vendredi 22 janvier 2010

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 32 partie 1 : Les procédures de contact avec l'antique vaisseau Hellados...

Les procédures de contact avec l’antique vaisseau Hellados avaient été respectées. L’Haarduck établit la communication audiovisuelle avec le Langevin. Sur l’écran tridimensionnel de la salle de commandement, Irina identifia le Sinkar Albriss en personne. En effet, les archives du Langevin possédaient des portraits de l’extra-terrestre : l’homme était grand, les traits ascétiques, et sa peau présentait une couleur bistre tirant sur le marron. Les Helladoï noirs représentaient 40 % de la population.
De son côté, le capitaine de la flotte d’Hellas marqua sa surprise de voir une humanoïde de type inconnu s’adresser à lui dans sa langue natale, sans la moindre faute d’accent. Après les salutations formelles, Albriss osa demander :
- Vous et les vôtres, êtes-vous en difficulté?
- Sinkar Albriss, dit Irina, effectivement, mon vaisseau de l’Alliance des 1045 planètes, qui a pour nom le Langevin, se trouve hors de ses repères habituels.
- Sin Kara, constata l’Hellados, vous parlez une forme légèrement altérée de ma langue. Cela m’étonne au plus haut point, car mon peuple, qui parcourt l’espace interstellaire depuis tantôt cinq cents cycles, n’a pas encore eu l’heur de rencontrer votre espèce.
- Cela est normal, capitaine. En années standard de mon époque, il s’en faut de 750 de mes années. Voyez-vous, je suis originaire de la planète Terra. Mais mon vaisseau et moi-même venons du futur. Quant à vos experts scientifiques, ils ne se sont pas encore intéressés à mon monde qui leur paraît peu civilisé. Et si je dois en révéler davantage, je vous demanderai une entrevue face à face, dans votre bureau. Vous pouvez avoir toute confiance en moi, car je me rendrai seule à votre bord sans aucune arme.
- Volontiers, Sin Kara. Cependant, il m’a semblé reconnaître parmi les membres de votre équipage une représentante Castorii. Votre espèce aurait donc fait alliance avec ce peuple vindicatif et guerrier?
- A mon époque, les Castorii se montrent des alliés fidèles conduits par l’honneur.
- Je veux bien vous croire, Sin Kara. Vous serez toujours la bienvenue à bord de mon vaisseau. Mais qui me garantit que vous n’userez pas de ruse avec moi? Peut-être après tout disposez-vous d’une technologie offensive que j’ignore.
- Sinkar Albriss, répondit Irina. Je vénère Vestrak, les miens aussi. Le pacificateur d’Hellas est connu de toute la galaxie. La cause est suffisante, a-t-il dit un jour, accordant le pardon à un ennemi qui avait voulu l’assassiner. Confondu, ce dernier devint son plus fidèle collaborateur. Dois-je le nommer? Albriss. Vous portez le même nom, car vous descendez en ligne directe de ce noble guerrier.
- Vous savez sur ma civilisation beaucoup de choses, Sin Kara. Vous êtes donc la bienvenue à mon bord ; je vais donner l’ordre à mon premier lieutenant de préparer une navette de transbordement.
- Je vous en remercie du fond du cœur, Sinkar Albriss, reprit Maïakovska, mais ne vous donnez pas cette peine. Communiquez-moi l’emplacement précis de votre bureau, et je m’y télé porte directement.
- Télé…porte?
- Oui, bien évidemment, mon vaisseau vous est supérieur en technologie et en armement. Il m’aurait suffi d’un signe…

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Irina s’était donc télé portée dans les quartiers personnels d’Albriss. Respectant les rites d’accueil, le capitaine Hellados avait présenté à la jeune femme, tout à fait respectueusement, le breuvage national de sa planète, une sorte d’infusion au goût âpre et amer, appelée « thé » par commodité. C’était une décoction de pollen d’un chèvrefeuille local, à l’odeur puissante, très revigorante.
La Russe, à qui son époux avait enseigné le cérémonial à suivre dans ce cas, ne commit aucune erreur. Quant à Albriss, qui d’habitude, affichait la plus grande impassibilité, il avoua son trouble.
- Sin Kara, je ne connais point votre peuple, mais vous respectez nos coutumes à la perfection. Comment cela est-il possible?
- Je vais répondre, seigneur Albriss. Mais ne m’appelez point Sin Kara. Chez les miens, ce grade correspond à celui de commandant. Je ne suis que capitaine, et je commande le Langevin par intérim.
- Soit, expliquez-vous, capitaine.
- Je vais tâcher d’être brève et de résumer. Comme je vous l’ai déjà déclaré, mon vaisseau vient de l’avenir, à une distance de 5000 cycles. Je sais que vos astronomes ont déjà découvert notre système solaire. Dans cinq cents cycles, vos explorateurs scientifiques y enverront des sondes, puis des expéditions humaines dans 3000 cycles. Vous êtes capables de dépasser la vitesse de la lumière, mais guère plus. J’en viens aux faits. Après des péripéties trop longues à raconter ici, mon vaisseau et mon équipage nous retrouvons coincés dans ce passé lointain. Certes, le Langevin atteint des vitesses relativistes qui pour vous sembleraient impossibles, mais encore faut-il qu’il ait à sa disposition des cristaux d’orona intacts - Irina avait employé le terme helladien qui remplaçait celui de charpakium -, à un degré de pureté élevé, et en quantité suffisante. Mes synthétiseurs pourraient en fabriquer, mais ils ont été bien trop sollicités et je tiens à les ménager.
