dimanche 6 septembre 2009

La gloire de Rama 2 : La valse à mille temps chapitre 10

Chapitre 10

A bord du Langevin, la situation se détériorait d’heure en heure et atteignait un niveau dramatique. Désormais, soixante membres de l’équipage étaient morts, portés disparus ou bien avaient muté. L’épidémie, que rien ne semblait pouvoir enrayer, s’étendait comme un cancer fatal. Plus personne ne se trouvait à l’abri. Les Alphaego attaquaient librement, où bon leur semblait, n’importe quand, n’importe où, surgissaient d’un écran d’ordinateur, d’un circuit secondaire de maintenance des moteurs, d’un cristal de charpakium…
Sur la passerelle, en état de siège, les quatre officiers supérieurs se relayaient, sans quitter le centre de commandement, aidés par les pilotes. Il y avait donc Maïakovska, Chérifi, Warchifi, Uruhu et le petit dinosauroïde Chtuh, secondé par un engagé navigateur d’origine australasienne, Tepani Aroz. Le K’Tou, en sa présence, se sentait fort mal à l’aise car l’Aborigène ressemblait beaucoup aux Sapiens qui avaient exterminé son clan il y avait quelques cinquante mille ans de cela!
Dans le coursives du vaisseau, Antor pourchassait sans relâche Kiku U Tu. Le Kronkos avait à son actif la mort de deux caméloïdes, d’un porcinoïde, d’ un éléphantoïde, d’ un Castorii et de bien d’autres membres d’équipage! Tous les Troodons avaient été déjà capturés, sauf le chef de la sécurité, particulièrement rusé et rétif. Sa régression, qui s’accentuait, ne diminuait en rien ses talents de chasseur. Il flairait les pièges, les devinait et les évitait avec une maestria remarquable. On comprenait, en le voyant échapper ainsi à tous les traquenards, pourquoi il avait atteint le poste qui était le sien sur le Langevin.
Mais, cette fois-ci, Antor mit dans la balance son astuce prodigieuse et ses talents si particuliers.
Kiku U Tu ignorait donc qu’un nouveau piège, subtil, lui avait été tendu. Cela faisait plus de vingt quatre heures qu’il n’avait rien eu à se mettre sous les crocs et son ventre criait famine. Soudain, alors qu’il se terrait dans les conduits d’aération, une affriolante odeur de sang frais vint lui chatouiller les narines. Quels effluves merveilleux et irrésistibles, vraiment!
Mû par l’instinct, son estomac grondant, le Kronkos rampa dans l’étroit couloir, parvint à desceller la grille de ventilation et sauta lourdement au niveau inférieur. Des traces sanguinolentes marquaient une piste chaude.
Humant l’air de ses larges naseaux, Kiku se mit à courir, sa queue lui servant de balancier. Les gouttes de sang frais le menèrent jusqu’au hangar des navettes. Derrière des conteneurs de cristaux de charpakium, toujours prêts à alimenter les moteurs des petits vaisseaux, un corps gisait. Le cadavre présentait d’horribles blessures d’éventration et d’égorgement. Qui avait pu accomplir un tel forfait?
Mais là n’était pas la préoccupation majeure du Troodon. En rugissant, il se baissa, la bave coulant de sa gueule démesurée, flaira le corps avec méfiance, se rendit compte avec satisfaction que celui-ci était encore tiède. Kiku U Tu détestait la viande froide! Alors, ses instincts primitifs prirent le dessus sur la méfiance. Ses cinq cents dents tintèrent et claquèrent bruyamment. Il allait pour arracher un membre du corps mort lorsque, soudain, il se sentit comme paralysé et écrasé par quelque chose qui l’enveloppait et qu’il ne savait plus identifier. Il s’agissait tout simplement d’un filet dont les mailles étaient en plastacier renforcé.
De toutes ses forces, de toute sa puissance, le Kronkos essaya de déchirer la trame du piège dans lequel il était prisonnier. Il s’agitait, vainement, sa queue fouettant l’air tant bien que mal avec fureur, ses crocs tentant de déchiqueter les mailles plus solides.
Mais un rire moqueur lui fit relever la tête. Son cerveau embrumé reconnut difficilement Antor. Et sa colère se déchaîna sans retenue. Dans un effort prodigieux, il parvint à déchirer ce maudit filet. Sa rage exacerbée par un sentiment confus de haine sauvage, il chargea l’ambassadeur!
Or, celui-ci attendait manifestement cela! Plus que rapide, il esquiva le Troodon qui, penaud, poursuivit encore sa course durant cinq mètres avant de faire demi tour.
La deuxième charge finit par un corps à corps d’une violence inouïe Mais Kiku n’eut pas le dessus! Malgré sa peau cuirassée et ses crocs meurtriers, il fut maîtrisé en quinze secondes à peine. Assommé, inconscient, il fut ligoté fermement par quatre membres du Langevin qui avaient pris la précaution de revêtir des combinaisons de protection renforcées. Naturellement, Antor, lui aussi, avait passé semblable tenue afin d’éviter une éventuelle contamination.
L’éléphantoïde Fftampft demanda à l’ambassadeur.
- Est-ce que vous allez bien, excellence?
- Oui, je ne suis pas blessé. Dépêchez-vous d’enlever ce faux cadavre d’ici!
- Tout de suite, monsieur. Vous avez eu une idée de génie! Utiliser le synthétiseur de nourriture pour fabriquer une victime d’Alphaego!
Antor répliqua avec humour.
