samedi 22 janvier 2011

Mexafrica 3e partie : le chevalier au blanc harnois chapitre 22

Chapitre 22

L’exécution de Penta Pi devait avoir lieu en public afin de servir d’exemple à d’éventuels rebelles. Il fallait tuer dans l’œuf toute velléité de résistance. L’équipage, tenu en joue par les guerriers, assista, menotté, à ce spectacle où, pourtant, pas une goutte de sang ne fut versée.

Mais les enfants de Daniel Wu et de Benjamin restaient introuvables!

Lorenza, au bord des larmes, tentait vainement de ne pas montrer son trouble. Elle parvint à se cacher le visage lorsque la semi-entité, entourée de filins hyper lumineux, perdit lentement son apparence humaine, se transformant peu à peu en langue noire, s’estompant progressivement, non pour se réfugier dans d’autres dimensions, mais bel et bien pour disparaître définitivement! Avant de s’éteindre pour toujours, Penta Pi eut cependant la force d’envoyer un ultime message à Benjamin ainsi qu’aux autres officiers supérieurs du vaisseau.

« Courage les amis! Tant que Daniel Wu n’est pas entre les mains de cet histrion de Tsanu XIII, tout n’est pas perdu! Bientôt, Zoël Amsq sera de retour, ici, dans le quadrant Delta, où votre vaisseau se dirige vraiment! Restez prudents! Cet individu n’est pas ce qu’il paraît! La haine envers l’humanité le ronge! L’esprit de vengeance également ».

Comment mourut précisément Penta Pi? Ses particules se décomposèrent et, une à une, furent expédiées aux confins du pré Pantransmultivers là où tout n’était encore que potentiel, infinité de possibilités. Elles devenaient ainsi des microparticules, tourbillonnant à des vitesses inconcevables, mêlant les forces, les réunifiant, refondant matière et antimatière, selon des pulsations que l’on aurait pu croire aléatoires, révélant, en fait une symétrie et une volonté fragiles. Bref, c’était l’équilibre de la soupe originelle.

À l’intérieur de cette langue noire, qui s’écartelait et devenait, contre son gré minuscule, infinitésimale, des fulgurances soudaines naquirent, se recomposant sans cesse, faisant perdre lentement mais sûrement tout sentiment d’existence à l’être décadimensionnel sacrifié sur l’autel de la vengeance certes, mais aussi sur celui de la nécessité!

Maintenant, il suffisait au Pantransmultivers de se réunifier à l’instant zéro pour que l’unité de Penta Pi fût définitivement rompue! Chacune de ses particules et antiparticules se disperseraient alors pour connaître un destin différent. C’est ce qu’il advint. Son réseau de conscience fut brisé et Penta Pi mourut!

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Or, une chose incompréhensible, inimaginable, prodigieuse, imprévisible survint. Seul l’agent MX terminal 132544 aurait su l’expliquer, et, peut-être aussi Daniel lin Wu. Le blastocyste primordial se scinda!!! Le cube de Moebius se fendit et s’ouvrit! Chose tant redoutée, si terrible, si abominable, si porteuse de noirceur et de désespérance que le Pantransmultivers frémit et sanglota! Et de cet objet, de l’anté Big Bang, enfermés, ligotés pour l’éternité de l’éternité, mais désormais libres, surgirent à foison daïmons, djinns, Yin Lung, qui avaient pour noms, Frédéric Tellier, Michaël Xidrù, Johann Van der Zelden, Winka, Franz Von Hauerstadt, Fu le Suprême et ainsi de suite…

Prisonnier de l’être et du non être Sarton pleura…

Du fin fond de son précipice, Galeazzo di Fabbrini remontait. Pour rencontrer l’homme aux yeux couleur de la nuit. L’Américain d’origine hollandaise était accompagné d’un acolyte impavide et chauve, répondant au simple nom de Kintu.

Quelques heures plus tard, le maudit comte reçut son mortel cadeau, celui qu’il appela la 8e merveille du monde: un translateur, mais amélioré par la Lumière Inverse!

- Merci bien, compère de l’Enfer! Je saurai m’en servir!

Un léger sourire sardonique sur ses lèvres blêmes, Johann répondit:

- Je n’en attends pas moins de vous!

Les yeux brillants d’une haine plus intense que jamais, Galeazzo proféra cette menace:

- Prends garde à toi, Frédéric! Une fois encore, je renais! Je suis de retour pour t’abattre!

- Bien! Cela me chaut! Mais il faudra aussi viser une autre cible, mon cher…

- Ah! Mais qui donc?

- Un certain Daniel, le saint Bernard de la Galaxie!

- Est-ce si important pour vous de s’en prendre à lui?

- Plus qu’important, comte! Vital!

***************

Lorenza avait compris, évidemment, l’ultime message de Penta p. Une fois de retour à l’infirmerie, elle parvint à tromper la vigilance de ses geôliers et se mit à consulter discrètement son ordinateur personnel. Elle recherchait des données concernant les scientifiques orbitant autour de Tsanu XIII. Bien que ce dernier fût originaire de deux siècles dans le futur par rapport au Langevin, il sévissait au XXVIe siècle. Cet écart temporel n’était donc pas un obstacle rédhibitoire.

Sans être détectée par les garde-fous Haäns, la jeune femme accéda ainsi à une mémoire cachée dissimulée derrière un message anodin, celui de l’encodage ADN des rubans de Mingo. Devenue véritablement experte en informatique - elle avait suivi les cours de Daniel Wu - elle fit tomber facilement le masque de l’IA et celle-ci dévoila bientôt les fiches signalétiques des plus grands savants et ingénieurs militaires Haäns que l’Alliance connaissait.

Mais, devant cette manne, la doctoresse fit la moue car elle ne trouvait là que des concepteurs d’armes classiques, voire conventionnelles, les directeurs des programmes des modifications génétiques de l’espèce humaine, dans le but d’asservir celle-ci - programmes qui avaient trouvé leur application concrète dans une chrono ligne parallèle avec la création de l’espèce à laquelle appartenait Antor et dont il était l’unique rescapé.

Enfin, après une longue heure de consultation, Lorenza crut trouver son nadir. Elle mit la main sur une zone interdite des mémoires qui ne pouvait être craquée qu’avec 511 mots de passe! Sous l’apparence anodine d’une informaticienne Haän chargée de la maintenance et du nettoyage de l’IA, de la protection antivirus, la métamorphe prit son temps. Avec un sang-froid remarquable, sans qu’elle fût inquiétée - franchement, qui se préoccupait d’une femme chez ce peuple macho et guerrier - elle parvint à violer les mots de passe qui mélangeaient avec art les vingt-quatre dialectes des différentes castes Haäns.

Mais ce qu’afficha l’écran tridimensionnel troubla profondément la jeune femme. Elle haussa un sourcil devant le titre de la rubrique « Programme de création d’un hybride leurre Haän/ humain ».

Incontestablement, la souche de départ était humaine, mais le génome figuré comportait déjà 52 chromosomes! S’agissait-il donc d’un humain amélioré tel qu’il en avait existé au XXIIIe siècle? Ou encore d’un super Antor? Mais alors que signifiait dans ce cas le terme leurre accolé à l’hybride?

Lorenza, intriguée, s’avança prudemment dans l’étude de cet étrange génome. Allons donc! Elle traquait une chimère! Aucun humain modifié de la sorte ne pouvait posséder une espérance de vie évaluée à trois siècles! Et… comment cet hybride aurait-il pu se reproduire?

Bien sûr, la demi-Italienne avait parfaitement conscience d’avoir affaire à des Haäns du XXVIIIe siècle qui, présentement, étaient persuadés diriger son vaisseau!

La doctoresse réfléchit quelques minutes, son poing droit sous sa joue. Zoël Amsq appartenait au XXXe siècle, c’était un fait notoire, et, d’après les fiches de Sarton qu’elle se rappelait parfaitement, le scientifique avait pour alter ego, dans une autre chrono ligne, Zoël Aminsq.

Bien. CQFD: aucun humain du XXXe siècle n’avait pu naître au XXIIIe siècle. Bref, la jeune femme sentit qu’elle faisait fausse route. Et si elle se contentait de rechercher les données biographiques officielles de Zoël? Ah! Mais, bien évidemment, la fiche n’énonçait rien de remarquable ni d’exceptionnel!

