samedi 23 mai 2009

Chapitre 5

Dans la salle de jeux, après les heures de classe, Violetta avait du mal à se disculper auprès de Mathieu et d’Isaac. Elle avait beau jurer qu’elle n’avait rien à voir avec la matérialisation de l’étrange ectoplasme, la pieuvre ou quelque chose qui en approchait, apparue la nuit précédente, son frère et le fils du commandant refusaient de la croire.
- Mais, bon sang, faisait l’adolescente en colère, puisque je vous dis que je ne vous mens pas! Pourquoi me serais-je métamorphosée en fantôme?
- Parce que c’est dans tes habitudes. Tu l’as avoué toi-même hier; je m’en souviens encore! Déclara Mathieu péremptoirement.
- Où étais-tu? Interrogea Isaac. Pas dans ta chambre en tout cas. Tout à l’heure, tu as été vertement tancée par Maman.
Violetta hésita avant de répondre.
- Bon, d’accord. Je cherchais les quartiers d’Antor. Je suis restée trente minutes devant sa porte à faire stupidement le pied de grue avant qu’il m’ouvre.
- A plus de minuit? Hé bien! Je comprends pourquoi Maman t’a grondé.
-Oh! Il ne s’est rien passé de répréhensible. Antor m’a ouvert à minuit trente-cinq. Il avait l’air tout retourné. Plutôt à côté de la plaque, même.
- Pourquoi? Que t’a-t-il dit?
- Il m’a conseillé de retourner me coucher.
- Qu’avais-tu en tête?
- Rien de spécial. En fait, je désirais éclaircir avec lui un point diplomatique. Celui concernant le traité de 2389 passé avec la guilde ovinoïde.
- Mais ce n’était pas l’heure pour avoir une telle conversation! Remarqua Mathieu.
- Euh… Cet après-midi, j’ai eu un examen sur la question. Je ne tenais pas à me planter!
- Alors?
- Alors, j’ai su répondre car Antor a été très gentil. Il m’a tout expliqué ; on a parlé d’égal à égal.
- Et?
- Et il a dit que j’allais être reçue haut la main. D’après lui, je suis faite pour la diplomatie. J’intègrerai sans problème le corps diplomatique interstellaire à ma majorité. J’ambitionne de devenir ambassadrice comme l’ex de Georges Wu, la belle-sœur du commandant.
- Était-ce bien là tout le sujet de votre conversation? Reprit Mathieu.
- Non ; un peu avant de me retirer, Antor m’a dit aussi qu’il y avait eu une alerte d’intrusion tandis que je patientais devant sa porte. Mais je n’en sais pas plus.
- Isaac, tu en penses ce que tu veux, mais, pour ma part, j’ai finalement envie de croire ta sœur. Son roman tient la route.
- Violetta n’est pas une menteuse, jeta Marie. Elle émet des pensées blanches et non rouges.
- Tu simplifies un peu Marie, mais tu as raison.
- A propos, compléta l’adolescente, j’ai demandé à l’ingénieur Anderson de venir. Lorsque tout à l’heure, tu m’as raconté une première fois ce que tu avais vu cette nuit, je me suis méfiée.
- Pourquoi? Fit Isaac innocemment.
- Ce que Mathieu a décrit ressemble furieusement aux aliens que l’équipage recherche.
- Brr! Là, tu déclenches en moi une peur rétrospective!
- Hé! Ça ne va pas! Pas du tout! Poursuivit Isaac. Si c’était un alien, pourquoi, dans ce cas, il ne nous a pas attaqué?
- Je n’en sais strictement rien!
Un sifflement caractéristique annonça la venue d’Anderson. L’ingénieur interrogea avec tact Mathieu,choisissant ses phrases afin de ne pas effrayer l’enfant. Mais l’officier dut bientôt se rendre à l’évidence. Il y avait bien eu un alien dans la chambre des garçons cette nuit-là!
- Récapitulons: un être informe, blanchâtre, à grosse tête, aux yeux globuleux, muni de quatre tentacules dont deux latéraux… Et il flottait. La description correspond exactement à celle donnée par le professeur médusoïde. Pourquoi n’as-tu pas prévenu ton père?
- Hé bien… soupira Mathieu. En ce moment, il n’est pas accessible. Il vérifie l’IA et il est en mode ordinateur. Je ne l’ai pas vu depuis deux jours. Il nous évite,Marie et moi. Et c’est tant mieux car je n’aime pas quand il raisonne et parle comme une machine!
- Il aura bientôt terminé? Questionna Violetta.
- Je l’ignore.
- Que cherche Papa dans l’IA?
- Des dysfonctionnements provoqués par les sabotages de l’espion introduit à bord.
-N’ayez donc pas peur de l’appeler assassin, tout simplement! Ricana avec amertume l’adolescente.
-Mademoiselle, il y a ici une fillette de cinq ans qui…
-Monsieur Anderson, il ne faut pas vous inquiéter, répliqua Marie en zézayant. Je n’ai pas peur! Papa capturera les méchants aliens comme le Marsu lorsqu’il assomme le jaguar! Vous l’avez vu, mon père?
- Pas depuis quarante-huit heures.