- Non, Fftampft, une victime d’un vampire sadique!

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12 juin 1997 de la seconde histoire, dans les locaux du Haut Conseil de l’Audiovisuel français, autrement dit le célèbre HCAF dont le patron se nommait Gérard Chartres, un ancien journaliste, ex directeur de la Une française. Installé dans un fauteuil confortable, il se balançait, les yeux furibonds, tout en tapotant nerveusement son bureau. En face de lui, se tenait, penaud et gêné, Albert Gien, ancien directeur de la Quatrième Plus, convoqué pour avoir passé dans « Les Pantins de l’Actu », une séquence que Chartres avait jugé scabreuse.
- Je me demande si vous avez conscience de la gravité de l’affaire, disait sévèrement Chartres, non sans fatuité.
- Ah? Je ne vois pas, non. Marmonnait celui qui se sentait déjà condamné. Il craignait, non sans raison, une interdiction d’antenne de l’émission, ce qui se serait traduit par une perte sèche financière importante. Dans ce cas, son poste pouvait sauter selon les dures lois du marché et de l’Audimat!
- Votre émission, « Les Pantins de l’Actu », diffusée en clair, attire de nombreux téléspectateurs. Elle se veut à la fois bonne enfant, familiale et branchée. Votre audience est en constante augmentation. Vous avez donc, selon moi, un devoir moral, une responsabilité à assumer. Alors, dans ce cas, pourquoi avez-vous autorisé cette scène proche de la pornographie dans vos marionnettes?
- Quelle scène? Interrogea innocemment Gien.
- Bon sang, vous le faites exprès ou quoi, Albert Gien? Je veux parler de cette ridicule marionnette dénudée, à la chute de reins vulgaire, aux fesses rebondies, à la poitrine siliconée! Passe encore que de jeunes enfants l’aient vue de dos. Mais lorsqu’elle s’est retournée! Elle était une invitation ouverte à la débauche!
- Mais, monsieur le président, on en voit bien davantage à 20h 50 sur les chaînes concurrentes! Et je ne cite pas toutes les publicités sur les déodorants, les savons et j’en oublie… Le moindre téléfilm présente des scènes « hot », très chaudes. De plus, comme par hasard, il est français!
- Ah! Ne prenez pas prétexte que les autres font pire pour vous disculper! Cette marionnette était d’une totale impudicité. Et elle ressemblait à la fille d’un très haut personnage de l’État. Monsieur Gien, c’est une honte!
- Monsieur le président, je ne puis constamment surveiller mes auteurs! Ils sont habitués à être totalement libres dans leur inspiration créatrice.
- Si c’est cela que vous appelez la liberté! Vous comprendrez que, dans cette affaire, je me vois dans l’obligation de sévir afin de faire un exemple.
- Quelle sanction infligez-vous à ma chaîne? Soupira résigné Gien.
- Votre émission litigieuse ,« Les Pantins de l’Actu », sera interdite de diffusion pendant un mois à partir d’aujourd’hui. Tant pis pour votre audience! Et si vous contrevenez à ma sanction, ce sera l’écran noir!
Pour accentuer sa menace, Chartres donna un violent coup de poing sur son bureau. Son interlocuteur en eut le souffle coupé. Il chercha sa réponse, tête baissée. Lorsqu’enfin, il releva les yeux, il eut la surprise de voir un rayon verdâtre illuminer le Président du HCAF, l’englober et l’emporter hors de la pièce!
- M’enfin! S’exclama-t-il, imitant involontairement Gaston Lagaffe. C’est débile ce qui arrive!
Se levant précipitamment, tant son trouble était grand, il fit chuter son siège . Il ne put cependant empêcher Chartres de disparaître de cette réalité-ci.
Lorsque l’ancien journaliste et PDG de chaîne publique se réveilla, il n’identifia pas immédiatement les lieux. Il avait l’impression de se trouver étendu à l’extrême bord d’une scène de théâtre telle qu’elle aurait pu se présenter au XVII e siècle. Quelque chose gênait sa respiration. Il tâta précautionneusement son visage et put constater que celui-ci était dissimulé par un masque, celui d’un vieillard au nez crochu et aux cheveux blancs, longs, en broussailles Il ne réussit pas à l’ôter.
Puis, se redressant, il vit qu’il portait un costume façon style début du règne du roi Soleil, noir, bourgeois et austère, mais surmonté d’une énorme fraise blanche anachronique. En un éclair, Chartres comprit qu’il incarnait à la fois Géronte et Tartufe.
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Soudain inquiet, il se mit à arpenter furieusement la scène. Un rire narquois lui fit dresser la tête. Une longue silhouette portant une robe de Colombine descendit le long d’une corde et atterrit avec grâce à cinq pas de lui.
- Qui êtes-vous, madame, et qu’est-ce que ce théâtre? S’enquit Gérard.
- C’est là le lieu qui te convient, mon bon, répondit l’inconnue, à la fois condescendante et méprisante. Ne reconnais-tu donc pas la scène de « l’Illustre Théâtre »?
- Vous vous moquez de moi, madame! Ce décor n’est qu’un succédané de dernière catégorie!
- Le terme approprié est hyper succédané, très cher! Mais d’abord et avant tout, ce lieu est celui de ton jugement, poursuivit la colombine d’un ton plus froid.
- Me juger? Vous? De quel droit? Je n’ai point l’heur de vous connaître, répliqua l’autre.
- Ne juge pas afin de ne pas être jugé!
