dimanche 6 septembre 2009

La gloire de Rama 2 : La valse à mille temps chapitre 9

Chapitre 9


Poursuivant un plan minutieusement établi, Pamela Johnson s’attaqua à un ancien ministre des finances d’un précédent gouvernement dit de « gauche », célèbre pour avoir fortement augmenté la TVA et diminué le nombre de tranches d’imposition. Il répondait au nom composé de Loïc Bartholdi Rosenberg et son hobby était le piano. Il aimait se faire photographier, plastronnant, devant son clavier ou aux côtés de son épouse Claire Nadeau, ex présentatrice du journal « Une française ».
L’enlèvement de ce membre de la jet set ne posa aucun problème à l’espionne Asturkruk. Il eut lieu dans un des ascenseurs de la Tour Montparnasse.
Lorsque Loïc reprit ses esprits, il n’en crut pas ses yeux. Il se retrouvait enfermé dans une salle voûtée, suintante d’humidité et de salpêtre, à peine éclairée par une lampe suspendue au plafond, une chandelle fort ordinaire dont le suif dégouttait en dégageant une odeur rance tout à fait écoeurante.
Aux coins de la salle, deux imposants braseros brûlaient dans lesquels reposaient des fers qui chauffaient. Le sol inégal était recouvert de paille nauséabonde. Par moment, un furtif mouvement rapide au cœur de ce chaume pourri dénonçait la course d’un rat. Des couinements agaçants démontraient que les rongeurs pullulaient dans cette salle de torture. En effet, sur les murs étaient suspendus d’inquiétants instruments en fer relativement bien entretenus. Avec un peu d’attention, on pouvait y reconnaître des tenailles, des pinces, des clous, des fouets de tailles diverses, des coins, des chaînes, des colliers cloutés, des brodequins.
Sur une table au bois mal équarri, reposaient des outres et des entonnoirs d’une dimension impressionnante. Et, au centre de la pièce, une rigole laissait écouler les détritus et les excréments de toutes sortes.
LBR frissonna et, voulant se réchauffer en serrant ses bras contre son torse velu, il vit alors qu’il n’avait pour tout vêtement qu’un haut de chausses et des bas en accordéon d’une propreté douteuse! Il avait aussi perdu ses lunettes et ses joues le démangeaient, recouvertes par une barbe de huit jours. Mais ce qui lui répugna, ce fut d’apercevoir sur son torse des poux et des punaises mener la sarabande! Ses oreilles, cependant, exercées par des décennies de pratique de musique classique captaient des gémissements lointains ainsi que des plaintes provenant de cachots adjacents.
Ses yeux se portèrent un instant sur une étrange machine. A quoi était-elle donc destinée? Pour quelle sombre besogne? Lorsqu’il comprit enfin, il faillit hurler. L’écartèlement!
Loïc croyait être le seul hôte de la salle de torture. Un cliquetis de chaînes le détrompa. Malgré les liens qui le maintenaient solidement attaché, il se retourna tant bien que mal sur la table de géhenne et son regard croisa alors celui que lui rendit une espèce de damoiseau blond dont les yeux luisaient étrangement dans la semi pénombre.
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- Messire, par pitié, détachez-moi! Je n’ai rien fait!
Le blondinet était retenu au mur par des chaînes et un carcan. Lorsqu’il parlait, c’était en chuintant légèrement tandis que des canines démesurées perçaient.
-Ah! Non! Je rêve! S’exclama LBR. Dans quel mauvais scénario m’a-t-on plongé?
Il ne put se poser d’autres questions car un grincement d’huis annonçait que l’on venait. Deux inconnus apparurent, un colosse au torse nu, -décidément cela devait être la coutume de cet étrange lieu,- la figure recouverte d’une inquiétante cagoule rouge, les biceps saillants, et un moine dominicain, identifiable à sa tonsure et à sa robe de bure blanche et noire. Le religieux s’approcha avec circonspection de l’être surnaturel qui, fasciné par la croix, ne disait mot et tremblait d’une peur incoercible.
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-T’es-tu bien comporté ce jourd’hui? Dit le moine d’une voix qui se voulait onctueuse. Tiens, voici pour ta récompense!
Sans répulsion aucune, il tendit au vampire un rat à demi égorgé.
-Sans doute, l’aurais-tu souhaité encore plus tiède? Mais je n’avais rien de mieux à t’offrir. Tu t’en contenteras donc.
Les mains cachées dans ses manches amples, le moine demanda ensuite au bourreau:
-Est-ce que celui-ci a reconnu son hérésie?
-Hélas non, mon père.
-Quel dommage, franchement! Dans ce cas, appliquons-lui la question extraordinaire! Châtions-le par là où il a péché. Nourrissons-le d’or fondu.
-Bien mon père, fit le bourreau en acquiesçant avec un hochement de tête.
-Mais c’est de moi dont il parle! Hurla LBR. C’est moi que l’on va torturer si cruellement. De quel crime me suis-je rendu coupable? Quelle farce monstrueuse jouez-vous là?
-Messire Loïc, répliqua le dominicain, vous avez grand tort de vous obstiner à garder le silence! Avouez! La mansuétude de Dieu est immense.
-Je ne comprends pas!
-Allons! Allons, traître à ses idées! Nieras-tu encore être le grand druide de la secte du veau d’or? Pourquoi ne pas reconnaître que sous prétexte de la prospérité de ton royaume, tu as renié la Cité de Dieu de Saint Augustin au profit de la seule cité des hommes?
-Grotesque! Je ne suis même pas catholique!
-Rejetant la pensée de Saint Thomas d’Aquin et des Pères de l’Église, tu as œuvré pour le seul individualisme terrestre et le rattachement à la cité des hommes, aux richesses matérielles, jetant aux oubliettes ce qui doit faire la véritable essence de l’homme: sa part du divin! Car, ce qui mène la créature de Dieu, c’est sa spiritualité et non sa matérialité!
Tandis que discourait ainsi l’inquisiteur, le bourreau n’avait pas perdu son temps. Il avait obligé LBR à ouvrir la bouche et lui avait enfoncé dans la gorge le goulot d’un entonnoir. Puis, de ses bras puissants, il avait saisi une barre de fer qui lui permit de manier un lourd récipient en plomb contenant un liquide brûlant et poisseux d’une jolie couleur dorée. Les yeux de Loïc piquaient . Il les ferma et, avant de s’évanouir, il eut la terrible impression que l’inquisiteur se métamorphosait. Sa silhouette se déformait, se transformait pour prendre peu à peu l’aspect d’un être à la peau noire et à l’abondante chevelure blanche ébouriffée, à la barbe crépue et au corps enduit de kaolin et d’ocre. Le chamane aborigène psalmodia sur un ton monodique:
- L’homme a oublié son appartenance à la terre, son rattachement à l’échelle du vivant, sa solidarité obligée avec les autres créatures. Oui, l’homme est le frère du coquillage, de l’oiseau, du dingo, du kangourou, du koala! Il est aussi le frère de lui-même, de ceux qui marchent debout!
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Alors, une douleur fulgurante envahit les entrailles de Loïc Bartholdi Rosenberg. Rouge comme le feu, puissante et incommensurable comme la lave. Et puis, plus rien!
Le cadavre de l’ancien ministre des finances fut retrouvé un matin gris de mars 1997, dans une décharge sauvage, près de la forêt de Fontainebleau. L’autopsie révéla que le politicien avait horriblement souffert au moment de sa mort. Consumé de l’intérieur, il était décédé à la suite d’une forte ingestion d’or liquide! Et, naturellement, un petit billet accompagnait le corps:
« La vengeance m’appartient. Ainsi périssent tous ceux qui n’abandonneront pas l’hérésie de Thaddeus Von Kalmann. Évangile apocryphe de Daniel, chapitre V, verset XVII .» Pamela, qui s’était entraînée durement ces dernières semaines, avait fini par acquérir la même dextérité imaginative que le capitaine Wu au temps où celui-ci oeuvrait contre les manipulations Haän…



