samedi 16 janvier 2010

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 31 partie 2 : Le vaisseau Langevin avait effectué avec succès le saut quantique...

Le vaisseau Langevin avait effectué avec succès le saut quantique qui le rapprochait notablement de son époque. Dans le centre de commandement, tout le monde s’affairait, attentif au contrôle et à la supervision des différentes consoles techniques.

Le capitaine Maïakovska enregistrait au fur et à mesure les rapports qui lui parvenaient de ses subordonnés. Elle attendait avec une impatience dissimulée les dernières données concernant la position temporelle du vaisseau.

Après une ultime confirmation des paramètres, la Castorii Celsia se retourna et communiqua à sa supérieure la date tant attendue.

- Capitaine, en temps universel admis par l’Empire, nous nous retrouvons à 7198 années en arrière par rapport à la date de notre départ de la base 819.

- Nous ne sommes plus non plus aux coordonnées du système d’Aruspus, compléta Warchifi. Nous nous sommes rapprochés sensiblement d’un secteur galactique fréquenté à cette époque par les Odaraïens, les Castorii et les Helladoï.

- Dois-je en être soulagée? Murmura Irina.

- Certainement, reprit le Noir. Autre bonne nouvelle : les senseurs longue portée refonctionnent. Ils signalent à 3 millions de kilomètres, à 10 heures devant nous, un vaisseau relativement primitif en forme d’aile de libellule.

- C’est là la caractéristique des premiers vaisseaux interstellaires Helladoï, fit Celsia sentencieusement.

- Merci, lieutenant.

- Nous avons la signature électronique, dit Chérifi d’une voix émue. D’après les archives de notre ordinateur, elle correspond à celle du légendaire vaisseau d’exploration commandé par le mythique Albriss.

- Avons-nous été repérés?

- Pas encore, capitaine, souffla Warchifi, mais si nous poursuivons sur cette même trajectoire, cela ne saurait tarder.

- Nous entrerons précisément en contact visuel dans 17 minutes, ajouta l’Irakien.

- Bien, continuons sur notre lancée. Tâchons d’établir au plus tôt une communication. Commanda Irina. Si nécessaire, ajustez les fréquences. Albriss pourra peut-être nous fournir une aide précieuse.

- Ce serait fort opportun, soupira Chtuh.

- Dès cette époque antique, instruisit Celsia, les Helladoï disposaient d’une technologie relativement avancée, plus sophistiquée sur bien des points que celle de Terra au milieu du XXIe siècle.

- Celsia, corrigez-moi si je fais une erreur. Ledit vaisseau que nous allons contacter, ne s’appelle-t-il pas Haarduck, en mémoire du valeureux chef guerrier qui fut capable le premier de déposer les armes et de suivre Vestrak? Ainsi, grâce à ce ralliement de poids, en moins de dix ans, Hellas parvint à vaincre ses démons intérieurs.

- Tout à fait exact, capitaine, répondit la Castorii la mine pincée. Les miens crurent à tort que les Helladoï convertis au pacifisme pourraient être défaits facilement.

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Winka, le colonel Kraksis et les rescapés Asturkruks se retrouvaient donc, non sans surprise, face aux moines hérétiques orphelins d’Uriel. Malgré la semi pénombre ambiante, bien campée sur ses jambes, Pamela Johnson avait reconnu sans difficulté les humains qu’elle avait rencontrés et essayé de tuer quelques semaines auparavant dans une autre dimension temporelle.

« Voici donc le lieu où vous avez trouvé refuge! S’exclama-t-elle mi-figue, mi-raisin. Surprenant de la part d’Uriel, non? »

Le moine qui paraissait commander le groupe, baissa son capuchon et s’exprima d’une voix dépourvue de toute inflexion, à l’imitation de son maître vénéré. Il savait à qui il avait affaire.