- Je ne vous suis pas!
A cette réplique, des braiments et des barrissements résonnèrent devant la scène.
- Tiens? Cela ressemble à des rires enregistrés! Constata Chartres.
- Oh! Absolument pas, mon cher! Vous faites erreur. Voyez vous-même!
Comme par magie, le théâtre s’illumina et Chartres découvrit avec stupéfaction qu’il y avait effectivement un public dans la salle, mais quel public! Il était composé d’hommes et de femmes à têtes d’ânes ou d’éléphants.
- Qui sont ces gens? Que leur est-il donc arrivé? S’inquiéta Gérard.
- Vous avez devant vous un panel de téléspectateurs français moyens tels que vous les avez rendus grâce à vos émissions comme le « Crétin Show », « Cow Boy cocorico », « La Bastide des Lavandes », des talk shows graveleux, des variétés stupides, des feuilletons sirupeux, programmes que vous avez multipliés allègrement sur la Une française et la Chaîne deux, lorsque vous en étiez le président! Tout cela doit se payer un jour. Pour moi, il n’est que temps!
Un écran suspendu de 20 m² s’alluma. Défilèrent alors rapidement des extraits de génériques d’émissions variées: « Point Virgule », sur la littérature dans son ensemble, « Le Cinéma du Soir », « Maritimes », magazine culturel aux sujets divers dont de magnifiques rétrospectives sur les grands interprètes- mais néanmoins rivaux- de Bach au clavier, Don Moss (claveciniste), Harry Hume,(le célèbre pianiste canadien), d’innombrables feuilletons et dramatiques en costumes, de la musique classique, du théâtre…
- Toutes ces émissions, fleuron et fierté de la télévision française, vous les avez soit supprimées, soit, dans le meilleur des cas, repoussées entre 23h 50 et 2h du matin! C’est vous encore qui, en 1992, à l’occasion d’un concours du scénario télévisé, sous prétexte que la télé devait être proche des gens et de leurs préoccupations quotidiennes, avez publié une clause interdisant tout tournage de fictions adaptées de la grande littérature ou mettant en scène des reconstitutions historiques!
Grâce à vous, ou plutôt à cause de vous, des centaines de comédiens spécialisés dans les fictions de qualité se sont vus condamnés au chômage ou encore, pour ne pas mourir de faim, au doublage de films et de séries d’Outre Atlantique, remplacés par des acteurs moins expérimentés, moins chers, au jeu volontairement maladroit et à la diction imprécise, terriblement post-moderne, n’est-ce pas? , ce que je nomme le jeu « jeaneus »!
Quant aux dialogues de ces téléfilms ancrés dans la réalité, ils méritent d’entrer, comme d’ailleurs les sujets de ces œuvres nombrilistes, dans les annales de la banalité et de la vulgarité.
Sans doute, avez-vous encore en mémoire ces répliques fameuses:
« Ôte-toi de là! Tu me fais chier! Va-t-en! ».
« Qu’est-ce que j’en ai à foutre? Va-te casser! ».
« Quelle connerie! Purée! Con! J’en ai rien à branler! ».
Et bien d’autres du même acabit, hélas! Édifiant, n’est-ce pas?
- Chère inconnue, proféra Chartres, vous affichez une nostalgie qui, aujourd’hui n’a plus lieu d’être! La télé de papa est morte! Il faut vivre avec son temps! Qui vous a fait croire que la vocation de ce média était d’éduquer? L’école est là pour ça! La télé se doit de distraire le bon peuple dans la bonne humeur, de détendre le public et rien d’autre! Si celui-ci aime les séries policières, il en aura! S’il préfère les films américains avec de la castagne et de l’action sur vitaminée, itou!
- Si je vous comprends bien, vous vous en lavez les mains, comme Pilate avant vous! Grâce à ces extraits choisis non par hasard, ce qui fut l’une des plus belles langues du monde est devenue inaccessible à nos enfants! Ainsi, nos chères têtes blondes ou brunes des collèges ne peuvent plus lire Zola ou Balzac dans le texte! Et je n’évoque ni Voltaire ni Beaumarchais. Pour les adolescents de onze à seize ans, le français du XIX e siècle, celui de Hugo, de Mérimée, est devenu une véritable langue étrangère, presque une langue morte, aussi intelligible pour le profane que l’égyptien du temps des pharaons, ou encore le dialecte bas breton ou le grec pré classique.
- Holà! Quelle hargne vindicative! Pour vous exprimer ainsi, vous devez être le bras droit du terroriste antilibéral Daniel!
- Je n’ai rien de commun avec lui, donneur hypocrite de leçons! Tartufe encapuchonné dans sa pudibonderie qui, il y a peu, avez pourtant massivement introduit le nu féminin le samedi soir à 20h30 lorsque vous dirigiez la Une française! Pour vous, tout était bon pour faire de l’audimat et obtenir le plus d’annonce publicitaires! Vos successeurs n’ont plus eu qu’à poursuivre sur cette voie clairement balisée.
- Sans doute faites-vous allusion au peep show de « Crétin Show » lancé en 1984! Mais, c’est de l’histoire ancienne!
- Puisque vous vous complaisez dans votre rôle d’inquisiteur, comme j’ai pu m’en rendre compte avec Albert Gien, vous allez subir le sort des condamnés à mort espagnols, la gorge serrée dans le garrot. IA, fais donc un resserrage de cette monumentale et ridicule fraise que porte notre Tartufe national!
- Resserrage en cours, répondit une voix synthétique.