- A-t-il terminé mon nouveau programme, celui de la bibliothèque? L’histoire de Pinocchio et de Monstro la baleine?
http://excolliber.com/excolliber/images/stories/upload/pinocchio.jpg
- Ah! Ce vieux conte pour enfants! S’exclama Violetta, riant presque malgré les circonstances;
- Le commandant Wu a commencé la révision des logiciels de la bibliothèque il y a une heure, en effet.
-Dans ce cas, papa aura fini avant la fin de la soirée. On pourrait tous s’y rendre avant le dîner, trépigna la fillette.
- A sept heures, j’ai rendez-vous avec Pamela Johnson sur la passerelle, renseigna Mathieu.
- Moi, je viendrai, Marie,dit Isaac. Ce n’est pas le jour de mon cours de judo.
- Je viens aussi, soupira Violetta, regardant Mathieu avec envie. Tu as de la chance de voir le centre de commandement du Langevin de près! Je tanne papa depuis des mois pour obtenir la même autorisation. Il me refuse toujours!
-Pas sans raison, conclut Anderson. Le capitaine Sitruk craint votre manie de toucher tout ce qu’il ne faut pas!
-Peut-être, mais j’ai mon brevet de pilote!
-Qui ne vous autorise que la conduite d’un petit vaisseau à vitesse infra luminique.
-Pff! C’est un début!
****************
19h01. Dans le centre de l’IA, le commandant Wu contrôlait toujours les réseaux informatiques de l’Intelligence Artificielle ainsi que les micro cubes mémoriels. Parallèlement, il recevait en continu les données concernant le pilotage et le fonctionnement du Langevin. En symbiose avec son vaisseau, il n’ignorait rien de ce qui se passait sur la passerelle. Du moins, est-ce ce qu’il croyait.
Simultanément, Daniel conservait le contact avec Antor et Schlffpt . Encore quelques minutes et l’assassin serait identifié. Plus que trois suspects à examiner, à sonder. Plus que deux. Il s’agissait d’un sergent chef officiant à l’ingénierie appartenant à l’espèce mondanienne et du sous- lieutenant Pamela Johnson.
- Garrot résiste à ma sonde mentale. Informa Antor.
-Professeur Schlffpt, renforcez les boucliers de l’ambassadeur.
-C’est fait commandant…
Une demi minute s’écoula.
- Rien à signaler, hormis l’identité réelle de Garrot. En fait, c’est un vulgaire trafiquant d’armes du nom de Jivaolc, recherché par dix huit mondes de l’Alliance.
-Laissons-le pour l’instant. Nous règlerons ce problème plus tard.
-Alors, il ne reste plus que Johnson.
-Je m’en charge seul. Si j’ai besoin de vous, je vous contacte, émit Daniel Wu confiant.

*******************
Sur la passerelle de commandement, à la même heure, tous les officiers étaient à leur poste: le lieutenant Nadine Lancet à la navigation, le dinosauroïdes Chtuh au pilotage, Selim Warchifi aux senseurs détecteurs. Pour l’instant, le fauteuil du commandant était dévolu à Ahmed Chérifi. Paméla Johnson était assise au poste scientifique. Elle venait de changer de quart d’affectation sur les ordres du capitaine Sitruk.
La jeune femme montrait à Mathieu comment commuter les différentes sections de la console. Avec une dextérité rare, elle manipulait et effleurait les touches sensitives . L’enfant, attentif, enregistrait tout, remarquant sans le dire que Paméla était aussi rapide que son père dans le maniement de la console. Pourtant, Mathieu n’était pas
surpris; il éprouvait plutôt une certaine fascination pour les possibilités de l’ordinateur.
-Oh! C’est super! En fait, c’est un peu comme si le vaisseau avait des yeux. Il peut ainsi voir jusqu’à des millions de kilomètres de distance. Et, sans doute, il réajuste sans cesse.
-Pas seulement, Mathieu. Il voit, comme tu dis, certes, mais il analyse aussi. Il est donc capable d’éviter tout obstacle suffisamment tôt détecté. Des obstacles comme les astéroïdes, les comètes, les bombardements de particules négatives, les trous noirs ou encore les distorsions et j’en oublie.
-Ah! Même les trous noirs! Et les naines blanches? Les pulsars?
-Aussi, évidemment. Sauf si l’IA reçoit l’ordre de se détourner afin d’effectuer un examen détaillé.
-Et le bouclier de protection? A quoi sert-il précisément actuellement? Il est relevé en ce moment, non?
-Il est en fonction, c’est exact. Pour protéger le Langevin du bombardement de rayons cosmiques et des remous provoqués par le distorsionnel. Ce bouclier est composé de plusieurs couches répulsives; une centaine. Là, le vaisseau est entouré, protégé par vingt couches. Elles sont amplement suffisantes dans ces circonstances.
-C’est magnifique!
-Tu n’es jamais venu sur la passerelle?
-Pas précisément… Lorsque le vaisseau tourne en orbite autour de la Terre ou d’Hellas, j’ai obtenu l’autorisation d’y rester quelques minutes, sans plus. En réalité, papa n’aime pas trop me voir ici! Je me demande comment vous vous y êtes prise pour m’obtenir le droit d’assister à une opération qui n’est pas de routine.
-Je suis passée par le capitaine Sitruk.
Aucun officier ne s’était étonné de la présence du fils du commandant dans le centre névralgique du Langevin, dès l’instant qu’il avait reçu l’autorisation du numéro 3 du vaisseau.