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Février 1997. Le roi du prêt-à-porter et de la provocation,Camiglio Charleston mettait la dernière main à sa prochaine campagne publicitaire. Installé devant son bureau, dans un loft situé au sommet d’un immeuble ultra moderne de Milan, construit tout en verre et en acier, il planchait sur des croquis présentant des abattoirs high tech. Au centre de ses dessins, il silhouettait des carcasses sanguinolentes et peu ragoûtantes de vaches et de porcs. Il pensait avoir trouvé le slogan adéquat qui allait avec ses croquis:
« Avec Charleston, le rouge est mis ». Au bas de chaque feuille, l’estampille célèbre dans son logo caractéristique n’était pas oubliée. « Global coloured World with Charleston ».
Absorbé par son travail, il ne voyait pas le temps passer. Soudain, une ombre vint s’interposer entre la lumière du jour et sa table de dessin. Il s’agissait de Pamela Johnson qui affichait un air goguenard.
-Faites-moi donc voir vos dernières cogitations scandaleuses, dit-elle d’une voix au timbre métallique n’admettant aucune objection.
Au lieu de se demander comment l’intruse avait pénétré chez lui, le styliste obtempéra.
-Ah! Mais vous baissez ces temps-ci, mon cher! Votre précédente campagne avait beaucoup plus de punch! Constatez-le donc par vous-même avec cette affiche.
La jeune Noire déplia un immense poster sur lequel était photographiée tout en couleurs criardes et vulgaires une jeune femme nue, à la peau sombre, coiffée d’une cagoule de Ku Klux Klan verte, enchaînée à une croix en flammes devant un parterre d’hommes hilares aux yeux lubriques et aux mains tendues vers l’innocente proie avec une avidité plus que malsaine!
-Pas mal, n’est-ce pas? Mais dans la provoc, celle qui bat la palme, à mon avis, c’est celle-ci!
Se substitua alors une autre affiche. Cette dernière montrait un punk à crête rouge et bleue agressive, revêtu d’une soutane noire de prêtre fondamentaliste en train d’embrasser à bouche que veux-tu une guenon chimpanzé qui, manifestement, se demandait ce qu’elle faisait là!
-Vous moquer de l’espèce humaine, passe encore! La tourner en ridicule, elle le mérite. Mais se rire de nos frères les singes qui ne peuvent se défendre! Se servir d’eux! Abuser de leur innocence! Scandaleux! Insupportable! Vous allez me suivre immédiatement!
Placé sous hypnose, Camiglio n’eut pas le choix.
Trois jours plus tard, son corps fut retrouvé dans une benne à ordures. Auparavant, une énorme campagne publicitaire, excessivement tapageuse, conduite sur tous les medias de la planète, avait informé l’humanité du sort dévolu à Camiglio Charleston. Les panneaux d’affiches, les magazines, les chaînes de télévision s’étaient retrouvés envahis de photos et de posters, de messages tous et toutes plus vulgaires les uns que les autres, avec la célèbre « trade mark », « Global coloured World with Charleston ».Cette fois-ci, les images repoussantes représentaient, en plan rapproché, au milieu d’un tas de détritus, la tête décapitée avec soin du propriétaire de la marque, le visage couturé de greffons de peau de différentes teintes et nuances , échantillons appartenant aux multiples peuples de la Terre comme les Aborigènes, les Zoulous, les Inuits, les Norvégiens, les Coréens, les Italiens, les Yanomamis, les Irlandais…
Sur les dents, Interpol, ne parvint pas à mettre la main sur le groupe terroriste qui officiait en toute impunité sur toute la planète.


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Après le héraut du melting pot humain, l’ancien officier du Langevin s’attaqua à son opposé: le leader français xénophobe Martin Bourrelles, le très médiatique maire de Montreuil. Le chef du parti extrémiste raciste, qui avait supplanté le « Vieux Guide » depuis peu, aimait passer ses vacances dans une réserve du Sud Est africain. Mais cette fois-ci, il avait opté pour une destination plus à l’Ouest, entre l’Ouganda et la République de Centre Afrique. Son safari n’avait rien de pacifique et donc, son tableau de chasse s’enrichissait au fil des jours de proies hétéroclites: gorilles des montagnes, éléphanteaux, buffles, gazelles, gnous, crocodile, python, pygmées, lycaons, léopard.
Martin eut le tort d’abattre deux hommes de la forêt. Le clan décida alors de se venger, aidé par la grande déesse venue des cieux et par les hommes singes totems Kikomba et Kakundakari.
Une nuit particulièrement étoilée, alors que l’homme politique savourait une pipe bien méritée à la lueur d’un feu de camp, avant d’aller s’étendre sous la tente, protégé par une moustiquaire, il eut la surprise de se voir assailli par un groupe composé d’une trentaine d’individus que conduisaient deux sortes de singes géants, tenant à la fois du gorille et du paranthrope. S’était jointe à ce commando d’un nouveau style une femme noire resplendissante, une véritable amazone, vêtue d’une combinaison couleur ivoire qui moulait ses formes généreuses. Bourrelles tenta bien de résister à cet assaut mais assommé par derrière par l’un de ses assaillants, il succomba rapidement.
Il ne se réveilla qu’au crépuscule du jour suivant. Il était solidement attaché en croix à un piquet , allongé sur le dos, torse nu, - la marque de fabrique de Pamela-, le corps enduit du sang d’une malheureuse chèvre égorgée. Tout autour de lui, les mouches bourdonnaient. Il se souvenait vaguement d’une harangue de la splendide amazone, la déesse africaine.
Martin croyait vivre dans sa chair un cauchemar influencé par tous les films d’aventures produits par Hollywood depuis une bonne soixantaine d’années, inspirés par les romans de Tarzan ou d’Allan Quatermain. Intérieurement, il se jurait de ne plus jamais remettre les pieds en Afrique, une fois sorti de son hallucination.
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L’orée de la forêt bruissait de froissements, de crissements , de piaillements, de ululements, de bourdonnements, de cris tandis que des senteurs fortes, mélangées, exotiques, agressaient ses narines.
Soudain, il crut percevoir un frôlement discret suivi d’un glissement furtif. L’auteur de ces bruits n’était pas le roi de la jungle mais son prince, le seigneur léopard, qui, alléché par cette proie offerte, se précipita sur le « Français de souche » et bondit sur sa victime avec une grâce splendide et une souplesse qui ne l’était pas moins. De ses crocs puissants, redoutables, il déchira d’abord la gorge de l’humain. Puis, mis en appétit, il lui arracha une épaule et un bras. Enfin, le prédateur s’enfuit, rassasié, abandonnant dédaigneusement les restes de Martin Bourrelles à une horde de lycaons. Les charognards y trouvèrent évidemment leur bonheur.
Si ce fait divers était survenu à l’époque coloniale, il aurait été attribué aux aniotos, à l’ours nandi ou encore au lau!