- Accélère donc! Cette exécution m’ennuie.
Le large col tuyauté de Chartres se mit à le serrer jusqu’à appuyer sensiblement sur sa carotide. Son visage prit d’abord une teinte bleue du plus bel effet, puis une inquiétante couleur violette. Ses yeux semblèrent ensuite sortir de leurs orbites. Tentant désespérément de trouver un peu d’air, le président du HCAF tira une langue toute gonflée et bien laide. Il voulut même arracher sa fraise garrot. Mais il s’effondra sur la scène, asphyxié, mort.
Pamela reprit, de sa voix suave.
- IA, débarrasse-moi de ce corps grotesque. Il encombre.
Ce fut là la seule épitaphe du moderne Tartufe.

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C’étaient les derniers jours avant les fêtes de Noël. Dans la gentilhommière, tout le monde s’affairait et mettait la dernière touche aux finitions du translateur raccordé au vaisseau scout Einstein. Le premier montage n’ayant pas entièrement donné satisfaction, il avait fallu tout recommencer. Il n’était pas question, en effet, de voir les occupants de l’engin se perdre quelque part dans un tunnel transtemporel.
Elisabeth Von Hauerstadt avait des préoccupations plus terre à terre. Elle avait convaincu ses aînés François Cécile et Frédéric de venir passer les fêtes de fin d’année en Seine et Marne.
Dans le salon jaune du premier étage, un magnifique sapin de Noël, décoré à l’ancienne, se dressait, tout garni de guirlandes, de boules multicolores, d’angelots, de cheveux d’ange, d’étoiles en papier doré, de bonshommes de neige, de pères Noël, de lutins, de sucres d’orge et de pains d’épices. Le faîte de l’arbre était surmonté d’une splendide flèche de cristal qui brillait de tous ses feux sous la lumière électrique du lustre à pampilles. Le tout conférait au salon une atmosphère quasi magique, voire féerique.
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Aux pieds du sapin, Elisabeth avait réservé une large place pour les cadeaux. Violetta avait donné un coup de main sous les yeux émerveillés de Marie. Pensez donc, un authentique sapin de Noël et non une holosimulation!
Ufo rôdait autour de l’arbre, intrigué, espérant quelque gâterie ou gourmandise. Le chat se demandait quels étaient ces personnages bizarres, en pain d’épices, qui dégageaient une si bonne et savoureuse odeur de miel. Les Saints Nicolas le tentaient diablement!
Et les franges des fragiles guirlandes qui tremblaient et oscillaient à chaque passage de Violetta ne faisaient qu’affoler un peu plus notre félin gourmet. Ah! Que ces douces senteurs l’attiraient! Ufo ne put résister à la tentation plus d’une demi journée.
Mettant à profit sa relative solitude, l’adolescente s’étant momentanément absentée du salon, le chat transgénique qui était resté patiemment à l’affût, sauta sur les premières branches du sapin afin, tout d’abord, de flairer les succulentes friandises, puis de croquer un Saint Nicolas. Certes, il réussit son saut effectué, malgré son âge, avec une souplesse remarquable, mais voilà, les aiguilles irritèrent son épiderme si tendre et s’accrochèrent à ses poils mi longs!
Alors, miaulant de souffrance et de dépit, le félin tenta de réchapper aux terribles aiguilles. Il s’agita et ne fit qu’augmenter sa gêne. L’inévitable advint. Il s’empêtra dans une jolie guirlande bleue. Se débattant avec colère, il lui fallait se dégager de ce piège sucré, il ne réussit qu’à faire chuter le sapin! Naturellement, il dégringola avec lui sur le parquet de chêne. Les jolies boules irisées, toutes fragiles, les bougies, les guirlandes, les angelots, tout se brisa dans un fracas qui fit sursauter Violetta et accourir Elisabeth.
- Seigneur! Que s’est-il passé ici?
Un piteux miaulement répondit à la maîtresse des lieux. Ufo émergea des décombres, le poil ébouriffé, pour s’enfuir à toute vitesse retrouver les bras de Daniel et de recevoir ainsi caresses et consolation. Mais lorsque le commandant sut les méfaits dont son chat était l’auteur, comprenant que c’était son incorrigible gourmandise qui était à l’origine de ce drame domestique, il le punit fermement en l’enfermant dans un débarras bien noir, sans manger, durant une journée. Et les plaintes de son animal familier le laissèrent inflexible.
Peu après cet incident, les enfants, dans un autre salon, regardaient les émissions pour la jeunesse sur le poste de télé qui, pour l’occasion, avait été déplacé. C’était l’heure du train rébus . Liliane s’étonnait de voir Marie résoudre sans peine les énigmes du petit train. L’adolescente constatait également que la fillette faisait la grimace devant certaines marionnettes, Marie-Claire notamment, de la séquence du jeune téléspectateur, Nicolas et Pimprenelle, Kiri le Clown, Titus le Lion, etc.
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Marie surprit au vol une question et y répondit avec candeur.
- Je préfère « Le Manège enchanté », avec Margotte et Zébulon. Le chien Pollux aussi est amusant! Il a un faux accent anglais. C’est un poseur et Flappy, le lapin, est le plus grand paresseux que j’aie jamais vu!
- Tes goûts sont plutôt étranges, émit Liliane. Ainsi, il y a quelques jours, tu as regardé « Les Bonnes Adresses du Passé ». Or, cette émission n’est pas de ton âge. Tu n’as que cinq ans! As-tu retenu quelque chose de ce que tu as vu?