Né en 2912, sous Varkham IX l’Invincible (un autre usurpateur, quoi!), renversé par Tsanu XV. Le jeune Zoël avait effectué des études plus que brillantes sur Guirah V, planète vassale qui abritait la plus prestigieuse université Haän, et ce, dans un climat et un cadre idyllique à l’échelle de cette nation: hivers qui duraient cinq mois à peine, été pluvieux, soleil quarante jours par an, toundra, précipices de quatre mille mètres de profondeur, gibier abondant…

A vingt-quatre ans à peine, le prometteur jeune homme était entré au service de l’Empereur et avait grimpé assez rapidement tous les échelons de la hiérarchie. Amsq avait eu une vie sentimentale normale, assez pépère. Marié deux fois, pour l’instant, il était l’heureux père de trois filles. Il n’avait donc pas à se préoccuper d’autre chose pour elles que de les affubler d’un époux acceptable. Sa deuxième épouse était morte lors d’un malencontreux accident d’aéroglisseur. Incident toutefois banal sur Haäsucq. Elle était apparentée à Tsanu XV, à un degré assez éloigné (petite nièce au seizième niveau).
Donc, Zoël Amsq, proche de l’Empereur, avait réussi à avoir toute sa confiance. Il complotait au nom de celui-ci pour le plus grand profit de l’Empire.

Lorenza décida de remonter les ancêtres de Zoël. Cette biographie trop parfaite ne la satisfaisait pas. Elle cherchait la faille, la minuscule erreur qui la conduirait sur le chemin de la vérité. Apparemment, sa famille appartenait à la Troisième Caste. Cela signifiait qu’un millénaire auparavant à peu près, un de ses lointains ascendants avait régné sur Haäsucq. Sous quel nom?

Notre métamorphe était de plus en plus perplexe. Elle doutait car cette onomastique Amsq n’avait pas pour origine la Troisième Caste, ni même la Cinquième! Ce nom montrait bel et bien qu’il avait des racines étrangères. Amsq un métèque? Un non Haän?
« Revoici donc l’hypothèse de l’hybride Haän: humain… se dit la doctoresse. Je n’en sors pas. ».

L’alerte pourpre interrompit brutalement les réflexions de la jeune femme. Comme Lorenza n’était pas en charge du vaisseau, elle préféra ignorer superbement le danger ainsi signalé. Elle choisit de se plonger dans les travaux scientifiques de Zoël Amsq afin de mieux cerner l’individu.

À l’extérieur du Langevin, le vaisseau s’était approché de trop près de centaines de bulles d’énergie surgies soudainement, sans aucune trace ionisante ou biologique signalant leur présence, un peu comme si ces sphères inconnues avaient brusquement plongé d’une dimension pour émerger dans une autre!

Si Kintu Guptao Y Ka avait été sur la passerelle, il aurait facilement identifié le phénomène. Il s’agissait précisément de bulles temporelles, apprivoisées ailleurs par les hommes robots de Johann Van der Zelden qui, dans ce quadrant de la Galaxie, faisaient office de gardiens de l’Empire Olphéan. Postées sur la zone frontière qui s’étendaient sur plus de 10 000 années lumière, les veilleuses avaient pour mission de détruire tout vaisseau non autorisé!

***************

19 décembre 1249.

Les Croisés avaient enfin atteint la forteresse de Mansourah. Après avoir établi leur camp, ils se mirent à construire des machines de siège, autrement dit des tours en bois, des onagres, des trébuchets, des catapultes, bien sûr, des chats-châteaux et ainsi de suite.

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La mandorle de gloire irradiante ainsi que le Baphomet étaient toujours la propriété des chevaliers de la Buena Muerte. Les deux objets fabuleux avaient effectué le voyage dans un chariot bâché, mais les idoles avaient été recouvertes de plomb et ce vil matériau camouflé par des feuilles d’or. Toutefois, cette protection s’avéra insuffisante et de nombreux chevaliers d’Arnould se plaignirent qui de maux de tête, qui de nausées et de vomissements, qui de lassitude générale.

Daniel pistait à la trace la mandorle mais ne faisait rien pour la récupérer rapidement. Il avait un plan déterminé par une consultation précédente et déjà lointaine du chrono vision. Il s’y tenait quelles que fussent les remarques de son équipe.

Le siège de la ville forteresse s’éternisait un peu trop aux yeux de beaucoup de Croisés et s’animait parfois d’escarmouches qui ne changeraient pas le sort de la Croisade.

Ainsi, les Sarrasins et Mamelouks incendièrent deux des trois chats-châteaux grâce à l’utilisation du naphte et du feu grégeois dont-ils avaient emprunté le secret aux Byzantins. De nombreux Croisés périrent, transformés en torches vivantes, préférant, sous la douleur, se jeter dans le vide que de subir encore quelques trop longues secondes des souffrances atroces.

De leur côté, les SS, qui n’avaient pas abandonné la chasse, faisant fi de tout respect du continuum spatio-temporel au contraire du commandant Wu, tentèrent un assaut au bélier, jusque là rien à redire, mais également à la mitraillette (!), couverts par des tirs de mortiers et de Panzerfausts, armes commençant à être testées lors de la Guerre d’Espagne. Puis, insatisfaits du résultat, ils amorcèrent la construction d’un char d’assaut avec les moyens du bord! Décidément, ils n’avaient que faire des paradoxes et de la vraisemblance historique!

L’engin devait marcher au naphte. Mais hélas, les forges des Croisés, les seules disponibles, ne se montrèrent pas à la hauteur. Pourquoi hélas? Il vaut mieux écrire heureusement! Lesdites forges échouèrent à fabriquer les plaques blindées, les artisans de cette époque étant habitués à marteler des lames d’estocs et des fers à cheval.

Les jours s’écoulèrent, s’empilèrent, monotones, affermissant la sensation que les assiégeant devenaient assiégés. Le camp croisé se retrouva pris entre deux tenailles, celle de la forteresse et celle d’une armée de cavaliers aux jaserans de mailles, au casque à nasal ouvragé, aux cimeterres damasquinés. Les nouvelles troupes sarrasines harcelèrent les Francs, handicapés par le port de hauberts trop lourds, totalement inconfortables sous ces climats désertiques.

En plein soleil, les Croisés cuisaient comme des « escrevisses », suant, se déshydratant, puant, envahis par des myriades de mouches dont il était difficile de se débarrasser.

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Ils commirent une sottise, croyant sortir de cet enfer en abandonnant le heaume classique pour le mortier. Mais là, les têtes des Roumis ne furent plus à l’abri des flèches égyptiennes qui sifflaient des remparts, crevant les yeux ou encore blessant et mutilant cruellement.

La nuit n’apportait point la paix désirée, le repos nécessaire. Beaucoup d’assiégeants furent égorgés par des ennemis téméraires furtivement sortis de la forteresse venus semer la mort dans le camp adverse. Les sentinelles, en faction, assoiffées, s’enivraient d’un vin cuit trop épais et sombraient dans un lourd sommeil que la mort insidieuse moissonnait.

Cette époque était plus que cruelle. Barbare? Ne lésinons pas sur le terme! Les Musulmans excellaient à couper les lèvres et les nez, et à verser des asticots dans les plaies! À la guerre comme à la guerre! Poésie de l’atroce, de la mort, de la souffrance et de l’intolérance!

Les puits précieux furent empoisonnés par les Sarrasins qui y jetèrent des charognes de moutons et de chèvres, animaux atteints de la maladie du charbon. Ils anticipaient ainsi les guerres biologiques des siècles futurs. Comme quoi l’humain a toujours fait preuve d’inventivité en ce qui concerne la mort à administrer!

Les plus chanceux parmi les Francs furent victimes du scorbut. Les gencives de ces vaillants chevaliers pourrirent et leurs dents tombèrent.

Après presque deux mois de siège, s’impatientant à son tour, TQT donna son feu vert à la NSA. Un espion fut envoyé du côté de la tente du comte Geoffroy d’Évreux. Il ne s’agissait pas d’un malabar, d’un soldat des Spads hyper entraîné. Pas du tout! Seulement, ses yeux ne perdaient rien de ce qu’il observait.

Ce qui frappa le jeune espion, ce fut que le groupe sous les ordres du commandant Wu et d’André Fermat ignorait les ravages du scorbut, de la dysenterie et du charbon. Bien au contraire, il affichait une santé des plus insolentes alors que le roi lui-même subissait tous les affres de ce que l’on nommait à l’époque « la maladie de l’ost ».