- Capitaine Maïakovska, je comprends. Vous me demandez de vous fournir ces cristaux.
- Tout simplement de nous signaler les planètes où on en trouve à l’état naturel dans ce secteur. Mes ingénieurs pourront toujours les enrichir.
- A ma connaissance, il n’y a aucune planète qui ait de l’orona à l’état natif dans ce système. Il faudrait que l’Haarduck se détourne de sa route et se dirige vers Angula à 7,4 années lumière. Ce système contient sept planètes, et la deuxième est une bonne source d’approvisionnement pour nos vaisseaux.
- 7,4 années lumière, ce qui correspond à 10 années lumière en convertissant en mesures terrestres. Envisageable. Mais il va nous falloir plusieurs mois pour nous y rendre!
- En forçant nos moteurs, nous pourrions atteindre la planète en un dixième de cycle.
Irina fit un rapide calcul mental.
- Cinq mois? Je n’ai pas le choix. Sinkar, j’accepte. Mes ingénieurs viendront renforcer les superstructures de votre vaisseau.
- Entendu. Changeons de sujet. Et maintenant, capitaine, pourriez-vous m’expliquer la présence de cette Castorii sur le Langevin?
- Si vous me promettez, Sinkar Albriss, par les flammes de Stadull, de garder le secret.
- Décidément, vous connaissez les miens! Mais je respecte les coutumes de mon peuple! Que mon cœur soit réduit en cendres si je faillis à ma parole!
- A mon époque, commandant Albriss, presque tous les peuples de la galaxie se sont unis, y compris les Castorii auxquels vos descendants ont pardonné depuis longtemps.
- Je m’en réjouis.
- Dans cette alliance, il y a bien sûr les Helladoï, mais aussi les Otnikaï, les Castorii, les Kronkos, les Marnousiens, les Cygnusiens et bien d’autres encore.
- Une alliance de 1045 planètes!
- Plus précisément 1053, mais l’Empire est connu sous ce nom là.
- Qu’en est-il des Odaraïens?
- Espèce éteinte dans 5000 cycles. Cela ne signifie pas cependant que la galaxie soit devenue une avenue très sûre.
- D’accord. Cette forme légèrement altérée de ma langue que vous parlez…
- Tout langage évolue. En tant qu’officier supérieur de l’Alliance, je pratique les langues de nos amis les plus fidèles.
- Dame Maïakovska, mon équipage, mon vaisseau et moi-même nous mettons à votre service. Avez-vous des provisions en quantité suffisante? Nos médecins pourraient également vous prêter main forte, à condition que notre savoir ne vous paraisse pas trop archaïque
- J’accepte de tout cœur votre offre, et ce d’autant plus que nous avons subi de nombreuses attaques. Malgré la très haute qualification de mes médecins, j’aimerais volontiers bénéficier de l’aide d’assistants Helladoï.
- Votre serviteur, Dame Irina Maïakovska.
Albriss se leva et avec grâce, s’inclina devant la jeune femme.

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Le bordj se retrouvait donc cerné par une montagne d’eau phénoménale ; quant au Touareg Inuit, il avait disparu, tout simplement. Secouant violemment Fermat, Uruhu réussit à tirer le commandant de son rêve. André grogna de mécontentement. Mais, soldat endurci jusqu’au bout des ongles, il comprit qu’on ne le réveillait pas pour rien. L’adolescent néandertalien désignait d’un doigt tremblant l’énorme masse d’eau qui menaçait d’ennoyer le fortin avec des grondements dantesques. Aussitôt, Fermat se mit debout et ordonna :
« Urgence 1! »
Daniel Wu et Benjamin Sitruk réagirent instantanément. Bousculant les civils, les deux hommes les réveillèrent brutalement :
« Ô, Dieu de mon père! Fit Violetta. Nous sommes fichus! »
Inexorablement, la menace se rapprochait. L’océan en furie ravageait tout sur son passage telle une divinité immémoriale courroucée. Déjà, l’enceinte du fortin avait été avalée.
- Une seule solution s’offre à nous, dit Daniel avec un calme remarquable. Traverser avec nos tenues de survie. Capitaine, vérifiez les masques à osmose.
- Quelles tenues de survie? S’exclama Marie André qui s’agitait autour de ses affaires. A ma connaissance, nous n’avons qu’un scaphandre ; or, j’ai abandonné dans votre vaisseau l’appareil de pompage. A vrai dire, je croyais que vous en disposiez en plus perfectionné. Voyez-vous, j’escomptais une expédition comme celle du prince de Monaco.
- Delcourt, cessez donc de discourir dans le vide, répondit sèchement Daniel. Mettez plutôt ce masque!
Le daryl lui tendit un minuscule carré transparent, qui, au contact de la peau, s’étendit jusqu’à englober tout le visage. Toutefois, le jeune homme respirait normalement.
- A ton tour, Violetta! Reprit le commandant Wu. Tu dois avoir une tenue en double dans ton sac à dos. Vérifie.