-Peut-on actionner l’écran? Demanda l’enfant. J’aimerais voir l’espace se distordre tout autour de nous.
-Lieutenant Chérifi, est-ce possible?
-Pas plus de cinq minutes, il faut garder en tête la sécurité de l’équipage.
-Écran ouvert.
Instantanément, à la proue un panneau sembla s’évaporer tandis qu’à la place une surface opaque tourbillonnante apparaissait.
-Où sont les étoiles?
-Là, ces spires lumineuses qui courent à notre rencontre. Le tourbillon est en fait engendré par l’hyper supra luminique. En réalité, nous ne nous déplaçons pas dans l’espace normal.
-Ah, je le sais! Nous nous mouvons dans un hyper espace. Une sorte de couverture repliée. Nous parcourons l’épaisseur de celle-ci. Nous ne traversons pas la longueur.
-Tu as bien dit, nous replions l’espace.
-Ce sont les Helladoï qui ont été les premiers à trouver l’hyper espace. Il y a plus de sept mille ans. Quel exploit!
-Dans l’Alliance, Mathieu. D’autres civilisations bien plus exotiques et bien plus anciennes les ont précédés.
-Ceinture d’astéroïdes à deux parsecs et demi. Signala Lancet.
-Correction automatique de trajectoire effectuée, annonça Chtuh.
-D’autres obstacles? Demanda Chérifi.
-Nous entrerons dans la nébuleuse répertoriée sous l’appellation Delta Upsilon
dans trois minutes standard, répondit le petit dinosauroïde herbivore.
-Statut des boucliers?
-Opérationnels à cent pour cent, répliqua Warchifi. Nous pouvons cependant les renforcer si nécessaire.
-Dans ce cas, ajoutez les couches bêta ter et lambda bis.
-Opération effectuée, lieutenant, fit la voix de Johnson.
-État des cristaux de charpakium? Poursuivit l’Irakien.
-Efficacité optimale. Énergie maximale disponible, rassura Paméla.
-Peut-on encore accélérer?
-Nous pouvons augmenter la vitesse de quatre pour cent dès maintenant, monsieur, confirma le Noir.
-Exécution! Ordonna Chérifi.
- Ordre exécuté, dit Chtuh.
-Je capte une distorsion temporelle naissante dans le secteur Gamma 12, remarqua Lancet.
-Cette distorsion nous atteindra-t-elle?
-Non. Nous passerons au large de celle-ci à deux millions de kilomètres, à moins d’une augmentation en volume et en dimensions significatives du phénomène, proféra l’officier de navigation de service.
Quelques secondes de silence suivirent. L’écran fut refermé par sécurité. Brusquement mal à l’aise, Mathieu se taisait. Observant Paméla Johnson penchée sur la console scientifique, il la vit esquisser une grimace incongrue, rapidement réprimée. Puis, tout bascula.
***************

Dans la salle de maintenance de l’IA, Daniel Wu poursuivait sa tâche fastidieuse. Déjà, 60 % de la programmation de l’intelligence artificielle avaient été vérifiés. Ce qui préoccupait notre daryl androïde, c’était, pour l’instant, les réseaux contrôlant le distorsionnel et le saut quantique. Il ne constatait aucune anomalie, même minime. Mais, parallèlement, il s’interrogeait sur la présence de son fils sur la passerelle. Il consulta donc le fichier de l’ordre du jour. L’ordre avait été paraphé par le capitaine Sitruk.
« Bizarre! », se dit-il.
Puis, il revint au contact mental qu’il tentait d’établir depuis quelques minutes déjà. L’esprit de la jeune femme semblait curieusement rétif. Néanmoins, insistant, il atteignit les premières couches des pensées de l’officier. Le lieutenant se tenait devant la console scientifique, analysant la distorsion temporelle qui ne devait pas toucher le Langevin.
Daniel parvint à la deuxième couche. Paméla pensait à ce qu’elle ferait le soir même. Elle prendrait un verre avec Benjamin, écouterait un morceau de jazz castorii..
« Quel incorrigible dragueur, ce Sitruk! »
Le troisième niveau se présenta. D’étranges images, désordonnées, hors champ, kaléidoscopiques, beaucoup trop rapides. Des flashs se succédaient, s’entremêlaient. Des cuves, des panneaux lumineux violets, une atmosphère tiède, une…pince…
Et tout cessa. Un flot incessant de données plus folles les unes que les autres submergea l’esprit de Daniel, l’engloutissant, l’étourdissant. Le commandant crut qu’il allait se noyer, perdre la raison. Il frôlait la saturation. Il lui fallait à tout prix rompre le contact avec l’IA et Paméla Johnson. Alors, il lutta, pied à pied, il résista de toutes ses forces bien plus considérables qu’il le croyait.
ET L’UNIVERS BASCULA.
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Sur la passerelle, il sembla à l’équipage que l’espace se retournait comme un gant gigantesque. La Réalité oscilla, se troubla et se recomposa au milieu d’un désordre indescriptible. Une langue de la distorsion temporelle avait frappé de plein fouet le Langevin. Or, le phénomène ne cessait pas. Comme à plaisir, le cordon de particules et d’antiparticules s’enroula autour du vaisseau, le secouant tel un shaker.