- Milady de Glenn, ainsi, vous et les vôtres êtes tombés dans le piège dressé par l’Ennemi. Apparemment, vous n’avez pas bénéficié de la même chance que nous. Madame, à voir vos compagnons, je puis dire que vous avez traversé de rudes épreuves.

- Un piège? Où vois-tu un piège, vermisseau? Éructa Johnson. Aucun d’entre nous n’a le sentiment d’être englué dans une toile. Larve prétentieuse, qui te crois-tu pour…

- Vous le percevez ainsi, milady, mais la charité m’incombe de vous informer que mes frères et moi-même survivons avec peine dans cette caverne depuis tantôt quatre-vingt-huit longs jours. Or, nous sommes habitués à nous contenter de peu : de l’eau, quelques mousses et parfois, pour les plus affamés et les plus faibles, des os à ronger, abandonnés par les nombreuses chauves-souris carnivores qui pullulent ici, ou encore laissés par un tigre ou un ours. Je doute que vous puissiez vous montrer aussi frugaux.

Kraksis murmura avec difficulté, plein de haine, comme à la recherche de son souffle.

« Des ours et des tigres ensemble! Tout à fait invraisemblable! Un de mes avatars en uniforme noir, en Russie, m’a transmis l’entière impossibilité de ce fait! »

Huang Xiao répondit, toujours impassible.

- Vous oubliez que l’Ennemi fait ce qu’il veut! Tout l’agencement de cette caverne est sous son contrôle. La planète entière, ou son présent succédané également. Peut-être est-ce parce que nous sommes partiellement investis par la sagesse de Frère Uriel que nous parvenons à survivre.

- Humains, quelle présomption! Vous représentez à mes yeux moins qu’une poignée de terre! Le Pan Multivers ne vous est nullement dévolu! Lança Winka.

- Milady de Glenn, rétorqua le moine, quelle impudence! Vous n’avez pas saisi de quels pouvoirs l’Entité disposait. Restez humble et suivez mes conseils. Mes frères et moi-même avons déjà affronté la plupart des fourberies dissimulées dans ce traquenard souterrain : les boyaux qui s’effacent subitement, les sols qui se dérobent sous vos pieds aux moments les plus inopportuns, les animaux féroces surgis des peintures d’Arcimboldo ou de Jérôme Bosch qui vous attaquent alors que vous sommeillez recrus de fatigue, une atmosphère qui devient méphitique, sans oublier un temps qui s’affole. Alors, milady, si vous et vos amis tenez tant à la vie, restez à nos côtés.

- Que nenni, rétorqua Pamela, l’incarnation la plus aboutie de l’orgueil. Jamais je ne m’abaisserai à obéir à des Sapiens honnis et dégénérés!

A bout de colère, l’Homuncula recula, choisissant délibérément d’ignorer les conseils du moine d’origine chinoise.

« Comme vous voudrez milady. Je ne répéterai pas ma mise en garde. Après tout, vous êtes libre de disposer de votre mort ou de votre survie. Frères des étoiles, que Rama vous protège! »

Puis, s’adressant aux moines, Huang ajouta distinctement :

« Retirons-nous afin de prier pour ces fols! »

Alors, chaque frère sortit de la salle circulaire par une galerie médiane, gardée par une momie bien conservée de Paranthropus boisei.

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Désemparé, le groupe Asturkruk se tâtait pour savoir que faire.

Une jeune recrue objecta :

- Colonel, peut-être aurions-nous dû accepter cette main tendue. Vous en conviendrez, notre état n’est guère brillant et ne nous permet pas de triompher des créatures de l’extérieur qui peuvent nous menacer. Du moins, tel est mon avis.

- Les ordinateurs de nos armures ont subi des pannes irréversibles, renchérit un caporal. C’est à peine si nos exosquelettes peuvent nous aider à marcher.

- Ah! Ragea Kraksis contrarié devant cette manifestation d’impuissance.

