samedi 6 avril 2019

Un goût d'éternité 4e partie : Franz : 1936-1937 (2).


5 Millions d’années environ avant Jésus-Christ. 
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Une rafale de mitraillette ultra perfectionné abattait une dizaine, pas davantage, d’êtres manifestement simiesques, trapus, velus en train de se lancer dans le plus grand désordre, avec furie, à l’assaut d’un fourré derrière lequel s’étaient retranchés les hommes biologiques au service de Johann van der Zelden. Les Hominidés étaient simplement armés de pierres et de bouts de bois ; pourtant ils s’avéraient extrêmement dangereux. 
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Le richissime banquier, au milieu de ses hommes, une fois n’est pas coutume, dépourvu de son casque protecteur, perdu durant sa fuite, rageait et fulminait sa colère en des mots bien sentis.
- Maudit sois-tu, Michaël ! Tu es parvenu à me berner… Tu as dévoilé mon piège… Tu penses en avoir définitivement fini avec moi… mais tu te trompes… je te revaudrai ce coup de Jarnac… Vulgaire agent temporel, tu enfreins les ordres, tu les outrepasses… Tu vas le payer… si le Commandeur Suprême échoue à t’anéantir, ce sont les Douze sages qui s’en chargeront en te déconnectant… fumier…
Or, à peine Johann avait-il proféré ces paroles qu’il se retrouva lui-même, ainsi que ses séides, environné puis absorbé par une lumière violette qui les transporta tous au sein d’un maelström indéfinissable à l’intérieur des tempêtes du temps.
Tiré d’affaire par l’aura violet, l’Ennemi afficha sa grande satisfaction.
- Commandeur Suprême, dit-il à l’adresse de l’Entité artificielle, je savais pouvoir compter sur vous… il était encore trop tôt pour vous de sacrifier le clone que je suis…
Cependant, devant la lueur, les Australopithèques ou apparentés, avaient reculé en poussant des cris inarticulés qui témoignaient de leur grande frayeur. Or, tandis qu’ils fuyaient ainsi, de toute la vitesse dont leurs jambes grêles étaient capables, une micro montre faisant office d’ordinateur, tout à fait anachronique, gisait sur l’herbe desséchée de la savane. Elle affichait une date mais il semblait bien que les cristaux liquides avaient subi quelques dommages dans la chute du petit chronomètre. Au lieu d’indiquer la date attendue et logique de – 5 123 430 années, elle marquait ce qui suit : + 18 723…
Etait-ce donc la lumière violette qui avait accentué la perturbation engendrée par la chute de l’ordinateur incorporé dans ladite montre ?

*****

Le 14 août 1936, se produisait la prise de Badajoz marquant la jonction des franquistes du nord avec ceux du sud. Un mois plus tard, Léon Blum prônait la politique de non-intervention de la France en Espagne. Il n’avait guère le choix, n’étant soutenu ni par le Parlement ni sur la scène internationale. En effet, le parti radical et la Grande Bretagne étaient farouchement opposés à toute intervention visant à porter secours aux Républicains espagnols, au Frente Popular, pourtant légitimement élu.
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De plus, un autre grave souci venait assombrir le front du Président du Conseil. A cause de la fuite des capitaux à l’étranger, un classique depuis, Léon Blum était contraint de dévaluer le Franc de 25% environ.
L’Histoire suivait son cours…
Le 17 novembre, le Ministre de l’Intérieur, Roger Salengro,
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 victime des odieuses calomnies de l’extrême-droite, affaibli également par le décès de sa femme quelques temps auparavant, se suicidait.
En Grande-Bretagne, Edouard VIII abdiquait officiellement pour une romantique histoire d’amour. Son frère cadet George VI lui succédait et se retrouvait donc roi d’Angleterre alors qu’il souffrait d’un bégaiement maladif et d’une grande timidité.
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 Cependant, lors du Second Conflit mondial, il saurait se montrer à la hauteur, refusant de quitter la capitale britannique même lors du blackout et, plus tard, lors des V1 et des V2.