Désorientés, les officiers s’agrippaient à leur fauteuil ou à leur console, comme ils le pouvaient. Ils tentaient à la fois de reprendre le contrôle d’eux-mêmes et de leur vaisseau. Enfin, Warchifi réussit à remettre en fonction les plateaux inertiels. L’équilibre fut rétabli.
Chérifi ordonna d’une voix calme;
-Rapports de toutes les sections.
-Repères navigations inconnus, annonça Lancet.
-Dommages mineurs au niveau des hangars. Perte d’énergie dans la salle des moteurs.
-Importante, Warchifi?
-Deux pour cent toutes les quinze minutes pour l’instant. Anderson est déjà en train de colmater la brèche.
-Oui, Johnson?
-Nous sommes manifestement entraînés au cœur même de la distorsion. La coque est soumise à une pression 150% supérieure au maximum de sécurité prévu.
-Quand la coque cèdera-t-elle?
-Dans trente-deux minutes si nous ne pouvons y remédier.
-Monsieur, s’exclama Warchifi, deux messages parasités de sources non identifiées nous parviennent.
-Traducteur universel. Sur haut-parleur.
-Branchés.
-Écran virtuel.
La sphère de reconstitution montra alors deux images fortement gondolées de deux civilisations humanoïdes, terrestres apparemment, mais manifestement issues d’histoires alternatives nettement divergentes. Il s’agissait:
-d’une partie d’Awelé
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disputée entre N’anquicoatl , Moro Naba
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de Texcoco et Ousmane Traoré, Almany d’Uxmal. Deux souverains africains, certes, mais vêtus comme on l’était dans l’Amérique précolombienne. Les joueurs étaient assis devant un tablier de bois dans lequel avaient été creusées des cases rondes alignées sur trois rangées de dix-huit trous. Dans ces cases, des cauris étaient disposés. Les joueurs devaient les faire circuler afin de récolter le plus de coquillages.
-l’autre partie de l’écran sphérique révélait un homme chauve au visage impavide, les traits indiens métissés, vêtu comme un simple peon, transmettant des informations importantes en anglais classique à un supérieur invisible. L’inconnu était muni d’un ordinateur portable comme il en existait à la fin du XXème siècle. L’archaïque computer affichait deux dates commutées: Palenque, 1952, New York, 1995.Le message, d’une teneur incongrue, pouvait faire croire que le chauve était soit un fou, soit un farceur cosmique!
-Zemour Diem Boukir au rapport. Tombe de Pacal découverte dans la pyramide comme prévu. Dois-je déclencher le piège temporel contre Archibald Möll?
Une voix froide, comme désincarnée, mais pourtant humaine, répondit.
-Attention! Ici, l’Ennemi! Message intercepté par temps parallèle 1721 bis. Coupez contact immédiatement.
La sphère s’éteignit alors, comme par magie. Or, cela ne signifiait nullement que le Langevin était tiré d’affaire. Il fonçait toujours vers le cœur de la distorsion, ignorant les rétro fusées à leur poussée maximale. Dans moins de vingt-huit minutes, les super structures allaient céder.
Ahmed Chérifi, qui était rodé à toutes les situations d’urgence, sut qu’il devait prendre une décision qui ne ferait pas plaisir à tout le monde. Il appela l’ingénieur en chef Anderson;
- Anderson à l’écoute.
-Ici Chérifi. Est-il possible de reconfigurer les moteurs de manière à user de ceux-ci comme d’un boomerang inversé?
- Dans notre situation actuelle, l’opération n’est pas recommandée. Nous sommes toujours en hyper supra luminique 17, avec nos rétro fusées, nous ne parvenons pas à nous dégager et encore moins à ralentir. La distorsion nous attire inexorablement. Elle va finir par nous avaler à moins que le Langevin ne soit démantibulé bien avant!
- Mais cette opération reste possible, ingénieur?
- Certes…
- Alors reconfigurez les moteurs.
- Il me faut l’aval du commandant.
- Je vous l’obtiens dans deux minutes. Commencez.
Ouvrant un nouveau canal interne de communication, Chérifi appela Daniel Wu.
- Commandant, nous sommes plongés au cœur même d’un orage de distorsion temporelle.
- Je le sais.
-Les repères ne correspondent plus. La distorsion nous entraîne et nous serons avalés dans moins de vingt-huit minutes maintenant. J’ai suggéré une reconfiguration boomerang inversée afin d’échapper à ladite distorsion.
- Envoyez-moi Lancet. Il vous faut un schéma précis pour mener à bien cette opération délicate. Je ne puis vous donner présentement les directives à haute voix, les interférences augmentant.
- Oui, monsieur. Où Lancet doit-elle vous rejoindre?
- Dans la bibliothèque. Je suis en train de réparer une micro puce affectée au programme des contes de fées.
-Compris, monsieur. Chérifi terminé.
Lancet s’était levée, immédiatement remplacée par Johnson.
-Vous avez entendu les ordres, lieutenant.
-J’y vais de ce pas, monsieur, répondit l’officier.
Sans prendre le temps de suivre le protocole et donc de saluer son supérieur, la jeune femme quitta le centre de commandement. Personne, depuis longtemps ne se préoccupait plus de Mathieu. Le garçonnet, nullement effrayé par la situation pourtant plus que préoccupante, s’était rapproché du siège du navigateur. Le vaisseau, toujours secoué, retourné comme une crêpe, craquait sinistrement de toutes parts tandis que les lumières des différents niveaux clignotaient. Combien de temps le Langevin parviendrait-il encore à résister?