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La petite troupe anachronique pouvait manger à loisir une nourriture saine grâce à un mini synthétiseur bricolé par Daniel. Tatiana, la petite dernière, grandissait normalement et commençait à prononcer quelques mots.

L’espion apprit à connaître le caractère de chacun. Ne voulant pas se heurter de front à Fermat ou au daryl androïde, il décida d’exploiter l’impatience de Geoffroy ainsi que celle de Kiku U Tu.

La NSA avait étudié le terrain. Elle savait pouvoir s’infiltrer dans la forteresse même, en ouvrir les portes, et, persuader les Croisés à donner l’assaut dans la médina et, refermer le piège sur les Francs téméraires et irréfléchis! Elle n’avait rien à faire de provoquer la victoire de ce qui serait ailleurs qualifié « axe du mal »!

TQT connaissait la présence de Philippe. Il s’en méfiait grandement, spéculant sur une éventuelle action du chevalier. Non! Il ne devait pas instrumentaliser Van der Kirsche! Après tout, il suffisait que Kiku U Tu, son instinct guerrier l’emportant sur les ordres de son supérieur, entièrement mû par sa soif de sang, fît des ravages parmi les musulmans pour obliger une partie de l’équipe du commandant Wu à outrepasser les directives et à récupérer le dinosauroïde gaffeur pour que le gouverneur du Nouveau Mexique fût satisfait! Cela lui ferait des otages.

Ce plan magnifiquement ourdi se déroula presque comme prévu.

Le jeune espion de la NSA, un gamin de 14-15 ans, criblé de taches de rousseur, servit de rabatteur. Ne craignant nullement ce dragon haut sur pattes, il pista Kiku jusqu’à un puits bouché où le Kronkos s’approvisionnait en charognes plus qu’avancées. Le lieutenant de la sécurité n’était pas bégueule.

L’adolescent était originaire du même siècle que l’homme politique. Il s’agissait d’un petit dealer impliqué gravement dans le meurtre d’un chef de gang; afin d’échapper à la prison, ou pis, à la chaise électrique - le gouverneur du Nouveau-Mexique étant connu pour son intransigeance en matière d’application de la peine de mort et n’hésitant pas à faire exécuter des mineurs fauchés coupables d’homicides - le gamin s’approcha du Kronkos et, comme si de rien n’était, entama la conversation. Toutefois, son cœur battait quelque peu la chamade. En effet, il fallait être doté d’un sacré courage ou d’une inconscience candide pour assister sans frémir au repas du dinosauroïde.

Affamé, ô combien!, celui-ci léchait avec une certaine délectation un gigot à la chair faisandée autour de laquelle les mouches bourdonnaient. U Tu, avec sa mâchoire impressionnante et puissante, avalait d’énormes bouchées de viande entrelardées de centaines d’asticots.

Enfin repu, il daigna écouter d’une oreille distraite les propositions alléchantes de l’Américain des bas-fonds de 1999. Dans un anglais très argotique, le jeune Jérémy lui promettait que bientôt, lui, le seigneur des dragons, pourrait se repaître sans fin de la chair fraîche et succulente des Sarrasins de Mansourah.

Oui, cela serait des plus faciles car lui, le petit débrouillard futé, connaissait le moyen d’ouvrir l’accès de la médina. Les Croisés n’auraient plus alors qu’à s’y engouffrer avec le dinosaure!

Et, d’un doigt qui ne tremblait pas, le tentateur indiqua précisément l’endroit où justement, les portes de la ville étaient mal gardées. Deux hommes seulement avaient la responsabilité de la sécurité de ce lieu. Deux proies de choix. Grasses, peu combatives, et lymphatiques sur les bords.

Kiku devait simplement se munir d’un harnais ascensionnel pour sauter aisément par-dessus le rempart! Une fois le ventre prêt à éclater, repas dont les deux gardes auraient fait les frais, il n’aurait plus qu’à aider la petite frappe à ouvrir la porte grâce à son arme lumineuse, ressemblant de loin à un sabre de la guerre des étoiles!

Le reste coulait de source : les Croisés, s’avisant d’une brèche dans la forteresse, s’y précipiteraient, Geoffroy d’Évreux en tête! Les amis de ce dernier, Ivan et Pacal accourraient, portant secours à l’inconscient! Pendant ce temps, cuirassé naturellement, ignorant superbement les flèches et autres armes ridicules qui ne lui entaillaient pas la peau, Kiku banquetterait, bâfrerait tant et plus des innombrables proies humaines offertes sur un plateau!

Jérémy ne s’étonnait pas de l’existence du Troodon. Pour lui, il s’agissait d’un raptor extraterrestre aux mêmes mœurs que ses confrères du Crétacé. Notre adolescent pervers se croyait plongé dans un scénario digne de Jurassic Park, et il vivait cela comme la plus belle aventure de son existence habituellement sordide!

Après avoir hésité cinq bonnes minutes, pesant le pour et le contre, un exploit pour un cerveau configuré comme celui de notre Troodon, Kiku accepta enfin la proposition du dealer. Le Kronkos avait des circonstances atténuantes. En ce 8 février 1250, cela faisait plus de deux mois que Kiku U Tu était privé de chair fraîche, fumante et sanguinolente à souhait! Le synthétiseur ayant des capacités limitées, le régime forcé qu’il subissait mettait à mal ses belles écailles et ses rémiges qui, depuis peu, revêtaient une méchante et peu agréable couleur bronze! N’évoquons pas ses cinq cents dents branlantes! Ah! Vivement bâfrer, se goinfrer, s’en jeter dans le gosier!

***************

Et voilà notre Kiku sans cervelle, mû par ses féroces instincts, avec ses fusées plasmatiques dorsales placées stratégiquement sur la crête et sur la queue balancier, en train de sauter ce rempart! Notre Kronkos n’avait pas oublié cependant ledit Jérémy. Il le trimbalait, le portait telle une maman Kangourou, attaché sur son ventre!

Lorsque l’improbable acrobate atterrit plutôt lourdement à l’emplacement prévu, il ne put retenir un grondement de dépit; au lieu des deux gardes somnolents promis, il ne trouva à ses pieds que des cadavres avec des trous béants dans la poitrine! C’était là la signature caractéristique de disrupteurs Haäns! La tête du deuxième garde avait, de plus, été tranchée par une faux rituelle de Haäsucq.

En fait, notre Jérémy mangeait à tous les râteliers; il s’était laissé acheter par Zoël Amsq, ou, plus exactement par Sir Charles! TQT croyait être bien servi, il se trompait lourdement.

Notre Kronkos fut rapidement entouré par une cinquantaine de guerriers Haäns à la tête desquels on pouvait reconnaître le fidèle Varami, armé de sa sempiternelle sarbacane, Cornelis, fusil antédiluvien au poing, et Anta, muni d’un arc.

Le lieutenant Kiku U Tu tenta, bien sûr, de résister! Le Kronkos pris vivant était déshonoré pour le reste de ses jours! N’écoutant que sa rage, il chargea sauvagement la valetaille Haän. Peine perdue! En cinq secondes, pas plus, il fut emprisonné dans un réseau constitué de filins magnétiques qui l’enserrèrent si cruellement qu’il perdit en partie conscience.

Pendant ce temps, deux soldats de Tsanu XV désintégraient les ferrures de la porte tant décrite.

Fier de sa mission brillamment accomplie, crânant, Jérémy demanda sa récompense à Sir Charles Merritt.

- J’ai fait ma part du travail sans bavure! Lança la petite frappe avec un orgueil légitime. Alors, le vieux, aboule mes dix mille dollars!

- Tiens, voici ce qui t’est dû! Lui répondit l’Anglais qui l’abattit froidement d’une balle en plein front.

Et pour toute explication, il jeta laconique:

- Pas de témoin!

Afin de tenter de passer inaperçus, les Haäns avaient enfilé par-dessus leur broigne de plastacier des jaserans, ce qui leur conférait un aspect des plus loufoques! De plus, ils baragouinaient un arabe assez incompréhensible. Or, ce fut dans cette langue qu’ils hurlèrent qu’une porte de la médina était désormais ouverte et à la merci de l’avant-garde des Croisés! Tandis qu’avec pareil tapage, la forteresse s’éveillait, Sir Charles et ses complices se télé portaient à bord du Raptor de feu avec leur prisonnier.