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Le soir même de la mort du sinistre Martin Bourrelles, mais trente années plus tôt, un samedi de décembre 1968, la première chaîne française de télévision diffusait comme à l’accoutumée dans sa grille de programmes un document sur la vie des animaux, destiné à un public familial.
Marie, qui aimait et appréciait particulièrement tout ce qui touchait à la nature, et qui regrettait que les forêts de son monde fussent désormais dépouillées de singes, avait regardé, vivement intéressée, l’émission.
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Mais, lors du générique final, qui présentait une succession de dessins sur fond noir figurant divers animaux sauvages, générique accompagné sonorement par des cris et une musique qui se voulait à la fois moderne et exotique, la fillette prit peur et se mit à pleurer!
- Pourquoi ce singe a-t-il des yeux aussi effrayants? Sanglotait-elle. Il est vraiment affreux! Quel dessin maladroit!
Son père accouru pour la consoler, la serra entre ses bras et la berça doucement.
- Papa, les babouins ne sont ni affreux ni méchants, n’est-ce pas?
- Non, la nature est neutre. Mais ici, ma puce, ce n’était qu’un dessin stylisé!
- Pourquoi veut-on faire croire que les babouins sont laids et méchants?
- Mais pas du tout, ma chérie! C’est toi qui interprètes ainsi le générique avec ta sensibilité. Voyons, à bord du Langevin, il y a des animaux beaucoup plus dangereux qu’un babouin, sans parler de certains membres de l’équipage!
- Il n’y a aucun rapport! Et je les connais tous!
- Je ne comprends pas cette peur soudaine. Tu es pourtant copine avec Chtuh, le petit dinosauroïde!
- Mais il es gentil, Chtuh! Il cherche toujours à me faire plaisir!
- Même Kiku joue avec toi. Je l’ai vu mainte fois te faire sauter sur ses genoux ou sur sa queue balancier. Pourtant, s’il voulait avec ses cinq cents dents!
- Mais Kiku est mon ami. Je l’aime bien. Il dit que je sens le lait et la vanille.
Dans son for intérieur, Daniel pensait, en frissonnant, que les Kronkos avaient abandonné le cannibalisme, certes, mais il y avait à peine un millénaire! En servant dans la flotte, ils acceptaient son règlement strict, sévère à leurs yeux, et prêtaient serment de ne jamais dévorer les espèces « inférieures » telles les humanoïdes, les autres dinosauroïdes dégénérés et herbivores comme la race de Chtuh, les médusoïdes, etc.
Le commandant savait pertinemment que cette promesse ne tenait qu’à un fil. Seule la crainte qu’il inspirait aux Troodons épargnait un drame aux membres du Langevin. Son vaisseau, après tout, était le seul à avoir à bord vingt terribles et puissants Kronkos. Au-delà, ce n’aurait plus été gérable. Les autres vaisseaux se contentaient d’un ou deux Troodons carnivores.
- Marie, il me vient une idée, dit Daniel toujours berçant sa petite fille comme si elle était encore un bébé. Demain, c’est dimanche. Tu n’as jamais vu de réserves d’animaux sauvages, du moins ici, sur cette Terre. Je vais t’amener à Thoiry. Ainsi, tu pourras admirer des girafes, des gazelles, des chimpanzés, des singes capucins, et, qui sait? peut-être même des lions!
- Oh! Oui! Cela va me plaire! Tu demanderas à Violetta de venir avec nous.
- Bien entendu ; mais j’ignore si elle acceptera. Parfois, elle se montre si fantasque!
- Pourquoi?
- C’est l’adolescence, Marie, l’âge bête!

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A bord du vaisseau Langevin, la situation se dégradait d’heure en heure. Lorenza di Fabbrini n’avait pu se résoudre à pratiquer l’euthanasie sur l’ingénieur en chef David Anderson. Celui-ci avait fini par mourir, son corps envahi de tentacules anarchiques, de pustules et de bourgeons. Il était devenu méconnaissable et monstrueux avec sa tête hypertrophiée au teint laiteux écœurant.
Mais le plus grave n’était pas là dans cette horreur. Il avait fallu isoler l’infirmerie qui s’était transformée en nid infectieux. Maintenant, cinq infirmiers étaient contaminés, dont un porcinoïde. Quant à Georges, il présentait tous les signes du premier stade de l’infection, mais il refusait de s’aliter et usait ses dernières forces à étudier avec O’Rourke, Di Fabbrini et le professeur médusoïde Schlffpt les ADN altérés par les mutations.
Lorenza avait accepté toutes les aides possibles. Les membres de l’équipage ayant une formation en biologie ou en exobiologie, avaient donc été requis pour tenter d’enrayer l’effroyable épidémie. Mais leurs efforts demeuraient vains ; le plus terrible était encore à venir, car, désormais, même les Kronkos étaient contaminés.
Le premier chez qui ce fut visible fut Kiku U Tu. Le chef de la sécurité ne régressait pas physiquement, d'une forme adulte à une forme juvénile, mais phylogénétique- ment au sein de sa propre espèce. Pour mémoire, les Troodons étaient de redoutables carnassiers, des chasseurs hors pair à la vision stéréoscopique et à la vélocité remarquable. Guetter une proie pendant une dizaine de minutes, au minimum, puis lui courir après et l’égorger, faisaient partie de la formation des Kronkos, il y avait à peine cinq générations. Or donc, Kiku U Tu transformé en fauve assoiffé de sang, avait ainsi pourchassé un engagé caméloïde autrement dit un alpaga au long poil laineux, affecté à la maintenance des hangars renfermant les fûts d’antimatière.
Une heure après l’hallali, le soldat fut retrouvé sur son lieu de travail, le corps mutilé par une affreuse éventration provoquée par une énorme griffe recourbée de ce qui s’avéra bien être une patte postérieure d’un Kronkos. La toison beige de l’alpaga était souillée de taches de sang d’un rouge groseille du plus bel effet gore!
Apprenant ce nouveau meurtre, le capitaine Irina Maïakovska ordonna à tous les gardes de la sécurité non encore contaminés de s’armer jusqu’aux dents et de tenter d’isoler les Kronkos. Antor, qui se tenait à ses côtés objecta :
- Pardonne-moi, Irina, mais les gardes de la sécurité qui restent sûrs ne sont pas de taille à affronter Kiku et ses semblables! Seul le siliçoïde pourrait avoir une minime chance de sortir vainqueur d’une attaque frontale!
- Sa lenteur le dessert, j’en suis parfaitement consciente. Pour les Troodons, il n’est pas comestible. Que puis-je de plus? L’épidémie s’est répandue à tous les Troodons. Ceux-ci sont incapables d’user du synthétiseur de nourriture pour se nourrir. Leurs instincts de prédateurs réveillés, ils chassent, ignorant que près d’eux, la viande est disponible et abondante. Bref, ils sont désormais trop bêtes pour utiliser le moindre artefact technologique! Mais ils ne sont pas dépourvus de ruse. Désormais, nous avons à bord 36 personnes contaminées, et nous ne localisons toujours pas les Alphaego.
- A propos de ces derniers, nous comptons maintenant neuf mutants de ce type. Plus rien ne les distingue des Alphaego originaux. Leur mutation s’active à l’instant précis où ils prennent l’aspect de fœtus humains géants de trois mois à quatre tentacules - dont le « cordon ombilical » qui leur sert de « bouche ». A ce stade, ils paraissent entrer en stase. Ils ne vont pas plus loin dans leur régression néoténique comme si leur code génétique modifié conservait malgré tout un garde-fou.
- Je sais tout cela. J’ai compulsé les archives archéologiques de la planète Aruspus. Quelques individus, qui étaient allés trop loin dans la régression, ont fini par disparaître, n’étant plus aptes à survivre. En effet, ils étaient revenus au stade du tube neural.
- Peut-être Lorenza suit-elle une fausse piste, en essayant de mettre au point un vaccin. Mais il ne s’agit là que d’un avis personnel ; je ne suis pas biologiste.
- Notre situation est si désespérée que je comprends ce que tu suggères à demi mots. Mais cela ne plairait pas à Daniel.
- Abandonner le vaccin, condamner l’équipage déjà contaminé et s’atteler à empêcher la stase, donc à pousser jusqu’à terme la mutation régressive.
- Où en est le professeur médusoïde? Soupira Irina.
- Il n’est pas tout à fait d’accord avec moi, mais il est prêt à accepter mon idée.
- Et que fais-tu des Kronkos? Jusqu’où iront-ils dans leur régression? S’inquiéta la jeune femme.
- Je l’ignore, répliqua Antor impavide.
- D’ici que le seul survivant du Langevin soit Isaac plongé en animation suspendue! Notre vaisseau peut errer pendant des siècles dans l’espace. Daniel ne retrouvera qu’une sorte de « Hollandais volant » ou de « Mary Céleste »!
- Tu n’accordes pas assez la confiance à ton mari. Tu as tort. Il agit de son côté.
- Je ne doute pas de lui Antor, mais Daniel n’a pas le don d’ubiquité.
- Il peut cependant annihiler les actions de Pamela, et rien de ce que nous vivons actuellement n’aura eu lieu.
- Que fais-tu des boucles de rétroaction selon Poul Anderson?
- Il reste toujours des traces de nos actions, mais ailleurs. La tapisserie du multivers est accommodante.
- Contactes-tu Daniel malgré la distance?
- De plus en plus difficilement, mais je sais qu’il est en vie et qu’il monte le translateur, aidé par Benjamin et…Franz Von Hauerstadt.
- Ah! Un de ses ancêtres. Merci pour cette nouvelle somme toute réconfortante.