L’engagé se trompa sur les intentions du colonel. Il crut que ce dernier l’autorisait à rejoindre les moines. Maladroitement, en boitillant, le solda se traîna en direction de la galerie médiane. A peine eut-il parcouru quelques mètres qu’un rayon orangé brûlant le percuta de plein fouet. L’arme de poing du cruel Kraksis fonctionnait toujours.

- Caporal, fit l’officier supérieur sarcastique, voulez-vous connaître le même sort que votre ami?

- Monsieur, vous commandez. Répondit le militaire du rang en regardant son compagnon mort.

Pendant cet échange, Pamela Johnson, dont la vision stéréo tromboscopique lui permettait de remarquer le moindre détail incongru de la grotte, s’avança de son pas souple dans une allée, afin d’observer de plus près la dépouille d’un singe qui l’intriguait particulièrement.

« Colonel! Lança-t-elle en guise d’avertissement. Je crois malsain pour nous de rester ici. Le temps ambiant subit une distorsion accélérée. D’après mes calculs, une seconde représente une année! »

La tête toujours baissée, le caporal ajouta :

« Monsieur, je confirme ce qu’avance le capitaine. Il n’y a pas trente secondes que Niour est mort, pourtant, voyez sa dépouille! »

Avec répugnance, Kraksis se pencha vers le cadavre pour constater que Winka disait vrai. Un curieux spectacle se déroulait. Effectivement, le corps se décomposait à vue d’œil et l’armure était inexorablement envahie par une surprenante moisissure rosâtre. Parallèlement, une intense odeur de marée empuantissait la grotte. Or, le titane spécial qui composait la carapace protectrice du calmaroïde avait une durée de vie de 250 ans environ. De même, sur les parois de la caverne, les momies simiennes s’altéraient. Leurs bandelettes ternissaient, envahies de champignons pernicieux identiques. Le tout se teintait d’un marron brunâtre fort repoussant. Un babouin tomba en poussière, réduit en une poudre sombre peu engageante.

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A son tour, Kraksis subit les terribles effets de la distorsion temporelle. Il avait l’angoissante impression d’être prisonnier à l’intérieur d’une armure qui allait rétrécissant chaque seconde davantage. Littéralement, il étouffait, toussait et haletait. En réalité, c’étaient les assistants biologiques incorporés au titane qui commençaient à sérieusement défaillir. Les uns après les autres, ils tombèrent en panne, ne filtrant plus bientôt assez l’oxygène et l’hydrogène nécessaires aux branchies du colonel. En un mot, Kraksis s’asphyxiait.

Presque en rampant, son affreuse face livide, déformée par un rictus de souffrance, il se traîna jusqu’à la galerie médiane, imité par les autres Asturkruks qui refusaient cette mort lente et atroce.

Indifférente à la détresse du colonel et des soldats, Pamela avait déjà pris une vingtaine de mètres d’avance, s’engageant résolument dans le boyau. Derrière les calmaroïdes, les momies de primates achevèrent leur dessiccation. Simultanément à l’anéantissement des dépouilles, le plafond de la salle circulaire s’effondra, coupant ainsi la retraite des Asturkruks en déroute.

La galerie empruntée se prolongeait sur un demi kilomètre ; elle aboutissait à un nouveau labyrinthe étoilé, dodécagonal, avec pour toute différence une clarté plus grande. Cette fois-ci, aucune présence des moines. Pour qui connaissait Johann, cela allait de soi!

« Allons bon! Soupira Winka exaspérée. Je me sens comme Dédale ou Icare, prisonniers du roi Minos avant d’affronter le Minotaure! Puisque ce bouffon m’a lancé un défi, je le relève! »

Chaque nouvelle bouche de l’antre labyrinthique portait au-dessus des frontons une mise en garde, rédigée non en athénien classique mais en latin de Cicéron :

« Visiteur, sois le malvenu dans mon domaine où l’illusion triomphe! »

Cette inscription rappelait le style de l’inimitable comte piémontais Galeazzo di Fabbrini.