Au début de l’année suivante, le jeune comte Franz von Hauerstadt était promu sous-lieutenant. Cela le ravit mais il n’avait pas abandonné ses études scientifiques pour autant. En effet, à la même époque, il obtenait un diplôme de physique prestigieux puisqu’il pouvait désormais se targuer du titre de docteur en physique théorique… voyant cela, Karl, le père officiel, ne lui avait pas coupé les vivres. Il lui versait chaque milieu du mois un pécule relativement conséquent. Amélie lui en savait gré et se montrait de plus en plus attentionnée envers son mari qui commençait à éprouver de sérieux ennuis de santé. Parallèlement, elle entretenait des rapports plus conflictuels avec son fils cadet qui refusait ses conseils de prudence.

*****

Juillet 1794. Ou Thermidor An II, selon la terminologie de l’époque. Paris.
Plus précisément, le 2 Thermidor an II, Stephen Möll, sentant que le temps pressait, passait à l’attaque. Il allait enlever Joseph Fouché… 
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Armé donc d’un petit poignard orné d’un manche en ivoire mais aussi de deux pistolets glissés à la ceinture, camouflés cependant par le port d’une large redingote, le professeur de Cal Tech ressemblait quelque peu à un pirate endimanché. L’Américain était également muni de faux papiers qui le déclarait agent spécial du Comité de Salut Public. Accompagné comme son ombre par l’agent temporel, Stephen s’était posté en embuscade sur le chemin habituellement emprunté depuis quatre jours par le futur duc d’Otrante lorsqu’il se rendait chez le douteux citoyen Tallien. 
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Onze heures du soir venaient de sonner. La nuit s’annonçait belle et chaude mais, malgré les étoiles qui éclairaient d’une lumière froide le ciel d’un velours bleu foncé, les ruelles restaient enténébrées, sans lanterne pour les rendre plus sûres, les changeant en coupe-gorges éventuels. Pour assurer la sécurité des bons citoyens, des troupes de Sans-Culottes patrouillaient avec plus ou moins de régularité et de professionnalisme.
Rasant les murs plus ou moins lépreux, se retournant sans cesse, l’angoisse au cœur, tremblant de tous ses membres au moindre bruit suspect, la main droite crispée sur son petit pistolet personnel, Fouché se hasardait dans le lacis des ruelles obscures apparemment désertes. Parfois, ses pieds glissaient sur des détritus ou encore sur des déjections laissées là par des chiens mais pas seulement. Plus loin, la Seine exhalait des effluves nauséabonds de vase, de poissons morts, mais aussi de viande pourrie, ces écharpes d’odeur provenant de tanneries sises sur les quais. Mais le Conventionnel en avait pris l’habitude…
Soudain, avec une force à vous briser l’échine, deux mains se posèrent sur les épaules du député tandis qu’une voix ironique l’interpellait en anglais. Puis, l’agresseur, tout en parlant, sortant son couteau, en appuya la lame sur la gorge du tribun qui se retrouva à demi paralysé, le souffle court tant il était la proie du plus grand effroi.
- Holà, mister… halte. Où vous rendiez-vous donc de ce pas ? Vers quel bouge ? Vers quelle fourberie ? Je vous tiens solidement. Inutile de gaspiller vos efforts pour tenter de m’échapper.
D’une voix chevrotante, à peine audible, Joseph répondit à son agresseur dans le même idiome étranger.
- Qui êtes-vous donc ? Un agent de ces ignobles Drake et Pitt ? Ou bien encore, un envoyé de l’Incorruptible ?
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 Le bruit a couru il n’y a pas si longtemps qu’il aurait pris langue avec l’Angleterre. Mais je n’y ai guère cru à cette fable…
- Monsieur Fouché, lança Stephen avec un grand sourire, en insistant sur le terme de « monsieur », je suis mon propre envoyé. Je ne suis à la solde de personne. J’ai à vous parler de toute urgence. Or, la rue n’est pas du tout un endroit recommandé pour faire causette… surtout avec ce que je dois vous dire. Vous allez donc m’accompagner sans faire d’histoire. Sinon…couic… Compris ?
- Si vous me tuez, vous ne pourrez discuter avec moi, constata le député avec logique.
- Ma foi, c’est vrai. Sachez que quelqu’un m’accompagne… et il est autrement plus dangereux que moi, compléta l’Américain.