- Bien sûr! Le générique me rappelle les animaux automates que mon père a construits dans la salle de jeux du Langevin. Le Facteur Cheval… J’aimerais savoir sculpter comme lui, à partir de rien!
- Est-ce vrai qu’à ton époque, dit Sylviane, les artistes ne sculptent plus de leurs mains et ne peignent que par ordinateur interposé?
- Ben…oui! Et les paléontologues ne peuvent conceptualiser la taille d’un silex qu’holographiquement. Il n’y a qu’Uruhu et papa, à ma connaissance, qui peuvent tailler les pierres de leurs mains, comme au paléolithique!
- Tu possèdes un vocabulaire bien au-dessus de ton âge! Constata Liliane.
- Pourtant, ce n’est pas moi le génie! C’est mon frère! Je ne suis qu’une petite fille parfaitement normale, pour mon XXVI e siècle bien entendu!
Violetta, qui entrait dans le salon, donna obligeamment des informations complémentaires.
- Marie ne veut pas le reconnaître mais elle est douée en langues étrangères, comme moi, mais aussi en physique dont elle apprend déjà les rudiments, en astronomie et en mathématiques Elle vient d’aborder les équations à deux inconnues. Ah! Et elle a su lire l’anglais et le français à deux ans. Le mandarin, couramment, l’an passé!
- Euh, c’est impossible! Prodigieux, assurément! Tu es branchée directement à un ordinateur ou quoi? S’exclama Sylviane. Ou alors, sous hypnose, tu apprends durant ton sommeil!
- Pff! N’importe quoi! Mon cerveau n’est pas artificiel comme celui de mon papa! Lorsque j’apprends, je suis attentive, concentrée, parce que j’aime ça! Voilà!
- Hier, rajouta Liliane, elle m’a aidée à faire mes monômes et, comme je faisais des erreurs, elle s’est gentiment moquée de moi!
- Oh! Marie est relativement exceptionnelle , même pour notre XXVI e siècle! Cela provient de ses gènes. Je n’ai su lire qu’à trois ans passés et je l’avoue, je n’obtiens pas de très bons résultats dans les matières scientifiques!
- D’accord, nous compatissons! Mais ton français et ton anglais sont excellents!
- Merci, Sylviane.
- Combien de langues maîtrises-tu?
- Douze langues. Mais pour entrer dans la carrière diplomatique, il m’en faudra parler une centaine!
- Dieu du ciel! S’exclamèrent avec un bel ensemble les jumelles.
- En attendant, j’étudie. Notamment la géopolitique, avec l’ambassadeur Antor.
- Marie nous l’a décrit. Murmura Liliane. Brr! Il s’agit d’un Albinos vampire, non?
- Plus précisément d’un mutant! Mais c’est une vieille histoire qu’il ne m’appartient pas de raconter ici! Il se nourrit surtout de plasma synthétique enrichi.
- Il est très gentil avec moi, lorsqu’il veut, rajouta Marie. Et puis, c’est l’ami de papa!
- Les filles, je vous laisse. Je crois que le translateur est maintenant au point. Et je veux le voir fonctionner.
- Tu as obtenu l’autorisation d’aller assister aux essais?
- Pas du tout! Mais je suis capable de m’en passer!
- Nous n’en doutons pas!
Sur ce, l’adolescent gagna d’un pas décidé les écuries.

***************

Bien qu’il lui en coûtât, Daniel n’hésita pas à expédier son chat dans le passé par le biais du translateur qu’il programma pour l’année 1928. Il avait préféré choisir une date dans le passé plutôt qu’au-delà de l’an 1968 parce que les premiers essais à vide avaient démontré que l’engin hybride ne passait pas sans incident le mur du temps qui résultait des nombreuses manipulations de Pamela. La tâche était ardue car il s’agissait d’un saut à la fois transtemporel et transdimensionnel
Le commandant Wu savait qu’il devait régler le problème au plus tôt. Déjà, il envisageait l’élaboration de ceintures biologiques afin de protéger les passagers de la navette améliorée.
Pour ce premier voyage avec un être vivant, Daniel se contenta donc d’expédier le vaisseau scout dans le même lieu. A son grand soulagement, Ufo revint entier, en parfaite santé, mais pas seul! Il avait avec lui un adorable jeune cocker au poil roux, Gold, qui, en cet instant, avait perdu son flegme tou britannique et qui montrait les crocs au félin qui, lui, faisait le gros dos!
Il fallut séparer les deux animaux.
- Mais c’est mon chien! S’exclama le propriétaire des lieux, heureux de cet incident. C’est Gold, incontestablement! La preuve: il me reconnaît, frétille, remue la queue et veut me lécher!
Effectivement, le cocker jappait de joie. Il ne s’étonnait nullement de voir son maître plus âgé de quarante ans! Lui léchant les mains, l’animal se laissa caresser et prendre dans les bras. Au contraire, Daniel, fâché, ne put s’empêcher d’afficher sa mauvaise humeur. Il avait toujours éprouvé une certaine aversion pour la gent canine. Cela remontait à son enfance.
- Vous auriez pu me le dire qu’un chien vivait dans cette maison à cette époque! Proféra-t-il.
- Je n’ai pas trouvé ce détail utile. Et je ne pensais pas que votre chat serait capable de sortir du vaisseau. Je n’étais pas certain non plus de la présence de mon chien. Vous savez, je n’ai plus en tête des souvenirs très précis concernant cette partie de ma vie! Depuis mon enfance chez mes grands parents, il s’est passé tellement de choses!