Penché sur la console de navigation, Mathieu vit, presque subliminale ment le sous-lieutenant Johnson programmer à une vitesse beaucoup trop grande, presque surhumaine, de nouvelles coordonnées suivies d’un code Alpha Zéro de neuf cents chiffres! Paméla, absorbée par sa tâche ne parut pas remarquer l’attention dont elle était l’objet de la part de l’enfant. La Noire transpirait abondamment, visiblement plus que mal à l’aise, comme si elle luttait contre une présence hostile invisible. Manifestement, elle souffrait.
****************

Au cœur même de l’IA, Daniel bataillait ferme pour garder le contact non seulement avec sa propre conscience mais aussi avec l’Intelligence Artificielle. Son cerveau était submergé par un flot continu d’informations contradictoires qu’il ne parvenait pas à canaliser. Parallèlement, sa seconde mémoire, malmenée, menaçait de s’effacer, secouée par les données divergentes qu’elle recevait et découvrait. Le moi fondamental du commandant Wu n’avait jamais affronté une tempête pareille.
Non seulement les repères spatio- temporels qui parvenaient directement au cerveau positronique de Daniel se noyaient, s’estompaient, disparaissaient comme s’ils n’avaient jamais existé, mais des bornes indicatrices nouvelles se multipliaient à l’infini. C’était comme si le Langevin, ballotté au sein d’un pan multivers devenu fou, se trouvait au croisement de plus de deux mille histoires alternatives. Si l’équipage n’avait perçu que deux harmoniques déviées, Daniel, au contraire, était en contact avec toutes les pistes temporelles possibles qui naissaient au fur et à mesure que la distorsion s’aggravait, se renforçait, presque à engloutir le vaisseau.
Le commandant et l’IA frôlaient en fait la saturation. Tous deux pouvaient s’effondrer d’une seconde à l’autre, leur intégrité psychique gravement blessée ou endommagée. Daniel eut la présence d’esprit de couper le contact mental avec Paméla Johnson ainsi que le lien ténu qu’il avait conservé avec Antor. Puis, il entama le processus de retour en mode normal de fonctionnement de son cerveau. Mais la procédure était progressive et nécessitait quatre heures pour être totalement opérationnelle. Or, Daniel Wu ne disposait pas de ces quatre heures!
A l’instant précis où il se déconnectait d’avec Johnson, il capta, furtivement, un code prioritaire aléatoire, provenant de la passerelle. Sans contestation possible, Paméla l’avait émis. De qui l’avait-elle obtenu? Et pourquoi cette vitesse surhumaine? Se repassant la scène précise où il avait atteint la troisième couche des pensées de Johnson, Daniel comprit à qui il avait affaire. Paméla était un daryl Asturkruk qui avait vu le jour dans une sphère cuve d’un laboratoire de Gentus. Les Asturkruks avaient enfreint le traité sur les recherches interdites.
Puis, il perçut Nadine Lancet, s’asseyant devant une des consoles informatiques de la bibliothèque. La jeune femme se mouvait comme une somnambule. Que faisait-elle en un tel lieu? Il sut ce qui se passait à la seconde précise où la langue de la distorsion relâchait le Langevin. Libéré, le vaisseau bondit en arrière.
Daniel dut alors faire un choix. Se rendre immédiatement sur la passerelle et arrêter Johnson ou aller à la bibliothèque et sauver Nadine Lancet. Pouvait-il sacrifier son officier scientifique?
Le commandant Wu passa en hyper vitesse.
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Quelques minutes auparavant, dans la bibliothèque section enfants, Marie, Violetta et Isaac visionnaient un chapitre de Pinocchio. C’était la partie où le petit pantin de bois était avalé par Monstro l’énorme baleine. La scène montrait une tempête effroyable, où, la mer déchaînée roulait des vagues de trois mètres de haut et où le ciel déchargeait toute sa colère sur l’innocente créature. L’énorme cétacé fonçait à toute vitesse sur Pinocchio qui essayait d’échapper au monstre marin. La baleine, furieuse, rejetait des jets d’eau d’une taille impressionnante tandis que le pantin avec ses oreilles d’âne nageait désespérément. Tous ses efforts s’avéraient vains.
Il arriva un moment où, Pinocchio, pitoyable petit être avec sa queue qui fouettait l’eau,fut avalé par le cachalot noir et bleu.
Or, ce bleu de nuit, sombre comme le mal, vira peu à peu en des teintes beaucoup plus claires, pour atteindre finalement un blanc à la fois laiteux et translucide. Dans cette membrane opaline, portée par la tempête, Violetta reconnut le tracé de multiples vaisseaux sanguins qui pulsaient avec régularité. La jeune fille poussa un cri.
-Par le dieu du feu Stadull! Qu’est-ce que ceci?
La métamorphose se poursuivait. Maintenant, c’était le tour des immenses nageoires de se transformer en ce qui ressemblait à des membres filiformes atrophiés d’un vertébré. Les protubérances terminales prirent lentement la forme de mains et de pieds aux griffes acérées. Les doigts écartés laissaient apparaître des membranes fines qui facilitaient la nage dans les milieux aquatiques. Pivotant d’un quart de tour, l’alien dévoila des tentacules latéraux, dorsaux et ventraux, chacun tournoyant avec une lenteur calculée, dans un mouvement hypnotique.
