A Berlin,

dans un
appartement autrefois cossu, dans lequel les Von Hauerstadt venaient
d’emménager – leurs biens immobiliers venaient en effet d’être saisis par le
Reich – Amélie lisait et relisait la dernière missive envoyée par son aîné. Sur
la tablette de la cheminée, il y avait également d’autres lettres dont deux
émanant de Peter. Le jeune homme s’y épanchait longuement, racontant les
brimades subies au sein de son bataillon. Mais il disait y faire front avec courage.
De toute manière, il n’avait pas le choix, n’est-ce pas ?
Madame la duchesse se
demandait comment soulager les angoisses de son cadet, oui, certes, mais son
esprit était surtout tourmenté par ce qui pouvait survenir à son cher Franz,
son François. Karl, en pyjama, s’en vint s’allonger auprès d’elle.
- Que lisez-vous
donc ? Grinça le duc.
- Des lettres, mon
ami, reçues avant-hier… elles ont mis un certain temps à me parvenir à cause du
changement d’adresse.
- Ah ? Qui vous
a écrit ?
- Peter et…
- Et ce foutu
écervelé, je suppose. Moi, il y a longtemps que je déchire ses lettres… je n’en
ai rien à faire de recevoir des nouvelles de cet… emmerdeur ! Il peut
s’étendre durant des pages et des pages sur sa soi-disant piété filiale, sur
son respect, je n’y crois pas une seconde…
- Karl, après tout ce
temps, vous ne lui avez pas encore pardonné ?
- Non ! Jamais
je ne le ferai.
- Mais Franz a fait
les premiers pas… il a reconnu ses erreurs.
- Baliverne !
Hypocrisie !
- Je vous assure que
vous vous vous trompez… il a été muté là-bas, sur le front russe par…
représailles…
- Un mensonge !
Peter, lui aussi, se trouve en Russie… Songez-vous à lui ?

- Toujours, mon ami…
- Mais vous vous
tourmentez pour l’autre, ce morveux, ce fumier… cet assassin…
- Karl, faites preuve
de davantage de psychologie… Franz a changé. Toutes ses lettres le démontrent.
- Franz par ci, Franz
par là… vous m’agacez… je ne veux plus vous entendre parler de lui… vous
entendez ? Plus jamais ! Hurla Karl avec une colère telle que son
épouse s’inquiéta.
- Oui, Mon chéri… Je
vais vous donner votre pilule…
- Bien… Et jetez-moi
cette lettre…
- Karl, je ne peux
pas…
- C’est ce que l’on
va voir !
Rudement le duc
s’empara des quelques feuilles qu’Amélie tenait entre ses mains, les froissa et
les déchira avant de les jeter dans la poubelle qui se trouvait sous la petite
table de chevet. Puis, s’adressant à son épouse qui essayait de faire bonne
figure, il lui dit d’un ton sans répliques :
- Désormais, lorsque
vous recevrez du courrier, vous me le montrerez d’abord avant de le lire…
- Euh…
- Vous refusez ?
- Je… c’est un abus
d’autorité, Karl.
- Exactement !
Puis, le duc se
retourna et prenant un livre sur sa tablette de chevet, entreprit de le lire,
ignorant sa femme.
*****
Cité souterraine de
l’Agartha. Plateau de tournage numéro 6. Les comédiens Marthe Keller et Claude
Rich

faisaient une pause amplement méritée. La scène précédente avait été difficile à plus d’un titre. En effet, tous, qu’ils fussent acteurs, techniciens, scriptes ou réalisateurs, avaient franchement l’esprit ailleurs que de mettre en boite le feuilleton pourtant suivi par tous les résidents. Personne ne savait ce qu’il était advenu de l’équipe en expédition à l’extérieur de la Cité. Plus aucune nouvelle de Daisy Belle. Birgit,

dont le dernier message avait été des plus laconiques, semblait, elle aussi, en danger. Mais, bon sang, sacré nom d’une pipe ! Que se passait-il donc dans le Temps extérieur ? La preuve que tout allait mal ? le Superviseur lui-même avait été obligé de s’absenter afin de remonter la piste de la délicieuse et chaleureuse Daisy Belle.