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Thoiry,
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le dimanche précédant Noël de l’année 1968. Une pluie fine tombait, pénétrante. En ce jour d’hiver, le parc ne connaissait pas une grande affluence même s’il était exceptionnellement ouvert pour les vacances scolaires. Au volant d’une voiturette électrique, Daniel conduisait Violetta, Marie et Ufo sur les sentiers, leur permettant ainsi d’admirer de magnifiques animaux africains ou américains. Il avait bien recommandé aux enfants de ne pas quitter le véhicule sans son autorisation.
Les girafes allaient d’un pas nonchalant tels de majestueux vaisseaux tanguant sous la houle. Un peu plus loin, un troupeau de gnous paissait paisiblement une herbe devenue rare.
Mais Marie voulait voir les singes. Alors, le véhicule électrique s’engagea dans une contre allée menant à un massif derrière lequel se cachaient quelques singes atèles. Grâce à leur queue préhensile, les atèles se balançaient et se déplaçaient de branche en branche au sommet des arbres dénudés. Un peu plus loin, cinq gibbons brachiateurs poussaient des cris plaintifs auxquels répondaient des makis et des indris de Madagascar.
Marie se frottait les mains de joie mais se demandait où pouvaient se tenir les gorilles ainsi que les chimpanzés bonobos.
La femelle gorille venait de mettre bas. C’était pour cela qu’elle demeurait dans une cahute qui lui servait présentement de refuge. Le puissant mâle au dos argenté protégeait la cabane et permettait à peine aux gardiens de venir nourrir sa petite famille.
Enfin, au bout de vingt minutes, la voiturette atteignit le centre d’une clairière où sept bonobos s’épouillaient dans la quiétude de ce jour d’hiver. Un jeune chimpanzé, plus hardi que ses congénères, sauta à l’intérieur du véhicule pour atterrir dans les bras de Violetta. Manifestement, il attendait une récompense gourmande!
Gênée, l’adolescente ne savait comment se débarrasser du jeune primate. Celui-ci, intrigué par les longs cheveux bruns de Violetta, s’amusait à les tirer avec espièglerie et à y chercher des poux. Il criaillait, espérant une noix ou une cacahuète.
- Oncle Daniel, geignit la jeune fille. Cette bête sent fort! Et elle ne veut pas me lâcher! Comment puis-je m’en délivrer?
- Fais comme si de rien n’était. Ton espiègle et joueur animal se lassera.
- Oh! Il n’en a pas l’intention! On dirait même que ce bonobos m’a prise en affection.
- Bien sûr, Violetta! Que veux-tu! Tu dégages une aura de tendresse inimitable et incontournable! Peut-être te prends-t-il pour sa mère?
- Arrête de me taquiner! Mais tu viens de me donner une idée.
Alors, insensiblement, l’adolescente modifia son visage pour lui conférer des traits simiesques. Mais l’effet escompté ne fut pas celui attendu car le jeune primate, âgé de deux ans, prit peur et s’enfuit en toute hâte criant.
Hélas, Daniel et Marie n’avaient pas été les seuls témoins de cette métamorphose. A une centaine de mètres de la clairière, dissimulée par un fourré, une auto était à l’arrêt, son occupant observant à la jumelle ce qui se passait alentours. Il s’agissait du conservateur de la réserve qui n’en croyait pas ses yeux. Il pensait avoir rêvé ou encore avoir été victime d’une illusion.
- Et pourtant, non! Par ma fois, se dit-il, ce que j’ai vu est bien réel. La preuve: la jeune fille brune reprend peu à peu figure humaine. Oh! Encore plus fort, maintenant! Elle n’est plus brune mais rousse et son nez n’a pas la même forme! Comment fait-elle ce tour? Je vais m’assurer de son identité.
Pendant ces réflexions, Daniel Wu était reparti. Au bout de cinq cents mètres, il immobilisa une nouvelle fois son véhicule car il venait de repérer une lionne avec ses trois petits en train de jouer. La mère, quant à elle, sommeillait.
- Marie, regarde! Quel bel animal en vérité! Racé, élancé, puissant. La lionne est une bonne mère qui élève bien sa progéniture.
- Et le lion? Il ne s’occupe pas de ses bébés? Demanda innocemment l’enfant.
- Pas de risque, ma puce. Le seigneur de la savane, le roi des animaux, n’est qu’un gros paresseux.
- Hé! Elle nous a vus, non? N ’y a-t-il aucun danger, là? Elle peut nous charger pour protéger ses lionceaux.
- Mais non Violetta! Tant que nous restons sagement à l’intérieur de notre voiturette….
- Je préfèrerais m’éloigner, soupira l’adolescente. Je ne me sens pas si rassurée.
- Que ta volonté soit donc faite! Ah! Ma grande, tu n’es pas si courageuse!
- Mais, mon oncle, c’est une vraie lionne, pas un animal simulé!
Se retenant de rire, Daniel remit en marche le véhicule électrique. Cette fois-ci, le groupe croisa une dizaine de kangourous se déplaçant par bonds. La troupe fuyait deux dingos mais ces derniers, repus, faisaient semblant de pourchasser les marsupiaux.
Quelques minutes plus tard, la voiturette stoppa encore à proximité cette fois d’un marigot. Trois flamants roses, en équilibre sur une patte, attendaient, immobiles, près du point d’eau. Ils observaient, aux aguets, craignant l’irruption soudaine d’un prédateur. Pourtant, tout paraissait paisible, un peu trop même!
En effet, entre deux eaux, un étrange sillage argenté fendait l’onde glauque. Il s’agissait d’un long serpent d’eau qui glissait dans la mare, à la recherche d’une proie éventuelle. Au milieu du marigot, une espèce de vieux tronc d’arbre, tout pourri et envahi d’algues, flottait, parfaitement immobile.
Soudain, le drame se déroula, rapide et brutal. Le serpent, passé trop près du saurien, fut happé en un éclair par le fourbe crocodile. La gueule puissante de l’animal antédiluvien sectionna en deux le reptile.
Marie, frissonnante, se cacha le visage entre ses mains.
- Papa, pourquoi? Commença-t-elle.
- La nature sauvage, c’est cela! Elle n’est pas cruelle, même si tu pourrais être tentée de le penser!
- Mais, enfin! Le crocodile n’aurait jamais dû manger le serpent! On ne le nourrit pas, ici?
- Sans doute, a-t-il voulu s’offrir un extra.
Ufo, qui, jusqu’à cet instant sommeillait au fond du véhicule, ouvrit ses magnifiques yeux bleus et s’étira avec volupté. Malgré la distance, ses narines avaient perçu et identifié l’odeur du sang. Il miaula.
- Ah! Tu n’as pas encore faim! S’exclama l’adolescente. Tu as dévoré il n’y a pas trois heures! Je ne puis te permettre de te dégourdir les pattes et te lâcher! Là, c’est bien trop dangereux pour toi!
Malgré les griffes du félin qu’elle évita avec souplesse, Violetta saisit Ufo par la peau du cou et l’emprisonna dans ses bras, l’empêchant de se tortiller et de s’échapper. Daniel ralluma le moteur de la voiturette et repartit.
Au sommet d’une colline, un ours se grattait le dos contre le tronc d’un chêne dénudé, soupirant d’aise. Il n’allait pas tarder à hiberner. Il était même un peu en retard. Soulagé, il se tourna pour faire de même avec son ventre. Il s’agissait d’un ours brun, pas tout à fait adulte.
La pluie avait enfin cessé et les oiseaux, pelotonnés dans leurs nids, recommençaient leurs chants. Soudain, le silence s’abattit, pesant, sur la colline. Le temps parut subir une distorsion, comme l’air, et se figea. Une menace inconnue, venue de nulle part, sourdait. Interminables, étirées jusqu’à l’extrême, les secondes s’égrenaient.
Enfin, quelque chose d’impensable arriva, se matérialisa. Quelque chose d’insoutenable, de cauchemardesque, de monstrueux et de bruyant. Un bruissement alla en s’amplifiant, un vrombissement qui se fit assourdissant. Un scintillement suivi par une matérialisation produite par une télé portation. Une araignée volante de trois mètres d’envergure et autant de hauteur, à six yeux et à bec de calmar, munie de dix tentacules au lieu de huit pattes, apparut. Le monstre était originaire de l’inhospitalière planète Sestriss, mais il datait de dix millions d’années! Cette espèce s’était éteinte depuis.
« Que signifie cette matérialisation? Pensa le commandant. Pamela m’aurait donc localisé! ».
L’arthropode hybride atterrit à un demi mètre du plantigrade, avec visiblement l’intention de l’attaquer.