La prochaine étape consistait à éliminer Daniel ou, à tout le moins, de le court-circuiter en volant à Charmeleu la mandorle et le Baphomet. Zoël Amsq, abusant du chrono vision était sûr de son fait: le baron Arnould allait mourir durant cette stupide Croisade!

Mais, sur Terre, la bataille de la Mansourah commençait. Varami y participa pour d’obscures raisons.

Les guets des Francs avaient signalé d’étranges lueurs de torches dans la nuit habituellement

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pas si éclairée. Une avant-garde s’approcha avec circonspection et ne put que constater l’existence d’une poterne soudainement ouverte, par quel prodige?, ainsi que la présence de quelques cadavres mutilés d’une façon singulière. Le branle-bas de combat sonna alors.

Robert d’Artois, frère de Louis IX, saisissant l’opportunité d’une prise glorieuse de la forteresse qui narguait les troupes franques depuis de longs mois déjà, ordonna l’assaut. Avec un talent oratoire certain, le prince apanagé convainquit les chevaliers de la Buena Muerte de participer à cette bataille. Or, les moines soldats, justement, n’attendaient que cela! Seul Jacques d’Ibertin resta pour garder la mandorle.

Du côté égyptien, Ayyub avait une grande confiance dans les ressources de ses soldats. Il espérait également que les lacis labyrinthiques de la Médina se transformeraient en piège mortel pour les Francs. Il frémissait d’impatience, sachant que la mandorle et le Baphomet étaient désormais à portée de main! Se caressant sa barbe parfumée, il fit donc venir Baïbar lui-même pour commander un groupe de Mameluks. Les vaillants combattants avaient pour mission de récupérer le précieux trésor.

Une autre troupe devait se charger d’éliminer tous les chevaliers de la Buena Muerte hormis les deux maîtres, Charmeleu et d’Ibertin. Comme on le voit, Ayyub était très bien informé. Les deux moines chevaliers devaient être capturés vivants et avouer, après l’administration de tortures raffinées, le fonctionnement des deux objets tant convoités. Une fois le secret révélé, les deux Francs ainsi que Stankin seraient mis à mort publiquement mais avec une sophistication toute orientale à faire saliver Zoël Amsq et Sun Wu eux-mêmes!

***************

Ignorant les murmures de sa raison qui lui rappelaient qu’il agissait imprudemment, et se fiant à plus de dix ans d’entraînement, Geoffroy coiffa son heaume et prit son estoc afin de se joindre à Robert d’Artois. Or, son père, s’il avait été encore en vie, n’aurait pas approuvé cette conduite, ayant combattu ce Capétien au pouvoir et donc, toute sa famille! Ivan, Pacal et Violetta eurent beau le supplier, il resta sourd à leurs arguments et monta fièrement sur son destrier!

Essuyant une larme sincère, la quart de métamorphe se précipita dans la tente des adultes afin de les avertir.

L’ambassadeur Fermat connaissait déjà la disparition de Kiku U Tu. Fort contrarié, il s’écria:

- Qu’il se débrouille! Il a été enlevé, notre Kronkos? Et puis, après?

De colère, il tapa si durement de son poing la table devant laquelle il se trouvait que le bois se fendit!

Daniel tenta de ramener le calme et de modérer l’ire de son ami.

- Oui, André, je vous comprends. Kiku mérite ce qui lui arrive. Zoël Amsq est le responsable de ce rapt. Mais je n’en saisis point la raison! Nous juge-t-il assez naïfs pour croire que l’on va courir après lui pour le délivrer?

À cet instant, Violetta surgit tel un farfadet, et, essoufflée, lança:

- Non, il est inutile de récupérer notre chef de la sécurité mais bien Geoffroy d’Évreux! Il vient de s’élancer à l’assaut avec les troupes du comte d’Artois!

- Et allez donc! Un fou de plus dans notre équipe! Siffla Fermat se mettant à se ronger les ongles.

Conservant un calme olympien, mais haussant les épaules, Daniel s’assit devant un chrono vision bricolé et brancha l’appareil.

- Tiens! Ça, c’est nouveau! Constata l’adolescente.

- Ma fille, tu as pensé à tort que, durant tout ce temps, j’étais resté à me tourner les pouces!

Puis, il se concentra devant l’écran, qui, tout imparfait qu’il fût dans sa résolution de l’image, en dévoila assez pour montrer Kiku, endormi et ligoté, transporté loin de la bataille.

- Voilà comment donc vous saviez que notre Troodon avait été enlevé par Zoël! S’exclama Violetta admirative.

Mais le chrono vision changea de cible et focalisa sur Geoffroy. Le jeune comte courait un grave péril.

- Décidément, ma vocation de terre-neuve me colle à la peau! Soupira avec lassitude le commandant Wu.

- Messire, fit alors Philippe en s’avançant, il m’appartient d’intervenir présentement.

Ivan et Pacal qui avaient rejoint la tente, demandèrent:

- Et le dinosauroïde?

- Vous l’abandonnez?

En ricanant, Violetta conclut:

- Je crois que les adultes ont décidé de le laisser moisir quelque peu! Après tout, il connaissait les ordres! Cette leçon le calmera peut-être! Les Haäns n’ont jamais mis à mort un Troodon à ma connaissance!

Pendant ce temps, la charge conduite par Robert d’Artois

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avait été menée à bien. Les Croisés avaient franchi la poterne avec succès, accompagnés d’hommes à pied, où se mêlaient arbalétriers, hallebardiers et piquiers. Le terrain fur rapidement reconnu. Se présentaient devant les assaillants des ruelles obscures, comportant de nombreux encorbellements, où il était facile de s’assommer, des dénivellations, des escaliers plus ou moins raides et étroits, des maisons biscornues et des venelles puantes et assurément assassines!

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La masse des combattants se disloqua en groupes isolés. Dans ces rues étroites, les chevaux, même à la file, ne parvenaient pas à passer.

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Ainsi, un sergent d’armes, coiffé pourtant du mortier, brandissant un fléau d’armes qu’il faisait tournoyer avec moult cris afin d’effrayer un hypothétique adversaire, s’assomma contre un colombage en encorbellement, et, désarçonné, chuta lourdement dans la poussière.

Un autre Franc, tournant la ruelle, un peu trop rapidement sans doute, eut la surprise de voir les sabots de son destrier se dérober devant les escaliers aux marches abruptes, irrégulièrement taillées et glissantes. La monture hennit de frayeur alors que son cavalier vidait les étriers. C’était trop tard pour la noble bête qui venait de se casser la jambe!

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Nous ne vous contons là que les menus incidents. Le pis devait survenir car, chaque groupe franc, pisté au bruit, était patiemment attendu qui, dans une bifurcation, qui à un carrefour, qui, dans une impasse particulièrement enténébrée, par des combattants sarrasins déterminés.

De lourds nuages noirs parcouraient le ciel, strié par instant de fulgurances d’acier.

La bataille proprement dite débuta enfin ; hurlements, gémissements, chocs métalliques des écus et boucliers, heurts du fer contre le fer, sang coulant par rigoles, poussière, puanteur de la mort administrée dans les ténèbres, nulle pitié, nulle compassion. Blessures saignantes, lèvres fendues, intestins se vidant, carotides coupées, prières des agonisants, supplications des mourants, complaintes éternelles de l’homme qui tue et qui est tué, qui n’apprend rien et ne veut rien entendre…

Parmi les assaillants, il y avait Varami. Il se battait avec un sang-froid remarquable. L’Achuar était là pour semer davantage la terreur et la pagaille chez les assaillants! Sa sarbacane aux tirs imparables projetait des dards empoisonnés avec une maestria qui aurait dû susciter un flot de louanges en temps normal. En réalité, peu importait au Sud-Américain d’envoyer ad patres chevaliers francs ou sarrasins. La cotte de mailles ou le jaseran ne pouvait stopper la puissance de pénétration des dards trempés dans le curare. La mort qui s’ensuivait n’était, hélas, pas rapide…

Un peu plus loin, un groupe de moines soldats appartenant à la Buena Muerte, conduits par Charmeleu en personne, fut assailli soudainement par des traits enflammés provenant de moucharabiehs. Parallèlement, par d’autres ouvertures, les Francs étaient bombardés de projectiles divers parmi lesquels on pouvait identifier des sortes de grenades en terre cuite renfermant du feu grégeois, de l’huile bouillante, de la poix fondue ou encore tout un bestiaire mortel tels aspics, cobras, scorpions à foison et araignées venimeuses dont la piqûre ou la morsure conférait une mort lente et douloureuse.