Après avoir lu la phrase, Pamela haussa les épaules.

« Pffou! Rodomontades! En général, c’est moi la tourmenteuse! »

Témérairement, la jeune femme choisit au hasard la quatrième galerie sur sa droite et avança. Elle se moquait éperdument de savoir si Kraksis et consort la suivaient ou non. Défait, livide, à bout de souffle, le colonel arriva bon dernier au carrefour. Croyant apercevoir la silhouette de son capitaine se profiler dans la deuxième galerie, il s’y engouffra, rampant pitoyablement cependant que ses hommes empruntaient chacun un boyau différent.

L’exploration de Pamela la conduisit dans une caverne aménagée en muséum d’histoire naturelle à l’échelle de la galaxie. Elle avait présentement devant elle une quinzaine d’entrées comportant un frontispice en langue Asturkruk unifiée. Sa curiosité scientifique éveillée, la jeune femme, qui méprisait les mises en garde répétées de Van der Zelden , entreprit de visiter une à une les merveilles offertes par ce lieu magique et combien dangereux. Winka en venait à oublier que, derrière chaque trésor ainsi dévoilé, se dissimulait un traquenard à la mesure de l’orgueilleuse Homuncula. Fascinée, la capitaine n’avait cure de l’espèce d’engourdissement qui l’accaparait peu à peu. Mais on pouvait lui pardonner!

Imaginez-vous un labyrinthe - et plus encore! -, reproduisant le buissonnement phylogénétique de tous les primates ayant peuplé toutes les planètes dans lesquelles la vie avait emprunté cette voie évolutive, et ce, dans toutes les galaxies connues, passées, et à venir! Cela représentait des centaines de milliers de centaines de milliers d’espèces naturalisées, certaines non encore nées, d’autres éteintes depuis des milliards d’années. La Connaissance directe, à l’état brut! Le Don par excellence pour tout mordu de la xéno biologie. Pamela examina minutieusement des branches et des taxons non encore développés dans des systèmes à peine nouveaux nés. Au-delà de la fascination, la jeune femme était émue, pour la première fois de son existence. Devant elle, le rêve de toute une vie s’offrait. C’en était plus qu’elle ne pouvait supporter.

« Par les restes sacrés du Grand Ancêtre! Que n’ai-je donc mille paires d’yeux pour tout appréhender! »

Johann, en raffiné tourmenteur, en esthète décadent, en fin connaisseur de l’âme, avait fait un magnifique cadeau à Winka! Déroutée, émerveillée et fébrile, la jeune capitaine reconnaissait, parmi tant de tentations, non une quelconque reproduction virtuelle enfermée dans les mémoires de la bibliothèque du Langevin, reproduction à laquelle Uruhu, un jour, avait eu accès, mais bien la réalité même quadridimensionnelle de tous les primates du Pan trans multivers.

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« Ah! Que de splendeurs incomparables! Tâchons de ne pas me laisser submerger par la joie enivrante de ce piège élaboré pour ma personne! »

Pourtant, il était déjà trop tard pour notre effrontée Asturkruk.

« Je ne connais pas tous ces mondes, poursuivait la jeune femme. Contentons-nous de visiter la collection complète des simiens de Terra. Je dois faire attention aux culs de sac évolutifs. »

Non seulement chaque spécimen répondait présent, mais les environnements naturels étaient également reproduits à la perfection au sein d’un diorama fantastique à une échelle si vaste qu’elle en était inappréhendable. En effet, toutes les espèces de tous les mondes alternatifs de la Terre, prises dans tous les temps, dans tous les milieux, s’offraient à une Pamela ivre de connaissance.

En examinant de plus près le diorama, ce dernier révélait sa complaisance à débuter sa représentation par des « dinosaures » arboricoles pourvus d’une vision stéréoscopique, d’yeux nyctalopes, au lieu de montrer les insectivores attendus et les Purgatorius.