Instinctivement, Isaac et Marie reculèrent devant le spectacle terrifiant de cet être engendré par le programme virtuel modifié.
-Je ne suis pour rien dans cette farce! S’exclama Violetta. Je n’ai pas touché la console.
Pendant ce temps, la créature malfaisante s’emparait de ma marionnette de bois grâce à l’un de ses tentacules latéraux et portait sa proie jusqu’à son tentacule ventral, en réalité une « bouche » qui aspirait les fluides vitaux de ses victimes. En effet, la cavité buccale la plus apparente, située sur la face, avait perdu toute fonction. Elle n’était plus qu’un vestige. S’ouvrant à peine, elle laissait deviner une mâchoire édentée.
Fascinée, soumise à l’influence de la créature, Violetta tarda à éteindre le programme. Ainsi, les enfants purent voir que l’alien, ne parvenant pas à tirer sa subsistance de la marionnette virtuelle, rejeta dédaigneusement celle-ci au loin. Alors, l’être pivota une fois encore et porta son attention sur le trio. Il croisa le regard de Violetta qui, enfin, réagit. D’une vox stridente, terrorisée, elle ordonna.
-IA, fin du programme.
Mais, à l’étonnement de l’adolescente, l’arrêt de la simulation ne fut pas automatique.
-Voyons, IA, obéis!
L’ordinateur finit par obtempérer. L’être de cauchemar s’estompa. Reprenant son souffle, la jeune fille se demanda qui avait bien pu modifier ainsi le programme du conte de Pinocchio et créer une créature aussi horrible et monstrueuse. Elle eut un pauvre sourire destiné à rassurer Isaac et Marie. Violetta venait de comprendre que l’être difforme provenait des conteneurs disparus. Elle frissonna rétrospectivement. Marie se rapprocha de son amie, et, triturant nerveusement sa robe, demanda d’une toute petite voix.
-Tu ne veux pas partir d’ici? J’ai peur, cousine Violetta!
L’adolescente n’eut pas le temps de répondre. Dans le vaisseau, l’enfer se déchaîna. Les enfants, projetés à terre avec violence, roulèrent brutalement et finirent par heurter un meuble de rangement. La houle augmenta. Violetta saisit le danger que tous trois couraient avec les compensateurs inertiels du Langevin en panne.
Alors, ne calculant ni une ni deux, l’adolescente changea d’apparence pour devenir un filet accroché au meuble bureau, retenant ainsi son frère et Marie, les empêchant de recevoir ainsi de terribles meurtrissures.
Cependant, après un laps de temps indéterminé, le vaisseau rétablit à l’intérieur des cabines un équilibre artificiel. Constatant que tout était redevenu normal, Violetta reprit forme humaine tandis que les enfants se relevaient et se tâtaient pour voir s’ils n’étaient pas blessés.
Or, ce fut à cet instant que l’officier scientifique Nadine Lancet entra dans la bibliothèque. Sans un mot, les yeux grands ouverts, elle s’assit devant la console centrale de la salle, puis demanda d’une voix impersonnelle où toute inflexion était absente.
-IA, consultation de la totalité du fonds. Connexion directe à mon cerveau.
Ses mains, mécaniquement, accomplirent les gestes nécessaires afin de recevoir les flots de données en continu, directement dans le cortex.
Violetta eut un mouvement pour alerter Lancet du danger qu’elle courait. Mais, déjà, c’était trop tard.
La jeune femme, sous contrôle mental de l’espionne Asturkruk, ainsi d’ailleurs que tous les officiers en service sur la passerelle, ne pouvait réceptionner le contenu des mémoires de la bibliothèque sans détruire sa matière cérébrale. Évidemment, lorsque les informations arrivèrent et affluèrent, les cellules du cortex, trop sollicitées, s’échauffèrent et brûlèrent, provoquant un court-circuit dans tout le réseau des consoles de la bibliothèque.
Nadine Lancet s’embrasa, son corps dégageant des flammes claires.
Dans un premier temps, malgré les risques, Violetta voulut courir débrancher la jeune femme. Mais son devoir exigeait qu’elle protégeât d’abord les enfants. Toute la bibliothèque flambait, l’incendie s’était propagé à la vitesse de l’éclair et les portes étaient closes et coincées.
Avant de se métamorphoser une seconde fois, l’adolescente appela mentalement au secours. Puis, elle se changea et devint une toile de tente ignifugée sous laquelle Isaac et Marie se réfugièrent.
L’IA, régie par le code à fractales de Paméla Johnson, mit cinq longues secondes à déclencher l’alerte incendie. Mais, il va de soit que le système d’extinction de la pièce ne fonctionnait plus lui aussi!
A l’extérieur, deux mains parvinrent à écarter les battants de la porte. Elles appartenaient à Daniel qui avait choisi de sauver d’abord Nadine Lancet et qui, en chemin, avait capté le message de détresse de Violetta. Il ne pouvait cependant plus rien pour son officier scientifique. De la jeune femme, il ne restait que quelques cendres encore fumantes sur la moquette carbonisée.