Devant de telles tactiques, on ne comptait plus les chevaliers vidant les étriers sous les « you you » de joie des femmes retentissant dans la nuit létale, à travers les fenêtres grillagées. Pour chaque homme tombé, trois mameluks se ruaient, surgissant de l’ombre tels des spectres vengeurs, brandissant leur cimeterre ou leur poignard. En moins d’une seconde, ils égorgeaient proprement le chrétien empêtré dans son armure et impuissant à se défendre!

Pendant ce temps, Baïbar amenait un groupe de musulmans en dehors de la médina avec comme objectif : le vol de la mandorle! Alors que tous ses hommes étaient abattus, Charmeleu, reconnaissable à ses insignes de grand maître, fut capturé vivant, comme Ayyub l’avait ordonné.

Devant cette effroyable hécatombe, le groupe de Robert d’Artois était descendu de cheval, comprenant enfin son erreur. Mais il n’était nullement question de faire demi-tour et de perdre l’honneur! Telle était la chevalerie franque! Rappelez-vous : « Tout est perdu for l’honneur »! S’était écrié François Premier à Pavie en 1525. Trois siècles plus tôt, c’était encore plus d’actualité.

Il n’empêche! Nombreux étaient les éclopés désarçonnés. Constatant toutefois l’isolement de ses chevaliers, le prince apanagé hurla:

- Regroupez-vous! Sus à mon écu! Montjoie!

Un retentissant « Allah akh Barrh » lui répondit tandis qu’une pluie drue de flèches s’abattit sur les cottes de mailles et les écus, blessant mortellement les imprudents.

Devant, empêchant toute retraite, une barricade avant l’heure bouchait la ruelle! Les Roumis se retrouvaient piégés comme des rats. De la barricade, des archers arabes tiraient des traits enflammés avec une rapidité merveilleuse, alors que, des toits en terrasses, pleuvaient des liquides brûlants, à l’incandescence plus ou moins marquée.

Sous ce déluge de feu, les chrétiens survivants tentaient de reculer, cruellement criblés de flèches, encombrés de leurs chevaux mortellement blessés. Las! Ils furent traîtreusement assaillis par derrière par d’autres mameluks gigantesques, l’élite de l’élite, identifiable par le port de ceintures martelées. Sans état d’âme, ils tranchèrent à qui mieux mieux les Roumis avec la lame de leur cimeterre préalablement enduite de sang de lépreux!

L’odeur du sang, de fer, de feu et de mort était désormais telle que vous suffoquiez avec une seule envie: quitter à la hâte ce guêpier, vous précipitant ainsi dans les bras décharnés et horribles de la Grande Faucheuse! Les rigoles pourpres s’écoulaient en d’étranges dessins sur le pavage grossier ou la terre battue, esquissant des arabesques monstrueuses.

Se multipliant pour se faire rivières, torrents, elles dévalaient la pente du cloaque, allant apporter leur terrible message à l’extérieur de la forteresse.

Cependant, Baïbar et ses hommes s’emparaient sans coup férir du chariot contenant la mandorle, laissé imprudemment à la seule garde de Jacques d’Ibertin et d’un jeune page! L’adolescent boutonneux n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait. Il fut promptement éventré. D’Ibertin n’eut pas non plus le loisir de se battre car Baïbar l’assomma du plat de son sabre. Ensuite, le chevalier fut solidement ligoté et jeté sur les épaules d’un soldat mameluk. Cette tâche accomplie, fouettant l’attelage, les Turcs conduisirent leur précieux convoi jusqu’au palais d’Ayyub.

Un peu plus loin, comme tous les chrétiens, Geoffroy d’Évreux s’était retrouvé isolé avec, pour toute compagnie, deux sergents d’armes à pied et un arbalétrier. Aucun des Francs ne parvenait plus à s’avancer dans l’enchevêtrement des ruelles malodorantes, à se dégager dans les venelles encombrée par les tas d’ordures et les excréments, où, moutons, chèvres et volailles allaient et venaient, affolés par les bruits de la bataille qui faisait rage.

Le jeune comte arborait sa mine des mauvais jours. Désormais, son instinct lui disait qu’il aurait dû écouter ses amis! Or, juste à l’instant où il admettait avoir commis une erreur impardonnable, un des deux sergents fut traversé par une lance projetée depuis un renfoncement de porte! Se retournant brusquement, l’arbalétrier s’écria:

« Qui vive? ».

Sa voix rauque s’étrangla dans sa gorge car des mameluks sautant avec grâce des toits bondirent sur les trois survivants. À peine l’arbalétrier eut-il le temps d’engager un carreau dans son arme qu’il s’effondra à son tour, sa gorge largement ouverte!

Geoffroy, de nature, était courageux, mais point en fait téméraire. Il choisit de s’enfuir tout en faisant monter sur son destrier l’homme d’armes survivant.

Las! Trois fois las! À celui-ci s’agrippait un musulman acharné dont il était impossible de voir les traits. Mais notre Normand en avait vu d’autres. Se tournant de trois-quarts avec un à-propos admirable, il n’hésita pas à trancher le bras de l’ennemi avant d’enfoncer ses éperons dans le ventre de sa monture. Hennissant de douleur, le cheval se cabra mais partit à bride abattue, quelque peu aveuglé par la poussière et le peu de lumière filtrant d’un ciel presque de jais!

Pendant ce temps, la bataille se poursuivait, âpre, inhumaine, se refusant à s’achever. Les mameluks sifflaient de rue en rue un message éloquent alertant leurs coreligionnaires du passage des proies qui s’offraient.

Or, Geoffroy, dans un esprit chevaleresque tout à son honneur, s’était encombré d’un compagnon d’armes qui le ralentissait dangereusement! Ce geste de mansuétude, habituel chez lui, et natif, faillit lui coûter la vie. Bientôt, le sergent, percé de quatre flèches, se laissa tomber sur le sol et murmura:

« Doux seigneur, ne tombez point vivant aux mains des infidèles! ».

Ce fut tout et il mourut.

À son tour, le bel alezan de Geoffroy trébucha, son cou transpercé. L’adolescent, sportif et cavalier émérite, parvint de justesse à se dégager et se mit à courir à perdre haleine pour… hélas! Aboutir dans une impasse. Or, il avait six Sarrasins, pas moins, à ses trousses! Acculé contre un mur de terre, il se tourna vers ses ennemis, il n’était pas question qu’il mourût tué dans le dos comme un couard, arracha son heaume classique et saisit son estoc.

Que pensait alors notre jeune comte en cet instant? Peut-être était-il satisfait de mourir ici, en son siècle? Toutefois, il parait le mieux qu’il le pouvait les coups de cimeterres, affichant un sourire cruel qui dévoilait des dents petites et pointues comme celles d’un loup.

Malgré toute sa science des armes, bientôt, sa cotte d’armes ensanglantée fut déchirée de maints accrocs. Mais Geoffroy déterminé à bien finir, ne faiblissait pas! Deux Sarrasins, blessés douloureusement, handicapés, avaient reculé.

Toutefois, on n’aurait pas donné un quart de liard de chance au comte d’Évreux à cet instant…

Alors que, mentalement, le jeune homme remettait son âme à Dieu, Le suppliant de lui pardonner ses péchés, se matérialisa soudain, devant les Sarrasins éberlués, un blond chevalier, à la cotte de mailles immaculée, brandissant une épée étincelante! Et son arme merveilleuse, comme enchantée, traversa les chairs, trancha les jaserans, assomma les Sarrasins, fendit les crânes enturbannés, le tout avec un sourire indéfinissable sur les lèvres du combattant opportunément apparu.

Maintenant, les cadavres s’entassaient aux pieds des deux Francs.

- Ah! Jeune seigneur, dit Philippe de sa douce voix, soupirant, vous avez été bien fol! Perdre la vie, c’est une chose! Mais son âme! Surtout qu’il est écrit que ce n’est point là, présentement, que doit s’achever votre existence!

Vexé, le comte rétorqua:

- Perdre mon âme? Mais vous aussi, vous n’hésitez pas à occire!

- Certes, messire! Mais, moi, je dispose de l’éternité pour me racheter! Là, ne réside point ma plus grande faute!