- Oui, en effet. Qu’est-ce que j’en fais?
- Tu la donnes à Aure-Elise.
Marie s’inquiétait, non pour elle, mais pour les animaux.
- Papa, et Bing, Ufo et Gllump, ils vont mourir étouffés! On n’a rien prévu pour le singe!
- Ma petite, rassure-toi. Je crois que l’orang-outan est capable de se passer de la combinaison et du masque respiratoire.
- Ah, et pourquoi donc? Questionna Mathieu.
Ce fut Fermat qui lui répondit :
- Il fait partie de ce monde.
- Certes, mais il reste encore le problème du chien et du chat, rappela Marie.
- Décidément, nous nous sommes encombrés d’une véritable arche de Noé, souffla Fermat. Pour préserver les animaux, il nous suffit de les plonger en animation suspendue.
- Pas plus d’une heure, oncle André! Rappela Violetta. Nous ne sommes pas outillés pour les ranimer facilement.
Fermat se contenta de hausser les épaules car le temps, qui comme à loisir, s’était amusé à ralentir son cours, reprit un écoulement plus rapide. Van der Zelden s’amusait aux papotages de ses marionnettes. Il se délectait de leurs propos, les dégustait, les humait, tel un vieux vin au bouquet nonpareil.
Finalement, le mur d’eau n’était plus qu’à quatre mètres de nos égarés. En rechignant, Uruhu avait revêtu la tenue de survie. Cependant, il ne manifesta aucune panique lorsqu’il vit le commandant Wu pénétrer résolument à l’intérieur de la masse aquatique. La pression y était élevée, quoique relativement supportable, atteignant 12 atmosphères. D’un signe, Daniel fit comprendre de régler au maximum le scaphandre peau. L’orang-outan entra le deuxième dans l’eau, commença par tousser, puis, miraculeusement, parvint à respirer comme s’il était muni de branchies. Peut-être était-il amphibie, après tout!
Ufo et Bing, enveloppés précautionneusement dans des couvertures spéciales, endormis, n’avaient besoin de respirer de l’oxygène qu’une fois par heure. Daniel Lin pouvait se passer parfaitement de la tenue de survie, car, même dépourvu de ses talents d’androïde, il lui restait son entraînement extrême subi pendant des années. Ainsi, il pouvait passer des profondeurs abyssales aux crêtes déchiquetées de Terra Nova dont les sommets culminaient à 20000 mètres d’altitude sans dommage aucun.
Benjamin fermait la marche, avec Marie André et Aure-Elise à ses côtés. Freiné par sa blessure, les premières minutes de nage ne furent pas faciles pour lui. Pour l’instant, la faune aquatique brillait par son absence.
Hélas, cette illusion confortable et rassurante ne dura pas! Sans transition, une véritable floraison de formes de vie éclata, « explosion cambrienne » à la sauce Johann!
Désormais, des algues pourpres carnivores flottaient près de nos amis, s’agglutinant en une danse reptilienne hypnotique autour d’araignées de mer géantes qui se retrouvaient ainsi piégées. Sur la gauche, une théorie de requins s’approchait dangereusement. Parmi ce bestiaire, il y avait des Wiwaxia, limaces cuirassées du Cambrien, des Anomalocaris affamés
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qui, avec leurs appendices mobiles, saisissaient furtivement des trilobites et les broyaient pour s’en nourrir.
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Cependant que nos amis progressaient tant bien que mal, la faune fantastique se diversifiait sous la houlette capricieuse de l’Ennemi. Ah, si la troupe avait eu le temps de s’émerveiller! Des crevettes aveugles de grande taille et des poissons géants translucides dépourvus d’yeux, leur front comportant un fanal phosphorescent, nageaient de concert avec le groupe de tempsnautes. Ces animaux des profondeurs abyssales présentaient un piètre aspect, fort repoussant, avec leurs dents énormes qui saillaient de leur gueule. Droit devant le groupe, à demi ensablés, des Euryptérides, scorpions aquatiques colossaux, guettaient leurs proies.
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Soudain, à la droite de Marie André, jaillirent, inattendus, d’énormes poissons globes,
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les fameux fugu à la chair empoisonnée. Leurs dos hérissés de pointes menaçaient le jeune homme. Naturellement, Delcourt commença par paniquer. Tout en étant bon nageur, il n’était pas préparé à affronter ce qu’il voyait. C’était pourquoi il n’avait pas pris garde à ses jambes qui maintenant, se retrouvaient prises dans des algues, algues qui s’attaquaient à sa combinaison protectrice. N’osant demander de l’aide, il eut le réflexe malheureux de sortir de sa tenue un couteau dentelé ainsi qu’un harpon fabriqué par Uruhu. Daniel, qui se retournait pour voir comment progressaient ses compagnons, avisa juste à temps le geste de l’étudiant. Ondoyant à une vitesse surhumaine, le daryl se saisit du jeune homme avec force. L’étreinte des algues pourpres se relâcha mais d’une manière si brutale, qu’à son tour, entraîné par le poids de Marie André, Daniel tomba sur le sol sous-marin, soulevant un nuage de vase, vase si épaisse qu’elle en rendit invisibles les eaux avoisinantes. Dérangée dans son sommeil, une huître perlière d’une taille remarquable, approchant celle d’un Bénitier, ouvrit alors sa coquille béante. Elle se mit à aspirer les particules alentours pour les filtrer et s’en nourrir ensuite.