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Tandis que le commandant Wu se détendait en compagnie des fillettes, Benjamin Sitruk avait préféré passer son dimanche devant le poste de télévision. Il était déjà près de dix-sept heures ; le capitaine avait avalé le western en technicolor de la deuxième chaîne avec Allan Ladd en vedette. Il n’y avait pas compris grand chose. En bâillant, il changea de chaîne et tomba sur le policier de la première, « Key Largo ». Le film était diffusé en français, ce qui déçut Benjamin. Notre officier n’aimait pas les versions doublées.
Franz et son épouse absents, les jumelles s’adonnaient à l’équitation dans l’immense parc de la propriété. Les Von Hauerstadt jouaient au tennis près des dépendances à 500 mètres des bâtiments principaux.
Benjamin commença à somnoler, car, même si son français s’était amélioré, l’essentiel de l’intrigue lui échappait. Et si ç’avait été « Le Grand Sommeil », cela aurait été pire. Pour l’heure, dans une semi conscience, l’officier eut l’impression de tournoyer lentement à une vingtaine de centimètres au-dessus du canapé sur lequel il était étendu peu auparavant.
Cette impression s’accentua, son vertige augmenta, et, bientôt, Benjamin se retrouva plongé au cœur d’un véritable cyclone. Carillon tintant à ses oreilles jusqu’à l’assourdir, kaléidoscope d’images fragmentaires se heurtant, bruissements, sifflements stridents, nausées, vertiges…
Lorsque le phénomène cessa, Sitruk était totalement désorienté. Il ne reconnut pas le lieu qui l’avait réceptionné. L’air était d’une moiteur étouffante, tandis que des bruits étranges et feutrés l’entouraient. Il ressentait l’existence d’une menace imperceptible. Enfin, le cri des aras éclata et emplit le décor de ce qui apparaissait comme une forêt sempervirente étagée sud-américaine avec un taux d’humidité très élevé.
Près de Benjamin, on s’exprimait dans une langue apparemment inintelligible, comportant à la fois des syllabes chantantes et chuintantes. Il n’y avait pas à s’y tromper : c’était du portugais. Sortant de sa torpeur, le capitaine se rendit compte que ses habits avaient changé. Présentement, sa tête était coiffée d’un authentique morion ; il portait un pourpoint à crevés, une cuirasse avec des taches de rouille, des bottes au cuir usé, maculées de boue et de vase, une cartouchière, une arquebuse en bandoulière et une poire à poudre. Son menton s’ornait d’une barbe d’une dizaine de jours.
La couleur du pourpoint de Benjamin était passée, et, sous la cuirasse, la chemise trempée de sueur, lui collait à la peau, dégageant une aigre odeur de saleté mêlée de moisi.
Celui qui semblait le chef de la petite troupe, coiffé d’un casque de tercero, caractéristique, comme ceux portés par les conquistadores, apostropha durement Benjamin :
- ¡Adelante hombre! ¡Levantate pronto!
L’officier administra au récalcitrant quelques coups de pieds furieux.
- Mais enfin, moi, je veux dormir! Souffla Sitruk en castillan.
- Debout, chien! Si tu t’endors, c’est la mort! Oublies-tu que nous avons déjà perdu deux hommes, à cause des serpents et des fièvres?! Si nous traînons, nous n’arriverons jamais jusqu’à la « Ciudad de Oro ». Les Jivaros ne sont pas loin!
La présence hostile se faisait de plus en plus palpable ; elle planait, embusquée derrière les arbres et les fourrés, bien dissimulée. Au-dessus de la troupe dépenaillée et harassée, des nuages de moustiques bourdonnaient, se nourrissant sur les visages et les mains des soldats.
« La Cité d’Or? L’El Dorado? Mais il s’agit d’un mythe! Voici que je rêve maintenant tout éveillé! » se disait Sitruk dans son for intérieur.
Si l’officier s’était adressé à Benjamin en castillan, c’est parce qu’il s’agissait d’un serviteur du roi Philippe II. En cette année 1580, le souverain espagnol venait d’annexer le Portugal après l’extinction de la famille régnante.
Le capitaine Sitruk avait atterri quelque part dans la forêt amazonienne du Brésil tombé en même temps que le Portugal dans l’escarcelle déjà bien remplie de l’Espagne. A part l’officier, les soldats de la troupe étaient tous portugais. Or, Benjamin n’avait pas encore appris cette langue. Il choisit donc d’adopter une attitude prudente et taciturne.
« Tais-toi, ne discute avec personne, contente-toi d’obéir au capitano jusqu’à ce que tu sois sorti de ce cauchemar. Cette télé portation quadridimensionnelle est impossible, à moins de disposer d’un matérialisation temporel comme celui mis au point par le commandant Wu dans la seconde histoire alternative. Mon supérieur et Fermat combattaient alors les ultralibéraux et Penta . Et si Pamela Johnson et les Asturkruk avaient mis la main sur ce transporteur? »
Les réflexions de Sitruk furent interrompues par un cri de détresse lancé par son voisin de patrouille, un grand gaillard à la barbe brune imposante, le chef protégé par un cabasset parsemé de déchets indéfinissables. Tout se gâtait dans cette moiteur permanente! L'homme s’effondra au ralenti, la nuque percée par une fine aiguille empoisonnée, comme put le constater Benjamin en se penchant sur le cadavre.
- ¡Los Indios! Hurla l’officier conquistador. Chargez vos arquebuses! ¡Fuego!
Mais il était trop tard! Surgissant d’un fouillis végétal inextricable, une centaine d’Indiens nus, à la coiffure en bol ou aux longs cheveux noirs, le visage et le corps peints en rouge et noir, des plumes de couleur leur perçant les oreilles, le nez ou la lèvre inférieure, des bracelets multicolores aux chevilles, armés de sarbacanes et d’un carquois contenant des fléchettes aux pointes enduites de curare, encerclèrent la vingtaine de conquistadores, épuisés, puants et crasseux.
Un singe hurleur, effrayé, se mit à gesticuler. Un des autochtones s’amusa à viser le primate, source de nourriture et gibier habituel. Or, Benjamin eut le fâcheux réflexe de se précipiter sur l’Indien qui n’avait en fait nullement l’intention de tuer le singe. Plus prompt que Sitruk, le Jivaro abaissa alors son arme et projeta son dard mortel vers le capitaine. Il reçut l’aiguille en plein cou.
Ce fut le signal de la curée, commandée par le chef reconnaissable à sa coiffe de plumes exubérante, ses labrets, la ceinture décorée de têtes réduites momifiées qui arborait également un collier constitué de griffes de tatou et de plumes d’aras en forme de pectoral. Ensuite, tout bascula une nouvelle fois dans le néant, du moins pour Benjamin.