Sur ces paroles mystérieuses, Philippe usa de ce que l’on pouvait appeler un tour de magie: une brume couleur crème se leva et, enveloppant les deux Croisés, les déroba à la vue des Sarrasins qui accouraient.

***************

Comme annoncé, la bataille de la Mansourah se solda par un désastre du côté des Croisés. Robert d’Artois, le valeureux, avait péri. Et pourtant, Louis IX était persuadé détenir la victoire!

Loin de là, de sa prison, Stankin avait perçu les rumeurs de la bataille.

- Ces humains! Si têtus, si barbares! Ils sont attirés par l’odeur du sang comme les mouches le sont par le miel! Ah! Mûriront-ils un jour?

***************

Dans son palais, Ayyub, heureux, félicitait Baïbar et ses mameluks pour leur coup de maître. Enfin, il disposait de l’objet tant convoité! D’un ton ferme, le sultan commanda que l’on déchargeât et portât le couple Baphomet/mandorle jusqu’à la grande salle qui faisait office d’aula. Pour cette simple tâche, vingt-cinq hommes furent nécessaires tant l’étrange appareillage pesait.

Puis, les trois prisonniers de marque, Stankin, Charmeleu et d’Ibertin, couverts de chaînes durent assister au dévoilement de l’objet fabuleux et subir ainsi la cuisante humiliation de la défaite. En agissant ainsi, Ayyub escomptait bien que les prisonniers révèleraient le fonctionnement de l’engin accouplé.

Agenouillé devant le sultan, tout poussiéreux, Arnould avait perdu de sa superbe. Une estafilade le défigurait salement, courant de la joue gauche jusqu’au menton; un hématome ornait son œil droit, à demi-fermé sous la souffrance des coups reçus. Et sa barbe était tachée de sang déjà séché.

D’Ibertin ne brillait pas non plus par son état physique. Son cou portait des traces sanglantes et sa bouche révélait désormais une mâchoire édentée. Seul, Stankin paraissait en meilleure forme, hormis sa maigreur.

Lorsque, dociles, les mameluks firent sauter les protections du Christ de gloire, l’Hellados voulut d’abord les mettre en garde du danger qu’ils encouraient mais il se ravisa presque aussitôt. Mais son geste avait été vu. Pour tout remerciement, il fut bastonné cruellement et il s’étala brutalement sur le sol de marbre, à demi conscient.

De plus en plus impatient, Ayyub quitta son siège et s’avança, ébloui par la clarté émise par l’œuvre.

- Ah! S’écria-t-il d’une voix frémissante d’émotion. Voici enfin cette statue mécanique sans nulle autre pareille! Cette idole des Roumis. Maudits soient ces Francs orgueilleux et impies qui ont osé regrouper et représenter ensemble sur un même plan les symboles de notre sainte foi avec ceux de leur fausse religion! Toute représentation du Prophète ne peut être inspirée que par les démons de l’enfer, les serviteurs d’Ebliss!

Cependant, fasciné par le couple soudé du Christ en gloire et du Prophète enturbanné, à la ceinture damasquinée, toute la sculpture recouverte de symboles ésotériques, le Mahométan s’approcha encore. Il put voir, étonné, une étrange dalmatique imitant les plumes envelopper le torse de l’être double, de la créature improbable qui, de sa dextre nue, brandissait non pas un cimeterre mais un doigt en signe de salut et de paix.

N’y tenant plus, Ayyub se retourna et hurla à l’adresse de ses trois prisonniers qui n’en pouvaient mais:

- Parlez, fils de chiens! Mangeurs de porcs, de viandes impures! Sinon, je vous écraserai comme les scorpions que vous êtes! Avouez donc comment marche cette machine merveilleuse, cette œuvre incomparable que n’aurait pas reniée le Grand Calife Haroun Al Rachid en personne! Dévoilez-m’en maintenant tous les secrets! Si vous parlez, je vous promets de rendre votre mort douce et rapide. Si vous vous taisez, vous subirez mille tourments!

Comme aucun des trois hommes ne se décidait, le sultan ordonna d’un geste sec une bastonnade sauvage. Arnould s’effondra le premier, peu habitué à semblable traitement. D’Ibertin perdit le reste de sa dentition. Quant à Stankin, toujours muet, il subit les coups douloureux, enfermé dans son impassibilité coutumière. Pourtant, ce fut lui qui choisit de révéler quelques éléments, non par lâcheté mais par mépris!

- C’est assez simple, seigneur! Fit-il de sa voix sans inflexions. Christ est le Navigateur et le Baphomet le Grand Voyageur! Les différents mondes auxquels l’idole permet d’accéder sont symbolisés dans les reliefs du vêtement, les attitudes, tous les infimes objets sculptés dans la ceinture. Il vous suffit d’effleurer n’importe lequel des éléments de l’automate. Et vous voici en route pour le plus fabuleux des voyages! Ah! J’oubliais! Si vous le désirez, vous pouvez toucher, caresser deux symboles à la fois…

Stankin, qui maîtrisait totalement sa douleur, il avait le contrôle de son corps depuis son adolescence, venait de tendre un terrible piège au puissant et naïf sultan d’Égypte. Autrefois, dans un de ses retours vers le passé de Terra, il avait croisé le chemin d’un agent MX, celui qui portait le nom de Jamiang Tsampa. Il savait pertinemment que l’ouvrage façonné par l’Homo Spiritus ne pouvait mener son hôte sur deux mondes simultanés à la fois, sous peine d’une dissociation de tous les atomes de l’imprudent! Comme nous le voyons, l’Hellados n’était pas insensible à la vengeance! En fait, il agissait ainsi pour prévenir l’humanité d’une catastrophe à laquelle elle n’aurait pu faire face en ce XIIIe siècle. Bien sûr, il éliminait par la même occasion celui qui aurait pu déclencher cette Apocalypse!

Ayyub, tout à sa joie enfantine d’essayer le Baphomet, ne prit pas garde au bref éclair que lancèrent les yeux de l’extraterrestre. De ses deux mains replètes et parfumées, il appuya simultanément sur deux signes antinomiques! Les cornes de vache du Minotaure et le Moai de Rapa Nui! Puis, il jeta dans un éclat de rire tout à fait déplacé:

- Puisse l’islam triompher universellement!

Le prince se dématérialisa d’un seul coup, entraîné dans les spirales des mondes possibles de Terra.

***************

Ayyub se retrouva culbuté et écartelé à l’intérieur de méandres spiralés contraires qui paraissaient ne pas vouloir prendre fin, et tout son corps se disloquait à travers les deux voies possibles et parallèles des devenirs de la planète, deux mondes qui n’auraient jamais dû se rencontrer et que rien ne liait!

Le malheureux humain qui subissait ce sort semblait éclater, des parties de lui-même empruntant un chemin tandis que d’autres faisaient de même sur une chrono ligne différente.

Ainsi donc, la première partie du sultan déboulait en arrière puis en avant, dans des oscillations de plus en plus rapides, au cœur d’un temps dévié, en deçà du spectre de déviation de l’année 1250 selon le calendrier chrétien.

La deuxième partie voyageait dans un univers encore plus inappréhendable pour un humain du XIIIe siècle. Mais quels étaient ces mondes?

Le chemin numéro Un s’apparentait au modèle crétois. L’île avait colonisé toute la Méditerranée et puis avait remonté au Nord jusqu’à notre Grande-Bretagne et à notre Hollande. La civilisation crétoise avait également essaimé sur les côtes africaines atlantiques et atteint peu à peu le golfe de Guinée. Mais là, tout se gâtait par la faute des scientifiques minoens, détenteurs d’un savoir maudit, interdit, que l’on pouvait rattacher à celui des Atlantes, figurés dans un vieux film américain de 1960, réalisé par George Pal et intitulé Atlantis, terre engloutie. Ces savants dévoyés avaient joué avec plus ou moins de succès au terrible docteur Moreau et étaient parvenus à créer des esclaves mi-humains mi-bestiaux tels des hommes chèvres, hommes porcs, hommes moutons, hommes ânes, mais aussi avaient réincarné leur divinité vénérée, le Minotaure, le géant à tête de taureau, avide de chair humaine, de jeunes gens. Bref, ils avaient engendré un monstre cannibale toujours affamé que rien ne pouvait arrêter! Ces apprentis sorciers avaient ensuite amèrement regretté ce qu’ils avaient fait, mais c’était bien trop tard!