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Pourquoi donc ensuite, aux côtés de Plesiadapis, de Necrolemur et d’autres proto simiens, y avait-il des espèces aquatiques qui disputaient leurs niches écologiques à celles des cétacés et des pinnipèdes? Et ces formes géantes intra terrestres? Ces Loris, ces Indris aux grosses pattes fouisseuses, aveugles et quasi édentés? Pourquoi ces lémuriens xénarthres à cet endroit, précisément?

Il fallait prendre bien garde à ne pas emprunter un couloir correspondant à un rameau évolutif sans postérité, car alors le corridor choisi se refermait brusquement tout en débouchant sur le néant, se lovant autour du visiteur importun telle une dimension supplémentaire s’enroulant sur elle-même comme une boucle de super corde. Ce dernier se résorbait, n’ayant jamais été et la transition s’avérait si rapide que même Pamela aurait succombé au piège. D’ailleurs, c’est-ce qui faillit arriver par deux fois.

Les voies sans issue étaient celle de l’Oréopithèque,

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singe dressé européen, cousin du Ramapithèque d’Asie et de primates imaginaires, des macaques macrocéphales dotés de la faculté de vol, originaires des îles de la Sonde!

Notre Pamela ne parvenait plus à identifier la généalogie admise de l’évolution, ne saisissant plus les multiples mutations délirantes qui, pourtant, ne reflétaient que ce qui avait été, quelque part, ou qui aurait pu se développer sous la direction d’un démiurge espiègle et fantasque. Elle se retrouvait au sein d’un pan multivers qui dépassait son entendement. Apparemment, seule la Mort était capable de tout connaître, de tout comprendre, puisqu’elle avait pour but de faire triompher l’entropie, partout.

De plus en plus déboussolée, notre officier Asturkruk, notre innocente, se débattit dans les méandres des boyaux d’hybridation entre préaustralopithèque, pré gorille et pré chimpanzé, buisson inextricable - un fossile, une espèce -, où, par exemple, l’Ardipithèque totalement simien côtoyait un Anamensis déjà bien hominisé pour déboucher sur des Robustus, qui, quoique plus récents, représentaient une régression évolutive.

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Cependant, Winka reconnut également, -que faisait-il dans cet inventaire?-, peut-être un clin d’œil amusé de Johann - le corps délicatement empaillé d’un Sapiens Sapiens, maître à penser d’un certain Lucien Pivert, reconnaissable à sa mine renfrognée, à ses sourcils épais et à ses bajoues tombantes, comparé par un Ennemi primesautier à un Paranthropus Robustus dégénéré, autrement dit, l’ineffable Toussaint Spirito.

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Pour les lecteurs égarés, nous rappelons que Lucien Pivert avait été tué élégamment par notre vengeresse diplômée.

La capitaine s’égara pour de bon au milieu d’espèces antarctiques ou montagnardes d’Orang-outan, de migous et de barmanous.


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Elle fut tentée de rebrousser chemin devant le fouillis emberlificoté des monstres prometteurs, hybrides espérés de K’Tous -Niek’Tous, K’Tous - Erectus tardifs d’Asie,

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d’Afrique et d’Océanie, K’Tous - yétis de l’Altaï. Dans ce labyrinthe, toutes les espèces, tous les spécimens étaient interféconds! Une angoisse de plus en plus mal réprimée lui fit saisir peu à peu qu’elle ne pouvait absolument pas revenir en arrière, quels que fussent ses pouvoirs et ses talents.

**************

Qu’était-il advenu des infortunés Asturkruks qui avaient choisi de ne pas suivre Pamela?