Le commandant Wu pénétra en coup de vent dans la salle, l’incendie encore activé par l’appel d’air provoqué par l’issue ouverte. Aussitôt, il chercha les enfants des yeux et ne les trouva pas immédiatement. Il ne vit d’abord, au milieu des flammes hautes qui rugissaient, que les douze terminaux d’ordinateurs à digicodes, qui crépitaient, brûlaient, parcourus par des éclairs bleutés.
Or, l’incendie augmenta encore d’intensité, gagnant toute la salle, portant au rouge puis au blanc les murs de plastacier. Le lieu était devenu une véritable fournaise où l’oxygène était dévoré par les flammes furieuses et insatiables.
Daniel ne pensait pas à lui; il voulait retrouver Marie, Isaac et Violetta. Ses yeux, sa peau, ses vêtements commençaient à brûler. Enfin, il remarqua, loin vers le fond, une tente, objet incongru dans cette bibliothèque. Il comprit et se précipita vers la métamorphe, évitant de justesse un meuble de rangement qui, rongé par les flammes, s’effondrait.
L’adolescente reprit sa forme humaine, secouée par une quinte de toux.
-L’IA est en panne! Réussit-elle à articuler. Sors-nous d’ici, oncle Daniel!
-Je le sais. Je n’ai plus aucun contact avec cette partie de l’intelligence artificielle, lui lança le commandant psychiquement tout en prenant Marie et Isaac dans ses bras. Violetta devant lui, Daniel se dirigea vers la sortie.
Mais il y avait trente mètres à parcourir au milieu des flammes grondantes. Se courbant et zigzaguant, l’adolescente et l’adulte se rapprochèrent tant bien que mal de l’issue . Les poumons de la jeune fille étaient prêts à éclater . Son visage noirci, ses mains lui faisaient mal. Daniel Wu, lui, était plus entraîné.
A la seconde même où, n’en pouvant plus, Violetta allait s’arrêter, renonçant à échapper à l’incendie, elle reçut de plein fouet des jets de poudre anti-feu. La sécurité, commandée par l’éléphantoïde Fftampft, était parvenue sur les lieux. Les hommes, protégés par des scaphandres spéciaux, utilisaient aussi des moyens plus sophistiqués pour éteindre les flammes: des émetteurs ultra soniques qui étouffaient le feu. La félinoïde Shinaaïa reçut Violetta dans ses bras puissants tandis que Fftampft recueillait Marie et Isaac. Le groupe rescapé, pantelant, à bout de force, quitta cet enfer.
A l’autre extrémité du couloir, Daniel se redressa, reprenant sa respiration normale.
-O’Rourke, dit le commandant au médecin qui avait accompagné l’équipe anti-incendie, vous vous assurerez que les enfants n’ont rien.
-Rassurez-vous, monsieur. Ils ne souffrent que de brûlures superficielles. Vous aussi d’ailleurs d’après mon scanner de poche. Néanmoins, je vous demande de me suivre à l’infirmerie.
-Pas le temps, jeta Daniel Wu sèchement. Je dois me rendre immédiatement sur la passerelle.
-Nadine Lancet! Sanglotait Violetta, accroupie, en état de choc.
-Qu’est-elle allée faire à la bibliothèque?
-Elle s’est branchée directement à la console principale comme si son cerveau était celui d’un daryl et… elle a grillé. Rien! Il ne reste rien d’elle!
-O’Rourke, je vous recommande Violetta.
-Oui, monsieur.
Avec douceur, le jeune homme inocula un calmant à l’adolescente. Lorsqu’il releva la tête, Daniel avait déjà disparu, en route pour le centre de commandement du vaisseau. Tout en courant en hyper vitesse, le daryl androïde réfléchissait.
-La mort de Nadine Lancet n’a servi qu’à me détourner de la passerelle. Johnson connaît mes points faibles. Elle sait que je ne puis accepter de sacrifier un membre de mon équipage. En tuant Lancet, elle gagne du temps. Mais, aussi, elle me défie. Elle exécuté mon officier scientifique de la même façon que Thomas Payne, le magnat de l’informatique dans le Xxème siècle bis l’a été par mon double lorsqu’il s’agissait de rétablir le continuum spatio-temporel originel. Quel ordre a-t-elle lancé? La distorsion s’est certes éloignée mais le Langevin reste toujours hors des repères habituels. Oh non! Les perturbations redoublent
Effectivement, le vaisseau s’était mis à tanguer de plu belle comme si personne n’était aux gouvernes. Dans une vision fugitive, toujours connecté à l’IA, mais son contact s’affaiblissant délibérément, Daniel entraperçut le phénomène engendré par les manipulations de l’agent Asturkruk.
Une faille s’ouvrait dans le pan multivers tandis qu’un des panneaux de la passerelle s’abaissait juste devant la console de navigation. L’hyper espace apparut. La pression et l’atmosphère restaient retenues par un champ de contention. Paméla, sans état d’âme, poussait Mathieu dans le vide et le suivait un dixième de seconde plus tard. L’espionne et l’enfant disparurent, engloutis par le pan multivers en train de se ré assembler.