faisaient une pause amplement méritée. La scène précédente avait été difficile à plus d’un titre. En effet, tous, qu’ils fussent acteurs, techniciens, scriptes ou réalisateurs, avaient franchement l’esprit ailleurs que de mettre en boite le feuilleton pourtant suivi par tous les résidents. Personne ne savait ce qu’il était advenu de l’équipe en expédition à l’extérieur de la Cité. Plus aucune nouvelle de Daisy Belle. Birgit,

dont le dernier message avait été des plus laconiques, semblait, elle aussi, en danger. Mais, bon sang, sacré nom d’une pipe ! Que se passait-il donc dans le Temps extérieur ? La preuve que tout allait mal ? le Superviseur lui-même avait été obligé de s’absenter afin de remonter la piste de la délicieuse et chaleureuse Daisy Belle.

- A-t-on enfin des
nouvelles ? S’enquit Marthe tandis qu’elle ôtait sa perruque.
- Non… Rien de neuf
depuis hier matin, lui répondit le cinéaste Henri Verneuil.
- Ce silence commence
à être usant, lança Claude, appuyant sa pensée d’une moue significative.
- Est-ce que
quelqu’un, ici, sait pourquoi Birgit et Daisy Belle ont dû ainsi s’absenter de
la Cité ? Demanda Veronika qui faisait office de maquilleuse.
- Pour obtenir des
infos fiables, reprit Claude, il faudrait poser la question à Spénéloss. Mais
je doute qu’il y réponde.
- Les Helladoï sont
si réservés, si discrets. Des tombes, émit Brelan qui vérifiait la tenue de la
robe de Marthe.
- Vous, Louise,
aussi, ironisa Henri.
- Comment cela ?
Qu’est-ce que vous voulez sous-entendre ? S’offusqua la muse de Gaston.
- Je veux dire que
vous devez en savoir plus que nous tous ici, voilà, jeta Henri.
- Je sais simplement
que Daisy Belle et ses amis avaient reçu une mission importante concernant sans
doute la sécurité de notre Cité. Pas davantage… et, à supposer que je fusse
dans le secret des dieux, je ne pourrais en révéler plus.
- Qu’est-ce que
j’avançais ? Ricana le cinéaste.
- En attendant, nous
sommes bien obligés de tourner d’autres scènes où Daisy Belle n’apparaît pas,
constata Marthe.
- Tant que notre
quota est dans la boite, nous ne prenons aucun retard.
- C’est tout à fait
vrai, opina Claude. J’ai vu le planning, du moins le planning modifié. Nous
avons même un peu d’avance sur les prévisions. Alors, pourquoi se faire du
souci ? A ce que j’ai cru comprendre, lorsque le commandant Wu part à la
rescousse, il n’y a pas de casse, non ?
- Vous voulez tous
nous rassurer, souffla Louise de Frontignac. Mais c’est plutôt raté malgré mon
expérience passée car, mon ami, je sens votre inquiétude…
- Oui… Vous avez déjà
participé à des missions extérieures, vous, murmura Marthe.
- Beaucoup d’entre
elles se sont avérées être presque des échecs, proféra Veronika… oh ! Mais
c’est ce que m’a dit Denis… ne vous fâchez donc pas, Louise…
- Je ne suis nullement
fâchée. Cependant, je dois admettre que vous avez raison… en partie.
- Nous discutons dans
le vide, conclut Claude. Cessons de nous ronger les sangs. Les choses vont
s’arranger…
- L’avenir nous le
dira…
Sur ces dernières
paroles, tout disparut… pour se réaccorder, se rerouter… puis, comme si rien de
tout ce qui précèdait n’avait jamais eu lieu, les personnages, les acteurs
reprirent leurs marques et une nouvelle séquence s’amorça.
Dan El était
intervenu et avait remis les pendules à l’heure. Daisy Belle avait été
retrouvée, récupérée saine et sauve et l’affaire sous la Guerre froide réglée.
*****
Les moments de
détente étaient plus que rares sur le front de l’Est. Une énorme pression
pesait sur les épaules des troupes allemandes. Pour Hitler, il fallait
absolument que la ville de Stalingrad tombât.

