vendredi 8 janvier 2010

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 30 partie 2 : Le commando Asturkruk, dirigé par Kraksis et Winka...

Le commando Asturkruk, dirigé par Kraksis et Winka, se retrouvait lui aussi piégé sur cette Terre mosaïque. L’Ennemi avait fait preuve d’une certaine compassion à son égard; les implants cybernétiques des calmaroïdes fonctionnaient toujours. Mais pour combien de temps?
Grâce à la relative magnanimité de l’Entité, les Cyborgs n’avaient dû affronter que des marais nauséabonds et mortifères dans lesquels une espèce de mousse carnivore bleu-vert avait prospéré. Cette mousse avait englouti six guerriers. Un caporal présentait d’étranges symptômes : son armure anthracite paraissait envahie par des moisissures parasites du plus beau rouge. Ce phénomène entraînait chez l’infecté une paralysie partielle qui s’aggravait d’heure en heure.
Kraksis fulminait de rage pas tout à fait contrôlée.
- Capitaine, pourquoi avoir provoqué cette Entité? Votre nature et vos talents ne peuvent-ils pas nous tirer de ce piège?
- Colonel, vous oubliez que je ne suis pas la seule à m’être montrée imprudente! Si vous me permettez un conseil, ce ne sont ni le moment ni le lieu d’afficher ainsi nos dissensions!
- Maintenant, vous faites preuve d’impudence!
- Regardez plutôt ce qui nous arrive du ciel.
Kraksis dressa alors ce qui lui tenait lieu de tête. Un frémissement de peur le secoua.
- Des singes ailés!
- Colonel, pensez à vos subordonnés. Nous avons là des Améranthropoïdes vampires qui devaient résulter d’un de mes projets de manipulations temporelles de l’évolution terrestre, corrigea Pamela condescendante. Ce van der Zelden se contente de me copier, c’est agaçant!
- Vous n’admettrez donc jamais que votre orgueil est… comment disent les humains déjà? Ah! Oui! Votre talon d’Achille. En attendant, défendons-nous du mieux que nous le pouvons contre ces animaux.
Le colonel hurla un ordre.
- Phaseurs en batterie! Feu!
Là-haut, une horde de singes chauve-souris volait sans grâce et en rangs serrés dans le ciel soudain enténébré. Les yeux globuleux des atèles géants phosphoraient dans l’obscurité. Les gueules largement ouvertes laissaient entrevoir des crocs menaçants.
L’ordre du colonel s’avéra inutile. Les vampires s’abattirent vivement sur les Asturkruks, insensibles aux tirs des phaseurs. Les extraterrestres tentèrent de faire face à cette attaque aérienne. Mais, les animaux sauvages et cruels étaient bien plus mobiles que les calmaroïdes dont les armures de soutien fonctionnaient tant bien que mal.
Les singes mutants trouvèrent instinctivement le point faible des étrangers. Ces derniers furent vidés de leur lymphe blanchâtre répugnante, les simiens ailés les mordant furieusement dans les rares portions de chair à l’air libre. Les canines pointues s’enfonçaient facilement dans ces tissus tendres tandis que tout l’appareillage électronique des intrus se montrait inefficace face à la cruelle détermination des autochtones.
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Lorsque, enfin, après de trop longues minutes, la volée de vampires simiesques commença à se faire moins nombreuse, un autre cataclysme survint. Une pluie brutale, constituée d’eau et d’acide, transperça les calmaroïdes et anthropoïdes, trouant indifféremment et équitablement poils, peaux, carapaces de titane et chairs racornies. Chaque fois qu’une goutte d’acide trouvait sa victime, une fumerolle particulièrement nauséabonde se dégageait de l’être meurtri et montait dans le ciel.
Cris plaintifs, hurlements de terreur, geignements résignés, gémissements de souffrance, crépitement régulier de la pluie fantastique, battements d’ailes saccadés, frémissement du vent dans les feuilles en fond sonore : c’était là la symphonie magnifique et concrète de ce massacre orchestré par l’Entité Johann. Sans doute, dans un ailleurs, l’être malfaisant savourait-il ce point d’orgue de sa destruction créatrice…
Le colonel Kraksis qui, jusqu’à cet instant, avait réussi à s’en tirer sans dommages, reçut de plein fouet le corps d’un atèle blessé sur son armure défaillante. Sous le choc, le calmaroïde tomba sur un sol spongieux. Alourdi, il parvint néanmoins, mais avec de grandes difficultés, à se dégager de la bête puissante, déjà morte. En effet, l’atèle présentait de multiples blessures : ailes perforées par la pluie acide, pelage ventral suintant de fluides écœurants dont les senteurs vous prenaient à la gorge. Ignorant tout sentiment de pitié, préoccupé avant tout à sauver sa peau, l’Asturkruk, rendu encore plus furieux par le choc, s’acharna inutilement sur la gargouille simiesque. Celle-ci ne fut bientôt plus qu’un pitoyable et abominable tas sanguinolent à peine identifiable.