Une poignée de secondes, le commandant Wu et Delcourt parurent impuissants, attirés par ce flux. Ignorant son épaule endolorie, Benjamin intervint témérairement. S’emparant du harpon abandonné par Marie André, il le lança avec une adresse remarquable en direction de l’huître. L’arme pénétra dans la chair et la nacre du mollusque bivalve. Blessé, l’animal referma aussitôt sa coquille. Cependant, un autre danger se profilait.
Imitant les coquilles Saint-Jacques, le monstre se mit à bondir avec frénésie, soulevant encore plus de vase. L’eau devint si opaque que plus personne ne sut où il se trouvait. Nos amis s’égarèrent, car il était absolument impossible de se repérer au soleil. Toutefois, les fugu s’étaient évaporés, c’était la bonne nouvelle.
Durant cinq bonnes minutes, chacun de nos égarés du temps marcha ou nagea au hasard. Lorsque enfin, l’opacité se dissipa, Violetta s’aperçut avec angoisse qu’elle faisait face à une araignée de mer de trois mètres de diamètre, un prédateur muni de pinces acérées.
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Les adultes étaient hors de portée. Le crustacé agitait ses pièces buccales frénétiquement, de même que ses palpes ; il était prêt à happer l’adolescente, afin de la mastiquer. Son épaisse carapace le protégeait. Uruhu, pas si éloigné de la jeune fille, trop effrayé par ce monstre inconnu, n’osait lui porter secours. Il surveillait d’autres prédateurs plus classiques : des murènes, des longues anguilles verdâtres, des méduses, et d’autres animaux fort mystérieux à ses yeux, tels que des vers annelés gigantesques, des éponges titanesques, des anémones plus ou moins agressives, des mille-pattes marins à sclérites aux yeux à facettes disséminés sur les flancs, des lys de mer métallisés,
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capturant continûment poissons et crustacés, des agnathes primitifs cuirassés et venimeux, et ainsi de suite.
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Violetta s’en tira d’extrême justesse grâce à de nouveaux phénomènes physiques qui lui sauvèrent la vie à court terme, mais bien dangereux…
Ce fut sans doute la combinaison de survie de nos héros, - encore que pour l’Orang-outan! -, qui les empêcha de ressentir immédiatement les modifications physico chimiques importantes de l’eau : augmentation de la température, de l’acidité, de la salinité mais parallèlement, fluide de moins en moins liquide s’épaississant davantage à chaque seconde qui passait.
Désormais, le groupe nageait dans une eau à la fois bouillante, acide, gélatineuse et sulfurée, ce qui eut raison de la faune mosaïque. Périrent en nombre les poissons, les bivalves, les mille-pattes. L’araignée de mer eut sa coque dissoute et sa chair rongée et ébouillantée. Des crustacés rougis éclataient, abandonnant des débris d’exuvie, tandis que les requins crevaient, le ventre en l’air. Des coquillages, ces merveilles du Cambrien, devenues charognes hideuses, remontèrent à la surface, telle une éclosion de fleurs mortifères dégageant une puanteur digne de la cloaca maxima.
Cependant, tous ces débris organiques nauséabonds indiquaient le moyen de sortir de ce piège. Il était temps pour nos héros car leurs combinaisons s’endommageaient et il s’en fallait de quelques secondes pour qu’ils fussent condamnés à mort. Parallèlement, le poil de l’orang-outan collait et fumait.
Remonter, le plus vite possible, quoiqu’il en coûtât! Tant pis si en chemin, on heurtait malencontreusement les milliers de poissons et de méduses morts. Johann s’amusait à simuler l’effet des rejets industriels dans l’océan, transformé en mélasse, à la suite de marées noires à répétition.
Il était évident que tous nos nageurs risquaient de finir englués, prisonniers de cette gangue visqueuse mélangeant hydrocarbures lourds, acide sulfurique, marais stagnants putrescents et lave de dorsale océanique en fureur! En remontant dans un élan désespéré, oubliant presque de respirer, le groupe croisa encore des cadavres composites incroyables de chimères, provenant des profondeurs abyssales : moines de mer à l’abdomen gonflé, en partie humains,
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restes de kraken rongés, Asturkruks et anguilles mêlés, Architeuthis,
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baleines à bras (!) et sirènes, qui présentaient les traits de l’ex lieutenant Johnson.
Las but not least, nos rescapés émergèrent sales, épuisés, meurtris, gluants mais vivants, de cette soupe immonde. Tous recherchaient un air pur qu’ils quêtaient avidement. Cependant, à bout de forces, l’orang-outan haletait bruyamment, sa respiration sifflante et douloureuse, son poil mazouté et souillé. Le malheureux Gllump surnageait avec difficulté. Bien qu’il éprouvât une répugnance certaine, Fermat commença à pratiquer sur le simien la respiration artificielle.
Pendant que le commandant opérait, il se laissait porter par le remous ainsi que ses valeureux compagnons. Le ressac conduisit les survivants sur la rive d’une pénéplaine tranquille, totalement arasée par les ères géologiques virtuelles qui s’étaient succédées. A perte de vue s’étendait une herbe rare, jaunie et sèche. Aussi loin que le regard portait, aucune aspérité. Partout, la désolation, l’absence apparente de vie. Pourtant, en abordant la terre ferme, nos amis y découvrirent des centaines de cercles de pierres. Aucun autre élément de notable. D’où provenaient ces cercles? Qui les avait édifiés, dans quel but?