Son nom était tout un symbole. Si cela arrivait, cette chute signifierait la supériorité définitive du peuple aryen sur ces serviles slaves. De plus, la route des puits de pétrole, de Bakou et de tout le reste serait désormais ouverte aux armées hitlériennes.

Son nom était tout un symbole. Si cela arrivait, cette chute signifierait la supériorité définitive du peuple aryen sur ces serviles slaves. De plus, la route des puits de pétrole, de Bakou et de tout le reste serait désormais ouverte aux armées hitlériennes.
Pour l’heure, la
Wehrmacht menait le siège de la ville avec une résolution et une dureté sans
précédent. Elle réussit à pénétrer dans les faubourgs de l’agglomération pour y
être toutefois bientôt assiégée à son tour. En effet, des troupes fraîches
soviétiques étaient venues en renfort délivrer la ville.
Pour appuyer l’armée
régulière allemande, il y avait les corps de la SS. Or, c’était une sorte de
compétition entre qui commettrait le plus d’atrocités. La haine exacerbait les
crimes, les horreurs et on ne comptabilisait plus les cadavres parmi les
soldats et les civils, quel que fût le camp.
Les combats, rudes,
au-delà de l’entendement au niveau de l’acharnement, de la cruauté, auraient pu
remplir des livres et des livres entiers. A croire que jamais l’humanité
n’avait atteint un tel degré dans l’horreur. Les films gore de la fin du XXe
siècle n’étaient qu’un pâle reflet avec ce qui se déroulait ici. Ils manquaient
d’imagination.
Bienvenue en enfer,
donc…
Les cadavres
s’accumulaient, tous plus mutilés les uns que les autres. Hommes, femmes,
enfants, civils, soldats réguliers, partisans, milices, la Grande Faucheuse ne
faisait pas de différence. Ici, la Mort régnait en maître. Ici, elle était libre
d’aller et venir sans que quiconque s’en offusquât. Ici, toute pitié était
abolie aussi bien que la raison.


A la guerre brutale,
sauvage, inhumaine, se rajoutait une véritable lutte idéologique. Massacres,
fusillades, tortures, éventrations, dépeçages, mutilations, énucléations,
démembrements, enterrements des victimes encore vivantes, expositions au froid,
aux loups, aux charognards, aux corbeaux et aux corneilles, aux rongeurs… des
corps à demi morts, à demi conscients…
Sans état d’âme, les
officiers de la Wehrmacht s’étaient transformés en bourreaux, en chefs
d’orchestre des massacreurs… qui gagnerait la palme dans cette course à la
monstruosité ? L’armée régulière, la SS, l’Armée rouge, les
partisans ?
Destructions
systématiques des villages et de leurs populations s’enchaînaient comme la
sombre noria charriant non de l’eau mais du sang. Comme des convois tractant
des corps blancs, des corps massacrés, mutilés, des troncs, des membres, des
têtes aux rictus terribles, en une ronde qui jamais ne devait s’achever.


Les maisons pillées
et encore pillées, saccagées, brûlées, les terres rendues incultes, vouées à
l’accueil des charognards, les ponts détruits, les routes transformées en
rivières de la désolation, sous un ciel d’un gris laiteux, devenu le couvercle
de la prison de ces damnés, condamnés aux pires souffrances, en l’absence d’une
divinité empathique. Têtes fracassées à coups de crosses, organes exposés à
tous les vents, égorgements, émasculations, seins coupés, yeux crevés, doigts
arrachés, bébés ayant encore le cordon ombilical jetés aux ordures, tombes
profanées, croix renversées, cercueils balancés dans les fossés… oui, ici, on
faisait même la guerre aux morts !