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En effet, le Minotaure s’était accouplé et avait eu de nombreux descendants tout aussi dégénérés et avides de chair humaine que lui! Au fil des années, ces vils et abominables rejetons s’étaient emparés du pouvoir et avaient fini par détruire la brillante civilisation crétoise.

Désormais, les minotaures erraient dans les ruines de la Thalassocratie, se nourrissant tant bien que mal des ultimes survivants humains, traqués et retournés à la sauvagerie.

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Or, c’était dans ce cauchemar qu’une partie d’Ayyub s’était rematérialisée!

Dans une vision dantesque que Picasso n’aurait certes pas reniée, deux hommes taureaux se disputaient la demi-carcasse du sultan d’Égypte. Mais, hélas, cette aubaine de nourriture fraîche s’évapora presque aussitôt pour regagner son point d’origine.

Pendant ce temps, qu’advenait-il à l’autre moitié du puissant gouverneur?

Celle-ci, atrocement mutilée, s’était reformée dans l’univers imaginaire issu de Rapa Nui où les Moai, les hommes oiseaux, les statues anthropomorphes Kava kava comme douées de vie, se partageaient le gouvernement d’une Terre entièrement dominée par les tikis, les Akou-Akou.

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À l’arrivée du demi-corps, les hommes de bois moai Kava kava, tels des rapaces charognards, le visage dur, grimaçant, orné d’une barbe en pointe, les longues oreilles pendantes, la cage thoracique décharnée, le torse creux, l’ivoire jauni et vieilli, les membres démesurés, entourèrent leur proie, se jetèrent ensuite avidement sur elle, pour la dépecer lambeau par lambeau.

Ce festin sans pareil se déroulait sous les clameurs enivrantes, les chants assourdissants et les claquements enthousiastes et fanatiques.

De loin en loin, des moai gigantesques accouraient, surgissaient en bonds désordonnés afin de participer eux aussi à la curée.

Pendant ce temps, le ciel se remplissait d’oiseaux noirs effrayants, des humanoïdes en fait, bien connus de l’Alliance des 1045 planètes.

Avec une grâce inattendue, les inquiétants volatiles se posèrent près de la dépouille et, à leur tour, avec leurs longs becs, se mirent à picorer la chair sanguinolente. Mais, soudain, la manne inespérée disparut au grand dépit des banqueteurs.

Lorsque les restes aux trois quarts dévorés d’Ayyub se rassemblèrent au pied du Baphomet, les fidèles mameluks retinrent de justesse des cris d’horreur et de terreur pure.

La rematérialisation achevée, la mandorle cessa de rayonner. Alors, d’un seul coup de cimeterre rageur, Baïbar trancha net le lien invisible qui attachait le Baphomet au Christ de gloire. Sous l’atroce scène, Arnould et d’Ibertin rendaient leur dernier repas. Stankin, qui affichait toujours une impassibilité de façade, - seul son teint plus jaune qu’à l’accoutumée trahissait son trouble - pensait:

« L’ignorance et l’arrogance sont bien à la source de tous les maux! Et ce, sur tous les mondes! Malheureux humain que j’ai condamné et qui croyait atteindre le pouvoir suprême! ».

Après la mort d’Ayyub, Turan Shah fut intronisé à la hâte nouveau sultan d’Égypte. Une fois son pouvoir reconnu, il ordonna le transfert des trois précieux prisonniers dans une nouvelle geôle que Stankin avait déjà fréquentée. Bientôt, le roi Louis IX le rejoindrait.

Apparemment, l’Hellados bénéficiait de certains privilèges car il avait droit à un cachot classique au contraire des deux moines soldats. D’Ibertin fut enfermé dans un in pace, dépourvu de toute ouverture accessible. Une simple fente permettait d’établir le contact avec lui et de lui passer parfois, assez irrégulièrement, une sorte de brouet infâme. Arnould, assurément le plus redoutable aux yeux de Turan Shah, fut plongé dans un authentique cul-de-basse-fosse, comportant juste une grille au-dessus de la tête du prisonnier qui avait le malheur d’être ainsi cloîtré! Théoriquement, le Grand Maître de la Buena Muerte était destiné à finir là ses jours. Ce lieu sordide, ou plutôt cette oubliette, se caractérisait par l’infiltration d’une eau nauséabonde provenant du Nil et l’humidité suintait des parois envahies de vert-de-gris. De la fange puante qui montait jusqu’aux genoux, des restes humains surnageaient selon le temps et le niveau du fleuve.

Dans ce réduit, ce cloaque immonde, les rats pullulaient et disputaient à Charmeleu eau et nourriture! Lorsque la crue du Nil aurait lieu, les eaux pourries envahiraient tout le cul-de-basse-fosse et alors noieraient tous les occupants, quels qu’ils fussent, allant jusqu’à baigner la grille de l’étroite cellule.

Turan Shah, effrayé par le récit qu’en avaient fait les témoins, chercha à se débarrasser au plus vite des deux objets maudits. Il les confia à la garde de deux mercenaires coptes décrépits qui s’empressèrent aussitôt de s’enrichir illicitement en revendant le Baphomet aux Templiers pour la somme, relativement modeste, de mille cinq cents écus d’argent. Quant à la mandorle, elle disparut du jour au lendemain sans qu’un contemporain de Turan Shah apprît ce qu’il advint de cette statue.

Amsq à l’affût, l’avait récupérée par télé portation abandonnant le Baphomet qui ne l’intéressait pas, mais marquant un nouveau point précieux contre son adversaire Daniel Wu. L’impuissance apparente, la passivité incompréhensible du commandant pouvaient faire croire que ce dernier avait perdu le combat. Merritt et Zoël accentuaient leur avance, bénéficiant à la fois de la technologie du XXXe siècle de l’Empire Haän, d’un total manque de scrupules, mais aussi, en ce qui concernait le scientifique, bras droit de l’Empereur, d’un cerveau doté de schémas de pensées et d’une capacité prodigieux l’apparentant à un daryl.

Mais, bien entendu, ledit Amsq ignorait que Daniel Wu ne s’avouait jamais vaincu et qu’il avait déjà mis en chantier un plan B des plus retors! Il n’était pas qu’un simple daryl androïde, il était plus! Un descendant de l’Homunculus, certes, mais, cela n’expliquerait pas entièrement le chemin détourné emprunté pour triompher du Haän coûte que coûte!

***************

Dans sa quête de la reconstitution du bio translateur final, Zoël Amsq était prêt à sacrifier des milliers de vie, voire des millions, quelles fussent humaines ou pas, sauf la sienne, naturellement!

De son côté, Daniel avait pris la décision de délivrer Stankin. Par le chrono vision bricolé, il sut que son adversaire, riche d’une nouvelle acquisition illicite d’une pièce du bio translateur, venait tout juste de quitter ce 1250 ci. Incompréhensiblement, ce fait le laissa de marbre. Ces amis et subordonnés lui accordaient une confiance apparemment illimitée puisque, eux aussi, ne réagirent pas davantage à la triste nouvelle.

S’apprêtant à rejoindre l’époque du Moro Naba de Texcoco, Zoël, qui savourait intérieurement sa victoire, actionna son chrono vision personnel. Or, ce qu’il vit le plongea d’abord dans la plus grande perplexité, ensuite dans une rage effrayante qu’il eut du mal à endiguer. Les Soviétiques de Fouchine, forts de leur otage Franz Von Hauerstadt, se baladaient librement dans cet univers dévié! Ce n’était pas tout! Ils avaient à leurs trousses, habilement dissimulés, Tony Hillerman et, surtout, le redoutable Antor! Donc, l’équipe de Daniel Lin Wu n’était pas hors-jeu!

« Il faudra donc que je le tue de mes mains, ce mutant, ce bâtard, cet hybride, ce sang mêlé! » rugit le scientifique en langue Haän de la Troisième caste.

Recouvrant péniblement son calme et sa lucidité, Zoël prit la décision de renforcer ses troupes Haäns qui ne brillaient pas par leur intelligence et, encore moins par leur esprit d’initiative, par les mercenaires qui l’avaient déjà habilement servi en 1961.