Tandis que la faille se refermait comme si elle n’avait jamais existé, le vaisseau subissait un dernier assaut distorsionnel. Mais le commandant parvint à conserver son équilibre. Lorsqu’il atteignit le corridor donnant accès à la passerelle, il devina plutôt qu’il ne vit Antor qui, lui aussi réveillé en plein sommeil, se rendait au centre névralgique du vaisseau afin de contrer Johnson. Le lien ténu qu’il maintenait mentalement avec son ami avait suffi à le renseigner.
A eux deux, Daniel, qui était repassé à vitesse normale, et l’ambassadeur forcèrent la porte de la passerelle. Ce qu’ils craignaient s’était produit. Les officiers de service gisaient sur le sol, sans connaissance et Paméla Johnson, entraînant avec elle Mathieu, n’était plus à bord.
-C’était cela l’ordre qu’elle avait donné. Elle abaissait les boucliers de sécurité. Ensuite, elle a ouvert le hublot écran d’observation.
-Où a-t-elle sauté? Quand?
-Où? A la rencontre d’une navette qui l’attendait probablement.
-Elle savait que nous étions sur sa piste. Fit Antor amer. Mais elle a paré le coup que nous allions lui porter en prenant ton fils en otage.
-Je ne lui ai pas laissé le choix. Oh! Bouddha! Je suis à gifler!
- Ne te laisse pas abattre.
Daniel ne répondit pas. Il s’assit à la place de Chtuh et reprit le pilotage du Langevin. Immédiatement, le vaisseau retrouva son assiette. Pendant ce temps, Antor refermait le panneau et demandait une équipe médicale d’urgence sur la passerelle ainsi que des officiers du quart Delta.
-Tu n’as pas répondu à toutes mes questions, reprit le diplomate, sa tâche accomplie. Tu es toujours en mode ordinateur…
-Plus tout à fait. Je suis entré en phase de retrait.
Antor hocha la tête, compréhensif. Il savait pourquoi son ami répugnait à s’exprimer. Il était envahi par toutes les toxines qu’il avait gelées durant plusieurs jours. Et la fatigue qui s’abattait sur lui menaçait de le terrasser. Effectivement, Daniel avait les traits tirés et sa mèche rebelle retombait sur son front soucieux. Enfin, hésitant sur les mots, il dévoila ce qu’il savait plus ou moins intuitivement. Il avait choisi ce mode de communication. Antor, saisissant la nuance, coupa aussitôt le lien télépathique, respectant ainsi la pudeur et l’intimité de son presque frère.
- Johnson a sauté dans une harmonique temporelle dérivée, et ce, dans le passé, notre
passé.
- Quel but poursuit-elle?
- Elle vise la Terre du passé. Elle va s’y rendre sans nul doute… Nous avons affaire à une daryl, issue des recherches interdites. Peut-être même s’agit-il d’une descendante de l’Homunculus né des travaux du comte Galeazzo di Fabbrini.
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-Oh! Par les maudits Haäns!
-Sarton a dû être capturé par les Asturkruks dans un passé remodelé. Et le cube de Moëbius n’est plus clos.
-Alors, toute la Galaxie est menacée.
-Pour l’instant, non. Ma seconde mémoire est, certes perturbée, mais le passé, celui que nous partageons ensemble, n’est pas encore modifié. Et cet être, qui tient Mathieu en otage, veut une Voie Lactée dépourvue de la présence de l’Alliance.
-C’est le scénario du complot Haän qui recommence que tu me décris-là.
-Écrit par les Asturkruks, ici.
Quelques secondes de silence suivirent. Puis, le commandant Wu reprit à l’instant même où Sitruk, di Fabbrini, Anderson, Celsiia, Maïakovska entraient.
-La distorsion temporelle a disparu. Johnson l’avait déclenchée. En tant que daryl homuncula elle en a peut-être le pouvoir. Ah! Capitaine Maïakovska, vous avez le commandement du vaisseau jusqu’à nouvel ordre! J’ai des préparatifs à faire.
-Commandant…
-Une réunion se tiendra dans trente minutes en salle de conférence. Je veux vous y voir ainsi que Sitruk, di Fabbrini, Chérifi, Warchifi et Antor.
-A vos ordres, monsieur, fit Irina impassible, comprenant que cet ordre n’était pas à remettre en question.
-Statut du vaisseau: panne de l’IA au niveau des senseurs longue distance et des repères directionnels. Moteurs Alpha 1 et 3 au bord de la rupture. Distorsionnel coupé depuis deux minutes. Statut de l’équipage: huit blessés, Nadine Lancet décédée, Paméla Johnson en fuite avec Mathieu Wu en otage.
-Oh! Par sainte Sophie!
-Veuillez restée professionnelle! Aucune coordonnée n’est fiable. Nous avons été pris par la distorsion et nous ne savons ni où ni quand nous nous trouvons. Seule certitude: l’agent Asturkruk Paméla Johnson vient d’arriver sur la Terre du Xxème siècle bis. Elle a commencé à effacer la mission de Fermat.
-Exact, reprit Antor en confirmant. Fréjac n’est pas mort en Lozère.
-Alors, puisque nous sommes acculés et en état de légitime défense, je vais casser le testament de Franz von Hauerstadt, et enfreindre ainsi le traité de Moweille.
Se levant du poste de pilotage, Daniel Wu quitta la passerelle pour rejoindre ses quartiers. Tandis que Lorenza s’occupait des officiers évanouis, Sitruk prit le siège libéré.

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