Cependant, la pluie continuait de tomber, manifestation impavide de la cruauté de l’Ennemi. De son côté, Pamela Johnson avait avisé la présence d’une espèce de caverne. Se transformant en un fluide argenté, tant sa vitesse était phénoménale, elle courut s’y réfugier, oubliant volontairement de secourir son supérieur.
« Il n’a qu’à se débrouiller seul! », pensa-t-elle.
Kraksis qui avait entraperçu le mouvement de fuite du capitaine, l’imita péniblement avec un certain retard. Il était bien trop fier pour réclamer de l’aide. Haletant, épuisé, il reprit son souffle à une trentaine de pas de l’entrée de la cavité. Ses yeux globuleux firent le tour de la grotte protectrice. Cependant, il hésitait à s’aventurer plus profondément.
Une douzaine de soldats en piteux état s’en vint rejoindre les deux officiers. Tous présentaient d’innombrables blessures ou mutilations. Un sous-lieutenant voulut faire son rapport au colonel.
- Inutile, Molk, je sais que vous êtes les seuls survivants du régiment!
- Colonel… Nous aurions peut-être dû nous occuper de nos compagnons…
- N’ayez aucun remords. L’Archontat ne tolère pas cette faiblesse par trop humaine!
- Bien dit, colonel, lança Winka avec un sourire tout en se rapprochant des siens. Explorons plutôt notre abri du temps que la tempête se calme.
Haussant ce qui lui tenait lieu d’épaules, Kraksis se contenta d’acquiescer, trop épuisé pour insulter le capitaine ou la rappeler à l’ordre. Les survivants se mirent en route, peu rassurés mais ne le montrant pas.
Peu à peu, les yeux des Asturkruks s’habituaient à l’obscurité relative du lieu. Une jeune recrue qui fermait la marche remarqua avec inquiétude:
- Colonel! Derrière nous, l’entrée a disparu!
- Ici, tout n’est qu’illusion, répliqua Kraksis le souffle encore irrégulier. Poursuivons!
Une dizaine de minutes s’écoulèrent. On n’entendait que les respirations saccadées ou les pas des calmaroïdes. Pamela s’arrêta avec brusquerie. Dans le lointain, elle percevait la présence d’un inconnu à la silhouette humanoïde.
- Entendez-vous? Demanda-t-elle.
- En me concentrant… La caverne est donc habitée. Hé bien, capitaine, c’est le moment de déployer l’éventail de vos talents!
La respiration lourde, venue du fond de l’obscurité, se faisait plus précise, plus proche, se transformant en mugissement, voire en rugissements. S’avançant avec précaution, la jeune capitaine écouta avec une attention redoublée.
- Cet animal, si c’en est bien un, n’est peut-être pas hostile! Déclara-t-elle abruptement. Je perçois tout à la fois des pensées et un langage primitifs. Or, un fauve ne pense pas, il réagit!
Deux petites lueurs rouges phosphorèrent alors dans les ténèbres.
- Qu’est-ce que je disais! S’exclama Winka
Laissant là toute prudence, la jeune femme marcha d’un pas assuré vers la forme prostrée qu’elle devinait. Des parois s’écoula une lumière liquide d’une belle couleur jade. Ainsi, tous les Asturkruks purent examiner le lieu où ils se trouvaient et l’animal ou la créature qui s’y était réfugiée.
Les rescapés avaient abouti au centre d’une vaste salle dodécagonale d’où partaient des galeries dans des directions différentes, rayonnant tel un soleil. Sur les parois sculptées de la caverne, à cinq mètres de hauteur environ, dans un style ressemblant à l’art Khmer, on pouvait reconnaître tout le panthéon bouddhique et hindou. Mais la figure de Rama s’y détachait.
Au niveau du sol, l’entrée de chaque galerie était gardée par une momie de singe soigneusement bandelettée : gibbon, babouin, siamang, macaque, mandrill, chimpanzé, orang-outan, gorille, sans oublier un Australopithèque Afarensis ainsi qu’un propliopithèque. Détail incongru: les momies tenaient toutes un flambeau qui éclairait la grotte. La flamme bleue se mêlait à la lumière jade des parois, conférant à la salle un aspect fantasmagorique.
Posée sur un autel de pierre qui trônait à deux mètres à peine de Pamela, la tête démesurée du Migou prit la parole, faisant sursauter les intrus. Elle s’exprimait en tibétain avec des accents sourds, des inflexions inquiétantes.
Mais les paroles prononcées se voulaient pleinement rassurantes.
“ Bienvenue! Bienvenue aux envoyés sacrés du Très Grand, du Très Haut! Bienvenue aux étrangers venus du pays des eaux mouvantes”.
Alors que la tête simiesque achevait ses salutations, de chaque galerie sortit une silhouette humanoïde encapuchonnée. Douze inconnus s’avancèrent ainsi d’un pas mesuré jusqu’au saint autel, sans crainte. Abaissant ensuite leur capuchon avec un bel ensemble, ils saluèrent cérémonieusement les Asturkruks. Celui qui paraissait le chef s’exprima en mandarin classique, ce qui eut pour résultat de faire sursauter Pamela. La jeune capitaine croyait avoir affaire à Daniel Wu. Mais elle se rendit bien vite compte de son erreur. Le moine déclarait d’un ton placide:
“Êtes-vous les envoyés de frère Uriel? Nos tribulations vont-elles connaître enfin leur terme?”