Antoine Serrucci, toujours désargenté, sachant Merritt de parole, l’Anglais ne payait-il pas toujours cash, et qui n’avait pas oublié l’échec de l’enlèvement du duc en février 1961, répondit présent et s’engagea à fournir deux cents paras, avions, planeurs, fusils mitrailleurs, bazookas, lance-roquettes, et bien d’autres joyeusetés encore!

Contacté en juin 1961, le soldat perdu corse recruta son personnel sans difficultés et se montra presque enthousiaste à l’idée d’affronter à la fois ces foutus Soviétiques de mes deux, ces cocos qui avaient eu le culot de lui souffler Von Hauerstadt, et les troupes d’élite d’un ridicule potentat d’opérette dans une république bananière dirigée par des « Nègres », république située en plein cœur de l’Amérique centrale!

Merritt, pour une fois nullement avare d’informations, révéla également à Serrucci la présence de « Jaunes » hyper dangereux dans cette contrée exotique.

Inutile de vous dire qui étaient ces « Jaunes », non? Le chef du Dragon de Jade, durant toutes les péripéties de la Croisade, s’était contenté d’observer ses adversaires, et il avait ri en constatant les échecs des actions plus ou moins coordonnées conduites par le Gouverneur du Nouveau Mexique, les Nazis de Dieter Karl et les chevaliers de la Buena Muerte.

Rejoignant à son tour l’an 2148, le Chinois mafieux avait abandonné dans le port de Damiette les jonques anachroniques qu’il avait affrétées. Peu lui importaient les paradoxes temporels!

***************

À bord du Raptor de feu, Merritt rendait compte du succès de son contact avec Serrucci. Mais l’Anglais s’inquiétait.

- Pourquoi donc laisser Daniel Wu délivrer Stankin? Fit Sir Charles en allumant un cigare. Ne vaudrait-il pas mieux avoir toutes les cartes en mains?

- Rassurez-vous, cher ami et partenaire, lui répondit Amsq en lissant ses poils toux envahissants. Cela ne changera pas notre victoire en défaite, je vous l’affirme! Par le chrono vision, je sais que ce maudit Chinois sera bientôt à notre merci! En attendant, je dois suivre les directives de mon vénéré Empereur Tsanu XV.

- Je vous trouve bien empressé de lui obéir!

- Parce que cela vaut mieux pour nous. En priorité, je dois récupérer les deux dernières pièces du bio translateur. Ensuite, les Velkriss sauront nous récompenser.

- Justement, je n’accorde aucun crédit à ce peuple insectoïde! Une fois qu’il aura obtenu l’appareil au complet, ne peut-il nous tromper?

- Sir Charles, s’esclaffa Zoël pris d’une hilarité soudaine, me pensez-vous naïf à ce point? Avec l’aval de Tsanu XV, j’ai préparé une riposte imparable! Mais, pour l’instant, je préfère taire mon plan…

- Même à moi? Parut s’offusquer le successeur de Galeazzo.

- Oui, même à vous! Lança brutalement le savant. L’enjeu est trop important.

- Revenons à Daniel Wu.

- Il sera capturé, n’ayez crainte, et dans l’impossibilité de nous nuire. Au contraire!

- Cette haine…

- Ne dites pas que vous êtes étranger à ce sentiment! Je ne vous crois pas! Frédéric Tellier vous inspire la même colère.

Détournant alors habilement la conversation, Merritt demanda, tout en tirant une nouvelle bouffée de son cigare hors de prix:

- Décrivez-moi plutôt précisément les deux éléments qui nous font encore défaut.

- Oh! Si vous le souhaitez… la première pièce est une sorte de disque translucide, ressemblant à une petite capsule. Elle porte des signes gravés en langue helladienne.

- Bien. Que contient donc ce disque?

- Il renferme les mémoires génomiques de tout le vivant de la Galaxie.

- Stankin possède une telle connaissance? Surprenant!

- Hélas! Les Helladoï ont toujours été particulièrement doués…

- Mais vous, les descendants des Atlantes, les Haäns?

- Naturellement, nous avons aussi quelques renseignements concernant la question, mais avec… comment dirais-je? Ah! Oui… avec quelques lacunes gênantes! Imaginez qu’avec seulement cinq disques semblables mais complémentaires, nous aurions à notre portée toutes les connaissances sur la biodiversité du Pantransmultivers!

En prononçant ces mots, les yeux de Zoël se mirent alors à briller d’un étrange éclat. Cependant, il poursuivit, tâchant de modérer son enthousiasme.

- Avec de tels disques, les Velkriss sauraient ce qu’il y a « aujourd’hui » dans l’Univers et ce qui a existé sur le plan biologique « hier »!

- Vous aussi, marmonna indistinctement le Britannique, et c’est cela qui compte pour vous!

- Vous disiez?

- Rien, cher Zoël, rien d’important.

In petto, Sir Charles n’en continua pas moins.

« Non pas simplement voyager dans tous les mondes possibles, passés et à venir, mais posséder le pouvoir suprême de les remodeler à loisir! ».

- Comment utiliser efficacement un tel disque? Reprit à haute voix l’ancien universitaire.

- Facile comme bonjour, cher partenaire! Il suffit de coupler ledit disque à un réseau nano tubulaire dans lequel on « verse » ensuite une molécule d’ADN, extraite de n’importe quelle créature vivante. Voyez-vous, ce disque permet à la fois l’analyse et la dissection du génome. Alors, la double hélice est… cassée, les nucléotides triés dans des tubes puis restitués sous la forme d’un ADN neutre, totipotent, selon le terme exact. Euh… peut-être me montré-je par trop technique?

- Pas du tout! J’ai eu le temps de m’informer grâce à votre holobibliothèque! J’ai rattrapé mon retard.

- Bravo!

- Merci! Et la dernière pièce?

- Le dernier élément, fit Amsq songeur. Le plus précieux assurément… la micro sphère irisée en possession des Opabinia terrestres. Elle permet, si j’en crois la légende, et si j’ai bien interprété les images du chrono vision, l’activation mutagène de la totipotence! Avec le disque, on peut choisir d’orienter l’ADN vers n’importe quelle direction biologique, ici, en l’occurrence, une chimère vivante, et puis, par le transfert temporel, on peut se mouvoir à travers toutes les dimensions et y envoyer sa création dans tous les mondes, absolument tous, quelle que soit la déviation du spectre par rapport au point de départ. Fabuleux, non? Ensemencer un monde neuf, et orienter sa biosphère dans le sens des espèces souhaitées… c’est là le rêve des Velkriss.

- Mmm… se substituer à Dieu pour faire bref!

- Je vous l’accorde!

- Peut-on également reconstituer une vie ne reposant pas sur la biologie?

- Sans doute! J’y travaille…

Zoël se tut brusquement et, devant la mine fermée du chercheur, Sir Charles préféra interrompre là l’échange fructueux. Il en avait appris beaucoup et deviné bien plus sur Amsq. Ce que le Haän avait celé c’était, qu’en fait, un seul ADN pouvait être totalement neutralisé, redevenir totipotent au sein de tout le Pantransmultivers, et être donc réorienté à volonté vers toute forme de vie! Comme par hasard, c’était celui de Daniel Lin Wu! Tchang Wu et Sarton qui avaient crée le daryl androïde avaient donc bénéficié d’une connaissance tout à fait impensable pour le XXVe siècle. Qui donc était intervenu dans cette naissance hors norme? Qui tirait toutes les ficelles? Qui manipulait le continuum?

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En l’an 1250, les Croisés, épuisés, rongés par le scorbut et la dysenterie, endeuillés par la mort de Robert d’Artois, affaiblis par divers parasites, et assiégés à leur tour par les musulmans, se décidèrent enfin à sonner la retraite. Pour Turan Shah, c’était le moment ou jamais de tendre une embuscade aux Francs et de capturer le roi Louis IX!

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À bord du vaisseau Langevin, l’alerte pourpre clignotait et retentissait sur tous les ponts d’une manière stridente, signalant ainsi l’approche des bulles protégeant la zone neutre frontalière de l’Empire Olphéan. Mais cachés près des citernes d’évacuation des déchets, Mathieu, Marie et Isaac n’en avaient cure!

Les enfants devaient d’abord échapper aux Haäns, aux Velkriss et aux Castorii renégats. Un caquètement soudain fit sursauter la fillette. Il s’agissait d’Eloum. Le lieutenant de la sécurité dégagea un des conteneurs à ordures et s’écria en basic English:

- Du calme les enfants! Ce n’est que moi!

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