- Soit, je comprends. Vous n’avez pas une mémoire totale, comme moi! Je vous envie! Ufo peut accomplir bien des actions que vous pourriez qualifier d’exploits si vous y assistiez, vous savez… Par exemple, ouvrir des portes, des boîtes de conserves, actionner le synthétiseur de nourriture après avoir sélectionné son plat préféré…Que sais-je encore… Il s’agit d’un chat transgénique, né en laboratoire, un animal que j’ai créé, il y a plus de seize ans déjà!
- Pour son âge, il tient une sacrée forme! Voilà aussi ce qui explique ses yeux bleus!
- Mais aussi son intelligence. Or, tout comme moi, il n’aime pas les chiens mais a le don de les attirer.
- Que faisons-nous pour Gold? Nous le renvoyons d’où il vient? Là-bas, on pourrait s’apercevoir de sa disparition…
- Oh! Je ne tiens pas à le garder ici, je ne veux pas modifier même minimement ce passé. Mais pour l’instant, Gold reste avec vous! En effet, il me faut d’abord effectuer quelques ajustements et vérifications. Constatez-le: nos deux lascars se sont battus à l’intérieur de la cabine de contrôle. Et puis, réfléchissez: renvoyer Gold seul! Votre chien ne sait sans doute pas manœuvrer une porte, non? Il ne pourra donc sortir du vaisseau!
- Vous avez raison! Alors, il n’y a qu’une solution, mon ami. Lorsque vous aurez achevé votre travail, c’est moi qui ramènerai Gold en 1928.
- Franz, jamais vous n’hésitez devant le risque!
- Tout comme vous,Daniel!
Dans la même soirée, après de multiples contrôles et réglages, le duc partit pour le passé avec son chien. Tout sembla se dérouler à merveille. Pourtant, même si l’appareil se posa sans casse dans les écuries, lorsque la cabine principale s’ouvrit, Benjamin, qui avait assisté à la manœuvre, se pensa, dans un premier temps, victime d’une illusion d’optique. Non seulement, il avait devant lui son hôte habituel, qui le reconnaissait sans problème et s’exprimait normalement, mais aussi un double, une sorte de fantôme se dressait aux côtés du premier Franz, un duc légèrement déphasé, un écho, appartenant manifestement à un univers parallèle dans lequel la doublure n’avait jamais rencontré ni le capitaine Sitruk ni le commandant Wu. Et cette ombre se mouvait en décalage, légèrement plus lentement que les protagonistes de ce 1968. Lorsqu’elle parlait, c’était comme un disque qui aurait tourné en 33 tours au lieu de 45!
Benjamin ignorait, évidemment, comment régler cet incident assez important à ses yeux. Le premier Franz, nullement démonté ou troublé par la chose, alla chercher Daniel qui, prosaïquement corrigeait les devoirs de Violetta. Cette dernière se faisait gronder, les calculs et les problèmes de physique quantique et astronomique n’étant pas son fort.
- Tes résultats concernant la constante de Hubble ne m’ont pas convaincu, ma grande!
- Euh… C’est normal! Il y a plusieurs constantes, selon les paramètres pris en compte.
- Mm… Il n’empêche…D’après toi, le contenant est plus jeune que le contenu! Autrement dit, ton Univers est âgé de 11 milliards d’années et les Galaxies qui le composent de 14,5 pour les plus anciennes! Ne trouves-tu pas que quelque chose cloche, ma fille?
- Oncle Daniel, tu le répètes souvent: tout est relatif! Les ondes fossiles de l’hydrogène et de l’hélium révèlent que…
Un léger coup frappé à la porte de la chambre interrompit l’adolescente qui soupira de soulagement lorsque Franz apparut sur le seuil de la pièce. Ce soupir fut immédiatement suivi d’un « oh » d’ébahissement.
- Rien qu’à vous voir, fit le commandant, je saisis la portée du problème. Violetta, ma chère nièce peu douée pour les calculs quantiques et les probabilités, nous reprendrons cette leçon plus tard! Cela « urge »!
Précipitant son pas, Daniel descendit aux écuries tout en demandant à Franz de lui raconter ce qui s’était passé.
- Je me suis posé sans problème en 1928 et j’ai relâché Gold dans le parc comme il avait été convenu. Personne ne m’a vu. Il pleuvait et, qui plus est, la nuit était tombée. Je repartis donc satisfait, en lançant le programme de retour comme vous me l’aviez montré.
- Pas d’erreur dans la procédure, bien sûr?
- Non! J’ai déjà piloté le translateur, vous savez bien! La navette décolla normalement et se positionna à 300 mètres d’altitude. C’est alors que…
- Oui, je saisis. Vous avez eu l’étrange impression d’être avalé par un cyclone virtuel.
- Effectivement, tout tourbillonnait autour de moi. J’avais des difficultés à stabiliser le vaisseau. Je croyais me mouvoir dans de l’eau glacée, pesante et collante comme du gel. Lorsque je parvins à maîtriser enfin les commandes, je m’aperçus qu’il était là. C’est moi, certes, mais de quel monde parallèle?
- Bien évidemment. Votre double provient d’un temps alternatif à peine dévié. Au premier examen, je dirais qu’il y a un écart d’environ 0,03% d’avec cet Univers-ci. Le translateur a dû heurter, dans son périple, quelques super cordes frondes disons harmoniques… Vous l’avez échappé belle!