Aussitôt, à ces mots, Michaël se découvrit. Il enchaîna en bon français.
- Au moindre signe de fuite, à la moindre velléité de résistance, nous n’hésiterons pas à vous fracasser la cervelle.
-Compris, monsieur le Français, fit Joseph.
- Cependant, je tiens à vous rassurer, rajouta l’agent temporel. Notre but n’est pas de vous tuer froidement, mais de vous garder au frais durant un petit mois à peu près. Pourquoi vous demandez-vous ? Mais afin de vous empêcher de nuire.
- Nuire, moi ?
- Ne vous faites plus naïf que vous l’êtes, mon cher comploteur. Nous en savons beaucoup sur vous. Mais nous désirons en connaître davantage. Alors, arrivé dans notre refuge, vous dégoiserez tout… Surtout sur ces fameuses listes de dénonciation…
Rendu muet par les connaissances de ses assaillants, le Conventionnel ne résista pas davantage et se laissa conduire jusqu’à une cave d’un immeuble situé rue du Bac. Une fois parvenu dans ce qui allait être son lieu de détention, il fut solidement ligoté pat Stephen et dut rester adossé contre un mur lépreux au possible tandis que des rats et des blattes couraient sur le sol. Joseph eut beau protester, réclamer plus d’égards, rien n’y fit. Ce fut avec un sourire sarcastique que l’Américain et l’homme du futur l’abandonnèrent à sa solitude non sans l’avoir toutefois bâillonné au préalable. Pour tout confort, il avait à sa disposition un seau d’aisance.
Durant de longues heures, Fouché mijota dans sa peur. Il s’interrogeait sur la manière dont on allait le cuisiner.
Tandis que Stephen se réjouissait de ce coup d’éclat réussi, il ignorait toutefois qu’il n’était aucunement dans l’intention de Michaël de garder ad vitae aeternam le douteux Joseph.
Une dizaine d’heures plus tard, l’envoyé temporel, profitant d’une des absences du professeur parti se ravitailler, descendit jusqu’à la cave dans laquelle était détenu le prisonnier et, à la stupeur de ce dernier, le libéra illico. Evidemment, Fouché n’y comprenait goutte à toute cette mésaventure.
- Que signifie ? Fit-il à l’adresse de son geôlier.
Tout en disant cela, Joseph tremblait comme une feuille, pensant, à tort, que son ravisseur allait l’abattre dans le dos une fois qu’il monterait les escaliers censés le conduire vers la liberté.
- Rien du tout… oh ! Vous n’avez rien à craindre… je vous rends votre liberté.
- Mais pourquoi donc ? Je croyais que vous désiriez m’interroger sur certaines listes, répondit l’ex-moine d’une voix à peine audible.
- Cessez donc de trembler ainsi de frousse. Cela ne m’amuse pas du tout de vous voir dans cet état, rétorqua Michaël. Je ne vais pas vous égorger, que diable ! Oui, vous êtes libre, tout à fait libre de fomenter ailleurs vos petits complots sordides. Ah ! Une minute… si je puis me permettre de vous donner un conseil, crapule… changez donc de cachette. Les agents de Robespierre sont sur vos traces.
- Comment le savez-vous ?
- J’ai pisté lesdits agents, monsieur Fouché. Alors, faites davantage preuve de prudence si vous voulez réussir votre coup.
- Je…
- Oui, vous allez réussir au-delà de vos espérances, cher fourbe. L’Incorruptible sera renversé… du moins si vous parvenez à ne pas être capturé par des gens moins bien intentionnés que moi…
- Je ne sais quoi dire, balbutia Fouché, plus pâle encore qu’à l’accoutumée.
- Alors ne dites rien et foutez-moi le camp !
Ainsi, la farce courait vers son achèvement. Un jeu qui déplut hautement à Stephen, lorsque, de retour deux heures plus tard, il se rendit compte que Joseph Fouché n’était plus prisonnier.
- Fichtre ! Comment a-t-il fait ? S’exclama le professeur tout en dévisageant l’agent temporel. Je croyais que vous le surveilliez de près.
- C’était effectivement le cas. Mais j’ai jugé bon qu’il était nécessaire de lui rendre sa liberté.