Plus aucun respect
pour quoi que ce soit, pour qui que ce soit.
Par grappes, les
pendus oscillaient sous les rafales d’un vent aigre chargé de neige, répandant
leurs effluves putrides sur des centaines de mètres. Voilà ce qu’était devenue
cette région, un charnier, un immense charnier à ciel ouvert, où l’odeur du
sang tourné, du sang froid, vous saisissait à la gorge, où vos yeux ne savaient
plus où se poser afin d’échapper à ces tableaux dignes de l’Apocalypse, où le
spectacle de la mort se faisait applaudir, où chacun devait faire preuve
d’inventivité dans la façon d’exterminer l’ennemi. Les plus chanceux de ces
promis à Thanatos n’étaient que fusillés. Dans l’autre camp, le bon camp, les
soldats de la Wehrmacht étaient voués à une lente agonie, abandonnés nus et
blessés sur la neige glacée. Mais les Russes capturés n’étaient pas mieux
lotis. Ils étaient pendus par les pieds et exposés toute la nuit par des
températures frisant les – 20°C, leurs plaies suppurantes recouvertes de sel.

-Une
guerre de l’âge des cavernes… oui… une guerre où seule la sauvagerie a droit de
cité, marmonnait Franz le cœur au bord des lèvres, à
bout de tout…