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Pendant ce temps, et, parallèlement, à Thoiry, en ce dimanche de décembre 1968, Daniel Wu et les fillettes étaient témoins de l’attaque de l’ours par le calmar araignée. Les tentacules de la créature composite saisirent leur proie avec une rapidité stupéfiante. Le plantigrade tenta vainement d’asséner des coups de pattes et de griffes à l’être d’origine extraterrestre. Or, le Sestrissien était muni d’un large bec enduit de venin et, cette arme redoutable faisait office de bouche au lieu des pièces buccales habituelles.
Sous les yeux terrifiés de Marie, l’ours ne pouvait que grogner de colère impuissante. Il fut promptement déchiqueté et broyé par cette chimère venue d’ailleurs. Cette dernière avala sa victime en trois bouchées à peine.
Alors, apparemment insuffisamment rassasiée, la créature regarda ce qui l’entourait avec attention. Ses six yeux à facettes, extrêmement mobiles, aperçurent le commandant Wu qui représentait, désormais, un gibier de choix.
En un coup d’ailes démesuré, la monstruosité vola et s’empara du daryl androïde qui s’était offert au démon. De son côté, Violetta, saisissant Marie, courut se mettre à l’abri. Or, comme nous le savons déjà, Daniel était de taille à se mesurer à des adversaires plus que coriaces. Doté de réflexes prodigieux et de la faculté d’accélération, il réussit, en une micro seconde, pas plus, à se libérer tout en saisissant une arme de poing dissimulée dans la poche intérieure de son blouson fourré. Sans aucune hésitation, il fit feu sur la bête. La tête du Sestrissien partit en minuscules particules qui se désintégrèrent. Mais, chose surprenante, des étincelles provenant de mystérieux courts-circuits éclairèrent la créature morte! Et, le corps décapité du calmar araignée retomba sur la terre pour exploser ensuite.
Toujours en hyper vitesse, Daniel Wu put échapper à l’explosion. Ufo, quant lui, terrorisé, s’était réfugié sur la plus haute branche accessible d’un hêtre.
« La créature était bionique », pensa avec raison Daniel.
Le directeur du parc avait assisté à toute cette scène mais de loin. Grâce à ses jumelles, il n’avait rien manqué du drame. Depuis quelques minutes, rappelez-vous, il suivait discrètement le véhicule de ces visiteurs qui l’intriguaient tant.
Mais cette fois-ci, le spectacle dont il avait été le témoin volontaire, dépassait tout entendement! Etait-il victime d’une hallucination? Sa logique cartésienne était mise à mal. Refusant de se laisser ainsi déstabiliser, le directeur décida d’en savoir plus. Il se rendit jusqu’au poste de gardes, à un kilomètre de là, et requit un homme en renfort. Celui-ci n’avait rien remarqué d’étrange pour la bonne raison qu’il observait un couple de lions dans le secteur opposé. Quant aux autres gardes, ils étaient également occupés ailleurs.
A bord du seul véhicule à moteur à essence autorisé du parc, le directeur et le garde rejoignirent donc sans difficulté la voiturette électrique dans laquelle Daniel, Violetta flanquée de l’inévitable Ufo et Marie étaient remontés. L’adolescente et son oncle commentaient les derniers incidents.
- Il va de soi qu’il s’agit là d’un attentat dont l’auteur ne peut être manifestement que cette Johnson! Lança la jeune fille, cachant sa peur.
- Tout à fait d’accord avec toi, ma grande.
- Oncle Daniel, ne peux-tu tenter de localiser précisément Pamela? Ainsi, tu l’empêcherais de nous nuire!
- Difficile! Mon ex officier bénéficie d’une technologie d’avance. Ce que je sais, c’est qu’elle s’est réfugiée dans les années 1995-1998 d’une seconde histoire qui est en train de se transformer en piste 4! Tant que le translateur couplé à la fois au chrono vision et au vaisseau scout ne sera pas opérationnel, je me trouverai assez démuni. De plus, je ne dois pas, sous prétexte que notre petite équipe est menacée, raccourcir la période d’essais de l’Einstein ainsi modifié.
- Ah! C’est fou ce que tes paroles me rassurent! Mais cette tentative ayant échoué, Johnson va recommencer! Et très vite! Mon père a peut-être aussi subi une attaque! Il nous faut rentrer au plus tôt, afin de nous assurer qu’il ne lui est rien arrivé!
- Conserve ton sang froid, ma fille. Tu as raison. Mais, hélas, je n’ai pas le don d’ubiquité. Pour revenir à la gentilhommière, nous devons emprunter les moyens conventionnels primitifs de transports de ce siècle.
- Pff! Quelle perte de temps! Et pourquoi ne pas nous emporter avec toi et passer en hyper vitesse?
- Trop dangereux pour Marie! Si nous voulons nous assurer que tout va bien pour Benjamin, nous pouvons téléphoner à Malicourt. Mais les cabines publiques sont plutôt rares dans le coin!
- Mm. Tu n’as pas amené ton communicateur avec toi!
- Inutile ici! L’Einstein qui sert de station de relais n’est actuellement pas sous tension!
- J’ai saisi. A propos de communicateur, celui-ci n’est guère pratique, tu sais! On devrait pouvoir l’accrocher partout sur soi, sur le col d’un pull ou sur la poitrine!
- Pourquoi pas? Mais la poussière? Y as-tu pensé?
- Euh, si le temps presse, remarqua Marie, au lieu de parler, papa, tu devrais conduire! Te dépêcher au lieu de t’arrêter tout le temps!
A cet instant, précisément, l’auto du directeur parvint à la hauteur de la voiturette de Daniel. Sur un signe de son patron, le garde pointa le canon d’un pistolet en direction de l’adulte, l’invitant à fournir une explication!