- Vous me faites peur rétrospectivement! Daniel, avez-vous déjà été confronté à un phénomène semblable? Savez- vous comment remédier à cet incident et rétablir le continuum?
- Confronté personnellement, non, pas moi. Sarton… C’est-ce qui ressort de ses disques.
- Qu’ai-je risqué précisément?
- Oh, vous auriez pu, émit le daryl androïde avec un humour qui frisait la désinvolture, ne jamais revenir, mon cher, parce que, justement, par effet de fronde, l’appareil aurait été projeté dans le temps de ce Franz-là! Toutefois, rassurez-vous, j’ai ma petite idée pour ramener les choses à la normale. Je suis en train d’évoquer plusieurs hypothèses pour réparer, et je crois tenir le bon bout…
- Vous m’en voyez soulagé! De quel Franz s’agit-il? Quelle est son histoire?
- Je tiens autant que vous à résoudre cette énigme! J’en ai besoin pour remettre les choses en place. Il me faut donc, tout d’abord, converser avec notre doppelganger. Je sais aussi comment entrer en contact verbal avec lui et me faire comprendre. J’ai en ma possession un boîtier de déphasage d’écoulement de la vitesse du temps dans le continuum local…

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Il résulta de la conversation que ce Franz bis ne venait pas de l’année 1968 mais de 1959, dans un Univers où le temps s’écoulait une fraction plus lentement. C’était un monde qui n’avait pas connu la révolution bolchevique. Il n’y avait donc pas d’URSS et l’Allemagne wilhelminienne perdurait. Les États-Unis se trouvaient en guerre contre le Mexique impérial.
Lorsque Von Hauerstadt apprit ces données historiques inattendues, il s’exclama.
- Euh! C’est-ce que vous appelez une petite différence de 0,03%!
- Mais oui! L’écart est tout à fait minime. Avec un décalage supérieur, à 4% par exemple, vous auriez été un anthropopithèque, et à 25 %, un dinosauroïde comme Chtuh, la Terre n’ayant alors pas subi à la fois la transgression marine et le bombardement de météorites.
- Et avec un écart de 100 %? Interrogea le duc, curieux.
- Dans ce cas, l’Univers, tel que nous le connaissons, n’aurait sans doute pas reposé sur le carbone, l’hydrogène et l’oxygène! Vous n’auriez même pas existé! Avec une différence de 90 %, vous auriez été le frère jumeau de Kinktankt, mon officier siliçoïde. Plus l’écart est important, plus le cours de l’histoire de la Terre a été modifié en amont, jusqu’à la possibilité qu’il n’y ait plus notre planète et peut-être, qui sait, que l’Univers soit totalement vide…
-Vous ne me rassurez nullement! Restons prosaïque. Avez-vous trouvé le moyen de régler ce problème ? Pouvez-vous renvoyer mon double chez lui?
-J’y travaille: laissez-moi une heure.

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Pamela Johnson multipliait les frappes chirurgicales dans le milieu professionnel des média et de l’édition. Pierre Neveu, PDG des éditions de La Margelle, spécialisées dans la Bande Dessinée, et le rédacteur en chef de son journal fétiche, Pierrot Pinceau, surnommé « Chief P. », furent tous deux retrouvés pendus à une queue géante de Marsupilami en peluche. Motif de ces exécutions: politique trop commerciale visant à satisfaire les instincts immédiats du jeune lectorat, sacrifiant ainsi sur l’autel de la rentabilité des dessinateurs à la pelle au bout de deux ou trois albums seulement.
Le groupe de communication, « Vita Sana », l’un des plus importants à l’échelle européenne, qui détenait la Quatrième Plus ainsi que la moitié de l’édition française, fut décapité en la personne de Laurent Pesq. La police judiciaire récupéra sa tête naturalisée dans les réserves du Musée de l’Homme. Elle avait été traitée selon les procédés maoris. Quant au corps, il avait définitivement disparu, peut-être sous la dent d’alligators, comme il fut sous-entendu dans de vastes panneaux publicitaires de très mauvais goût qui envahirent la France et l’Espagne ce mois-là.
Il va de soi que la Une française passa également sous les fourches caudines de Pamela. Elle suivait son modèle avec zèle, l’imitant à la perfection, ne pouvant se départir, malgré elle d’une certaine admiration. Cependant, elle oubliait l’essentiel l’indispensable touche d’humour noir, délicatement ajoutée aux exécutions commandées alors par Fermat et les disques de Sarton. Autre petite erreur: ses attaques partaient dans tous les sens, même si elle appliquait un plan minutieusement préparé.
Pourquoi tant d’agitation de sa part? Parce que, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à effacer et le premier Daniel Wu, celui qui n’était encore que capitaine, et le terrible et dur commandant Fermat! Le tissu temporel résistait bien plus que prévu à ses exactions. En fait, ses agissements enclenchaient d’innombrables harmoniques sur une précédente déjà tracée.
Michel Pèbre d’Ail, numéro deux de la Une française, Gilbert La Gaillarde, le directeur de l’Information, et le « traître » philosophe Michaël Campo Fini, qui était passé du service public dans le privé, connurent un sort peu enviable, coulés dans le béton. « L'œuvre » ainsi obtenue s’en vint rejoindre les collections du Musée d’Art Moderne de Beaubourg. Quant à LDBA, le journaliste vedette, il ne réchappa aux griffes de Pamela que pour être exécuté par Antor, dans la « seconde » histoire!