Une fois étendus sur la plage de sable blanc et fin, nos héros, harassés par leur équipée, évitèrent de dresser le bilan de leurs aventures. Miséricordieux, le sommeil s’empara d’eux brusquement. Toutefois, l’équipement de survie était perdu, englouti au fond des abysses de cette eau marine saugrenue.
Un temps indéterminé s’écoula, qui n’eut aucune prise sur les intrus. Finalement, ils sortirent de leur inconscience, leur fatigue évaporée, nullement inquiets de leur situation, comme si leurs émotions s’étaient engourdies ou avaient été abandonnées au fond du piège marin. A l’orée de la plaine, une table se dressait, abondamment garnie de victuailles. Des fumets délicieux chatouillaient les narines de nos affamés.
- Décidément, notre tortionnaire sait vivre! émit Daniel sarcastiquement. Il joue les hôtes accomplis avec un cynisme rare.
- En fait, il s’amuse avec nous comme si nous n’étions que des cobayes, compléta Fermat.
- Quant à moi, soupira Delcourt dont le ventre gargouillait bruyamment et inélégamment, j’ai trop faim et trop soif pour dédaigner cette bonne chère!
Violetta ne fut pas la dernière à s’installer. Elle avait cependant pris la précaution de s’assurer comment se portaient les animaux. Maintenant, tout en savourant une omelette aux fines herbes mousseuse à souhait, elle s’exclamait :
- On peut dire tout ce qu’on veut de ce type malfaisant et sadique, mais il a des manières de gentleman! La preuve, il n’a pas oublié les gamelles pour Bing et Ufo. A ce qui me semble, ça ne provient pas d’une boîte de conserve.
- Bah, il se moque de nous, tout simplement, répliqua Benjamin. Van der Zelden connaît les faiblesses des êtres vivants et il retarde à plaisir la « hora de muerte ».
- Oui, et alors? Tu en profites en cet instant!
- Violetta, j’ai le choix! Ou me laisser périr de faim par orgueil, ou accepter mon sort!
- Papounet, nous sommes les pions d’un jeu de rôle à échelle cosmique!
- Un jeu de rôle?
- Dans les livres pour enfants et dans les cartes publiés à la fin du XX e siècle, dans la première histoire, celle où Sarton avait échoué, tu devais te mettre dans la peau d’un des personnages du récit. Selon les chiffres que tu obtenais avec une paire de dés, tu étais prisonnier à l’intérieur d’un labyrinthe ou encore, tu te retrouvais dans une caverne sombre. Ensuite, pas peinard du tout, tu devais affronter maints adversaires : des dragons tous plus dangereux les uns que les autres, des cyclopes, des lutins, des sorciers, des « packman », des chevaliers fous et j’en oublie!
- Intéressant!
- Ce qui l’est davantage, c’est-ce faisan aux morilles. Délicieux! Se pourlécha Marie André.
- Et nos bêtes? S’enquit Mathieu.
- Ne t’inquiète pas, grand frère, dit Marie de sa voix gentille. Ufo s’est gavé à la vitesse grand v! Là, il dort en boule à mes pieds. Quant à Bing, il est en train de faire un sort au jambon fumé.
- Avez-vous remarqué, reprit Sitruk, combien Gllump a vite récupéré? Son poil présente un lustre remarquable ; et il savoure les papayes et les litchis présents sur la table.
- Il ne s’agit pas là d’une générosité gratuite, rappela le commandant Wu. Ce trait de caractère est étranger à Johann. L’orang-outan nous accompagne toujours. Il doit avoir son utilité dans le plan de l’Ennemi. Quoique…
- Vous avez sans doute raison, Daniel, répondit Fermat. Van der Zelden nous force à poursuivre.
Violetta, enfin rassasiée, observait, curieuse, l’étrange décor qui les entourait.
- Les adultes, regardez! Quand on évoque le loup, inévitablement, il finit par sortir du bois! A propos des jeux de rôles, voici des personnages qui correspondent parfaitement à ces vieilles lunes. Ils sont apparus sans coup férir. Je suppose qu’ils sont les gardiens du nouvel obstacle.
Effectivement, trois nouvelles créatures venaient de surgir de nulle part. Leur aspect présentait un côté pour le moins surnaturel. Visiblement, il s’agissait d’êtres mosaïques hétérochroniques, sortis tout droit des spéculations d’un mathématicien déjanté du style du fameux Mandelbrot-Kolmogorov du XXIe siècle! Il fallait y rajouter la touche supplémentaire d’un artiste de la Renaissance, le célèbre Arcimboldo. Ainsi, le premier des gardiens des cercles de pierres rappelait les tableaux du peintre maniériste italien du Cinquecento.