En lui, la conscience
hurlait, la raison chavirait. Devant les massacres ordonnés par le
Sturbannführer Zimmermann, le commandant von Hauerstadt, oubliant toute
retenue, décida de lui cracher au visage ce qu’il pensait de cette foutue, de
cette putain de sale guerre.
Alors, les yeux
rouges, les mains raides, le jeune homme alla trouver cet assassin, ne voulant
pas voir que la Wehrmacht était tout autant responsable de ces crimes que la
SS. Sur la plaine glacée, sous un ciel où les différents tons de gris
devenaient ténèbres, le commandant et le lieutenant-colonel se lancèrent les
quatre vérités à la figure, l’un risquant le peloton, l’autre étant à deux
doigts d’être descendu par le bouillant comte.
- Oberststurmbannführer,
nous ne sommes pas payés comme de vulgaires malfrats, des gangsters sans
conscience pour assassiner ! Nous ne faisons pas la guerre aux enfants que
je sache… pourquoi tous ces petits corps entassés sous les pelleteuses ?
Pourquoi tous ces bébés massacrés ?
Cette scène se
déroulait à l’arrière du front, à seulement dix kilomètres des combats en train
de se dérouler ce matin-là, dans un bureau de fortune, quartier général de
Gustav Zimmermann, dans un ancien immeuble en briques, dont aujourd’hui le toit
crevé laissait deviner le ciel lourd, le ciel pesant et puant. Tous les étages
supérieurs du bâtiment s’étaient effondrés. Au sol, des ballots, des gravats,
des mitrailleuses, des cartouches de munitions, sur la table bancale, des
carnets noirs, un crayon et une lampe à pétrole éteinte.
Dehors, on entendait
le tonnerre des canons crachant leurs obus mais aussi le croassement des
corbeaux à proximité, un chant macabre qui ne s’arrêtait jamais.
- Ah ! Mais… de
quel droit me faites-vous pareilles remarques, commandant ? Quelle mouche
vous pique, jeune blanc-bec ? Vous semblez oublier à qui vous parlez, von
Hauerstadt. Excusez-vous au plus vite, sinon je vous fais fusiller.
- Osez si vous en
avez dans le ventre…
- Un commandant de la
Wehrmacht avec un nom qui se décroche, un uniforme impeccable et qui refuse de
se salir les mains ? Mais de quel livre d’images sortez-vous ? La
guerre vous rend malade, la mort vous fait vomir…
- La guerre telle que
vous la faites, telle que nos hommes la font, oui ! J’ai honte… honte pour
notre armée, honte pour notre drapeau…
- Tss. Tss. Mais nos
soldats éventrés, retrouvés morts, mutilés, enterrés nus dans la neige ?
Il nous faut répliquer… Montrer à ces ordures que nous n’avons peur de rien…
que nous n’avons aucune leçon de courage à recevoir. Ces terroristes veulent
nous voir faiblir, reculer ? Eh bien, ce sont eux qui vont se casser les
dents.
- Œil pour œil, dent pour dent ?
- Inutile de me
sortir l’Ancien Testament, commandant ! Je ne suis pas croyant.
- Bien sûr… ou du
moins votre religion, je la connais, jeta Franz sur le ton le plus sarcastique
qui fût. Mais qui a commencé ? Ces civils, ces vieillards, ces enfants
innocents, ces femmes violées, les seins coupés, ces hommes aux lèvres
tailladées et aux bouches pleines de terre ou de… Non, je ne peux pas le dire…
c’est trop ignoble…
- Quoi ? Vous ne
pouvez pas dire organes génitaux ? Cela vous choque ? Quel sang coule
donc dans vos veines, monsieur le demi-Français ? Du sang de navet… de
l’eau claire… sans nul doute…
- Vous voulez voir
mes blessures, colonel ? Mon dos ? Mais vous ? Où sont vos
cicatrices ? Ah ! Vous n’avez rien à m’objecter tout à coup. Je vous
coupe le sifflet, là !
- Quel ton !
- Je vous parle sur
le ton que vous méritez. C’est nous qui sommes les envahisseurs, c’est nous qui
sommes les premiers coupables. A trois kilomètres de votre bureau, ce matin,
j’ai vu des fossés emplis de cadavres à demi rongés par les vers ou les rats,
je ne sais.
- Oui, et
alors ?
- Des Juifs, s’est-on
contenté de me répondre alors que je m’inquiétais de la quantité
invraisemblable de corps. Ce sont vos hordes criminelles n’est-ce pas qui ont
abattu autant de besogne ? Sur l’ordre de Himmler ?
- Dois-je vous vous
supporter longtemps encore ?
- Ah ! Vous en
avez assez… dans ce cas, qu’attendez-vous pour me jeter aux loups ? Enfin,
entre les mains de vos séides… Vous n’osez pas, vous tremblez… pourquoi ?
Parce que j’ai sorti mon arme ? Vous vous dévoilez, colonel. Mais
rassurez-vous. Je n’irai pas jusqu’à vous descendre, vous tirer dessus comme si
vous étiez une bête malfaisante… bien que l’envie m’en tenaille…
- Pourquoi ? La
crainte du peloton ?
- Non ! Je ne
veux pas m’abaisser à votre niveau d’ignominie, voilà tout. Je ne me suis pas
engagé dans l’armée pour couvrir vos exactions, je n’ai pas signé pour me
métamorphoser en assassin ou en bourreau, colonel. C’est en cela que nous
sommes différents, du moins, je l’espère…
- Vous y viendrez,
Hauerstadt, vous y viendrez… vous n’en avez pas encore assez vu… mais vous
deviendrez comme nous tous ici, lorsque la coupe sera trop pleine…
- Jamais ! Au
fait, hier, où étiez-vous alors que notre armée se battait, alors que j’étais
avec mes hommes en train d’affronter l’ennemi ? Bien à l’abri, ici, en
train de programmer quelque futur massacre… c’est évident… protégé par mille de
vos hommes, savourant un verre de cognac et un bon cigare…
- Espèce de petit
morveux donneur de leçon ! Commandant, il faut bien que quelqu’un fasse
cette besogne de police ! Hauerstadt, j’ai déjà signalé votre tiédeur à
qui de droit à Berlin, votre peu d’enthousiasme pour l’œuvre gigantesque que
mène notre Führer.
- Qu’est-ce que cela
peut me faire ? Vous me menacez ? Vous croyez que je vais revenir à
de meilleurs sentiments ? Allez vous faire foutre ! Votre place est
en enfer. Mais Satan lui-même est trop dégoûté à l’idée de vous y accueillir.
C’est pour cela que vous êtes toujours en vie… Ah ! Mais non !
Suis-je sot… C’est à votre lâcheté que vous devez d’être encore de ce monde.
- Hauerstadt, vous
dépassez les bornes… mais je veux essayer de comprendre… la fatigue, la dureté
des combats d’hier… autrefois, il y a peu, vous étiez un bon soldat, un
excellent officier, bien noté, décoré de la croix de fer… félicité, reçu par le
Führer… que s’est-il passé ?
- Je me suis
réveillé…
- Moi, je dirais que
vous frère Peter a déteint sur vous… le sang pollué de votre mère a fini par
prendre le dessus…
- Je ne vous permets
pas d’insulter ma mère…
- Une Française,
issue donc d’une nation de dégénérés…
- Zimmermann !
- Hum… disons que les mots ont dépassé ma
pensée…
- Ah oui ?
Plutôt parce que je tiens toujours mon Mauser… Vous avez la frousse…
- Mais votre père
dans tout cela ? Que devient-il ? Que pense-t-il de ses deux
fils ? N’a-t-il pas honte de les voir se comporter comme de mauvais
Allemands ?
- Le duc von Hauerstadt
déteste la violence, toute forme de violence…
- Depuis quand ?
S’il m’en souvient, il y a eu des von Hauerstadt sous les Croisades ? Ils
s’y sont particulièrement illustrés d’ailleurs… C’est là qu’ils ont été
anoblis.