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Dans un univers de sons discordants et de couleurs agressives, le capitaine Sitruk planait. Des images violentes s’entrechoquaient, un robot biologique d’une histoire future parallèle, vêtu comme un misérable peon mexicain, enfermé à l’intérieur d’une « cage » de notes et de polyèdres multicolores, hurlait, implorait son maître, un certain Johann van der Zelden de le sortir de ce monde dément dans lequel, lui, Zemour Diem Boukir, auparavant en train de participer aux fouilles archéologiques de Palenque en 1952, avait inexplicablement atterri. Cet Univers multidimensionnel en miniature voyait la logique ne plus avoir cours. Ainsi, des cartes à jouer géantes, des tarots, les plus redoutables des arcanes majeurs , le Mat, le Diable, le Pendu, la Mort, la Maison-Dieu, dansaient une tarentelle folle dans la tête de Benjamin qui, involontairement, concrétisait son cauchemar. Des figures déformées, agrandies démesurément, étirées presque à l’infini, ricanaient et leurs rires sonnaient comme des cloches fêlées, désaccordées dans le crâne de l’officier. Sitruk supportait la vue ou plutôt le souvenir de la bouche édentée du vieux chef jivaro au rictus encore enlaidi par le plateau de sa lèvre. Les têtes réduites à l’orifice buccal cousu ne manquaient pas non plus à l’appel. De celles-ci émergeaient des flots de cordes destinés à les suspendre, cordes qui se métamorphosaient soudainement en vomissements de spaghetti trop cuits, venus tout droit du sinistre restaurant « Chez Toni »!
Les têtes de momies furent bientôt remplacées par des dépouilles desséchées de dignitaires incas, suspendues à des chaînes rouillées, grimaçantes, ligotées, une plaque de métal obturant la bouche. Et, au loin, illuminé par un soleil de feu, le chandelier à sept branches se détachait dans un ciel dépourvu de nuages.
Benjamin revint à lui en l’an 70 après Jésus Christ, au milieu d’une légion romaine, lors de la destruction du temple de Jérusalem par Titus, fils de Vespasien, après la dernière grande révolte juive. Les soldats, comme il se doit, avaient pillé les trésors du Temple et emportaient le grand chandelier. Les péristyles et les murs s’effondraient; fûts de colonnes mêlés aux éclats de marbre sur des marches ébréchées encombrées de gravats à peine identifiables…plaques d’or que les soudards martelaient afin de les arracher des murs…
Sitruk reconnut la scène pour en avoir vu des représentations imagées dans les livres d’histoire sur la diaspora juive.
Persuadé qu’il vivait une autre phase de son cauchemar, l’officier restait totalement passif et subissait sans rien dire les bousculades et les remarques peu amènes d’un décurion. Au fond de lui-même, il croyait qu’il n’allait pas tarder à se réveiller!
Mais, bon sang, que ce rêve était donc réaliste! Benjamin sentait au plus profond de sa chair les coups de poing et la pointe du glaive au creux de ses reins. Apostrophé dans un latin vulgaire par un optione aviné à la barbe de huit jours dont l’haleine dégageait des remugles d’ail et de mauvais vin, Sitruk répondit dans la langue châtiée de Cicéron. Étonné, le soldat romain se mit à bégayer, pensant avoir affaire à un haut personnage déguisé.

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Tandis que le garde pointait son arme en direction de Daniel, celui-ci, avec une désinvolture inattendue, essuyait d’une chiquenaude un grain de poussière qui restait obstinément accroché sur le col de son blouson fourré, un blouson en daim véritable. Puis, tout aussi impassible, il daigna enfin regarder en face le directeur du zoo et lui demanda, d’un ton affable, légèrement ironique:
- Monsieur Dubreuil, c’est bien là votre nom n’est-ce pas, Toinou pour les intimes, pourquoi donc un pistolet nous menace-t-il, mes enfants et moi-même? Je pourrais porter plainte à la police quant à votre conduite inqualifiable!
- Monsieur, répliqua le conservateur, j’ignore qui vous êtes et comment vous avez appris mon identité! Mais, tout à l’heure, j’ai assisté à quelque chose d’incroyable. Je sais ce que j’ai vu. Un ours tué, une araignée géante hybride et vous-même qui l’avez détruite! Alors, je veux, j’exige des explications!
- Oh! Est-ce tout? Qu’est-ce qu’il y a d’étonnant, de fantastique dans ce qui vient de se produire dans votre parc? Mais rien, absolument rien! Pour moi, il ne s’agit que d’une scène fort ordinaire d’un jour d’hiver semblable aux autres!
- Vous refusez de répondre!
- Vous faites erreur, cher monsieur!
- Nierez-vous que cet ours a été tué par une créature impossible, un cybernaute sorti tout droit des élucubrations d’une série télévisée anglaise?
- Mais je nie rien du tout!
- Ah! Se pâma presque Violetta. Vous faites allusion à « The Avengers » et à ses épisodes mythiques! Vous les avez vus vous aussi monsieur Dubreuil! Quelle chance! Comme je vous envie! « Les cybernautes », « Le retour des cybernautes », dans lesquels un homme d’acier à lunettes noires et chapeau mou, dixième dan de karaté pour le moins, décapite d’un simple petit coup de manchette tous ceux qui lui font obstacle!
- Fillette, ne détournez pas la conversation! J’attends que votre père…
- Vous vous trompez, cher monsieur Dubreuil. Violetta n’est point ma fille mais ma nièce. Et je le regrette! Ah! Mais toujours à propos de « Chapeau melon et bottes de cuir », il m’a été dit que je ressemblais un peu à un comédien britannique qui incarnerait John Steed dans le futur. Il est vrai que si j’arrivais à discipliner davantage cette mèche rebelle, - n’est-ce pas ma nièce? - je ferais un très bon John Steed!
- Puisque tu l’affirmes, oncle Daniel, fit Violetta en se retenant de pouffer de rire.
Devant le tour absurde de la conversation, Dubreuil perdit le peu de sang froid qui lui restait.
- Cela suffit! Cessez de vous foutre de ma gueule!
- Tss! Tss! Fi donc! Quel langage peu châtié que voici! Vous vous oubliez, ce me semble, monsieur le directeur! Marie, ma toute petite, n’a point l’habitude d’ouïr des paroles aussi triviales! J’y veille!
- J’ai compris quel jeu vous jouez! Vous allez nous suivre jusqu’aux bâtiments administratifs Et vous avez tout intérêt à obtempérer! Mon garde, Jacques Giroud, est autorisé à tirer si nécessité oblige!
- N’en rajoutez pas, monsieur Dubreuil. Vous n’êtes pas habilité à me donner des ordres et encore moins à me menacer!
- Comprenez-vous ce que j’ai dit? Hop! Giroud, tu montes dans la voiture de monsieur et tu prends le volant! Les enfants vont avec moi!
- Décidément, vous aimez montrer votre autorité et rouler des mécaniques! Soupira le commandant Wu. Tous deux, vous avez cessé de m’amuser! Tant pis pour vous, vous ne me laissez pas le choix!
A peine Daniel eut-il parlé que les dénommés Giroud et Dubreuil tombèrent endormis sur l’allée! Ils avaient été proprement assommés télépathiquement. Généralement, Daniel Wu évitait le recours à la violence physique. Mais il n’aimait pas non plus user de ses pouvoirs mentaux, plus qu’étendus, contre des êtres plus faibles que lui.
D’une petite voix craintive, Marie s’inquiéta.
- Dis, papa, ils vont se réveiller? Tu ne leur as pas fait réellement mal?
- Bien sûr que non, ma puce! Ils sortiront de leur sommeil forcé dans une demi heure avec un mal de tête carabiné et l’oubli de ce qui s’est passé depuis l’incident de l’araignée.
- Ouf! Je sais bien que tu n’es pas méchant, ni cruel. Et l’ours qui est mort? Pauvre bête! Tu ne peux rien faire pour lui? Il a sans doute une maman qui le pleure…
- Marie, voyons, je ne suis pas Dieu! Ne me suggère pas de le cloner. Je n’ai pas ici le matériel nécessaire pour cela!
- Tant pis, papa! Poursuivit tristement la fillette. Ce soir, j’allumerai une bougie et je prierai en sa mémoire.
- Est-ce Irina qui te met ces folies en tête? S’exclama Violetta. Tu es ridicule!
- En tout cas, ça ne lui fera pas de mal! Répondit l’enfant avec détermination.
- Assez perdu de temps, les filles! Du monde vient. J’aimerais être parti avant qu’on trouve nos deux endormis. En route. Nous ramenons notre voiturette au stand de louage et nous nous faisons oublier!
Daniel remit en marche le véhicule électrique. Tandis qu’il conduisait, Violetta reprit la conversation.
- Crains-tu que Johnson se soit attaquée à mon père?
- Je n’en sais rien!
- Comment s’y est-elle prise pour construire cette « araignée »?
- Sans doute dispose -t-elle de toute la logistique Asturkruk! Et aussi du financement adéquat.
- Pourquoi dis-tu cela?
- Dans notre Alliance, l’argent, comme tu le sais, n’a plus cours. Y compris chez les Asturkruks!
- Alors, elle a pillé les Ovinoides qui ont encore une économie capitaliste!
- Il y a plus simple, Violetta. Pamela s’est procurée un trésor de guerre au XX e siècle, pas au XXVI e! Même nos moutons spéculateurs et escrocs sur les bords ne sont pas assez riches pour financer des « robots » aussi perfectionnés.
- Je ne saisis pas. Qui a-t-elle pu voler?
- Réfléchis, ma grande. Johnson connaît l’histoire bis. Elle sait donc l’identité des financiers multimilliardaires tels les Thomas Payne, les PDG de Switzmilk, et ainsi de suite…
- Ah oui! C’est dans la piste 2 qu’elle agit, j’oubliais. Parfois, je ne sais plus trop où j’en suis avec ma double mémoire. Tout devient confus!
- Parce que Johnson perturbe le déroulement de ce temps alternatif.
- Comment s’y prend-elle?
- Sa tactique est celle de la bande à Bonnot! Sous couvert de l’anarchie, ces bandits pratiquaient le vol, le gangstérisme. Elle applique donc cette méthode que j’ai expérimentée ailleurs, jadis, avec un certain succès. C’était dans les années 1990-1995 de l’histoire 2. Sans doute, se fait-elle passer pour moi!
- Oui, oncle Daniel, tu as certainement raison.
- J’ai souvent estimé que ma double mémoire était un boulet. Aujourd’hui, cependant, je reconnais son utilité car, comme tu l’as signalé, les agissements de Pamela Johnson renvoient d’étranges échos dans mes neurones. Elle n’a pas construit un cybernaute mais des dizaines, et aussi des androïdes. Elle mélange avec profit une technologie mixte issue des XXI e et XXVI e siècles.
- Dans ce cas, accélère, oncle Daniel. J’ai un pressentiment bizarre concernant mon père.