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Cependant, au lieu d’incarner une seule saison, il les figurait toutes les quatre. C’était pourquoi il apparaissait en même temps et simultanément comme un arbre dénudé, une foisonnante floraison du printemps à laquelle il ne manquait que les senteurs exquises, une fructification d’un mois d’août chaud et ensoleillé, quelques champignons automnaux et vignes rougissantes des vendanges. Cet être protéiforme était cerises et poires, curcubitacées, noix et amandes, renoncules et coquelicots, pied de loup et perce-neige, lupin et œillet, azalée et jonquille, ampélopsis et volubilis, aiguilles enneigées de sapin et feuilles mortes de platanes emportées par le vent aigre de novembre, pastèque striée et pêche parfumée, stalactite de cristal et framboise sauvage (ad libitum pour le lecteur imaginatif).
La deuxième créature affichait un aspect encore plus baroque si possible, comme si elle avait été la victime privilégiée de la tactique Formica des Asturkruks. Elle dévoilait donc à l’envi des parties de corps fœtales, fossiles, juvéniles, en putréfaction ou encore adultes voire hyper adultes… L’oeil gauche se formait à peine, avec une pupille tout juste identifiable, la paupière absente non encore dessinée, tandis qu’au contraire, son pendant droit souffrait de la cataracte et se voilait. La bouche était soumise au même phénomène : dents de lait apparentes au maxillaire inférieure, lèvre supérieure édentée. Les doigts de l’être se déformaient sous l’arthrite et se reformaient conformément à l’embryogenèse ; ainsi, des phalanges de squelette côtoyaient des bourgeons palmés de fœtus d’un mois et demi, un index boudiné d’un bébé rieur se tendait à l’opposé d’un annulaire déformé par les rhumatismes d’un très grand vieillard.
Le troisième monstre ressemblait à une créature née dans un autre univers et un autre temps : un nain de boue néo Maya du Popol Vuh que l’agent terminal Michaël avait voulu sauver de l’extinction. Mais la troisième civilisation post atomique de la chrono ligne 1720 devait disparaître pour laisser la place aux S. La face de la statue vivante était à peine ébauchée. Cela ne l’empêchait point de dessiner un oh d’étonnement. Son crâne revêtait bien l’aspect caractéristique d’un Maya, le chignon arrière artificiellement allongé par le port durant l’enfance d’une coiffe en bois ; des plumes d’ara constituaient sa tunique de dignitaire.
http://artbypudewa.com/Sculpture%20of%20the%20Copan%20Maya_clip_image010.jpg
Ce fut le nain de boue qui prit la parole, mélangeant le nahuatl et le dialecte Maya Quiché.
- Téméraires pérégrins! Le temps est venu pour vous d’affronter les cercles! Qui se dévouera le premier? Qui tentera d’abord l’épreuve?
- J’aimerais bien savoir en quoi elle consiste avant de me lancer! Remarqua avec bon sens Violetta.
- Ma fille, notre mésaventure t’aurait-elle rendue sotte? Répliqua Benjamin. Il est tout à fait évident que le piège consiste en des bulles de temps divergentes accolées!
- Tout à fait! Rétorqua le Néo Maya. Mais apprends qu’il y a aussi quelques cercles inoffensifs. Trouve-les!
Personne parmi le groupe s’étonnait de comprendre l’étrange créature qui pourtant s’exprimait en une langue peu courante.
Le capitaine Sitruk voulut se dévouer et se lancer. Il estimait sans doute que sa mort serait profitable aux autres. Cependant, une main à la poigne de fer le retint.
- Laissez-moi y aller le premier, fit le commandant Wu d’une voix douce mais ferme. Ici, le courage ou la témérité ne suffiront pas. L’empathie y est nécessaire. Il est hors de question Benjamin, que vous vous sacrifiez!
- Mais… objecta l’intéressé.
- Tout système, même apparemment chaotique, possède sa propre logique. Il me faudra l’appréhender. Le cercle A est bon, le B mauvais, le C mauvais également sera suivi d’un D inoffensif et ainsi de suite…
- Daniel semble oublier que 50% de son cerveau ne fonctionne pas! Jeta avec acidité Fermat, mécontent d’avoir été devancé par son ancien subordonné. Peut-il donc calculer les probabilités à l’infini pour repérer et identifier les cercles à emprunter?
- André, fit le daryl qui avait parfaitement entendu les paroles peu amènes du Français, croyez-vous que, durant toutes ces années, je n’ai fait appel qu’à la partie positronique de mon cerveau? Le plus souvent, je m’en passe!
Afin de rassurer son compagnon, il mit une main sur son épaule tandis que l’être de boue reprenait la parole.
- Un seul itinéraire! Ne vous trompez pas! Insista-t-il.
Les animaux familiers n’avaient pas eu la patience d’attendre qu’un des humains se décidât. Bing, qui courait après un lézard, se mit à folâtrer en tous sens sur le gigantesque échiquier, subissant de multiples transformations. Il passa tour à tour d’une race canine à l’autre sans que cela l’affectât davantage: fox terrier, ce qu’il était à l’origine, loulou de Poméranie, dogue allemand, bichon, retriever, pit-bull, épagneul, basset, caniche, westie, doberman, chihuahua, lévrier afghan, coton de Tuléar, pékinois, berger des Pyrénées, huskie, bouledogue, boxer, pinscher, beauceron, cocker, etc.… Il alla jusqu’à alterner des races non encore créées ou disparues! Parfois, il évoquait les chiens de l’Égypte antique ressemblant au dieu Anubis, ou encore des dogues du Moyen Âge que l’on rencontrait assis aux côtés de leurs maîtres près d’imposantes cheminées, le soir à la veillée.