- Je n’ai rien à dire
sur ce point…
- Evidemment,
commandant. Mais pour en revenir au sujet principal, ma mission est une mission
de salubrité publique, peu agréable, peu gratifiante mais nécessaire. Alors, un
dernier conseil. Ne revenez plus me donner la leçon, car…
- Car ?
- La prochaine fois,
je vous envoie dans le fossé en face…Sans procès aucun. J’ai carte blanche du
haut état-major. Compris ?
- Vous vous défilez…
avec art, je le reconnais, mais vous vous défilez malgré tout. Oh ! Une
dernière chose… un détail… vos galons ? Où les avez-vous gagnés ? A
l’arrière, comme d’habitude ? Vos fesses confortablement assises sur une
chaise en bois ou en velours, en train de comptabiliser vos meurtres ?
- Petit fumier de
comte !
- Moi, je m’en
retourne combattre, risquer ma peau pour le Grand Reich… je ne vous dis pas Heil Hitler, puisque vous savez
pertinemment que je n’en pense pas un mot !
Franz quitta
Zimmermann sidéré, claquant la porte derrière lui. Tout en marchant d’un pas
vif, il murmura en français :
- Sale ordure !
Va brûler en enfer avec ton idole !
*****
23 Octobre 1942.
A El Alamein, Rommel
était battu par le général britannique Montgomery.
Quelques semaines plus tard, le 8 novembre plus précisément, débutait l’opération Torch en Afrique du Nord. Puis, entre les 18 et 19 novembre, sur un autre champ de bataille, la contre-offensive d’hiver des Russes était déclenchée.