Chaque soldat de Kraksis avait emprunté une galerie particulière. Comme s’il était prisonnier à l’intérieur d’une coquille de nautile géant, le caporal effectuait des cercles concentriques de plus en plus resserrés. Tout d’abord, il ne se rendit pas compte de ce fait. Lorsqu’il en prit conscience, c’était déjà trop tard ; en effet, chaque chambre de la coquille franchie se refermait automatiquement derrière lui. Inévitablement, le caporal finit par se retrouver au cœur même d’un boyau si étroit qu’il était impossible de se mouvoir. Le soldat fut même dans l’incapacité de se retourner. Pour poursuivre, il en fut réduit à ramper. Mais, la reptation lui fut bientôt interdite. Bien évidemment, l’air vint à manquer. Le calmaroïde mourut étouffé dans une lente agonie silencieuse.

Deux Asturkruks firent leur jonction dans ce qui ressemblait à une pouponnière d’abeilles. Les multiples rayons abritaient des alvéoles contenant des larves. Bien sûr, immédiatement alertés par cette intrusion, des guerriers insectes surdimensionnés convergèrent vers la chambre de naissance de la nouvelle reine. Précaution inutile et redondante car celle-ci, à peine éclose, affamée, guidée par un instinct multimillénaire, attaqua les deux Asturkruks éperdus, impuissants à répliquer, les déchiqueta et s’en reput.

Un quatrième Asturkruk crut avoir la partie belle. Pendant quelques minutes, il progressa dans une galerie dépourvue de tout danger, du moins en apparence. Rassuré, il accéléra pour tomber dans le plus affreux des pièges. Il fut aspiré soudain par une cheminée apparue brutalement ; or celle-ci générait un puissant courant ascendant. Adonc, le cyborg mutant subit une montée vertigineuse à une vitesse dépassant l’entendement. Le frottement de la force ascensionnelle l’embrasa tandis que l’énorme pression fit éclater son corps à l’intérieur d’un puits sans fin. La mort survenue, les restes plus ou moins calcinés du malheureux furent projetés dans l’espace pour atterrir à plusieurs kilomètres de distance, s’éparpillant dans le marteau de l’enclume. Des charognards, le ventre grondant de faim, en firent leur bonheur.

Un cinquième Asturkruk suivit un couloir au rapport temps inversé. L’événement attendu eut lieu : le calmaroïde rajeunit ; mais moins convenu, il ne fut pas le seul. Alors que son armure se démontait, stalactites et stalagmites rétrécissaient parallèlement. Subissant aussi cette métamorphose néoténique la roche retourna à l’état de fusion ainsi que les pièces métalliques usinées constituant la protection du guerrier. Celui-ci, d’ailleurs, en quelques secondes, redevenu un simple hybride innommable de larve planctonique de calmar et de fœtus, mourut engloutit par le magma.

Cependant, tous les chemins mènent à Rome.

Miraculeusement, cinq ou six Asturkruks parvinrent à se rejoindre à un carrefour délirant. Le colonel Kraksis, déjà présent, attendait ses hommes. Un spectacle incompréhensible les accueillit. Tous voyaient distinctement, à l’extrémité de la vaste salle nue, Pamela figée en contemplation devant un néandertalien immobile. Autour de l’ex lieutenant Johnson, il n’y avait rien. Aucun primate empaillé, aucun diorama, aucune circonvolution de corridor! Rien que nos Asturkruks!

Chaque intrus avait donc été victime d’une illusion personnelle, fantasme aux fins de prédation se nourrissant des peurs et obsessions intimes de ses proies. La subtilité dont faisait preuve Van der Zelden était véritablement démoniaque. Si tous les calmaroïdes avaient retrouvé leur raison, leur libre arbitre, du moins, relativement, il n’en allait pas de même chez la jeune capitaine. Winka croyait contempler un néandertalien naturalisé au milieu de toute une collection de ses semblables et non une quelconque représentation en cire du XXIe siècle. En fait, le moine Nuru, bel et bien vivant, médium et télépathe hors pair, avait été capable de capter les pensées de Pamela et de s’insinuer dans son rêve éveillé. Le néandertalien avait été éduqué par Uriel en personne.