Naturellement, Ufo ne resta pas sage ; il courut après le chien. L’orang-outan suivit également, n’attendant pas que Daniel eût finit. Il se retrouva coincé entre deux cercles différents. Désormais, on pouvait douter que le grand singe roux fût une créature de Johann!
Sensible au sort de son ami, Uruhu se précipita. Sans savoir comment, il parvint à sauver Gllump. Ne le faisant pas passer dans les cercles de pierres mais dans les intervalles aussi étroits fussent-ils, il le tira hors de l’échiquier. Cependant, le presque humain commençait à se ressentir des distorsions contradictoires. Il était écartelé entre deux plans d’existence à la fois : étirement arrière accéléré et ralentissement quantique.
Pendant ce temps, Daniel s’était enfin décidé. Il avait posé les deux pieds à l’intérieur d’un cercle, non au hasard. Comme espéré, rien ne se produisit.
- Bien! Soupira Fermat, soulagé. Notez tous la position!
Puis, le commandant traduisit pour l’adolescent K’Tou.
Imperturbable à la relative agitation, Daniel réfléchissait intensément. Il examinait tout dans les moindres détails, analysait la disposition des pierres, leur teinte, l’air autour et au-dessus de lui, le moindre souffle de vent, les odeurs et les senteurs les plus imperceptibles, les minuscules insectes qui passaient ou au contraire évitaient certaines cases. Son intelligence n’était donc pas amoindrie même si son cerveau ne disposait plus de la positronicité.
« Là, l’air présente une légère altération. Cette fourmi qui redevient larve… Non, il serait judicieux de ne pas emprunter ce cercle! Ce quatrième sur la droite, c’est l’inverse! Vieillissement accéléré. Peu me chaut de ressembler à un vieillard édenté! La preuve que je ne me trompe pas : la chitine de cette libellule. Alors, sautons dans le cinquième. »
S’étant déplacé d’une case, il permit ainsi à Fermat de l’imiter. Encore un cercle de franchi. Encore un autre et puis un autre. Ici, la terre semblait desséchée, sans âge, et le tourbillon d’air au-dessus du cercle formait comme un entonnoir qui se déportait vers la gauche. Visiblement, cet endroit était soumis à un vieillissement rapide, un peu comme si n’importe quelle créature prenait d’un seul coup trois cent mille ans!
« Bien! Posons le pied sur la deuxième case à droite, poursuivait le daryl. Senteur de printemps, mes poumons s’emplissent d’un air neuf, mais je ne rajeunis pas! Quant à ce cercle, en face, apparemment, il ne présente aucun danger ; méfiance! La fiente d’oiseau. Quel aspect étrange! Hum! Une graine! Si j’y vais, je me retrouve embryon, sort tout aussi redoutable qu’être un vieillard cacochyme! Sautons donc de trois cases, droit devant! J’avais raison ; rien ne se passe! Là, une minuscule brindille au centre de ce cercle. Hum! Piège double! J’en frissonne! Rajeunissement et pétrification. Intéressant, cependant. Une partie du bois bourgeonne tandis que l’autre est aussi dure qu’un tronc fossilisé du Carbonifère!»
Un à un, les autres tempsnautes suivaient avec précaution Daniel Wu. Benjamin fermait la marche. Aure-Elise, qui était l’antépénultième, tétanisée par une peur fort compréhensible, buta contre une pierre. Mal lui en prit! Se foulant la cheville, sous la douleur fulgurante qui la parcourut alors, elle s’accroupit. Pour ce faire, elle posa malencontreusement sa main à l’intérieur du sixième cercle gauche. Son membre se métamorphosa en une main poilue et rabougrie d’Australopithèque femelle!
Marie André, en véritable chevalier servant - il en pinçait de plus en plus pour elle- s’empressa de la secourir. Avec une hardiesse et une force qu’on ne lui soupçonnait pas, il tira sa promise de l’affreux traquenard. Aux côtés du jeune homme, momentanément à l’abri, la jeune fille ne cessa pas toutefois ses gémissements. Visiblement, elle souffrait, non plus de l’écartèlement quantique, qui avait cessé aussitôt qu’elle s’était retrouvée provisoirement en sécurité, mais bien de douleur.
Se penchant avec compassion, Delcourt constata qu’Aure-Elise avait la cheville droite foulée.
Tout devant, Daniel poursuivait sa progression. Il avait bien vingt mètres d’avance sur ses amis. Accaparé par ses observations, il en oubliait son chat. Ufo, qui était parti à la poursuite de Bing, avait filé comme un éclair. L’infortuné félin, malgré son intelligence fort développée, fut piégé à son tour! Ses cellules se regroupèrent en amas et l’adorable bête régressa à un stade antérieur de son évolution. En un peu plus d’une seconde, l’incorrigible Ufo redevint un magnifique chaton de trois mois, en pleine santé, au poil noir et blanc tout luisant, aux yeux bleu saphir ; fort jeune, il savait à peine miauler.
Violetta récupéra la bête familière. Avec dépit, elle vit que le félin ne recouvrait pas son aspect habituel.