- Quoi ? J’hallucine…
- Non… Vous ne rêvez pas, n’êtes pas en train de faire un mauvais trip.
- Nécessaire de libérer ce salaud ?
- Je vous l’ai déjà répété de multiples fois. Je ne change pas ce qui doit être… Le nationalisme doit déclencher toutes les guerres européennes du XIXe siècle… Bonaparte m’est nécessaire… Alors… CQFD… 
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Furibard, Stephen se jeta sur Michaël et le serrant par le collet, alors que l’homme du futur ne faisait rien pour se défendre, lui envoya deux directs en pleine figure tout en l’abreuvant d’injures.
Sous les uppercuts, l’agent temporel était tombé à la renverse. Mais déjà il se relevait alors que l’Américain poursuivait ses hurlements.
- Fumier à la puissance mille ! Salaud ! Traître ! Qu’avez-vous donc dans ce qui vous tient lieu de crâne ? Fils de pute ! Quel jeu jouez-vous donc ?
Tout en se frottant le menton et la joue droite, Michaël répondit d’un ton détaché.
- Franchement, Stephen, ce n’était pas la peine de cogner aussi fort. Je n’avais pas l’intention de me défendre. J’avais anticipé votre réaction.
- Ah oui ? On ne l’aurait pas dit, ironisa amèrement l’Américain.
- Une réplique physique ou mentale de ma part, une réplique un peu musclée et soit je vous désintégrais, soit je vous rendais aussi intelligent qu’une amibe…
- Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
- Parce que je tiens trop à vous. Je veux que vous restiez en vie, avec toutes vos capacités mentales…
- Vous éprouvez donc un certain attachement pour ma petite personne ? Celle d’un maître envers son caniche ? Son hamster ? 
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- Ne soyez pas ridicule. Vous ne pouvez me comprendre.
- Bougre de bâtard. Expliquez-moi…
- Ah ? Vous désirez réellement savoir ce qui fait que je ressente malgré tout, après toutes vos avanies, de l’amitié envers vous ?
- Parlez, bon sang ! Vous tournez autour du pot… Vous m’en avez révélé déjà pas mal sur vous, sur votre monde… mais le principal, vous le celez toujours… Quel secret dissimulez-vous encore ?
- Ah ! Stephen, plus je passe du temps en votre compagnie, plus je m’interroge sur la réalité de votre intelligence… faites un effort… sautez deux ou trois étapes afin de parvenir au niveau d’un enfant de dix-huit mois… oui, d’un jeune Homo Spiritus en devenir… Je ne vous demande pas grand-chose…
- Votre persiflage, j’en ai ras-le-bol…
- Si vous évitez le 9-Thermidor, vous évitez également Napoléon ainsi que les deux guerres mondiales…
- Mais c’est ce que je veux, ahuri de mes deux ! C’est pour cela que j’ai entrepris cette expédition et vous m’avez suivi…
- Afin d’assurer votre sauvegarde… entre autres… mais surtout, pour vous administrer une leçon… faire en sorte que vous vous tiriez de ce stage en immersion sans casse, sans le moindre bobo.
- Encore une fois, vous exagérez… je ne supporte plus vos mensonges, votre rôle ambigu de nounou…
- Très bien, siffla Michaël soudainement un peu moins amusé par le tour que prenait la conversation. Courez donc récupérer cette ordure puisque, manifestement, vous mourez d’envie de vous suicider. Je puis même vous dire où Fouché se trouve présentement… mais… ne vous étonnez pas si, subitement, vous éprouvez le sentiment de sombrer dans la non-existence… car le phénomène qui se produira assurément ne sera pas instantané, je vous l’assure… la tapisserie complexe de la Supra Réalité va tenter de résister à cet accroc… mais, bien sûr, elle finira par être détissée et recousue… au fait, pour compléter le tableau, je disparaîtrai également…
- Je m’en fiche !