Quelques semaines plus tard, le 8 novembre plus précisément, débutait l’opération Torch en Afrique du Nord. Puis, entre les 18 et 19 novembre, sur un autre champ de bataille, la contre-offensive d’hiver des Russes était déclenchée.
Pris sous un déluge
de fer et de feu sans précédent, les Allemands ne parvinrent pas à faire face à
celle-ci. Rue par rue, immeuble par immeuble, sous une averse continue de
bombes et d’obus, de rudes combats eurent lieu tandis que ça tirait de partout,
au son de la canonnade, de la mitraille, des bazookas, des orgues de Staline,
sous un ciel bas et empli de fumée.
Lentement mais
sûrement, les armées de Hitler étaient repoussées, bientôt encerclées par de nouveaux
renforts russes.
Stalingrad sous le
feu nourri des bouches d’acier de centaines de milliers d’hommes, sous la neige
et sous la cendre, dans le froid et dans le vent, odeurs pestilentielles
charriées par vagues, cris et hurlements, blessés laissés pour morts, injures
et insultes à Dieu, lâcheté et courage, atrocités et abnégation, ruines où la
grande maîtresse de toute chose, Madame la Mort se tenait en embuscade, où les
toits des maisons dissimulaient l’ennemi tapi derrière une cheminée, où les
souterrains eux-mêmes pouvaient être meurtriers.
Des corps meurtris,
abandonnés, des cadavres violacés, défigurés tandis que même les corbeaux
avaient déserté cet enfer. Entonnoir antichambre de l’horreur.
Plusieurs hommes
appartenant à la compagnie du commandant von Hauerstadt étaient prisonniers
sous les décombres d’une maison bombardée dont les ruines branlantes menaçaient
de s’écrouler. Parmi ces soldats, il y avait le lieutenant Hermann Schiess.
Alors que ça canardait de partout, qu’un tir nourri des Soviétiques barrait
tout accès à ce bâtiment, que les snipers se tenaient dissimulés qui, à ce qui
restait d’une fenêtre, qui, derrière un pan de mur, qui, dans un creux, Franz,
au mépris du danger, plus téméraire que jamais, se faufila et rampa jusque vers
ses frères d’armes alors que le lugubre et caractéristique chant des balles
s’en venait siffler à ses oreilles.


Bien qu’il reçût un
éclat de shrapnel dans le dos, le jeune officier, ignorant délibérément la
douleur qui le lancinait, parvint, en dépit du feu qui ne cessait pas, à
arracher du piège mortel quinze des soldats survivants de son régiment. Par les
caves en enfilade, portant sur ses épaules Hermann inconscient, salement sonné,
montrant le chemin au petit groupe aux yeux hallucinés, il ressortit vivant de
la nasse. L’uniforme souillé de plâtre et de sang, le casque ou la casquette
laissé sur le champ de bataille, les seize Allemands s’enfuirent ensuite par
une ruelle pourtant sous la mitraille continue des Russes. Jouant de bonheur,
ils rejoignirent d’autres soldats hitlériens et malgré le feu qui ne voulait
pas marquer une pause, se tarir, tous ou presque se retrouvèrent à l’extérieur
de la ville assiégée mais aussi, hors de portée des troupes ennemies.
Le commandant von
Hauerstadt, auteur de cet authentique exploit avait désormais à son actif le
sauvetage de quarante-deux hommes. Cependant, une dizaine de cadavres allemands
marquait le cheminement sanglant, assassin, vers les faubourgs de Stalingrad.
Ensuite, ces soldats
en déroute, mais conduits par un chef d’exception, à la suite de plusieurs
jours de chassés-poursuite à travers la plaine enneigée, sous la bise glaciale,
haves, grelottant de froid, dans la brume hallucinatoire engendrée par la soif
et la faim, manquant d’armes et de munitions, ne dormant que d’un œil -
lorsqu’ils y parvenaient, au risque de ne pouvoir se réveiller au petit matin -
atteignirent un village encore aux mains des troupes hitlériennes.
Les Allemands
espéraient une éventuelle contre-offensive, de nouveaux ordres du Führer avec,
bien sûr, des troupes fraîches. Or, le dictateur était dans l’impossibilité de
fournir tout cela. Franz, quant à lui, ne se faisait aucune illusion. Hitler
avait bel et bien et perdu Stalingrad et perdu l’URSS.
*****
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