« Allons, bon! Dit-elle contrariée. Daniel sera mécontent. »
Quant à Uruhu, il commit une erreur. Il fut confronté au phénomène d’accélération hétérochronique phylogénétique. En quelques secondes, il ressembla à un super Homo Sapiens de plus de cent cinquante mille ans au bas mot dans le futur et présenta un front très haut, dépourvu de cheveux, un crâne poli et pointu, couleur ivoire, un visage triangulaire, une dentition réduite à vingt-six dents, un torse étroit, des membres grêles. Il dépassait allègrement les trois mètres de haut. Son allure, hyper néoténique, rappelait vaguement quelque chose à Fermat. Intrigué, le commandant se dévoua. Tiré par André, le K’Tou eut la chance, une fois hors du cercle lithique dangereux, de redevenir un adolescent néandertalien tout à fait ordinaire.
- Ah! Ça y est! Je sais ce que me rappelle Uruhu ! Un épisode d’Au-delà du réel, «Le sixième doigt!». Avec cet Écossais, David machin chose!
Cependant, soucieux, Fermat examina soigneusement le Néandertalien. Physiquement, celui-ci était indemne. Mentalement, c’était autre chose! Le K’Tou oscillait entre l’agressivité et la prostration.
Loin devant, Daniel Wu avait presque achevé. Encore un cercle et il était sorti d’affaire. Opportunément, une couleuvre lui indiqua qu’il n’y avait qu’une solution possible : devant lui, tous les cercles constituaient des pièges. Le reptile périt donc, écartelé en de multiples segments mosaïques disséminés en une douzaine de cases, tête ayant régressé au stade d’un proto agnathe chinois du Cambrien, corps durcifié, pétrifié, amalgamé à même la roche, queue embryonnaire ornée d’ébauches de membres postérieurs et maculée de membrane d’œuf. Un des segments était mou et translucide, revenu au stade de protozoaire.
Se retournant, sans se déplacer à l’intérieur du cercle dans lequel il se tenait, Daniel lança un dernier avis:
- Il va vous falloir éviter la dernière rangée! Toutes les cases sont mortelles!
Tous acquiescèrent et parvinrent tant bien que mal à effectuer le saut. Delcourt eut le plus de peine. Il avait une excuse : il portait Aure-Elise dans l’incapacité de marcher. Durant cinq secondes, il oscilla en équilibre périlleux sur une partie du cercle, mais il réussit in extremis à sortir du traquenard. Le trajet éprouvant avait duré deux kilomètres et, maintenant, une barrière naturelle se présentait, constituée de cristaux géants et d’amas de boue solidifiée. Ces cristaux de silice émettaient des pensées modulées que Daniel captait clairement. Il servit donc d’intermédiaire entre ses compagnons et les nouveaux gardiens.
- Intrus, tu n’appartiens manifestement pas à notre espèce! Pourquoi demandes-tu le passage?
- Les miens et moi-même recherchons nos semblables. Nous avons réussi l’épreuve des cercles de pierres, mais cela nous a fatigués et nous avons besoin d’aide. Deux de mes amis sont blessés.
Le plus grand des cristalloïdes vibra, émit une lumière et répondit :
http://www.mnhn.fr/museum/front/medias/imgLibre/504_1-press-phot-perm-min-b.jpg
- Être organique, tu as été franc avec nous. Nous t’accordons le passage à toi et aux tiens. Cependant, nous devons te prévenir qu’au-delà de notre monde s’étend une forêt mortifère. En son centre, il y a un marais où rampent et nagent des bêtes immondes tels les mythiques Sucurijus!
- Certes, cela nous intéresse. Merci pour cette mise en garde. Mais, et les humains?
- Ainsi, vous vous nommez comme cela! Par delà les marais et la vaste forêt, vous apercevrez des artefacts, des dômes. Se présentera le temple labyrinthe polymorphe des dieux universels et de Rama. Celui-ci les commande tous! Nous préférons vous avertir, explorateurs organiques! Vous allez traverser le royaume de la mort, de la destruction! Beaucoup l’ont visité, personne n’en est revenu!
- J’avais cru comprendre, à tort, que nous étions les seuls humains égarés en ce lieu.
- Pas les seules formes de vie pensantes ; seuls ceux qui ont été en communication directe avec l’essence même du Multivers peuvent espérer se tirer sans dommages de ce lieu.
Daniel Wu s’inclina profondément et remercia une fois encore. Fermat n’affichait pas son impatience mais il lui tardait de comprendre ce qui s’était produit.
- Alors? Fit-il sur un ton détaché qui ne trompa personne.
- Nous pouvons y aller, répondit laconiquement le daryl.
- Soit, mais comment vous y êtes-vous pris, tout à l’heure pour réussir ce prodige?
- Rien qui ne soit impossible pour un observateur entraîné. Un peu de concentration, beaucoup de sang froid et…l’enseignement de Li Wu, mon grand-père et précepteur. Je me souviens d’un certain Wong. Il est maintenant le supérieur d’un des plus grands monastères de Lhassa. Pourtant, au départ, il n’était pas particulièrement doué!
- Ce n’est pas le moment le plus judicieux pour perdre son temps en des digressions oiseuses, conclut André qui avait rencontré autrefois ledit Wong et qui l’avait jugé comme un interlocuteur difficile et plein de ressources.

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