- Je le redis, Stephen. J’ai accepté de vous suivre dans votre pari stupide dans le but de mesurer l’ampleur de votre bêtise. Or, elle atteint des proportions incommensurables. Votre humanisme, votre pacifisme me font rire jaune. Avez-vous perdu de vue que, pour sauver des millions et des millions de vies, vous en sacrifiez bien davantage encore ? Oui, en enclenchant une harmonique temporelle, vous modifiez votre destin personnel… mais pas que… si vous existez actuellement, c’est que vous êtes utile au cours normal de l’Histoire. Or, ce ne sera certainement pas le cas si vous changez le continuum…
- Je vous le recrache à la figure : je m’en fous !
- Ah ! Vous êtes persuadé que je raconte des blagues… Bon… je vais vous en dire un tout petit peu plus sur ce que les Douze Sages et mon peuple ont expérimenté.
- Enfin !
- Bien des civilisations ne sont jamais nées à cause desdites expériences… plus de trois mille selon les dernières informations dont je dispose… et je n’évoque que le destin de la planète Terre… bien sûr, il faudrait y rajouter les civilisations lunaires, martiennes et ainsi de suite… alors que l’humanité entamait son exploration de l’espace… mais là n’est pas l’essentiel.
- Qu’est-ce donc qui est essentiel pour vous ? Cracha Stephen.
- Vous ! Vous faites tout pour vous effacer des tablettes de l’Histoire, mais moi, je vous contre et vous contrerai encore et encore.
- Tant d’insistance, d’acharnement… pour moi, un Homo Sapiens…
- Cela vous étonne.
- Oui, évidemment. Il y a peu vous m’avez dit que des milliers d’ancêtres nous séparaient… mais je ne suis qu’une goutte d’eau parmi tous vos aïeux, non ? Alors, c’est notre amitié qui vous pousse à me surprotéger…
- Pas que… en fait, vous êtes mon premier ancêtre… oui, celui avec qui tout débute… celui qui servit de prototype… à la Quatrième Humanité…
- La Quatrième Humanité ? Marmonna le professeur.
- Oui… mais pas sur le plan physique… nous ne sommes pas de la même nature. Toutefois, nous nous ressemblons quant à la structure mentale. Après la Grande Catastrophe, des mutants apparaîtront. A cause des radiations et des bouleversements climatiques, ils seront contraints de vivre dans des souterrains et des cavernes qu’ils auront aménagés… puis, quelques milliers d’années plus tard, les Cyborgs verront le jour, mi-machines mi-robots… ensuite ce sera le tour des nains de boue… et des guêpes tueuses… enfin, vers les années 130 000…
- Comment les années 130 000 ? Je croyais que vous étiez originaire de l’an 40 120 ?
- Oui, et c’est la vérité… mais le rapport temps a évolué, Stephen… à mon époque, la Terre ne tourne plus à la même vitesse autour de son Soleil. Les pôles ont également basculé. Le pôle Sud se situe en Floride et le Nord en Indochine… pour garder les termes géographiques du XXe siècle.
- Quoi ? Quelles autres surprises me réservez-vous encore ?
- Celles-ci. L’axe d’inclinaison de la planète est de 37,5° désormais.
- Ouille ! Alors les saisons ne sont plus les mêmes.
- Effectivement. Mais je ne m’appesantirai pas là-dessus. Il n’y a plus cinq continents à la surface mais seulement deux. Et un seul et immense océan car la mer occupe 85% de la superficie du globe.
- Poursuivez. Où avez-vous donc trouvé refuge, vous les Homo Spiritus ?
- C’est évident… Sous l’eau. Un hémisphère est plongé dans la nuit éternelle. Quant aux radiations solaires elles sont mortelles…
- Comment cela ?
- Euh… les tentatives des Cyborgs de posséder une énergie illimitée ont conduit à cet état de fait. Le Soleil s’est presque entièrement transformé en hydrogène… les Douze Sages prévoient son explosion en Super Nova dans quatre millions d’années… si tout va bien… à moins que leurs besoins en approvisionnement énergétique les poussent à leur tour à opérer cette transformation beaucoup plus tôt.
- Ce que vous me narrez ressemble à un cauchemar.
- J’en ai conscience…
- Achevez ce sinistre tableau.
- Vous savez déjà que nous, Homo Spiritus, n’avons plus apparence humaine en temps normal.
- Oui, je vous ai vu sous votre aspect réel. Une sorte de serpent luminescent de différentes couleurs… un spectre irisé.