Le colonel Kraksis comprit rapidement dans quel piège était tombée sa subordonnée. Bien qu’elle lui eût marqué du mépris, il voulut la délivrer de sa prison intérieure. La mi homuncula, mi Asturkruk, ses dons affaiblis et malmenés, courait à la défaite face à la puissance télépathique de Nuru. Dans cet univers distordu où tout était possible, l’Ennemi manipulait à satiété tous les pantins vivants.

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Au-dessus du fortin en ruines, le soir tombait. A la chaleur insupportable succédait le froid de la nuit. Au loin, dans un ciel qui peu à peu devenait violet, on distinguait un vol d’oiseaux noirs. Ils s’éloignaient pour un lieu plus clément. Voyant l’épuisement des enfants et d’Aure-Elise, Fermat avait fini par se rallier à l’avis général. Le groupe passerait ici les heures nocturnes, plus dangereuses encore que ce qui était advenu.

Adossé contre un mur à demi écroulé, André partageait équitablement la nourriture, qui était constituée de tablettes de protéines survitaminées. L’eau, tirée du puits du fortin, avait un affreux goût plombé, comme si elle provenait de la bosse d’un dromadaire. Paisiblement, l’autochtone avait nourri son méhari laineux ; à son tour, il se sustentait de pemmican de phoque, de galettes de mil, de bouillie de krill et de sauterelles grillées. Son sac en peau de chèvre contenait même de quoi faire du thé à la menthe. Poliment, il en offrit autour de lui.

Uruhu, intéressé par la viande de phoque, et non par les tablettes jaunâtres qui, pour lui n’avaient pas le goût de nourriture, accepta avec enthousiasme une part de ce repas. En contrepartie, il partagea quelques lamelles de renne et de viande d’ours avec le natif.

Puis, l’Inuit Touareg s’approcha du commandant Fermat et, dans son langage particulier, lui dit de se servir. Son bol d’argile contenait une trentaine de sauterelles grillées décapitées enduites de miel d’abeilles sauvages, la nourriture de Saint Jean Le Baptiste, certes, mais bien peu ragoûtante pour un occidental du XXVIe siècle.

- Non, merci, répliqua André, faisant un signe de refus de la tête. J’ai ce qu’il me faut, poursuivit-il en évitant de montrer son dégoût.

- Vous avez tort, commandant, rétorqua Daniel sentencieusement. Cette nourriture gracieusement offerte permettrait d’économiser nos rations. De plus, les sauterelles, c’est très bon pour la santé. Je ne connais rien qui les dépasse en protéines naturelles.

- Oh, je n’en suis pas encore réduit à ce point là, souffla Fermat.

- Peut-être serons nous condamnés à imiter Jean Le Baptiste, fit avec humour le daryl.

Sitruk dressa l’oreille. A son tour, il jeta :

- Tous les anachorètes ont survécu ainsi dans le désert. Ils n’avaient pas le choix.

La fatigue les accablait tous. Ils succombèrent au sommeil. Après une bonne nuit de repos, où cependant chaque homme avait assuré son tour de garde, le dernier étant Marie André, qui avait replongé dans les bras de Morphée depuis un peu plus d’un quart d’heure, l’adolescent K’Tou ouvrit les yeux et se les frotta. Regardant autour de lui, il crut encore être plongé dans un rêve. Manifestement, quelque chose n’allait pas. Se pinçant, puis se mordant, il dut se rendre à l’évidence. Le danger accourait à une vitesse folle. Uruhu se mit debout et cria à pleins poumons :

« Cherl! Ani ga! Ani ka! »

En effet, il y avait de quoi perdre son sang froid. Une masse d’eau gigantesque s’était substituée au désert, presque aussi vaste que tout l’océan Pacifique, et toute cette eau cernait le bordj. Elle formait un mur si haut et si volumineux qu’on n’en distinguait plus la voûte céleste. Grondant de colère, la mer océane menaçait d’engloutir les survivants.

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