. Cette petite merveille obligera Michaël à obéir à nos ordres. Elle émet un champ négatif d’énergie qui va vider l’agent du futur.
- Oh ! Mais comment van der Zelden peut-il posséder un tel engin ?
- Je l’ignore. Je crois savoir que l’annihilateur serait originaire du quatrième millénaire…
- Ce banquier et homme d’affaires est un dangereux individu…
- Oui, et c’est pour cela que j’envisage de m’en débarrasser une fois qu’il n’aura plus son utilité.
- Tâche ardue, au premier abord…
- D’autant plus que lui aussi voyage dans le passé… et sans doute dans le futur… Mais j’ai un plan…
- Lequel ?
- Tout d’abord un conflit atomique dans lequel nous n’aurons pas commencé les premiers. Ensuite la guerre du temps… par missiles sol-air temporels interposés…
- Encore faudrait-il avoir des translateurs fonctionnels et ne pas être devancés, soupira Piotr.
- Il faut avoir la foi en notre patrie en nos ingénieurs, camarade…
Le sieur Balankhinov garda pour lui ses doutes. Tout cela lui paraissait des plus aléatoires…
*****

27 Juillet 1794. Nuit du 9-Thermidor An II. Paris. Hôtel de Ville. 
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Délivrés par la Commune de Paris, les cinq Conventionnels rebelles tentaient de soulever le peuple contre l’Assemblée. Mais pour cela, il leur fallait rédiger un appel à la population.
- Au nom de qui ? S’enquit Robespierre, très formaliste.
- Au nom de la Convention nationale, lui répondit Couthon. Ne se trouve-t-elle pas partout où nous sommes ? 
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- Mon avis est qu’on écrive au nom du peuple français, poursuivit l’Incorruptible.
Pathétique, n’est-ce pas ? Voilà à quoi perdaient leur temps ce insurgés, en palabres, en questions de droit… ils gaspillaient leur chance mais n’en avaient pas conscience… leurs vies ne tenaient plus que par un fil car leurs adversaires s’organisaient, eux.
Ainsi, Léonard Bourdon, suivi par toute une compagnie de gendarmes fit irruption dans la grande salle de l’Hôtel de Ville aux environs de deux heures du matin. A l’extérieur, les Jacobins partisans de Maximilien ainsi que les membres favorables à Robespierre s’étaient déjà dispersés sous une pluie battante.
Lorsqu’il vit le député et la troupe, Le Bas comprit qu’il était perdu. Alors, vite, il se tira une balle dans la tête. Le jeune frère de Robespierre choisit de courir sur les toits. Là, il tenta de haranguer les policiers et les rares Sans-Culottes présents sur la place. Mais s’apercevant de l’inanité de ses efforts, il se jeta dans le vide. Ce fut un corps démantibulé, sans vie, qui fut recueilli par les gendarmes.
Couthon, quant à lui, malheureux infirme, fut précipité rudement au bas d’un escalier. Cependant, Robespierre s’emparant d’un pistolet, retourna l’arme contre lui et ne réussit qu’à se fracasser la mâchoire.
Une autre thèse développée quelques jours plus tard disait qu’un certain Méda ou Merda avait neutralisé le Conventionnel.
Seul Saint-Just n’avait pas eu un geste pour s’opposer à Bourdon et à sa troupe. Impassible, déjà ailleurs, il se rendit, se laissant ligoter.
Or, à la fenêtre d’une maison voisine, muni d’une lunette astronomique, Stephen Möll n’avait rien perdu de cette arrestation mouvementée.
- Pourquoi tant de colère ? Lui demanda Michaël. Après tout, ce ne sont là que quelques terroristes qui vont être exécutés dans la journée.
- Oh ! Vous… je ne sais pas ce qui me retiens.
- Vos compatriotes n’ont jamais été des partisans de l’Incorruptible et de la Terreur…
- Eh bien, je suis l’exception qui confirme la règle, répondit le professeur d’un ton acide.
Or, pendant cette altercation, après avoir été conduits ou transportés jusqu’aux Tuileries et y avoir séjourné jusqu’au matin, les hors-la-loi, leur identité reconnue par le Tribunal révolutionnaire, furent amenés en charrette jusqu’à l’échafaud.
A sept heures du soir, ce 10 Thermidor, ils étaient tous exécutés.
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 L’opinion publique réclamait la fin des exécutions, la fin de la Terreur. Elle obtint satisfaction, oui, bien évidemment. Mais ce n’était pas là l’intention première des comploteurs. Avant tout, ils voulaient sauver leur peau. Tallien retrouva sa maîtresse avec un vif soulagement. Pendant quelques mois, il bénéficierait d’une grande popularité. Mais comme pour tous ses amis, celle-ci se fanerait vite. Les vainqueurs, corrompus, jouisseurs, gaspilleraient leur capital de sauveurs de la patrie.

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