- On peut dire les choses comme cela. Toutefois, il reste encore quelques Homo Sapiens dégénérés…
- Bon sang !
- Hélas, c’est la vérité… elle n’est pas belle. Les Douze S les ont conservés pour les tâches les plus ingrates…
- Des esclaves, quoi, siffla Stephen.
- Je sais qu’il n’y a pas de quoi en être fier, mais c’est ainsi.
- Et vous me dîtes tout cela comme ça, tout de go !
- L’oxygène, qui ne représente que 10% de notre atmosphère, nous sert à alimenter nos cités sous-marines protégées par des globes magnétiques. Cependant, huit autres agglomérations ont été construites à plus de deux mille mètres sous terre.
- A cause des radiations mortelles, je suppose.
- Vous supposez bien, Stephen. La vie naturelle a dû s’adapter à ces maudites radiations. A la surface des deux continents, il n’y a plus que de vastes déserts glacés ou brûlants. Quant à ce qui tient lieu d’équateur, il est recouvert par d’immenses étendues sableuses ou encore par des fougères géantes qui frôlent les trois cents mètres de hauteur ou par des épicéas… mais je les appelle épicéas pour vous…
- Vous me décrivez la flore… passez à la faune… il y en a, non ?
- Les seules créatures qui ont pu survivre à ces bouleversements sont à la fois mi mammaliennes mi reptiliennes. Elles préfèrent notamment le milieu marin. 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/02/Thrinaxodon_BW.jpg/290px-Thrinaxodon_BW.jpg
-Alors, pas d’oissons ? Ni de chimpanpieuvres ?
- Vous usez d’humour, professeur… je m’en trouve soulagé… Non… Nous n’avons ici que des dinosaures marins…
- Bon… mais que sont les Homo Spiritus ?
- Je ne fais pas que contrôler mon apparence. Lorsque je revêts la forme d’un Homo Sapiens, je puis manger, dormir comme lui…
- Vous transformez votre énergie en matière… cela je l’avais compris.
- C’est cela. Mais en fait, je suis un courant énergétique, un courant électrique intelligent… qui a besoin de se régénérer, de refaire le plein régulièrement. Si je descends en dessous d’un niveau critique, eh bien, je me retrouve dans l’incapacité de synthétiser les radiations solaires… alors, je tombe en léthargie… et si le phénomène se poursuit, je m’éteins… définitivement. Je ne suis donc pas immortel…
- Personne ne l’est. Telle est la dure loi de l’évolution.
- Les Douze Sages ont permis mon existence.
- Vous ne disposez donc pas des mêmes pouvoirs qu’eux.
- Bien entendu. A vos yeux, ils pourraient sembler immortels… car leur existence se mesure en millions d’années.
- Qu’en est-il pour vous, Michaël ?
- Disons que pour poursuivre une existence de mille cinq cents années, années de l’an 40 120, je dois me réalimenter sans cesse ou presque…
- Donc, c’est pour cela que vous aimez vous balader sous l’orage… ou encore visiter les centrales électriques ou les réacteurs nucléaires…
- Vous souriez… ma situation vous amuse…
- Il y a de quoi, non ?
- Cela dépend du point de vue. Vous n’êtes plus fâché contre moi…
- Je n’irais pas jusque-là. Je vous garde un chien de ma chienne, Michaël.
- Vous le dîtes mais votre pensée profonde formule le contraire.
- Laissez tomber, mon vieux. Je ne sais qu’un chose : je suis plongé en plein délire science-fictionnel. Au fait, comment dois-je vous appeler ? Fiston ? Sainte Lumière électrique ? Mais vous n’avez rien d’un saint, Michaël.
Alors, l’agent temporel laissa libre cours à son soulagement. Il éclata de rire et son rire était sincère.
- Tout de même pas, Stephen. Certes, je parais plus jeune que vous, je suis né bien après vous, mais en fait, je suis nettement plus âgé…et je détesterais vivre comme un moine… un ascète ou un ermite…
Les propos de l’agent temporel ne faisaient que refléter ce qu’il croyait être la vérité. Il ignorait, du moins encore pour l’instant, ce qu’il en était réellement au sein de son univers. 

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