Enfin, ce fut le tour de la presse caniveau britannique tenue à 90 % par le magnat néo-zélandais Everett Dermott. Savourant des vacances bien méritées en Écosse, à quelques encablures d’Édimbourg, il mourut dans un égout, mais pas n’importe lequel.
Son enlèvement eut lieu selon les procédés habituels de la jeune Asturkruk. Lorsque le magnat reprit connaissance, il fut surpris de se voir à demi émergé dans une eau sombre et pestilentielle qui charriait des déchets peu ragoûtants. Autour de lui, de rats fuyaient en couinant, mus par une inexplicable peur panique. Everett s’écria:
- Quel est-ce cauchemar? Pourtant, hier soir, j’ai mangé léger!
Une voix féminine lui fit écho.
- Pourquoi toutes mes victimes sont-elles persuadées être plongées dans des chimères oniriques? Cela devient lassant vraiment!
- Madame, enchaîna le magnat qui luttait à la fois contre la noyade et l’asphyxie, pourquoi m’avoir envoyé dans un tel lieu? Où me trouvé-je?
- Ah! Bonnes questions, monsieur le collecteur d’égout de nouvelles sordides et sanglantes, le brasseur d’âmes avilies, le colporteur de l’information spectacle et poubelle…Je vous pensais plus à même de reconnaître ces lieux éminemment historiques! Avec ces effluves ô combien agressifs, comment n’identifiez-vous point les soubassements caractéristiques de cette nouvelle Sodome et Gomorrhe qui a pour surnom « la Grosse Pomme »? Ne percevez-vous point les vibrations du métro au-dessus de nos têtes? N’entendez-vous point non plus quelques notes égarées provenant de Broadway?
- Bon sang, maintenant que vous me le dîtes! Il y a, en effet, très lointain, un vrombissement comme pourrait en produire un métro aérien…Mais…c’est impossible! Il n’y a plus de métro aérien à New York depuis la fin des années 1950!
- Oh! Splendide! Everett, mon ami, vous avez donc quelques connaissances historiques! Je vous félicite!
- Quand m’avez-vous envoyé? Dans quel but? Faites-vous partie de ce groupe écolo terroriste qui s’en prend à l’élite mondiale?
- Il ne s’agit que du New York de la Grande Dépression. J’avais besoin du cadre de cette époque pour agrémenter votre exécution. Mais vous me faites parler, or mon timing doit être respecté avec précision! Ceux qui vont se charger de votre mort vont arriver dans exactement deux minutes et douze secondes. Oh! Je ne veux point me montrer trop cruelle! Je fais monter le niveau de l’eau afin de vous laisser une minuscule chance de vous tirer d’affaire. Tâchez d’atteindre cette bouche d’égout là-haut, sur votre droite. Elle n’est distante que de 51 mètres.
Éclatant d’un rire rauque à vous glacer l’échine, la jeune femme disparut, comme happée par une autre dimension.
N’ayant pas le choix, Everett nagea maladroitement et lourdement dans l’eau fétide qui lui arrivait jusqu’au cou. Menotté, sa nage était particulièrement éprouvante. C’est pourquoi il s’épuisait et transpirait, soufflait, voulant à tout prix sauver sa peau. Malgré son âge, dans un dernier effort, poussé par la rage de vivre et de continuer à pouvoir faire des profits, il parvint à prendre pied sur le trottoir du collecteur principal.
Il ne lui restait plus qu’à grimper le long de l’échelle métallique qui conduisait à la bouche d’égout salvatrice. Las! Le niveau de l’eau montait toujours, et de plus en plus vite!
Dans ce fluide sombre, d’étrange troncs d’arbres semblaient surnager. Groupés, ils progressaient méthodiquement vers l’humain. Celui-ci reconnut à quoi, ou plutôt à qui il avait affaire.
« Des crocodiles! » Rugit-il, bien près de céder à la terreur panique.
Désespérément, Dermott franchit les derniers échelons de l’escalier métallique. Il s’agrippa à la plaque en fer, la griffant presque. Ce fut alors qu’un étrange phénomène se produisit. Les dés étaient pipés! Le métal de la bouche d’égout se mit à fondre, tiède et visqueux à la fois, coulant sur le Néo-zélandais, l’engluant dans une gangue couleur rouille, l’emprisonnant mieux que du papier tue-mouches.
Pendant ce temps, au fur et à mesure que le niveau de l’eau grimpait, les terribles sauriens, cousins de Kiku U Tu - le chef Troodon n’était-il pas comme eux un Archosaurien? - faisaient de même. A peine trente centimètres les séparaient de leur futur repas. Par tous les moyens, aussi maigres soient-ils, Dermott tenta de se défaire du carcan abominable qui l’entravait. Perte de temps et d’énergie! Inexorablement, le métal refroidissait, durcissait, immobilisant sa proie. Enfin, Everett ne put plus bouger un cil.
Prudents, les crocodiles flairèrent la nourriture, étrangement empaquetée, avant de se décider à banqueter.
Dix-huit mois plus tard, des restes humains en piteux état furent recueillis par les éboueurs. Personne ne fut à même d’identifier l’inconnu qui avait manifestement succombé à une mort horrible, dévoré par des alligators ou des crocodiles. Peut-être s’agissait-il d’un de ces indigents comme il y en avait tant dans cette période de l’Histoire connue sous le nom de Grande Dépression.
Et à la fin du XX e siècle, personne ne sut ce qu’il était advenu du magnat Everett Dermott.

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