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Il n’était pas naturel que Daniel Wu devinât ce que tramait partiellement la daryl Asturkruk. Ses talents parapsychiques avérés ne suffisaient pas à expliquer cette connaissance. Il s’agissait d’un mystère qui resterait inexpliqué un long moment.

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Dans un vaisseau occulté qui tournait en orbite autour de la Terre, quelque part entre les années 1996 et 1997, Pamela Johnson examinait avec attention un écran quadridimensionnel, un chrono vision. L’appareil ressemblait à un poste de télévision amélioré, à très haute définition, dont les images étaient en relief.
Comment Johnson avait-elle pu avoir à sa disposition un tel instrument? La technologie en était strictement prohibée. Dans l’Alliance, seules trois personnes étaient capables de construire un tel appareil. Sarton était mort depuis longtemps ou passait pour tel. En 2517, en effet, il aurait eu plus de trois cent cinquante ans.
En fait, l’Hellados avait été capturé par les Asturkruks dans le passé et, soumis à un traitement spécial, avait révélé toute une partie de son savoir à ses bourreaux. L’Archonte avait mis à profit ces renseignements extirpés par la torture pour donner l’avantage à son peuple.
Ainsi, les êtres du XXVI e siècle se mouvaient déjà, sans le savoir évidemment, dans une harmonique temporelle modifiée et non pas sur la ligne source originelle!
Devant son écran, Pamela faisait la moue. Les diverses scènes qui se déroulaient sous ses yeux ne la satisfaisaient pas. Pas du tout, même! Une partie de l’écran montrait l’attaque subie par le commandant Wu. Malgré la présence des enfants, il avait triomphé avec une facilité déconcertante de l’araignée hybride.
- Ai-je affaire à une bouteille à moitié pleine ou à moitié vide? S’interrogeait la jeune femme. Certes, j’ai localisé avec succès Daniel Wu! D’accord, je suis parvenue à guider mon robot par delà la barrière transtemporelle! Mais voilà! J’ai sous-estimé le daryl androïde! J’aurais dû l’affronter en personne! Mais, en cet instant, je ne puis me permettre de quitter la seconde histoire!
Et Daniel est donc libre de terminer sa mise au point du translateur. Il va me falloir réfléchir à un nouveau plan d’attaque. Dire que je croyais, à tort, qu’en agissant dans les années 1995-1998, Daniel Wu allait s’effacer dans le Néant! Quelle naïve j’étais! Les Asturkruks m’ont trompée! L’Archonte m’a mentie! Ou bien, aucun d’entre eux ne manipule parfaitement les paramètres du Pan Multivers!
Ma deuxième attaque a eu pour cible la demeure de Von Hauerstadt, à Malicourt, en Seine et Marne. J’ai certainement mal ajusté mon chrono vision! Je pensais que Daniel Wu y vivait. Mais il était à Thoiry lorsque j’ai enclenché mon arme. J’ai mal calibré les senseurs transdimensionnels. Je croyais à un écart de huit jours. Or, tout s’est déroulé simultanément! Et, j’ai piégé Benjamin Sitruk. Il me faut tout recalculer: quelle corvée!
Ramenons d’abord le capitaine Sitruk à bon port puisque je n’ai pas le choix. Laissons nos deux égarés temporels achever la mise au point de leur translateur. Mais tâchons de les retarder quelque peu. Lorsque je serai prête, j’attirerai ces deux benêts dans ma souricière de la fin de ce XX e siècle décadent! Alors, j’aurai tellement remodelé, réassemblé la structure du Pan Multivers que le tout ressemblera à une mosaïque cubiste dans laquelle seuls les  pourront se mouvoir, à la rigueur, sans risquer l’écartèlement!
Ah! La phase préliminaire du plan « HOBO » est en voie d’achèvement. Je puis passer au stade supérieur. Vivement l’étape ultime et ma victoire!


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Dans le salon du premier étage de la propriété des Malicourt, il était près de 19 heures et le film « Key Largo » tirait à sa fin. Bogart triomphait. Dans la pièce, il faisait sombre, et le froid s’était installé. Dans la cheminée, le feu n’avait pas été réactivé.
Allongé sur le canapé, Benjamin s’étira et bâilla sans retenue. Il se sentais las. Ouvrant les yeux, il parut désorienté deux secondes. Il s’étonna un instant de se retrouver dans ce lieu qui lui devenait chaque jour un peu plus familier.
- Bon sang! J’ai cru être ailleurs! Tout avait l’air si réel! Heureusement que je rêvais! Jamais je n’arriverai à comprendre l’activité onirique de mon cerveau. Quelles expériences ai-je vécues ces dernières semaines pour me faire plonger dans un resucé de la conquête de l’Amérique latine? Ah! J’y suis! Je me souviens! Risible, franchement! Le film « Capitaine de Castille »! Mais son action se déroulait au Mexique et non au Brésil! Enfin! Violetta trouvait le comédien principal, un bellâtre répondant au nom de Tyrone Power, d’une beauté renversante. Quel goût douteux! Quant à la destruction du Temple de Jérusalem, là, c’est plus clair. Dernièrement, j’ai lu Flavius Josèphe. Von Hauerstadt possède une bibliothèque bien garnie. Se rend-il compte de la valeur de ces livres? A faire pâlir d’envie un bibliophile tel que moi! Décidément, un bouquin sur papier, c’est mille fois mieux que sur écran ou sur transplas!
Une petite digression s’impose ici. Le transplas est une feuille translucide dotée de micro mémoires affichant romans, graphiques ou tout autre donnée écrite, d’une capacité de un million de gigaoctets.
Ah! Mais… j’entends du bruit en bas. Le commandant est de retour avec les filles. Il parle avec madame Von Hauerstadt. Ce n’est pas la peine de lui raconter mes divagations oniriques. Il en rirait et il aurait raison. Pensons à autre chose. Je n’aimerais pas qu’il se doute de quelque chose et sonde mon esprit!


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