Celui qui parlait ainsi était frère Huang Xiao à qui l’agent temporel avait confié une partie de ses secrets. Ainsi, les moines hérétiques du couvent de sainte Catherine avaient eux aussi été pris dans les rets de ce non temps!

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Surface d’Aruspus. Dans le centre de commandement du Langevin, le capitaine Irina Maïakovska s’apprêtait à lancer l’ordre de décoller. Il n’avait fallu que six heures à l’équipage pour tisser et mettre en place les voiles solaires à l’arrière du vaisseau, et ce, sur la coque externe. Ayant maintenant assez emmagasiné de photons, les deux voiles allaient fournir la poussée nécessaire au décollage du Langevin.
Warchifi, qui s’affairait au poste de contrôle de l’ingénierie, rassura le capitaine quant aux ressources énergétiques.
- Réserve d’énergie disponible pour les moteurs d’appoint à 98%.
- Toutes les commandes sont opérationnelles, compléta Chtuh. Vitesse de décollage et poussée nécessaires dans une minute et deux secondes.
- Bien. Pas d’obstacle devant notre fenêtre de lancée?
- Pluie de météorites à quatre degrés ouest. Nous ne serons pas touchés, capitaine, dit Uruhu de sa voix lente et sourde.
- Dans ce cas, lieutenant Chtuh, allumez le moteur auxiliaire bâbord.
- Ordre effectué, capitaine, fit le dinosauroïde.
- Ma console suit, souffla Warchifi.
- De même pour moi, renchérit le K’Tou.
- Allumage moteur auxiliaire tribord… maintenant!
- Exécuté, répliqua le petit dinosauroïde vert.
- Statut des compensateurs inertiels?
- Fonctionnels à 100% ; ils répondent, renseigna le Noir.
- Décollage, poussée maximale!
- Oui! Ça y est! S’exclama le Néandertalien. Pousse mais pousse donc!
Toute la superstructure du vaisseau scientifique grinçait et souffrait. Mais le Langevin finit par s’arracher du sol inhospitalier d’Aruspus. Antor, qui se tenait debout fermement campé sur ses jambes derrière le siège de commandement d’Irina, dit de sa voix neutre:
- Les cristalloïdes nous envoient un message d’adieu ; ils nous souhaitent un bon retour.
- Transmettez-leur nos meilleurs vœux de prospérité. Rajoutez que jamais nous ne les oublierons et que, s’il tient à la Providence, nous les rencontrerons encore.
- C’est fait. Ils vous remercient.
En quelques secondes, le Langevin atteignit une altitude extra orbitale.
- Pilote, demanda Irina sommes-nous maintenant assez loin pour enclencher le moteur principal?
- Deux minutes avant que ce soit possible capitaine.
- Ingénierie, préparez-vous à lancer l’accélération quantique! Il me la faut dans… vingt-quatre minutes.
Celsia répondit par communication interne.
- Vous pouvez compter sur nous capitaine. Pas de fluctuation dans le rayonnement.
Uruhu rajouta, surveillant sa station:
- Moteur principal, puissance disponible… maintenant!
- Merci pour cette avance! Engagez!
Effleurant rapidement les touches de sa console, le Néandertalien alluma le propulseur central. A l’ingénierie, la chambre d’antimatière, mise en contact avec les cristaux de charpakium suivait et réagissait selon les paramètres établis à la nanoseconde près. Alors, Aruspus disparut soudainement de la sphère écran de contrôle. Sur la passerelle, Warchifi se permit un soupir de soulagement.
Le vaisseau accéléra jusqu’à atteindre, sans incident, le luminique, créant ainsi sa propre réalité spatiale.
Vingt-deux minutes plus tard, le Langevin, flèche argentée prisonnière d’un tunnel d’où toute lumière était absente, parvenait à quinze millions de kilomètres de tout corps stellaire.
- Géante rouge tout droit, à la position prévue selon les senseurs à longue portée.
- En accélération continue, Chtuh! Uruhu, à hyper supra luminique, vous effectuez le changement et basculez…
- Compris capitaine… Voilà!
- Hyper supra luminique 10... 12... 14... 16...17! Énuméra Chtuh. Inclinaison du tunnel virtuel… Sept… neuf… Quatre… Cinq degrés.
- Nous contournons maintenant la géante rouge à un million de kilomètres tribord, fit Warchifi, dissimulant son excitation.
- Saut quantique enclenché… Constata Irina. Nous avançons dans le temps…
- Oui, capitaine, dit Uruhu, c’est tout à fait exact. Chaque seconde qui s’écoule pour nous équivaut à cent ans à l’extérieur.
Le Néandertalien arrêta de parler, tous ses efforts concentrés à ne pas dévier de son objectif. Le saut quantique secouait le Langevin, faisait tanguer l’intrus dans les remous d’un continuum qui, sans cesse, se reconstituait.
- L’IA semble suivre, articula Warchifi avec enthousiasme. Les paramètres correspondent à la projection prévisionnelle.

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